Chapitre 11

Harleen regarda l'entrée d'Arkham, peu convaincue. Elle y retournerait, à midi. Juste histoire d'être sûre, de ne pas se tromper, pourtant pleinement consciente qu'elle ne prenait pas tous les facteurs en compte.

Elle connaissait les troubles de Jerome, il était violent et impulsif. Sa psychopathie le rendait... différent. Et notamment instable émotionnellement, quasiment voire totalement incapable de ressentir de l'empathie. Ainsi, Jerome ne pouvait pas aimer Harleen... Du moins, c'est ce que disaient les diagnostiques qu'elle avait étudié sans vraiment y avoir droit.

Mais, elle avait l'impression que Jerome ne la traitait pas comme il traitait les autres. Cette façon qu'il avait de la regarder, bien qu'étrange, lui laissait entendre qu'il lui apportait plus de valeur. Elle savait pourtant qu'on ne jugeait pas les intentions d'une personne à travers son regard. Elle savait aussi qu'elle devait sûrement se tromper et que tout cela n'était qu'élucubrations et mensonges. Mais il y avait une chose contre laquelle Harleen ne pouvait plus se battre, ou peut-être même ne voulait plus se battre : tous ces affreux sentiments qui lui torturaient l'esprit et le ventre. Car ce n'était plus seulement des sentiments qui menaient un combat dans son intériorité. Non, maintenant, elle ressentait les choses physiquement.

Et ce n'était que trop gênant.

Elle prenait cette position interne, celle qui cachait quelque chose, en s'efforçant de ne rien paraitre en extérieur. Elle ressentait cette chose profonde, que tout le monde ressent lorsqu'on cache ce qu'il faut que personne ne voie absolument. La façade que l'on maintient n'est plus interne, mais tout à fait externe, nouveau stratagème de dissimulation.

Elle salua Carrie, avec cet élégant sourire au visage.

- Grande nouvelle ! annonça la psychiatre. Aujourd'hui, on va donner les médicaments aux internés qui sont en isolement.

C'est à cet instant que le sourire d'Harleen tomba, n'ayant pas prévu cette première rencontre bien matinale avec le rouquin.

- Parfait, assura-t-elle en regardant Carrie.

C'est ainsi qu'accompagné d'infirmiers, et d'un autre psychiatre Carrie et Harleen se rendirent dans le couloir des cellules d'isolement. Le cœur d'Harleen s'affolait dans sa poitrine, presque en panique, confuse de savoir comment elle devrait réagir en présence de Jerome. La réponse était simple pourtant : elle devait agir de façon normale. Mais ça ne lui semblait pas si évident.

La première cellule enfermait une certaine Sally Swinson.

- Sois prudente, prévint Carrie. Cannibale, impulsive, et... affamée.

Harleen hocha la tête, et le médecin ouvrit la porte avec sa clef, les infirmiers toujours proches, l'autre psychiatre occupé avec un autre patient. Et Harleen se mit à prier intérieurement qu'ils aient accès à la cellule de Jerome.

La femme, au regard humide, comme si une vitre était posée devant ses yeux, était assise contre le mur blanc au fond de sa cellule, et ne réagis par lorsque la psychiatre entra avec Harleen.

- Allez vous-en, dit-elle simplement d'une voix déraillante et discordante.

- Ce sont vos médicaments, rassura Carrie.

Lorsque Carrie approcha sa main pour essayer de les lui faire ingérer, elle se redressa brusquement et tenta de la mordre pour lui arracher un doigt. Carrie se recula immédiatement, visiblement préparée à cette réaction, alors que la patiente grognait dans son coin. La psychiatre se tourna vers les infirmiers qui répondirent à l'appel silencieux : ils immobilisèrent la femme à l'aspect si décharné et émacié. Une fois qu'elle ne put plus émettre le moindre mouvement, les infirmiers la forcèrent à ouvrir la bouche, faisant attention à leurs doigts gantés. Carrie enfonça les traitements dans sa bouche, et ils refermèrent sa mâchoire pour la forcer à avaler, ce qu'elle fut contraire de faire, sans eau. C'est à l'entente du bruit de déglutition forcé dans sa gorge, qui remua douloureusement, que les infirmiers la lâchèrent, avant de sortir.

Harleen s'efforça de ne pas afficher la mine dégoutée et compatissante qui menaçait les traits de son visage. Il y eut un autre patient, moins réticent celui-ci, probablement drogué d'ailleurs, à la façon dont ses yeux se baladaient, avec une lenteur extrême et étrange.

L'adrénaline se réveilla dans la poitrine d'Harleen lorsque les infirmiers ouvrirent la cellule de Jerome,

- Comme c'est moi qui le suis pour les rendez-vous, c'est moi qui doit lui donner les médicaments en priorité, expliqua Carrie en réjouissant un peu plus Harleen.

Jerome était debout dans sa cellule, comme s'il les attendait, un petit sourire au visage, et l'air impérial.

- Comment vous faites pour être aussi jolie chaque jour ? demanda-t-il en s'adressant à Carrie, se rapprochant doucement.

Harleen entra à la suite, et Jerome s'arrêta, pieds collés, le corps droit. Carrie ne cilla pas en entendant Jerome, mais Harleen fronça automatiquement les sourcils. Son corps entier se mit à chauffer, mais ce n'était pas ce qu'elle croyait. C'était tout à fait autre chose, une émotion qu'elle n'avait pas l'habitude de ressentir.

De la jalousie ?

Jerome s'humidifia les lèvres.

- Vous êtes venue prendre soin de ma santé mentale ?

- Comme tous les jours, Jerome, répondit Carrie en s'emparant des médicaments.

Il porta son attention sur Harleen.

- Et comment va notre porteuse de café ? Tu as trouvé des réponses à tes questions, chérie ?

L'enfoiré. Elle ne répondit pas, et ne regarda pas Carrie qui levait les yeux sur elle, curieuse, se disant certainement ensuite que Jerome délirait.

- Vous savez que je n'avalerai pas ces trucs, hein ? continua Jerome sans bouger.

- Il va bien falloir, répliqua la psychiatre.

Jerome ricana un instant, avant d'inspirer profondément, remuant légèrement dans sa camisole.

- Je les prends, seulement si c'est la stagiaire qui s'en occupe.

- Ce n'est pas dans ses capacités.

- Oh, allons docteur, un petit effort. Elle ne rêve que de ça, participer à la rééducation mentale des patients de cet asile.

- Je...

- Ça me dérange pas, intervint Harleen. Je suis venue pour ça de toute façon. Je peux toujours essayer, je suis bien entourée, rassura Harleen en regardant Carrie.

Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, Jerome se tourna de trois quart, pour se trouver de profil à elle, un mur blanc et sali devant lui.

Carrie céda et donna les premiers médicaments à Harleen qui se mit en face de Jerome un petit verre d'eau dans son autre main. Jerome remua un peu la tête et ouvrit très grand la bouche avec exagération. Harleen soupira et plaça les pilules dans la bouche de Jerome.

Il referma la bouche dans un sourire, regardant Harleen comme s'il avait faim, avec cet air provocateur et cette expression narquoise. Elle leva le petit verre et le porta aux lèvres de Jerome qui but sans la lâcher des yeux. Il déglutit lentement.

- Il faut vérifier qu'il ait tout avalé, dit Carrie en la laissant faire.

A ces mots, Jerome ouvrit à nouveau la bouche, et contrairement à ce que pensait Harleen, elle découvrit les trois pilules posées sur sa langue.

Elle entre-ouvrit les lèvres, surprise, et leva les yeux dans ceux de Jerome. Bordel. Elle renvoya rapidement son regard à l'intérieur de sa bouche. C'était un test, elle en était sûre, c'était une façon pour lui de savoir de quoi elle était capable. Et plus que cela, c'était aussi une manière pour elle de savoir de quoi elle était capable.

- C'est bon, assura-t-elle en s'empêchant de serrer les poings.

Jerome referma la bouche dans un rictus, et avant que quiconque ne puisse faire quoi que ce soit, le rouquin bouscula violemment Harleen qui s'écrasa lourdement contre le mur derrière elle. Elle eut une expression de douleur, et Jerome colla douloureusement sa bouche contre la sienne, l'écrasant de son poids. Il ouvrit sa mâchoire, et il tenait la pression si fort, qu'Harleen dut se résoudre à faire de même alors que les infirmiers se précipitaient vers eux. Immédiatement, Jerome passa sa langue dans la bouche de la blonde sans délicatesse et y laissa les trois pilules qu'il aurait dû avaler.

Elle gémit sous la force du rouquin, sans rien faire, coincée entre ce corps puissant et le mur. Les infirmiers arrivèrent enfin à éloigner Jerome qui se débattit vigoureusement, laissant Harleen reprendre son souffle. Il éclata soudainement de rire, alors que la jeune femme se refusait d'ouvrir la bouche pour ne pas lâcher les médicaments recouverts de la bave de Jerome. Elle fit mine de se tourner pour essuyer sa bouche et cracha rapidement les pilules dans le creux de sa main.

Elle les enferma dans sa paume en tournant le visage vers Carrie qui la tirait pour la sortir de la cellule. Elle la suivit sans montrer de résistance, alors que tout semblait tourner autour d'elle, en plus des mouvements des infirmiers sur Jerome à sa gauche.

- Il ne t'a rien fait ? demanda Carrie, ce qui sembla assez stupide à Harleen.

Rien fait ? Son autre main fermée sur les pilules, elle toucha prudemment ses lèvres aves ses doigts libres. Carrie lui souleva la mâchoire pour l'inspecter, certainement voir s'il ne l'avait pas mordue ou blessée. Mais il n'y avait rien.

Rien, si ce n'est la sensation persistante des lèvres de Jerome sur les siennes, étrangement grandes, fortes aussi, dans ce faux baiser acharné. Elle eut envie de répondre à Carrie que ce baiser n'était pas rien, qu'il signifiait tout, et que sa mère avait terriblement raison : il suffit parfois d'un peu de folie pour comprendre ce que l'on cherche vraiment.

Elle se détacha de Carrie dans un geste un peu trop brusque, et tourna le visage vers la cellule de Jerome, qui refusait de céder aux infirmiers, luttant en haletant de rire, fou aux allures de soldat.

Sans rien ajouter, elle fuit les cellules d'isolement alors que le garde venait aider les infirmiers, et se réfugia dans les toilettes, sans se regarder dans le miroir, évitant son reflet autant que possible. Son poing toujours fermé, elle ignora les pilules pour les enfouir dans la poche de son pantalon.

Et elle fit ce qu'elle s'était refusé de faire jusque là, ayant l'étrange impression qu'elle avait cette fois-ci besoin du miroir pour s'y prêter : elle observa ses yeux un instant, et avec une lenteur extrême, elle passa sa langue sur ses lèvres, pour récupérer les dernières saveurs. Elles étaient indéniablement mentales, il n'y avait rien de plus sur sa chaire qu'il n'y avait eu auparavant.

Mais pire que tout, elle avait cette blâmable envie de recommencer.

J'suis trop fière de moi pour ce chapitre 😂 j'espère qu'il vous plait aussi !

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