Ivy - New York, 13 mars 2025

De nuit, la Grosse Pomme est encore plus impressionnante qu'en journée. Les rues sont tout autant animées, emplies de vie, et les gratte-ciels viennent lécher la voûte céleste de leurs mille lumières. Partout, des taxis jaunes se croisent, s'arrêtent et redémarrent, les klaxons retentissent aux quatre coins des rues, des passants titubent après un verre de trop.

Rose et moi nous mêlons à toute cette agitation, nos sacs fermement collés contre nous pour éviter de se les faire voler. Nous avions promis aux garçons de rester sagement à l'hôtel, n'ayant pas envie d'assister au concert qu'ils donnent ce soir au Barclays Center. Or, après une heure devant une comédie romantique nulle, nous avons pris la décision – non réfléchie – de sortir et d'user de nos fausses cartes d'identité. Aujourd'hui, Rose fête ses dix-neuf ans, l'occasion idéale de vivre pleinement et de boire à outrance dans un bar de la ville.

— Deux bloody mary, commandé-je à peine les fesses posées sur un tabouret.

Pour être honnête, je ne sais même pas ce qui compose le cocktail, mais le nom fait classe. Le barman nous dévisage une seconde avant de s'atteler à la préparation des boissons, sans plus chercher à connaître nos âges. Il doit probablement se dire qu'on n'aurait pas réussi à rentrer ici si nous n'avions pas l'âge légal. Si tu savais, mon pote !

— Le gars derrière toi n'arrête pas de zieuter vers nous, m'apprend Rose alors que nos cocktails arrivent. Blond, beau gosse...

Je secoue la tête en prenant une gorgée de la boisson, cache ma grimace en sentant la brûlure de l'alcool dans mon œsophage et me tourne légèrement pour tenter d'apercevoir l'homme auquel je tourne le dos.

— Pas mal, avoué-je à demi-mot. Mais j'ai déjà quelqu'un.

Elle balaie ma remarque d'un geste de la main et change de conversation. Perdues dans nos souvenirs, nous passons deux heures à rire de toutes les bêtises que nous avons faites, avec Samantha, durant notre enfance. Lorsque nous partions en camp de vacances toutes les trois, les animateurs finissaient toujours le séjour en disant à nos parents qu'ils ne voulaient plus nous voir ensemble ici. En même temps, un mois à essuyer nos conneries, à nous chercher partout lorsqu'on décidait de ne pas participer à une activité pour bronzer dans l'herbe qui entourait le domaine et à essayer de faire cesser les batailles de nourriture que l'on était toujours les premières à débuter...

— Tu t'souviens, d'la fois où Sam avait planqué un serpent dans le dortoir des garçons ?

J'éclate de rire en faisant signe au barman de nous resservir, la pièce tournant de plus en plus autour de moi à mesure que les verres s'enchaînent.

— Putain, ouais ! J'crois qu'cest la dernière année qu'on a passé là-bas !

Elle acquiesce alors que j'avale cul sec le shot de vodka posé devant moi. Bien qu'ayant commencé par les cocktails, Rose et moi avons vite jeté notre dévolu sur des quantités plus petites, qui restent pourtant bien traîtres.

— OK les filles, je crois que ça suffit pour ce soir, tranche la nana qui vient de prendre le relais derrière le bar.
— Oooh, pleurniche Rose. Allez, c'est mon anniversaire !

Je glousse lorsque mon téléphone vibre sur le comptoir, l'heure s'affichant en gros sur l'écran.

— Il est une heure et demie, c'est plus ton anniversaire ! m'amusé-je en brandissant l'appareil sous son nez. Oh, attends, j'crois qu'Austin nous cherche !

J'arrive à peine à taper sur les touches du clavier, et finis par lui envoyer un truc qui n'a probablement ni queue ni tête avant de verrouiller l'écran.

— Ivy, j'crois qu'il t'aime, annonce-t-elle en écarquillant les yeux, penchée vers moi comme pour me faire une confession.

Mon rire reprend de plus belle tandis que mes cheveux me fouettent les joues lorsque je nie en bloc en secouant la tête.

— N'importe quoi ! On fait juste du sexe de dingue, j'te jure ! me défends-je.
— OK, OK !

Elle lève les mains en signe de capitulation, montre son shot vide à notre nouvelle copine, qui cède et nous remet un fond de vodka en nous prévenant que cette fois, c'est vraiment le dernier.

Je roule des yeux en pestant à voix basse, claque les cuisses de Rose avec les paumes de mes mains et braque mon regard dans le sien.

— Meuf, j'ai envie d'me teindre les ch'veux en bleu, confié-je d'une voix cassée. Comme une licorne !
— Mais noooon ?! Moi aussi ! Et j'veux des piercings aux tétons !

Elle s'esclaffe en se pinçant les seins, je l'imite et plisse le nez.

— Ça fr'a pas beau, jugé-je en faisant la moue. J'ai pas assez d'poitrine !
— Rooooh, t'auras qu'à aller les r'faire ! Et après, PAF, Austin les mord et ça explose ! s'amuse-t-elle en joignant le geste à la parole.

J'imagine la scène et pars d'un grand rire, qui résonne dans le bar quasiment vide à cette heure tardive.

Puis le regard de Rose se pose derrière moi, ses yeux s'écarquillent largement et elle pointe du doigt l'entrée.

— J'crois qu'ils sont vénères, observe-t-elle alors que je découvre Ethan et Austin dans mon dos, bras croisés et sourcils froncés, qui foncent vers nous.
— Noooon, ils vont tout gâcher ! Pshhhht ! sommé-je en mimant une bombe lacrymogène devant moi, que je braque dans leur direction. Oust !

Les deux arquent un sourcil en parfaite synchronisation, décroisent leurs bras et s'arrêtent devant nous.

— « Soirée tranquille », hein ? gronde Ethan en nous dévisageant à tour de rôle.
— Vous avez conscience du risque que vous prenez, de vous barrer de l'hôtel pour venir picoler dans un bar ? renchérit Austin d'un ton cassant.

Je lève les yeux au ciel en soupirant longuement, râle lorsque le batteur passe un bras sous mes genoux, l'autre dans mon dos, et secoue les jambes dans le vide en me marrant.

— Rose, j'ai trouvé l'prince ! m'exclamé-je alors qu'elle se retrouve dans les bras d'Ethan.
— Nope, c'est moi qui l'ai ! Hé, me pince pas le cul, espèce de pervers ! somme-t-elle en frappant la main de son mec.
— Waaaw, remarqué-je lorsque je m'accroche à la nuque d'Austin et que mes yeux se posent sur ses iris. C'dingue, ils ont la même couleur qu'les pastilles qu'ma mère accroche dans la cuvette des toilettes !

Il se retient de rire en déposant un billet sur le comptoir, et la minute d'après, l'air frais de la nuit vient caresser mes joues. Je ferme les yeux en posant ma tête contre l'épaule du beau brun qui me porte comme une princesse, continue à rire toute seule sans raison et appelle Rose pour lui demander si elle aussi, elle a envie de faire pipi.

— J'sais pas, j'sens plus ma vessie ! s'amuse-t-elle en appuyant sur son ventre. Si ça s'trouve, j'me suis pissée dessus !
— Tu ne t'es pas pissée dessus, lui promet Ethan d'un air blasé lorsqu'elle lui demande de vérifier.
— Ooouf, tant mieux ! Ivyyyy, t'es la meilleure ! J'veux jamais t'perdre, meuf !
— Moi non plus ! J'veux même qu'on s'marie ensemble, ça t'dit ?

Je n'entends pas sa réponse, un doux nuage de coton venant m'envelopper avant. Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, Austin est en train de me déposer sur un matelas, le visage fermé.

— T'es pas content ? demandé-je innocemment.
— T'es bourrée, Ivy. Ferme-la et dors.

Je fais la moue en restant accrochée à son cou alors qu'il planque mes jambes sous les couvertures.

— T'sais qu't'es canon, pour un abruti ? Genre, j'crois que j't'ai...

Un gargouillis dans mon estomac m'empêche de terminer ma phrase, et je me dépêche de repousser les draps pour tituber jusqu'aux toilettes. Affalée à côté, je vide le contenu de mon estomac alors qu'une main retient mes cheveux et qu'une autre frotte mon dos.

— Pouah, ça pue ! souligné-je alors qu'un autre haut-le-cœur me fait dégobiller dans la cuvette.
— Le revers de la médaille, se moque Austin en pouffant. Allez, fais pipi et ensuite, tu iras faire un gros dodo.

Ma pudeur s'étant fait la malle, je me déshabille devant lui et pose mes fesses sur les toilettes pour vider ma vessie, alors qu'il détourne le regard en se passant une main dans les cheveux.

— Y'a plus de papiers, marmonné-je en lui montrant le rouleau vide.

Il souffle en gonflant les joues avant de me tendre un mouchoir trouvé je ne sais où, puis m'aide à enfiler un legging et un sweat trop large. J'écarte les bras en riant sous son regard blasé.

— R'garde, on dirait un oiseau ! observé-je en faisant battre mes ailes vert kaki.
— C'est ça, et l'oiseau va aller retrouver son nid pour arrêter de dire des conneries, tranche-t-il en me soulevant dans ses bras.

Je le laisse faire, la lumière de la chambre me paraissant beaucoup plus forte que ce matin, et laisse tomber ma tête dans l'oreiller, des aigreurs d'estomac retardant l'arrivée de mon sommeil.

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