Ivy - Miami, 28 juin 2024
Je m'apprête à hurler sur celle qui ose entrer dans ma chambre sans frapper, persuadée qu'il doit s'agir de Lea, ma plus jeune sœur. Derrière le mur que je partage avec Mia, la cadette de la fratrie, la musique résonne depuis des heures, et je n'ai qu'une envie : m'étouffer dans l'oreiller pour arrêter d'entendre les quatre voix horripilantes de son boys-band préféré. Sam, j'arrive.
D'ailleurs, en ce vendredi après-midi du mois de juin, alors que le soleil de Floride fait grimper les températures, je suis toujours au lit, l'avant-bras posé en travers de mes yeux, ne souhaitant qu'une seule chose : survivre à ces vacances.
— Sors d'ici, Lea ! marmonné-je en lançant à l'aveuglette l'un des coussins posés à côté.
— Lève ton cul et sors ta valise, on part en road trip !
J'ouvre un œil pour dévisager celle qui m'interrompt en pleine déprime, puis ronchonne en me tournant sur le ventre.
Rose, l'une des seules personnes que je tolère dans mon cercle – très – restreint d'amis, s'affale sur le matelas et me pince le bras jusqu'à ce que je repousse sa main.
— Fous-moi la paix, je suis pas d'humeur.
— Ça fait deux semaines, Ivy ! On va pas passer le reste de notre vie à rabâcher la soirée, si ?
Cette fois, je lève mon majeur dans sa direction, reprends ma place sur le dos et la dévisage longuement. Aujourd'hui, elle a décidé que ses vêtements devaient refléter son prénom : pull rose, baskets roses, élastique rose dans les cheveux. La Alex de notre trio farfouille dans le petit sac qu'elle a apporté, en sort une feuille de papier bleu pliée en quatre et me la tend, son sourire me donnant la nausée.
— J'ai retrouvé notre liste de missions confiées par Jerry, annonce-t-elle fièrement. Tu te rappelles, quand on regardait Totally Spies en rêvant d'avoir la même vie qu'elles ?
Mes lèvres s'étirent contre ma volonté, pourtant je reprends mon air boudeur et soupire.
— On avait sept ans, Rose. J'ai passé l'âge de jouer à être Clover, râlé-je.
Sam, Rose et moi, on a toujours été inséparables. Je ne me souviens pas d'un seul été où l'on n'a pas passé trois semaines en colonie de vacances ensemble, s'imaginant pouvoir tout faire, tout dire, tout vivre. Et quatorze ans après notre toute première rencontre, notre amitié est toujours d'actualité.
Forte de cinq ans de cours de théâtre, Rose réussit à me sortir sa moue de chien battu et déplie le bout froissé qu'elle tient toujours dans la main.
— « Passer un coup de téléphone anonyme pour avouer notre plus gros secret », commence-t-elle à lire. « Avouer notre crush à l'heureux élu ». « Se faire tatouer ». « Aller visiter un...
— OK, c'est bon, arrête de parler ! la coupé-je en me redressant contre la tête de lit. File-moi ça.
Elle sourit d'un air victorieux alors que je lui arrache notre liste pour parcourir les lignes qui la composent. Au fil des années, certains points sont devenus plus intimes, moins enfantins, et j'ai un pincement au cœur en repensant aux après-midis qu'on a passés à compléter la feuille.
The missions of the Totally Spies
By Samantha Clark (Sam), Rose Carlson (Alex) & Ivy Salazar (Clover)
X Passer un coup de téléphone anonyme pour avouer notre plus gros secret
X Avouer notre crush à l'heureux élu
° Se faire tatouer (S.)
° Aller visiter un musée en France
° Aller se baigner dans la Méditerranée
X Avouer aux parents d'Ivy qu'on a cassé le boîtier électrique de leur portail
X Sécher une activité à la colo'
X S'inscrire dans la même université
° Aller à un concert
° Faire un Road-trip à travers le monde
° Tomber amoureuse (S.) (R.)
X Embrasser un garçon (et plus !) (S.) (R.) (I.)
° Se marier le même jour
° Tomber enceinte en même temps
° Emménager dans le même quartier (R. & I.)
° Dire leurs quatre vérités aux Sparkling Echoes (désolée Rose)
° (dire à Ivy et Rose ce qu'il s'est vraiment passé à Orlando)
— « ce qu'il s'est vraiment passé à Orlando » ? noté-je en arquant un sourcil.
Rose hausse les épaules et se penche pour lire à son tour, puis se reconcentre sur l'écran de son téléphone.
— Encore un de ses petits secrets à deux balles, sûrement, présume-t-elle d'un ton détaché.
Sam était la plus douée de nous trois pour ça. On avait beau être inséparables, presque autant que des triplettes, elle gardait des tas de choses pour elle et se sentait parfois à l'écart du duo que nous formions par moments, Rose et moi. D'autant plus lorsque les parents de Rose ont décidé de déménager à deux maisons de chez moi, il y a trois ans.
Pourtant, je me sentais aussi proche de l'une que de l'autre. Le gang des Totally Spies, les trois petits cochons, comme nous surnommait la mère de Sam, a perduré jusqu'à ce que notre rouquine préférée rate un virage en revenant de soirée. Il y a deux semaines, après trois jours de coma, les parents de Samantha ont décidé de la laisser partir. Depuis, je broie du noir et je refuse de sortir.
— Rose, Orlando, c'était il y a deux ans et demi ! m'indigné-je en lisant une nouvelle fois les mots inscrits dans son écriture. Et je savais même pas qu'elle avait un tatouage.
— Moi non plus. Si ça se trouve, c'était la tête de Justin Bieber sur sa fesse gauche, tu m'étonnes qu'elle nous l'ait pas dit ! plaisante-t-elle.
Je roule des yeux en reprenant la lime à ongles qu'elle m'a piqué et planque son téléphone derrière moi, puis la dévisage jusqu'à ce qu'elle craque :
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Moi aussi, je vous ai caché des trucs, toi aussi tu l'as fait, est-ce que le monde s'est arrêté de tourner pour autant ? Non.
Elle se relève, fait trois pas en direction de mon armoire avant de l'ouvrir pendant que j'arrache la peau autour de mon pouce. Je déteste avoir l'impression d'être passée à côté de quelque chose de grave. Et s'il était arrivé malheur à Sam, lorsque nous avons suivi le frère de Rose et toute sa bande pour un week-end loin des parents lorsque nous avions quinze ans ? Elle a toujours été la plus douée pour cacher ce qu'elle ressentait. Elle aurait très bien pu feindre d'être heureuse pour éviter de nous inquiéter.
Je suis ramenée à l'instant présent lorsque Rose balance ma valise au pied du lit, l'ouvre et y jette un tas de vêtements en boule.
— Passeport, trousse de toilette, chaussures. Grouille, on part dans trois heures, lâche-t-elle en vidant ma penderie.
— Putain, mais qu'est-ce que tu fous ?!
Je me lève d'un bond, l'empêche in extremis de froisser l'une de mes chemises en satin et bloque ses poignets pour la tourner vers moi.
— Je te l'ai dit, on part en road trip. On va terminer cette foutue liste, pour Sam, et tant pis pour l'université.
— Et t'as cru que j'avais les moyens financiers pour aller vivre d'amour et d'eau fraîche aux quatre coins du globe ? J'ai pas des parents riches, ni un frère célèbre, je te signale, argué-je avant de sortir les vêtements désormais froissés de ma valise.
Elle se mord la lèvre inférieure, et je sais qu'elle me cache quelque chose. Son air coupable, son téléphone qui n'arrête pas de vibrer sur le matelas, son idée subite de tout plaquer et de partir...
Je croise les bras en attendant qu'elle s'explique, et c'est d'une petite voix qu'elle annonce :
— Justement, j'ai des parents riches et un frère célèbre. Qui commence une tournée mondiale dans trois jours, et qui aime tellement sa petite sœur qu'il a accepté qu'on vienne aussi.
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