Ivy - Munich, 10 août 2024
— Orlando, nous voilà !
Le soleil tape fort alors que nous sortons de la voiture de Jack. Les températures avoisinent déjà les dix-huit degrés en ce mois de février, si bien que mon jeans me colle aux cuisses. Rose et Sam, elles, ont prévu le coup en partant et ont jeté leur dévolu sur des pantalons en coton qui leur permettent de ne pas crever de chaud.
— Ça va être la meilleure semaine de ma vie ! s'extasie Samantha en tirant sur la valise taille XXL qu'elle a prise.
Pour ma part, je me contente d'un sac de sport qui me servait jadis à ranger mes affaires de danse. Déchiré sur un côté et la fermeture éclair cassée, il fait toutefois encore son job et m'a permis d'éviter la colère d'Austin lorsqu'il a vu la quantité d'affaires à ranger dans le coffre.
— Vous bougez, ou vous comptez rester en plein milieu du trottoir jusqu'au retour ? s'énerve-t-il d'ailleurs déjà.
C'est le moment que choisit Rose pour se précipiter dans les bras de son frère en le remerciant mille fois du séjour. Je soupire en me débattant avec la lanière de mon sac, qui s'est emmêlée avec la ceinture de sécurité, et jure lorsque je sens quelques gouttes de transpiration rouler dans mon dos.
— Besoin d'aide ?
— Pour que tu me le reproches dans deux jours ? Non merci.
Austin Collins ne fait rien sans attendre quelque chose en retour. Je l'ai appris à mes dépends il y a quelques mois, lorsqu'il m'a trouvée sur le bord de la route, sous la pluie, parce que mon père avait oublié de venir me récupérer au lycée. Il m'a ramenée chez moi en manquant de tuer trois chats et deux oiseaux, s'est garé dans l'allée de la maison de Rose et m'a quasiment ordonné de l'aider à nettoyer la piscine, rendue plus que sale après une soirée arrosée. J'ai dû lui filer dix dollars pour qu'il me laisse partir sans servir de bonniche.
— Passe à autre chose, Serpentard, je suis pas le roi des cons non plus.
Je lève un sourcil dans sa direction, style « c'est ça, et moi, j'ai pas pris deux kilos depuis le début de l'été parce que je me gave de glace tous les jours », et réussis enfin à libérer le tote-bag de ses menottes.
**
— Jack, tu viens faire le Mako avec moi ?
Rose est déjà en train de se diriger vers l'attraction sans attendre son frère, qui râle dans sa barbe avant de la rejoindre.
Aujourd'hui, on a décidé de passer quelques heures à SeaWorld. J'aurais préféré rester à l'hôtel, mais les filles ont réussi à me convaincre de venir ; Isaac et Ethan doivent nous rejoindre demain, et déjà que notre groupe ne passe pas inaperçu avec deux membres de Sparkling Echoes, les prochains jours vont être un enfer et les sorties seront plus que limitées.
— Je veux refaire le Manta, déclare Sam en s'approchant un peu plus d'Austin.
Je marmonne dans ma barbe en restant légèrement derrière eux tandis que le batteur me jette un œil par-dessus son épaule.
— T'as pas l'air emballé, Serpentard, observe-t-il en ralentissant l'allure.
Je hausse les épaules avant de croiser les bras. Depuis le début de la semaine, Sam fait tout pour se rapprocher de lui. Elle me lance un sourire mesquin dès qu'elle obtient son attention, et je commence doucement à perdre patience en la voyant essayer de me pousser à bout.
Je me fiche qu'elle soit attirée par Austin. J'ai passé l'âge de croire qu'il s'intéressera un jour à la fille qu'il considère comme une merde au milieu de son chemin, mais de voir que Sam persiste à tenter de me rendre jalouse me donne envie de lui tirer les cheveux. Elle est ma meilleure amie depuis des années, elle sait que j'étais amoureuse d'Austin lorsqu'on avait douze ou treize ans, et parfois, j'ai l'impression qu'elle cherche juste à me prouver qu'elle, elle peut l'obtenir. Je déteste ce côté-ci de sa personnalité.
— Elle a peur du vide, lui apprend Sam sans se départir de son sourire. Tu la mets à un mètre du sol, et elle tremble comme une feuille.
Elle pouffe en s'accrochant au bras d'Austin, mais lui reste sérieux en réajustant ses lunettes de soleil. L'attraction se devine déjà à quelques mètres de nous, et je me mets en retrait alors que Sam se précipite déjà vers la file d'attente. Le batteur, de son côté, semble hésiter un instant avant de me rejoindre près d'un banc.
— T'es sûre de pas vouloir tenter ? Il y a des aquariums tout le long de la file, c'est pas mal à voir.
Je secoue la tête négativement et grimace en regardant le point le plus haut de l'attraction. Certes, ça semble super à faire, mais je ferais une crise de panique en arrivant au sommet et je refuse de me ridiculiser encore plus.
— C'est pas mon truc, les parcs d'attraction, avoué-je en regardant le train du Manta passer plus loin.
Depuis que l'on se connaît, j'ai l'impression qu'Austin me considère comme sa petite sœur casse-pieds qu'il adore embêter. Pourtant, on ne parle que très peu tous les deux, et lorsque c'est le cas, c'est surtout pour se chamailler et se lancer des piques à la tronche. Disons que l'on se tolère depuis cinq ans et demi, chacun restant dans son coin la majeure partie du temps, sauf lorsqu'il décide de jouer avec mes nerfs – ou le contraire.
— Tu vas me laisser supporter ta pote pendant quasiment trois minutes ? grimace-t-il en la pointant du doigt.
— Je te force pas non plus à monter avec elle, noté-je en m'asseyant.
Il lève une main en l'air et me tend ses quelques affaires, puis rejoint Sam sans un regard en arrière.
**
— Les filles, j'ai un truc énorme à vous dire, annonce Sam lorsqu'on se retrouve pour le dernier petit-déjeuner à Orlando.
Elle n'attend pas de questions de notre part, se sert un verre de jus d'orange et lâche :
— J'ai couché avec Austin !
Je m'étrangle avec mon bout de pancakes alors que Rose recrache la gorgée d'eau qu'elle était en train de boire. Samantha, elle, scrute ma réaction en souriant d'un air ravi lorsque je sens une boule se former dans ma gorge.
— T'es sérieuse ?! se consterne Rose en reposant son verre.
Sam acquiesce vivement.
— Hier, quand vous êtes parties au ciné, il m'a rejointe dans la chambre et il a juré qu'il en crevait d'envie depuis des années.
Je la déteste. Je la déteste, parce qu'elle ne s'est jamais intéressée à Austin avant d'apprendre qu'il me plaisait il y a deux ans. Pas plus tard que le mois dernier, je lui avouais que j'étais toujours amoureuse de lui et que j'espérais qu'il le remarque enfin pour qu'on arrête de se taquiner tout le temps.
Et aujourd'hui, elle a fait sa première fois avec lui.
— Il a été super doux, c'était juste... Wow, ajoute-t-elle sans cesser de me regarder. J'étais pas censée vous le dire, il veut qu'on garde ça pour nous, pour éviter d'attirer les projecteurs, mais j'étais obligée ! Vous imaginez, Austin Collins, le batteur du boys-band le plus en vogue de notre génération, qui me prend ma virginité !
— Et vous en êtes où, du coup ? demande Rose en fronçant les sourcils.
Sam se contente de hausser une épaule en sirotant sa boisson, tandis que je me lève d'un bond et pars en ignorant les appels des filles.
Je ne veux plus les entendre parler de ça.
Le lendemain, pourtant, Sam est en pleurs alors que l'on vient tout juste de rentrer d'Orlando. Austin l'a ignorée sur tout le trajet, avant de lui dire par message que c'était une connerie et qu'il ne voulait plus jamais faire quoi que ce soit avec elle.
Et moi, j'ai mal pour ma meilleure amie au cœur brisé, même si une part de moi lui en voudra toujours d'avoir jeté son dévolu sur le même homme que moi. Un homme qui préfère visiblement jouer avec les filles, les prendre pour satisfaire son plaisir personnel, avant de les jeter comme des ordures une fois qu'il en a terminé.
Le soir-même, je lui envoie un message en lui reprochant tout ce qu'il a fait, et en me promettant que jamais, au grand jamais, je ne retomberai amoureuse de lui.
****
La musique fait trembler les murs de la maison. Des verres en plastique jonchent le sol, les bouteilles vides s'entassent sur le comptoir du bar, la tête me tourne légèrement lorsque je me sers un verre de soda pour faire passer le goût amer de l'alcool qui me colle au palais.
Rose est introuvable depuis presque une demi-heure, et Sam est à l'extérieur, allongée sur un transat au bord de la piscine. Ce soir, les dernières années se sont réunies pour célébrer la fin du lycée. C'est la dernière fois que l'on passe un moment tous ensemble avant de prendre des voies différentes, si bien que j'en ai oublié la promesse faite à mes parents avant de partir : juste un verre et j'arrête de boire.
Je rejoins la cuisine pour me passer un coup d'eau sur le visage, mais je m'arrête en reconnaissant la chevelure d'Oliver, le petit-ami de Sam. De profil, il est en train de dévorer la bouche d'une fille qui n'est pas elle, une main sur ses fesses et l'autre dans sa nuque. Je cligne des yeux pour m'assurer que c'est bien lui, puis repars à l'extérieur et tire Sam par la main.
— Ton copain est en train de rouler une pelle à une autre fille ! crié-je pour me faire entendre par-dessus la musique.
Elle fronce les sourcils et se relève difficilement en demandant :
— T'es sûre que c'était lui ?
J'acquiesce alors qu'elle se précipite déjà à l'intérieur, vacillante sur ses talons. Je la suis en me frayant un chemin entre les invités, la vois prendre une gorgée de son verre et se planter devant Oliver et la fille avant de le tirer par la manche. Le reste de sa boisson se retrouve sur la chemise de son mec alors qu'elle dévisage sa nouvelle conquête.
— Sale pute, lâche-t-elle avant de reporter son attention sur Oliver. Tu la baises depuis longtemps ?
Je pose une main sur son bras pour la retenir en arrière, mais elle se dégage vivement et se rapproche d'un pas de l'homme qui lui fait face.
— Sam... Je peux tout t'expliquer !
— Oh, te donnes pas tant de mal, espèce de petit con. J'ai compris. Tu préfères tremper ta bite ailleurs, crache-t-elle.
Son visage est dur, et n'exprime aucune émotion si ce n'est la colère.
— Si tu m'avais laissé parler hier, tu l'aurais su, Samantha, se défend Oliver alors que son visage prend la même expression que celui de Sam. Nous deux, ça fait des mois que ça ne va plus ! T'es jalouse de tout le monde, tu m'engueules si j'ai le malheur d'oublier de te prévenir que je vois mes potes, tu passes ton temps à contrôler tous mes faits et gestes, ça peut plus durer.
Elle le gifle alors que je tente de reprendre son bras. Seul un petit groupe s'est formé autour de nous pour entendre la dispute, mais Sam n'y fait pas attention.
— T'es qu'une merde, Oliver. T'as raison, reste avec ta pouffe, je me tire.
Je la suis de près en lui criant de rester, mais elle ne m'écoute pas. On se retrouve toutes les deux devant la maison, et je la vois sortir ses clés de voiture.
— Sam, attends ! hurlé-je dans l'espoir qu'elle m'écoute enfin.
— Fous-moi la paix, Ivy ! Tout ça, c'est de ta faute !
J'ignore le pincement au cœur que ses mots déclenchent, tente de lui prendre les clés et me retrouve poussée en arrière alors que sa colère ne fait que s'amplifier.
— Tu ne vas pas prendre la voiture avec tout ce que tu as bu ! la sermonné-je en faisant un nouveau pas vers elle. Laisse-moi appeler un taxi.
— Ferme-la! Putain, t'as jamais rien compris, de toute façon !
Je sais que l'alcool parle à sa place. Je sais que Sam a mauvais caractère, et que c'est pire lorsqu'elle boit. Alors je ne l'écoute pas, j'enroule mes doigts autour de son poignet et je la tire vers moi lorsqu'elle amorce un pas en direction du véhicule.
— Je t'ai rien fait, Sam ! rappelé-je cependant. T'as le droit d'être en colère, mais j'y suis pour rien !
Des larmes de rage s'échouent sur ses lèvres tandis qu'elle se dégage à nouveau et ouvre la portière. Je contourne rapidement la voiture pour prendre place sur le siège passager, au moment où elle fait vrombir le moteur et rejoint la route.
— Gare-toi, supplié-je en m'accrochant à la poignée de la portière.
— Non, putain ! C'est de ta faute, Ivy. Tout a toujours été de TA faute ! assure-t-elle d'un ton sec.
Elle accélère encore, dépassant la limite de vitesse autorisée sur cette portion.
— Mais de quoi tu parles, bon sang ? m'écrié-je alors que le vent s'engouffre par les vitres restées ouvertes.
Elle part d'un rire mesquin, que je ne lui ai jamais entendu avant. Ses mains enserrent un peu plus le volant lorsqu'elle se met à hurler dans ma direction :
— Austin n'a jamais voulu de moi ! C'est toi, qu'il a toujours voulu. Toi, qu'il regardait avec amour. Rose ne m'a jamais autant aimé que toi, elle aussi !
Je ne comprends rien à ce qu'elle avance. Austin ne s'intéresse pas à moi, et ça ne sera jamais le cas.
— Tu dis n'importe quoi, Sam, putain ! Je me fous complètement d'Austin, prends-le si tu veux, c'est avec toi qu'il a couché ! rappelé-je en parlant plus fort.
Une accélération, encore. Elle se déporte dangereusement vers la gauche en sortant du virage, retrouve sa trajectoire et appuie un peu plus sur la pédale.
— Ralentis ! m'époumonné-je en me focalisant sur la route.
— J'ai toujours été le dernier choix, Ivy. Tout le monde t'as toujours préféré à moi, t'as gâché ma vie !
Je ne l'écoute que d'une oreille alors que l'on prend encore de la vitesse. Ma bouche refuse de s'ouvrir pour la contredire, la peur me tord le ventre, puis je réussis à sortir quelques mots :
— Tu sais que c'est faux. On est un trio, Samantha. Les Totally Spies ne se séparent jamais, elles s'aiment toutes les trois à part égale, il n'y en a pas une qui passe avant les autres.
— Alors pourquoi Austin veut de toi, mais refuse quoi que ce soit avec moi ?
Je m'apprête à réfuter ce dont elle semble persuadée lorsque la voiture fait une embardée. Un millième de seconde après, je ferme les yeux tandis que le choc me coupe la respiration.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top