Ivy - Lyon, 17 juillet 2024
Ce matin, je suis réveillée par un coup de téléphone de la réception. Apparemment, ils auraient une réservation à mon nom au spa de l'hôtel, pour treize heures. Est-ce que j'ai pris rendez-vous pour me faire trifouiller par des mains inconnues ? Non.
Rose m'assure qu'elle n'est pas non plus à l'origine de la réservation. Harper grimace avant de me tourner le dos, Ethan m'envoie bouler, Isaac et Jack ont déjà filé avec Ben au stade...
Ce qui veut dire qu'Austin Collins a décidé de la jouer cool. Et ça, ça ne me plaît pas du tout.
— Putain, Collins, c'est toi qui a demandé à ce que j'aille me faire masser ?! m'agacé-je en ouvrant en grand la porte de sa chambre.
Pour me retourner aussitôt en criant lorsque je tombe nez à nez avec son corps entièrement nu. Y compris la partie inférieure.
— Ohmondieu ohmondieu ohmondieu !
— Rappelle-moi qui doit « toquer avant d'entrer », déjà ? se marre-t-il en reprenant mes propres mots, ceux que j'ai utilisés à Barcelone lorsque monsieur m'a vu seins nus.
Je lui offre mon plus beau doigt d'honneur et fais mine de gerber sur mes chaussures, puis jette un œil par-dessus mon épaule. Boxer, tee-shirt. Ça fera l'affaire.
— Tu voulais ?
OK, vas-y, joue l'innocent...
— La réception m'a appelée en me demandant si le massage était toujours d'actualité. C'est quoi, ces conneries ?
Ses lèvres se retroussent une fraction de seconde, puis son air sérieux revient en force sur son visage. Il prend son temps pour enfiler un bermuda avant de passer une main dans ses cheveux encore humides.
— T'as pas arrêté de t'étirer, hier, et t'as grimacé quand je t'ai bousculée, éclaire-t-il en haussant les épaules. J'en ai déduit que t'avais mal au dos, ou un truc dans le genre.
Je plisse les yeux et le dévisage. Ça, ce n'est pas le Austin Collins que je connais. OK, il a fait quelques efforts depuis Zurich, mais... Trop d'un coup, justement. Bipolaire.
— Et tu t'es dit que ça me ferait plaisir, d'aller me faire peloter le cul ? accusé-je en croisant les bras. C'est quoi, la merde ? Un vieux de soixante piges va se pointer ? La masseuse va me tordre le cou pour t'aider à te débarrasser de moi ?
J'ai le temps d'apercevoir un sourire ourler sa bouche, juste avant qu'il ne se détourne pour prendre je ne sais quoi dans son sac.
— Y'a aucune merde. J'essayais juste d'être sympa, se défend-il, comme si c'était la chose la plus normale qui soit.
— Ouais, bah non. Je vais pas me foutre à poil devant un étranger.
Il soupire et contracte la mâchoire une seconde. Puis il me fait à nouveau face, avance de quelques pas et s'arrête à dix centimètres de moi.
— Tu sors d'un accident de voiture, Serpentard. Pour ce que j'en sais, t'as probablement encore des bleus planqués sous ton haut, et je suis sûr à quatre-vingt-dix pourcent que tu rates des séances de kiné pour être ici, suppose-t-il en prenant un ton calme.
Enfoiré. Oui, je devais faire de la kiné jusqu'à la fin du mois pour limiter le mal de dos. Oui, je cache les séquelles de l'accident sous mes vêtements. Et non, je n'ai pas besoin qu'il fasse semblant de s'inquiéter pour moi.
— Annule, ordonné-je en soutenant son regard.
— Non.
J'arque un sourcil, il fait de même.
— Austin, annule ce putain de rendez-vous !
— Non ! Déteste-moi autant que tu le souhaites, traite-moi de tous les noms, mais va prendre une heure pour soulager ton dos, Ivy. On décolle pour Glasgow après-demain, on en a pour plus de quatre heures d'avion, ça va empirer si tu continues à jouer avec le feu.
Je gonfle mes joues en réfléchissant aux autres options qui s'offrent à moi. Petit un, l'envoyer chier, mais il tente de faire des efforts et ce serait méchant. Petit deux, envoyer Rose à ma place, mais elle m'a bien fait comprendre qu'elle doit aider Ethan à se détendre. Petit trois, accepter, parce que la douleur a empiré depuis notre départ, et que je n'ai rien arrangé en allant courir à Lisbonne, puis à Madrid.
— Je te préviens, si je me retrouve avec un obsédé, je fais courir la rumeur que t'as mis une fille de quinze ans enceinte, concédé-je lorsqu'un nouveau coup d'électricité me prend le bas du dos.
Je ne lui laisse pas le temps de savourer la victoire et sors de la pièce. Ce n'est qu'une fois la porte fermée derrière moi que je m'autorise à lâcher un petit gémissement en essayant de me pencher en avant pour toucher mes orteils avec mes doigts. Peine perdue, puisque je bloque toujours au-dessous du genou...
J'ai presque crié victoire lorsque la masseuse m'a expliqué qu'avec l'hématome que je me traîne, il valait mieux éviter d'appuyer sur la zone. Autrement dit, elle a annulé mon rendez-vous en me conseillant une pommade anti-inflammatoire et une visite chez le médecin. Non merci, j'ai déjà assez donné au mois de juin !
Je me retrouve donc à marcher vers le Groupama Stadium sous un soleil de plomb, en baskets, avec un GPS qui n'arrête pas de me changer l'itinéraire. Dépitée, je m'assieds sur le renfoncement de la vitrine d'une boutique et envoie un message à Rose. En espérant qu'elle ne soit pas encore en train de se faire prendre pour une conne par le guitariste...
>Rose, reçu à 13h32 : T'es où ? J'arrive.
Je lâche un soupir de soulagement et tourne la tête pour lire la plaque indiquant le nom de la rue. Merde, déjà qu'elle manque de tuer des gens quand elle conduit à Miami... Je n'ose même pas imaginer ce que ça va donner en France. Cependant, je préfère ça plutôt que de devoir marcher une heure dans une ville que je ne connais pas, parce que je n'ai plus un rond pour appeler un taxi.
J'attends à peine quatre minutes avant que le minibus loué par Ben s'arrête devant moi. La vitre côté passager s'ouvre, mais ma meilleure amie n'est pas derrière le volant. Lui, il commence sérieusement à me faire chier, aujourd'hui.
— Besoin d'un chauffeur ? questionne-t-il avec son horripilant sourire d'emmerdeur.
— J'ai demandé à Rose, pas à toi.
Je n'ouvre pas la portière, préférant le dévisager et attendre qu'il s'explique. Il balaie ma remarque d'un geste de la main et jette un œil dans le rétroviseur intérieur, avant de serrer les dents.
— Monte, Serpentard. Un enfoiré m'a suivi, et il est en train de prendre des photos.
Je me tourne légèrement pour constater qu'une voiture stationne à quelques mètres derrière le minibus, et que le gars derrière le volant est tout, sauf discret.
— Ivy, magne-toi ! me presse le batteur en se penchant pour ouvrir ma portière.
J'obtempère tandis qu'il remonte ma vitre et démarre dans la ruelle, lunettes de soleil sur le nez et sourcils froncés.
— Tu peux me dire ce que tu fous là, maintenant ? insisté-je alors que le véhicule regagne la route principale.
— Rose a laissé son portable avant de se barrer je ne sais où, et t'avais l'air en galère. Alors, le massage ? embraye-t-il sans se dérider.
— Annulé. J'ai... J'ai toujours un hématome sur les côtes, avoué-je à demi-mot, donc elle m'a dit que ça n'allait faire qu'empirer la situation.
Il décroche ses yeux de la route une seconde pour me regarder, amorce un geste avec la main, qu'il renonce finalement à terminer, et jure à voix basse.
— T'es pas censé être en répétition ? changé-je de sujet après un moment de silence.
— Dans trente minutes. Les techniciens ont pris du retard, ils terminent à peine de monter la scène. Les semi-remorques se sont retrouvées dans les bouchons hier.
Je hoche la tête en me concentrant sur le paysage urbain devant moi, et commence à paniquer lorsque je me rends compte que les kilomètres-heures augmentent sur le compteur. Comme cette nuit-là. Mes phalanges blanchissent lorsque je m'accroche à la poignée de la portière, je ferme les yeux en prenant une longue inspiration, j'expire par le nez, et je recommence.
— Ralentis, murmuré-je alors qu'il accélère légèrement.
Il ne m'entend pas, je crois, et continue d'appuyer sur l'accélérateur. Mon cœur bat plus vite, j'ai chaud, j'arrive à peine à respirer.
— Austin, ralentis ! répété-je plus fort. Arrête-toi !
J'ouvre les paupières lorsqu'il se met sur le bas-côté, sors du minibus et dégobille sur le bord de la route, les larmes dévalant mes joues. À moitié pliée en deux, les bras sur mon ventre, je vide tout le contenu de mon estomac alors que les images de la soirée défilent dans mon cerveau.
Les rires. Les jeux. L'alcool. La dispute. Le platane. L'accident. Le sang.
Une main retient mes cheveux. Une autre frotte mon dos. Une voix me pose une question, mais je flotte loin de l'instant présent.
Les rires. Les jeux. L'alcool. La dispute. Le platane. L'accident. Le sang.
— Sam ? Tu m'entends ?
Mes oreilles sifflent. Ma tête me fait mal. Mon dos me lance. Je crois que mes jambes sont coincées, mais je ne suis pas sûre.
— Samantha ? Réponds, s'il te plaît !
L'airbag côté conducteur ne s'est pas déclenché. Il y a du rouge, partout. Du sang ? Oui. Le sien. Sur le volant, sur son visage, sur ses cuisses, sur sa robe.
— SAM ! Allez, me laisse pas... Je suis désolée.
J'essaie de sortir mon téléphone. Rose. Je dois appeler Rose. Elle saura quoi faire. Elle nous sortira d'ici.
— Je suis tellement désolée, Sam. Tellement désolée...
Une voix appelle mon prénom. Un témoin ? Un ambulancier ?
Non. Une voix que je reconnais facilement, maintenant.
— Ivy, reviens avec moi !
Je cligne plusieurs fois des paupières, aveuglée par la luminosité alentour. Le soleil. Le bruit des voitures. Lyon.
— Putain, merde ! crache Austin lorsque je reprends conscience du monde alentour.
Mes poumons se remplissent d'air alors que je suffoquais. Mes épaules sont secouées de tremblements. Je peine à y voir clair tant les larmes inondent mes yeux.
Deux bras m'entourent et me collent contre un torse. Je me laisse faire sans rechigner.
— Ça va, Ivy. Tout va bien. Respire, tout va bien, répète-t-il en caressant mes cheveux.
Mon souffle se fait plus régulier tandis qu'il resserre son bras autour de ma taille, sans trop appuyer. Mes sanglots se calment.
— Ça va aller, d'accord ? Respire.
La douceur avec laquelle il me dit ces mots m'apaise. Je crois sentir ses lèvres se poser sur mon crâne, mais je n'ai pas la force de râler.
— J'ai tout vécu à nouveau, bégayé-je contre son tee-shirt. Je l'ai revu, et je...
— Je sais, Ivy.
Deux fois. Deux fois que je prends pleinement conscience de cette nouvelle réalité dont Sam ne fait pas partie. Deux fois que c'est Austin qui me voit le premier dans cet état. Deux fois qu'il doit jouer au psychologue pour tenter de calmer la crise.
Deux fois que ce traître de cœur s'emballe alors que le batteur révèle une autre facette de sa personnalité.
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