Ivy - Lyon, 16 juillet 2024
J'ai toujours rêvé de découvrir Paris. La Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe, le musée du Louvre... Depuis toute petite, c'est ma destination de rêve.
Et c'est là-bas que Sparkling Echoes devait jouer pour deux soirs. Or, avec les Jeux Olympiques qui doivent débuter dans dix jours, les dates prévues à l'Accor Arena ont dû être annulées juste après qu'ils aient annoncé le planning de la tournée. Une solution a dû être trouvée en urgence, Ben se serait même arraché les cheveux pour rembourser ceux qui ne pouvaient plus venir, et le groupe pose finalement ses valises à Lyon pour deux dates au Groupama Stadium.
Nous venons tout juste d'arriver, il est à peine midi et demi, et j'ai déjà un mal de dos affreux après quatre heures dans le minibus. Pour couronner le tout, l'hôtel ne prend les arrivées qu'à partir de quinze heures, et Rose et moi nous retrouvons avec une casquette sur la tête et deux gardes du corps juste devant nous lorsque les garçons décident d'aller s'offrir le premier repas au restaurant de la tournée. Je n'ai absolument aucune envie de devoir éviter les paparazzis déjà en train de mitrailler le groupe, mais je me voyais mal rester deux heures et demi enfermée dans une voiture alors qu'il fait plus de trente degrés dehors.
Je dois avoir les yeux défoncés à force d'avoir pleuré toute la nuit, pourtant aucun ne me fait la remarque, pas même Austin. Ce matin, il a tenté de me demander comment je me sentais. J'ai ignoré sa question, j'ai retiré sa main de mon bras, et j'ai rejoint Rose et son frère pour prendre le petit-déjeuner avant notre départ de Zurich.
J'ai été faible. J'ai laissé la perte de Samantha prendre le dessus pour la soirée, je l'ai pleurée comme je ne l'avais pas encore fait depuis qu'elle est partie, et j'ai encore pleuré en voyant la marque rosée sur ma joue et l'hématome qui refuse de partir sur mes côtes. Celui qui est responsable de mon mal de dos récurrent, malgré la prise d'anti-douleurs lorsque je n'en peux vraiment plus. Les kilomètres de route que l'on engloutit depuis deux semaines n'arrangent pas, mais je serre les dents et tente de profiter de tous ces paysages, parce qu'elle, elle n'aura jamais l'occasion de le faire.
— Ivy, tu m'écoutes ? m'apostrophe Rose alors que nous finissons par nous installer à la table d'un restaurant situé dans une ruelle.
— Quoi ?
Quelques regards se tournent vers nous lorsque les quatre fantastiques se débarrassent de leur accoutrement. Rose s'assied en face de moi, Austin à ma gauche, et je n'ai pas la force de protester lorsque je comprends qu'il tente juste de sauver les apparences. Aux yeux du monde, le batteur de Sparkling Echoes a désormais une petite-amie, et c'est là notre première sortie officielle. Celle où je risque de me faire tirer le portrait et de me retrouver dans un magazine.
— On prend un cocktail ?
Je secoue négativement la tête en vérifiant une énième fois mes notifications, mais je n'ai toujours aucune nouvelle de mes parents. Depuis que j'ai eu mon père au téléphone, il y a cinq jours, ils ont décidé de couper le contact et de me laisser « me rétamer par terre », pour citer Paul Salazar.
Je ne remarque même pas la serveuse qui vient nous donner les cartes. C'est Austin qui me fait revenir sur terre, lorsqu'il pose le menu entre nous et rapproche légèrement sa chaise de la mienne. J'ai encore envie de lui faire la guerre, de le détester de tout mon être, mais force est de constater que mon cerveau est encore sur la scène d'hier, lorsque j'ouvrais les vannes contre son épaule et qu'il tentait d'alléger ma culpabilité.
— Jus de fraise, lit-il en français, un sourcil levé. Citron vert. OK, on va juste se contenter de pointer du doigt.
Mes lèvres se redressent d'elles-mêmes en un léger sourire alors que je parcours le nom des plats et des apéritifs proposés. De l'autre côté de la table, Rose et Ethan se disputent pour savoir qui regardera la carte en premier, tandis que Jack et Isaac planifient déjà une sortie pour demain matin et que Ben, Harper, Warren, Zion, Marcus, Rory et John peaufinent les détails du planning du boys-band pour les jours qui vont suivre.
— C'est quoi, gambas rôties ? grimace Austin en posant son index sur la ligne.
Le français et moi, ça fait trois, si bien que je lance Google Translate et prends une photo du menu complet avant de le passer au batteur. Il parcourt les lignes rapidement, puis je sens son regard lourd qui me scrute. Je soupire et tourne légèrement la tête, lorsqu'il chuchote pour que personne n'entende :
— Est-ce que ça va ? Tu parles pas beaucoup depuis ce matin.
— Juste fatiguée, mens-je alors qu'il connaît la raison de mon mutisme.
Il me donne un petit coup d'épaule qui accentue les coups d'électricité dans mon dos, mais je retiens ma grimace et me reconcentre sur le reste du groupe.
Austin Collins ne s'inquiète jamais, pour personne. Son revirement de situation est simplement un moyen d'être sûr que je lui ai pardonné ses paroles. Or, malgré sa présence qui a réussi à me réconforter un peu, je le déteste toujours autant. Je le hais d'avoir posé le doigt sur la vérité, pour m'affirmer ensuite que je n'étais pas responsable de la mort de Sam.
Je le suis. Elle est morte parce que je n'ai pas réussi à l'empêcher de prendre la voiture, parce que je n'ai pas tenté de braquer le volant lorsqu'elle fonçait droit vers le platane, parce que je m'en suis sortie avec seulement quelques égratignures alors qu'elle a perdu la vie.
— Qu'est-ce qu'une carotte dans une flaque d'eau ? demande-t-il avec un sourire en coin.
Je roule des yeux face à sa tentative pour me faire rire, peu habituée à son côté amical. D'ordinaire, il passe plutôt son temps à me casser les pieds qu'à jouer le rôle du type sympa.
— Une carotte cuite à la vapeur ? proposé-je en gardant un ton neutre.
— Un bonhomme de neige en été !
Ce n'est pas sa blague à deux balles qui réussit à me dérider, mais l'entrain qu'il met dans sa réponse, comme si c'était la meilleure vanne du monde. Je baisse la tête pour cacher mon sourire alors que la serveuse vient prendre les commandes, et je me contente du même plat que Rose, qui a tiré sa chaise au maximum vers la gauche pour s'éloigner d'Ethan.
Elle me cache un truc, c'est certain. Je connais ma meilleure amie, je sais lorsqu'elle garde quelque chose pour elle, et avec l'air renfrogné qu'affiche le guitariste, je sens que je vais devoir avoir une petite discussion avec elle...
À quinze heures pétantes, enfin, je peux me poser dans un lit moelleux et soulager mon dos. J'en profite pour dévisager longuement Rose alors qu'elle défait quelques affaires, et son air coupable ne fait qu'accentuer mes doutes.
— Quoi ? soupire-t-elle après cinq minutes.
— Tu me caches un truc, Alex. Crache le morceau.
Ça me changera les idées, juste pour quelques temps. Et Rose ne compte pas me faire attendre, si j'en crois la façon dont elle s'écroule sur le matelas en étendant ses bras au-dessus de sa tête.
— JaicouchéavecEthan, lâche-t-elle tellement bas que je pense avoir mal entendu.
Je me redresse d'un coup avant de la faire répéter, elle se retourne sur le ventre et tourne la tête vers moi.
— J'ai couché avec Ethan Howell, couine-t-elle plus fort en détachant chaque syllabe.
— Rose Carlson ! crié-je en lui balançant un oreiller. Comment t'as pu tomber dans ses filets ?!
Elle râle, me relance mon arme que je rattrape au vol et s'assied en tailleur en soutenant mon regard.
— J'avais bu la première fois ! se défend-elle en levant les mains en l'air. Et les autres fois... Disons que je voulais vérifier la marchandise.
J'éclate de rire face à sa tentative d'explication, plaque le coussin contre mon buste et pose ma tête entre mes mains en attendant la suite.
— C'est arrivé combien de fois ? me renseigné-je pour savoir le degré des remontrances que je vais devoir lui faire.
— Mais je voulais pas, Ivy, il est vraiment chiant, et...
— Ouais, t'as glissé et t'es tombée sur sa bite, ironisé-je avant de reprendre mon sérieux. Combien de fois, Rose ?
Elle évite mon regard en se mordant la lèvre, ses mains triturant un fil qui dépasse de son haut.
— Cinq. Dont quatre depuis le début de la tournée, avoue-t-elle alors que ma mâchoire se décroche.
— Bordel de merde, t'es la pire meilleure amie du monde ! la sermonné-je face à sa mine déconfite. La première, c'était quand ?
Cette fois, la honte laisse place à la douleur alors que son visage se crispe. Elle se frotte les yeux plusieurs fois, et lorsqu'elle les repose sur moi, je vois les larmes dévaler ses joues.
— Le soir de l'accident, balbutie-t-elle. J'ai appelé mon frère parce que j'avais trop bu et que je voulais rentrer, et c'est Ethan qui est venu.
Un ange passe tandis que je reste sans voix. Rose était introuvable lorsque j'ai voulu lui rapporter un verre, vingt minutes avant que Sam prenne le volant. Je pensais simplement qu'elle était allée vomir ses tripes aux toilettes...
— J'étais avec lui, quand tu m'as appelée... C'est lui qui m'a déposée, et je lui ai dit de partir, que vous ne deviez pas le voir là.
Je m'en souviens, oui. Lorsque j'ai ouvert les yeux et que j'ai vu Samantha recouverte de sang, j'ai sorti mon téléphone et composé le numéro de Rose. Je ne sais pas combien de temps il s'est écoulé entre le moment où je lui ai téléphoné et le moment où elle est arrivée, mais Sam était déjà en route pour l'hôpital.
— J'ai fait passer un abruti avant mes meilleures amies, assure-t-elle alors que ses yeux sont baignés de larmes. Si j'avais été là, j'aurais pu t'aider à la retenir, et elle ne serait pas morte, et on n'aurait pas suivi les garçons, et je suis tellement, tellement désolée, Ivy. J'aurais dû être présente, et je vous ai laissé tomber pour un mec qui n'en vaut pas la peine. J'aurais pu vous empêcher de partir, et j'étais pas là !
Je pleure avec elle, désormais. Parce que je me rends compte que je ne suis pas la seule à culpabiliser pour tout ça, et que Rose a tout gardé alors que je n'ai réussi à dire les choses qu'hier soir. À une autre personne qu'elle.
— C'est moi, la responsable, corrigé-je en la rejoignant. Sam est morte parce qu'on ne l'a pas protégée, parce que je n'ai pas pris sa clé lorsque j'en avais l'occasion, parce que je n'ai rien pu faire pour qu'elle évite de rater le virage. S'il y a une personne à qui tu dois en vouloir, c'est à moi, Rose.
Elle secoue négativement la tête alors que je la prends dans mes bras. On n'avait pas encore parlé de la mort de Sam. On s'est contenté de nier tout ça, de faire comme si elle était simplement partie en vacances, mais la réalité, la vraie, c'est qu'elle ne reviendra pas début septembre, avec son bronzage parfait et son sourire éclatant. La réalité, c'est qu'on ne pourra jamais rayer trois lignes de notre liste. On ne se mariera pas le même jour, on ne tombera pas enceinte en même temps, on n'habitera jamais toutes les trois dans le même quartier, pas plus qu'on ne fera notre entrée à l'université ensemble.
Il nous aura fallu plus d'un mois pour s'en rendre compte. Pour pleurer ensemble l'absence de Samantha Clark dans nos vies.
— Toi non plus, tu n'y es pour rien, affirme-t-elle en reniflant. Putain, Ivy, si tu étais morte aussi, ce soir-là...
Elle nous aurait rejointes. Les Totally Spies ont déjà perdu l'une des leurs, en perdre une autre marquerait la fin de leur existence ; moi aussi, je n'aurais pas supporté de perdre mes deux sœurs de cœur.
— Je suis encore là, chuchoté-je en la serrant un peu plus fort. Je serai toujours là.
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