Ivy - Miami, 10 décembre 2024

 Je ne serais même pas capable de dire combien de temps on reste dans l'eau, tous les deux, collés l'un à l'autre. Nos corps nus s'épousent au rythme des vagues, nos lèvres se scellent parfois, avec pour seul témoin les astres au-dessus de nos têtes. On se détache pour s'éclabousser, on se retrouve pour s'embrasser, on rit à en perdre la voix, on hurle encore plus fort vers l'horizon infini.

Il avait raison. Ici, dans l'océan glacé par les températures de l'hiver, je me sens vivante. Plus que je ne l'ai été depuis juin.

Puis on finit par sortir de l'eau et s'échouer à même le sable pour se serrer sous la serviette. Beaucoup trop proches, toujours sans aucun vêtement sur le dos, mais avec une confiance absolue en l'autre. Ma tête posée contre son épaule, son bras passé autour des miennes, je me sens en sécurité pour la première fois depuis qu'on est rentré à Miami.

— Raconte-moi un truc que tu n'as jamais raconté, lâché-je soudain en grelottant un peu.

Il semble réfléchir un long moment, se penche pour ramasser son sweat et me l'enfile sans me demander mon avis.

— Je ne sais pas comment aimer, avoue-t-il en regardant ailleurs. Je ne suis jamais tombé amoureux, et je dois chanter des chansons d'amour chaque soir pour des adolescentes qui y croient encore.

La façon dont il le dit semble si sincère qu'il me donne pitié. Parce qu'il semble dérouté, presque triste, et surtout dégoûté.

— Tu aimes ta sœur, Austin. Tu n'as pas besoin de savoir comment faire pour le faire, tenté-je de le rassurer en pliant les jambes contre mon buste.

Je pose ma tête sur mes genoux et la tourne vers lui, pour découvrir qu'il m'observe, assis dans la même position que moi.

— Et toi ? élude-t-il en me donnant un coup d'épaule. T'as déjà été amoureuse ?
— Une seule fois. J'avais douze ans.
— Comment t'as fait ?
— Pour ? demandé-je en fronçant les sourcils.
— Pour savoir que c'était de l'amour, et pas autre chose.

J'essaie de trouver les mots justes pour éviter de trop en dire. Pour éviter de lui crier que c'est lui, l'abruti que j'aime depuis toutes ces années, et que tout ce dont je rêve, c'est de continuer de me sentir vivante dans ses bras, avec son rire, contre son corps.

— Tu le sais, c'est tout, déclaré-je en haussant les épaules. Tu vois la personne, et t'as envie de tout quitter pour être avec elle, de passer tes journées avec elle, de tout faire avec elle. Je pensais que les papillons dans le ventre n'existaient pas, mais c'est réel, ça aussi. Tu te sens léger, t'as l'impression de flotter, et t'as envie de figer le temps pour vivre l'instant indéfiniment.

Exactement comme en ce moment, avec lui, sur cette plage, alors que je ne porte que son pull et qu'il est encore entièrement nu à côté. Je pourrais rester ici toute ma vie.

Un long silence s'ensuit, jusqu'à ce que Austin se lève et attrape son boxer pour l'enfiler rapidement. Il passe une main dans ses cheveux qui gouttent encore, avant de la tendre vers moi.

— Tu vas finir par tomber malade, si on reste encore ici, décrète-t-il lorsque je saisis sa main.

Je remets ma culotte alors qu'il boutonne son jeans et ramasse le reste de nos affaires, dont mes vêtements toujours humides à cause de lui.

— J'ai pas envie de rentrer, avoué-je lorsqu'on atteint la voiture.

Il referme le coffre et passe ses bras autour de moi, puis m'embrasse brièvement. J'ai envie de croire que sa question de tout à l'heure n'était pas anodine, qu'il ressent la même chose que moi, mais qu'il a trop peur de se l'avouer. Et d'un autre côté, moi aussi, je suis terrifiée à l'idée que ça puisse aboutir à une vraie relation, tous les deux.

— On peut passer la nuit à l'appart', si tu veux, propose-t-il lorsqu'il relâche son étreinte.

Son rire me percute alors que j'acquiesce vivement et regagne le siège passager, les cuisses nues et les frissons parcourant mon corps entier. Lui aussi, semble avoir froid, le torse toujours exposé aux températures en baisse. Il enclenche le chauffage à peine le moteur allumé, puis démarre lorsque j'accepte sa proposition. Je sais qu'il ne se passera rien ce soir, mais je veux simplement passer quelques heures loin de Coconut Grove et retrouver le calme que j'avais trouvé avec Austin à Las Vegas.


J'ai à peine le temps de boire un verre d'eau qu'Austin sort de la salle de bains, douché et changé, et se sert un bol de céréales avant de s'asseoir sur l'un des tabourets qui entourent l'îlot de la cuisine.

— Je t'ai fait couler un bain, annonce-t-il alors que ses yeux se posent sur mes jambes et remontent sur mon visage. Tu peux piocher des fringues dans mon armoire.

Je le remercie d'un sourire avant de rejoindre presque en courant la chaleur de la petite pièce attenante à sa chambre. En une minute chrono, je suis confortablement allongée de tout mon long dans l'immense baignoire d'angle, mes cheveux remontés en chignon sur mon crâne, la mousse flottant à la surface.

Je relâche l'air contenu dans mes poumons et reste un long moment à me réchauffer, les miroirs recouverts de vapeur d'eau, jusqu'à commencer à piquer du nez. Il doit être pas loin d'une heure et demie du matin, la journée a traîné en longueur, et toutes les discussions qu'on a eues avec Austin ce soir tournent en boucle dans ma tête. La dernière en particulier.

Je finis par quitter le cocon douillet de l'eau pour me sécher avec la serviette qu'il a sortie pour moi. Je la garde enroulée autour de mon corps en rejoignant la chambre, ouvre le placard et en sors les vêtements les plus chauds que je trouve avant de m'y glisser, au moment où la porte s'ouvre sur Austin.

— Merci, lancé-je en le voyant remettre des draps sur le lit.
— C'est normal, Ivy. Je t'ai dit que je serai toujours là.

Son sourire éclos en même temps que le mien lorsque je prends les devants et passe mes bras dans son dos pour me blottir à nouveau contre lui. Ses lèvres se posent sur mon front, et je sais, j'en suis persuadée, que tout ça est réel. Nos sentiments, mutuels. Que la haine a laissé place à quelque chose d'encore plus fort, que j'ai toujours ressenti pour lui, mais qui a pris de l'ampleur ces derniers mois. Et je me surprends à murmurer, en relevant le visage vers lui :

— Dors avec moi, s'il te plaît.

Il cède sans même sembler hésiter. Il m'allonge sur le matelas, relève la couverture pour que je m'emmitoufle dessous, dépose un baiser sur ma joue et s'allonge sur le flanc, tout comme moi, pour garder nos corps imbriqués ensemble. Ses doigts caressent mon ventre à travers le tissu, son souffle balaie les cheveux relâchés dans ma nuque, un début d'érection grandit contre mes fesses, mais je m'en fous. Tout ce que je veux, tout ce que je ressens, c'est cette impression d'avoir trouvé ma place ici, avec lui, à Miami et dans le monde entier. Je ne la quitterais pour rien au monde.

Je commence à peine à m'endormir lorsque sa main frôle ma joue et me réveille de mon état de semi-conscience.

— Moi aussi, je voudrais figer le temps, l'entends-je chuchoter alors que je garde les yeux fermés, en écho à ce que je lui ai dit à la plage. Et rester ici pour l'éternité, termine-t-il contre mon omoplate.

Il n'attend pas de réponse, je le connais trop bien pour le savoir. Je reste donc muette et réprime ma joie en pinçant les lèvres, consciente de tout ce qui lui a fallu pour avouer tout ça maintenant. Pour réduire mes doutes à néant, et pour me confirmer ce que je savais déjà.


Les jours qui suivent, aucun de nous ne reparle de cette soirée. De ces quelques mots, qui ont pourtant tout changé. On s'embrasse plus souvent, on se marre un peu plus, il me rejoint parfois dans la chambre d'ami de la maison de Rose, où je continue à squatter même lorsque ses parents rentrent de leur voyage. Il repart avant que la maisonnée se réveille, pour retrouver le penthouse qu'il partage avec les autres et éviter que Rose me fasse encore un sermon sur cette relation qui n'a pas encore de nom.

La veille de Noël, alors que je regarde la nouvelle saison d'une série qu'on adore avec Rose, ma mère frappe à la porte et se confond en excuses, avant de fondre en larmes dans mes bras. On se pose pour discuter à cœur ouvert, elle me promet qu'elle sera toujours là et qu'elle a décidé de faire moins d'heures à l'entreprise où elle travaille, et elle me ramène à la maison. Papa, lui, reste sur ses gardes. Il hésite une seconde avant de venir à son tour me faire un câlin, et me répète qu'il n'aurait jamais dû me parler de cette façon.

Je retrouve enfin ma vraie famille, avec des parents un peu plus unis, des petites sœurs toujours aussi énervantes, qui me supplient de les emmener avec moi à la soirée du Nouvel An qu'organisent les quatre fantastiques. Ils comptaient seulement sur notre présence, à Rose et à moi, sans personne d'autre, mais un seul message à Austin et le tour est joué.

Puis Noël arrive, je reçois en cadeaux une robe de soirée d'une grande marque de la part de mes parents, une boîte de préservatifs de la part de Rose – ce qui lui vaut dix insultes et cinq « on n'a pas couché ensemble ! » – et j'offre à Mia les places VIP pour le concert de Sparkling Echoes à Miami, qu'Austin m'a fait passer la veille. J'avais presque oublié ce que je lui avais demandé en échange de mon jeu de rôle pour ses réseaux sociaux tant ces cinq derniers mois ont tout chamboulé entre nous, laissant de côté cette mauvaise pièce de théâtre inventée pour les projecteurs au profit de quelque chose de vrai.

Qui, je le sais, pourrait finir par s'envoler.

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