Ivy - Noosa Heads, 05 septembre 2024
— PARDON ?!
Je plaque la paume de ma main sur la bouche de Rose, persuadée que toute la villa vient d'entendre son éclat de voix. Mes joues étaient déjà brûlantes lorsque je lui ai annoncé honteusement les évènements de la veille entre Austin et moi, mais maintenant, je pourrais y faire cuire un œuf sans problème.
— Arrête de crier ! la préviens-je en lui faisant les gros yeux.
Elle hoche vigoureusement la tête alors que j'enlève mon bâillon de ses lèvres. Je souffle par le nez et me laisse tomber en arrière, avant de plaquer un oreiller sur mon visage sans oser me confronter aux remontrances de Rose. Pourtant, elle garde son calme lorsqu'elle soulève le coin du tissu de ma tête et passe un œil pour me dévisager.
— Tu as couché avec Austin Collins, Ivy ! me sermonne-t-elle en insistant sur le « couché ».
— Je n'ai PAS couché avec lui ! m'insurgé-je en me redressant.
Elle lève un sourcil et fait claquer sa langue contre son palais, et je craque en chouinant :
— On a juste fait des trucs...
— Nus, dans ton lit, et je suis certaine que vous auriez recommencé dans la piscine si on n'avait pas débarqué. BORDEL, IVY !
— Arrête de...
— De crier, je sais ! me coupe-t-elle en roulant des yeux.
Un silence s'ensuit, suffisamment long pour que les images de la soirée défilent à nouveau dans ma tête. Ses lèvres qui exploraient mon corps, sa langue qui me transportait ailleurs, son corps nu sous le mien, musclé, beau à en crever...
— Il est doué ? lâche-t-elle de but en blanc.
— Rose !
Je lui balance une chaussette qui traînait par terre, et m'enfonce un peu plus dans le matelas lorsqu'elle pouffe.
— T'as raison, question conne. Tu lui aurais pas roulé la pelle de sa vie dans la piscine si t'avais pas aimé ce qu'il t'a fait.
— Code jaune, annoncé-je d'une voix étouffée par mon bras posé sur ma bouche.
Pour ne rien arranger à mon embarras, la porte de la chambre que partagent Ethan et Rose s'ouvre dans un grincement alors que mon amie mime une fellation avec sa main et sa langue. Et pour couronner le tout, c'est celui au cœur de notre discussion qui entre en grimaçant avant de laisser échapper un rire crispé.
— J'interromps un cours d'éducation sexuelle ? ironise-t-il tandis que je roule sur le ventre pour planquer mon visage dans les draps.
— Pas besoin, elle en a eu un hier soir, s'amuse Rose alors que le matelas reprend sa forme normale lorsqu'elle se lève. J'vous laisse, pas de bêtises ici !
Je grogne en levant le bras pour lui faire un doigt d'honneur, sans oser relever les yeux. Elle ferme la porte derrière elle, l'air se chargeant d'une électricité bien trop insoutenable lorsqu'on se retrouve seuls.
— Ivy ? commence Austin en étirant les deux syllabes de mon prénom.
— Mmmh ?
Tuez-moi maintenant, avant qu'il ne le fasse de la pire des manières possibles ! Sam, je t'en supplie, viens me chercher ou prends ma place, je te laisse le brun impossible à cerner !
— Est-ce que tu as raconté à Rose notre soirée dans ta chambre ? reprend-il de la même façon.
— Mmmh ?
Je l'entends pouffer, ses pas faisant craquer le parquet avant qu'il prenne place à ma gauche.
— Est-ce que tu comptes t'étouffer dans les draps pour éviter de me regarder en face ?
Je finis par céder, reprenant ma place sur mon dos en soupirant longuement. Je garde les yeux fermés, mais je n'arrive pas à empêcher un sourire de naître sur mes lèvres lorsque Austin s'empare d'une mèche de mes cheveux échouée sur ma joue pour la laisser tomber contre mon oreille.
— T'étais pas si timide avec ma tête entre tes cuisses, marmonne-t-il alors que je sens son corps se pencher vers le mien.
— Austin ! Qu'est-ce que tu fous là, déjà ?!
Il tire sur le bas de mon haut, qui est remonté sur mon ventre à force de tourner et retourner dans le lit, ses doigts frôlant la peau autour de mon nombril.
— On est de corvée de courses pour le barbecue de ce soir, m'apprend-il en rompant le contact. Ça serait beaucoup plus facile si tu ouvrais les yeux.
Je râle encore quelques secondes avant d'entrouvrir les paupières. Son visage est beaucoup trop proche du mien pour que j'arrive à penser correctement, si bien que je plaque une main dessus et le repousse en arrière.
— On est six dans cette baraque, sans compter vos gardes du corps et Ben, Harper et John qui logent à côté. Pourquoi je devrais me traîner au supermarché ?
— Parce qu'ils ont tous choisi leurs tâches avant nous, peut-être ? Isaac doit faire le ménage, Jack a choisi de s'occuper de préparer la bouffe ce soir, Ethan et Rose sont chargés d'aller louer un film, énumère-t-il en comptant sur ses doigts. Et toi et moi, ajoute-t-il en me bousculant l'épaule, on va passer un super moment dans les rayons.
J'ignore son sourire en coin qui veut tout dire quant à ce qu'il a en tête, me relève maladroitement du côté opposé du lit et le contourne pour me placer devant Austin.
— On oublie hier soir, OK ? suggéré-je d'une voix affirmée. On a trop dérapé, et on a tous les deux été clairs quand ce truc débile a commencé : on ne s'embrasse pas, on ne se tient pas par la main, on ne couche pas ensemble, lui rappelé-je.
Il arque un sourcil en se grattant le menton, ses yeux toujours rivés aux miens, et je sais d'avance qu'il va encore trouver un truc pour m'embêter.
— Mais on s'est déjà embrassés, Serpentard. Et pas qu'une fois, d'ailleurs...
Bingo. Je lève les bras pour marquer mon exaspération, me retourne pour lui montrer mon dos et commence déjà à rejoindre la porte lorsqu'il m'arrête en m'enlaçant la taille. Son souffle balaie ma nuque, puis mon oreille lorsqu'il chuchote :
— T'as pas envie de profiter des avantages de jouer au couple avec moi ? Tu me déçois, Ivy.
— J'ai pas envie de devenir ta nouvelle pute, nuance, baragouiné-je en essayant de le faire lâcher prise.
Parce que je sais que c'est comme ça qu'Austin considère les filles : il les baise une fois, histoire de se décharger, et il passe à une autre le lendemain. Pas plus, pas moins. Or, si ça convient aux autres de se faire jeter par le batteur après une nuit à servir de poupée gonflable, ce n'est sûrement pas mon cas et je sais que j'en souffrirais. C'est peut-être aussi pour ça que je ne l'ai pas rejoint dans mon lit après ma douche.
Mes mots semblent le blesser, car il s'arrache à mon corps et me passe devant. S'arrêtant dans l'embrasure de la porte qu'il vient d'ouvrir, il tourne à peine la tête vers moi et lance :
— T'as raison, continue de changer tout le temps d'avis et fous-moi la paix.
Oh, il est en colère. Ce n'est pas lui, d'habitude, qui jette la fleur une fois qu'il a goûté à sa sève, sans avoir de remords ? Pourquoi moi, je n'aurais pas le droit de regretter ce qu'on a fait ?
Parce que tu as prétendu le contraire ce matin, pauvre idiote ! hurle une voix dans ma tête.
— Austin, attends-moi ! me surprends-je à l'appeler en dévalant les marches quatre à quatre.
Par chance, monsieur est tout juste en train d'enfiler sa paire de baskets, les sourcils froncés et l'air renfrogné. Je n'ose pas lui demander pourquoi ce qu'il s'est passé entre nous semble compter davantage pour lui que pour moi, espérant pouvoir m'expliquer avec lui sur le trajet jusqu'au supermarché, mais le démon sur mon épaule tente de me faire croire à des mensonges. Et s'il ressentait quelque chose pour moi ? Et si, depuis tout ce temps, mes sentiments étaient réciproques ? Et s'il te prenait simplement pour une conne, andouille ?!
— On y va à pied ? bredouillé-je en le voyant laisser les clés de la voiture de location sur le meuble de l'entrée.
— J'ai besoin de marcher.
Je me tais en entendant son ton sec et le suis à l'extérieur, regrettant presque d'avoir cassé l'ambiance.
Les dix premières minutes de marche se font dans un silence glacial qui contraste avec les vingt degrés qu'offrent les rayons du soleil. Le printemps australien est plus frais qu'à Miami, mais le vent qui vient balayer mon visage est rassérénant. Le bruit des moteurs des voitures se couple aux quelques oiseaux qui piaillent, cachés dans les arbres à notre gauche, lorsque Austin, à cinq mètres devant moi, décide enfin de s'arrêter pour m'attendre. Je le remercie d'une petite voix et tente de caler mon allure à la sienne, mais mon mètre soixante-cinq n'arrive pas à la hauteur de son mètre quatre-vingt-cinq – sans mauvais jeu de mot – et je suis obligée de faire trois pas alors qu'il n'en fait qu'un.
— On pourra prendre le bus pour le retour ? risqué-je lorsque nous arrivons à un croisement.
— C'était prévu, siffle-t-il en gardant un visage impassible.
Nous longeons une étendue d'eau abritant une petite île en son centre, une route à notre droite, avant de s'enfoncer sur une avenue fréquentée. Après plus de vingt minutes de marche, enfin, nous trouvons le supermarché situé dans une zone commerciale. C'est le moment que choisit Austin pour enfoncer une casquette sur mon crâne, qu'il tenait jusqu'ici à la main sans que je sache pourquoi, puis il pince les lèvres et se tourne vers moi.
— Si tu vois des gens prendre des photos, tu les ignores, OK ? On s'attardera pas.
Je grimace en le suivant à l'intérieur, mais nous faisons à peine quelques mètres qu'une première personne, pas discrète pour un sou, lève son téléphone vers nous. Je baisse la tête en continuant de marcher, regardant mes pieds pour éviter que mon visage se retrouve sur les réseaux sociaux dans moins d'une heure. Ça va être pratique pour faire les courses, ça, tiens !
— J'aurais dû y aller avec Rose, marmonné-je en serrant les dents.
— Continue d'avancer, Serpentard. On se séparera à l'intérieur du magasin.
J'obéis sans oser rouvrir la bouche, avant de reprendre mon souffle lorsqu'on passe les portiques et qu'un bout de papier se glisse sous mon nez. Je le lui prends des mains et accepte le sac en tissu qu'il me tend, relève les yeux et me retrouve face à son visage à la mine fermée, le même que lorsqu'on est parti.
— Pourquoi il faut des bougies ? relevé-je en parcourant la liste.
— C'est l'anniversaire d'Isaac demain, m'apprend-il – ça, Mia ne l'a pas hurlé dans la maison quand elle a voulu sa place pour leur concert. On se rejoint aux caisses dans vingt minutes.
Sans plus de cérémonie, il disparaît entre les rayonnages en me laissant planter seule. Je soupire et enlève la casquette, l'attachant au passant de mon short pour éviter de la perdre, puis consulte une nouvelle fois les lignes écrites dans une écriture que je peine à déchiffrer.
Je perds cinq minutes à chercher le rayon des sauces, puis deux autres avant de trouver celle qui est notée. J'ajoute trois paquets de chips d'une marque australienne qui traînent sur les mêmes étagères, râle toute seule en choisissant des canettes de bière qui ajoutent du poids au sac et manque deux fois le rayon des œufs alors que je passe juste devant.
Je suis à deux doigts de froisser la liste et de laisser tomber lorsque j'aperçois Austin s'avancer dans ma direction, en train de pousser un chariot quasiment vide.
— J'avais oublié que t'avais mal au dos, lance-t-il en me prenant le sac des mains. T'as tout trouvé ?
— Non, j'arrive pas à déchiffrer les hiéroglyphes que t'as écrits. L'Égypte antique, c'était pas au programme d'Histoire.
Il retient le sourire qui menaçait aux coins de ses lèvres alors que je croise les bras devant moi. Mes yeux se posent sur ce qu'il est allé chercher, et je tique en voyant un tube de crème anti-inflammatoire avant de le pointer du doigt.
— T'en avais plus, s'explique-t-il en haussant les épaules.
— Comment tu...
Je m'arrête avant de terminer ma question. Il a passé la nuit dans mon lit, il a probablement dû aller faire un tour dans la salle de bains attenante ce matin, évidemment, qu'il a vu le tube vide posé au bord de la vasque.
— Laisse tomber, éludé-je rapidement. On finit, et on rentre.
Le trajet du retour est bien plus rapide malgré les douze minutes de marche pour rejoindre l'arrêt de bus. Austin a refusé que je porte l'un des trois sacs de courses remplis à ras-bord, si bien qu'il traîne légèrement derrière moi avant d'expirer bruyamment en posant les sacs à ses pieds lorsqu'on monte à bord du bus.
— Laisse-moi prendre le plus léger, au moins ! le sermonné-je en voyant les paumes rougies de ses mains.
Il me coule un regard blasé qui me fait sourire. Et qui me fait le détester à nouveau, parce que je n'aime pas le fait qu'il s'inquiète pour moi. C'est du faux, me rappelé-je lorsqu'il se penche pour embrasser mon crâne. Des conneries pour redorer sa réputation. Il n'en a rien à faire de toi, en réalité.
— Désolé de m'être emporté, soupire-t-il prêt de mon oreille. T'as raison, c'était une erreur.
Je garde le sourire malgré le pincement au cœur que je ressens, acquiesce et reconcentre mon attention sur la rivière qui borde la route. Sans oser lui avouer que c'était la plus belle erreur de ma vie.
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