C'est au bout d'une vingtaine de minutes que je descends, une troisième cigarette déjà allumée coincée entre les lèvres, utilisant simplement ma bouche pour recracher ma fumée. Il fait trop froid, alors je garde mes mains à l'abris dans les poches de ma veste.

Mais Ella ne semble pas avoir ce problème.

Un fin gilet recouvre ses épaules dénudées alors qu'elle se prélasse sous le faisceau jaunâtre d'un réverbère, le regard perdu dans les étoiles qui sont pourtant invisibles, ce soir.

Je ne comprends toujours rien au déroulement qu'a pris cette soirée. Encore moins comment j'ai fini par accepter, après son départ. J'ai juste pris une douche, enfilé une chemise noire et un jean de la même couleur. Puis, après un long coup d'œil sur mon flingue et le restant de mon bordel qui allait devenir mon mausolée avant qu'Ella ne se pointe...

Je l'ai rejoint dehors.

Avec sa tête basculée en arrière et ses longs cheveux bruns rejetés sur ses épaules, sa gorge parait déployée à la nuit. Elle fait quelques tours sur elle-même en se tenant toujours au réverbère et se laisse divaguer dans une danse monotone dont seule elle connaît le rythme.

Ella est vraiment allumée...

Je fronce les sourcils, quand je me rapproche d'elle et lorsqu'elle m'aperçoit, elle sourit en se détachant de la lumière.

— Tu es venu.

— Je veux déjà repartir...

Mon grognement ne semble pas la faire ciller, cependant, car elle porte une main à sa poitrine et susurre avec malice :

— Mais j'ai quelque chose qui t'es précieux.

— Je croyais que tu avais pris ça parce que tu en voulais aussi. Tu sais, je pouvais partager.

— Peut-être est-ce pour ta générosité légendaire que je t'ai choisi, alors ?

Mes épaules s'affaissent et je porte mes doigts à mes lèvres où je recueille mon mégot que j'écrase sous ma semelle.

— C'est quoi le plan ?

— Ce ne serait pas amusant si je te disais tout tout de suite, n'est-ce pas ?

Dans un petit déhanché, elle vient s'accrocher à mon bras et me guide hors du parking pour m'emmener sur le boulevard où klaxonnent encore beaucoup trop de voitures. Je lui jette un coup d'œil, mais elle semble trop enthousiaste pour s'en apercevoir.

— Tu sais ce qui le serait ? C'est que tu me dises comment je suis censé récupérer mes cent millions de dollars des poches de Judd.

— Ne t'en fais pas, tu le feras. Avec un bonus de cinquante millions en prime en guise de remerciements.

Je ravale ma salive de travers et me mets violemment à tousser.

Elle vient de dire quoi ?!

— Tu as très bien entendu. Parce que vois-tu... Moi aussi, je peux être généreuse.

— Comment as-tu accès à cent cinquante millions de dollars ?

— Aussi facilement que j'ai accès à cent cinquante millions de dollars supplémentaires.

— On... On va voler trois cents millions ?

— Tu es doué en maths. C'est utile à savoir.

Je m'arrête, et mon geste la force à pivoter en face de moi, ce qui lui arrache un soupir dérangé.

— Je ne braquerai pas de banque, Ella. Je sais que les gamins d'aujourd'hui regardent un peu trop ces conneries sur Netflix, mais tu peux pas faire ça sans plan !

— Déjà d'une, on ne braquera aucune banque. De deux... J'ai un plan. Et il commence par Lucille.

— Lucille ?

Dans la nuit, l'obscurité des cheveux et des yeux d'Ella rendent son visage de poupée presque blême. Et pourtant, je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi irradié à l'idée de voler une fortune qui ne lui appartenait pas...

Et j'ai travaillé dans la bourse.

— Avant qu'on ne commence... Il faut que tu saches deux trois trucs sur Judd.

— J'ai hâte... reniflé-je en enfonçant mes mains dans mes poches.

— Premièrement, il collectionne les trophées.

— Comme un tueur en série ?

— Précisément. Il a des garages, des entrepôts et des box entiers de quelque chose de personnel qui appartenait à la personne qu'il a dérobé. Des inventaires dont j'ai globalement l'accès... Et pour d'autres, non.

— Et laisse-moi deviner... Lucille se trouve dans un entrepôt dont tu n'as pas accès... C'est ça ?

Les commissures de ses lèvres frémissent sur son sourire nacré et elle m'assène un coup dans le bras :

— Tu apprends vite.

— Qu'est-ce qu'est exactement Lucille ?

— C'est une voiture.

— On va voler... une caisse ? J'espère pour toi que mes millions se trouvent dans le coffre.

Agacée, elle claque la langue et m'attrape par le bras et essaye de me forcer à avancer.

— Tu veux qu'on fasse mal à Judd, oui ou non ? C'est par Lucille qu'il faut commencer.

Sauf que je ne bouge pas d'un cheveu. À la place, je ris doucement, me dégage de son étreinte et me place suffisamment près d'elle pour que mon souffle et le sien se rencontrent dans une buée commune. De si près, je peux voir le plastique de mon sachet de cocaïne dépasser de la bordure de sa robe écarlate...

Et c'est un plaisir qui me donne la force pour grogner à son oreille :

— Si tu m'entraînes dans un piège... Si tu fais quoi que ce soit de travers... Je te le ferai payer. Je ne sais pas qui tu es, ni ce que tu cherches à accomplir... Mais tu as intérêt à tenir ta promesse... D'une façon ou d'une autre, je quitterai ce monde... Et s'il le faut, je t'entraînerai avec moi.

Elle lève ses mains en prenant une grande inspiration et de ses doigts vernis de noir, remet le col de ma chemise proprement avant de me tapoter le torse et de murmurer, probablement plus doucement encore que moi :

— Lucille attends, Zade... Elle aussi, demande à être libérée.

— Je ne rigole pas, gamine.

Son sourire se dissipe pour laisser place à un rictus sévère et ses ongles se plantent dans ma chair quand elle répond :

— Si tu me considères tant comme une fillette sans défense... Dis-toi que c'est elle qui mène sa vengeance, pendant que toi, tu dépéris au fond de ta chambre d'hôtel à moitié anesthésié par tes conneries... Je t'admirais pour ce que tu as fait à Judd. J'aimerais retrouver ce même homme. Je lui redonnerai un peu de son stimulant, si c'est ce qu'il faut pour le garder en pleine forme.

Je la repousse lorsqu'elle mord dans le lobe de mon oreille et elle éclate d'un rire fou avant de trottiner le long du trottoir.

— On est en retard pour l'étape numéro une, Zade !

Mon souffle s'emballe et l'air se transforme en poison.

Dans quoi est-ce que j'ai encore mis les pieds ?

***

Comme si Ella manquait de couleur, je la regarde enduire un rouge-à-lèvres écarlate sur ses lèvres à la courbe dessinée par un maître fou. Agenouillé à ses côtés, ce n'est que maintenant que je remarque que c'est le seul maquillage qu'elle porte. Pourtant, avec ses cils battants, un manque inhumain de cernes et la lignée parfaite de sa mâchoire, personne n'aurait pu le dire.

Ce n'est pas pour rien qu'elle a réussi à séduire Judd... Et qu'elle arrivait à recevoir les foudres de tout le monde, en sa présence.

Néanmoins, je parviens tout de même à décrocher mon regard d'elle et à le reporter sur le lieu où l'on se trouve.

Caché derrière un van noir, je sonde avec prudence le bâtiment devant lequel on se trouve. Sa surface noire et lisse saupoudrée d'une fine brume qui se déverse sur nous depuis une bonne dizaine de minutes, il n'aborde aucun panneau.

Aucun slogan, rien qui puisse nous dire où l'on se trouve.

Voyant mon air confus, Ella essuie le coin de ses lèvres avec un mouchoir qu'elle jette dans son petit sac à mains en cuir noir et chuchote en indiquant une porte à peine démarquée dans la surface.

— C'est le garage privé de Judd. Toutes ses voitures les plus précieuses se trouvent à l'intérieur. Le plan est simple. Sortir Lucille de là.

— Incroyablement simple, en effet.

Je m'appuie contre la portière du van pour vérifier si personne ne nous voit et marmonne entre mes dents qui ne cessent de grincer sous l'hyperactivité qui me gagne.

— Pourquoi est-ce qu'on se cache ? On n'est pas du tout à l'abris des caméras de sécurité, là...

— On ne se cache pas, j'avais simplement besoin du rétroviseur pour me maquiller.

Je me retourne vivement vers elle et la toise avec impatience.

— C'est une blague ?

— Bon, écoute-moi bien, reprend-elle en ignorant la colère qui prône dans ma voix. Je n'ai pas accès, ni d'autorisation à rentrer dans cet immeuble, si je ne suis pas accompagnée de Judd ou de quelqu'un de sa garde. Il n'y a que deux issues. La porte d'entrée que tu vois là, pour les employés, et la porte de sortie pour les voitures, protégée par deux vigiles armés à qui il faut montrer une autorisation supplémentaire.

— Ça commence bien...

— Chaque voiture est équipée d'une sonnerie d'alarme qui retentit dès qu'on essaye de l'ouvrir sans la clef. Sonnerie qui est directement interceptée par les capteurs du garage et qui font verrouiller chaque sortie possible dans un délai d'une minute trente. C'est un employé qui se trouve avoir toutes les clefs.

— Et celui que tu vas charmer, je suppose.

— Exactement.

Je fronce du nez et me hisse sur la pointe de mes pieds pour voir la porte d'employés, au-delà du van, alors qu'Ella accentue son décolleté en tirant sur sa robe rouge.

— Je peux savoir ce que tu attends de moi ?

— Si les choses se passent mal, j'ai besoin que tu appuies sur le bouton d'urgence pour ouvrir la porte de sortie. Je viendrai te chercher.

— Pardon ?

— À l'intérieur du post de vigile se trouve un grand bouton de secours, tu ne peux pas le manquer, c'est le seul qui est rouge. C'est celui sur lequel on appuie en cas d'erreur d'alarme.

— Et le garde, j'en fais quoi ?!

Ella sourit et m'adresse le plus ravageur des clins d'œil avant de se redresser, toute fière, et de se diriger avec un déhanché endiablé.

— Tu le neutralises.

— Et comment, exactement ?

La jeune femme s'arrête un instant et pivote à demi dans ma direction. Un léger coup de vent balaye l'une de ses mèches ondulées de son cou et elle le replace avec grâce derrière son oreille percée d'or.

— Tu fais comme moi. Tu improvises.

Les plans commencent ! ça chauffe de plus en plus pour leurs fesses, par contre ! Voler Lucille est un coup de maître, s'ils parviennent à la première étape du plan ! 🤭

• Mais qui est réellement Lucille, pour Ella ? 🤔

• Zade n'arrive pas encore bien à cerner cette démone qui semble avoir fait irruption dans sa vie. Leurs caractères sont déjà en collision et ce n'est que le début de la nuit ! Comment va se passer la récupération de la voiture, à votre avis ? 🤭

• Est-ce que Zade retrouvera un jour sa cocaïne ? 😂

Je vous dit à ce soir pour découvrir ça ! 

Un conseil... Attachez vos ceintures ! 🔥🔥🔥

Je vous embrasse ! 😘😘😘