Ivy - Londres, 27 juillet 2024

 Dix-huit ans. Je pensais me sentir différente une fois atteint cet âge, mais tout est comme avant. La seule différence notable, c'est que je suis majeure dans une grande partie du globe. En Floride, l'âge de la majorité sexuelle est également fixé à dix-huit ans. Ce qui veut dire que dès aujourd'hui, je peux faire ce que je veux avec un homme plus âgé, sans que ça pose problème. Non pas que j'en aie l'envie, bien au contraire. Je ne suis pas une novice, j'ai déjà eu un petit-ami avec qui j'ai... fait des trucs, mais la sensation d'avoir un corps en moi m'est étrangère, et je ne compte pas la découvrir de si peu.


Étonnamment, ma mauvaise humeur des derniers jours a disparu lorsque Austin m'a demandé de lui raconter mes meilleurs souvenirs avec les filles. Je me suis prise au jeu, et j'ai réussi, pour la première fois en plus de dix jours, à ne pas pleurer en évoquant Sam.

Je me faufile dans la loge des garçons lorsque mon téléphone vibre entre mes doigts. Ici, la musique ne résonne plus aussi fortement que juste derrière la scène, mais je sais que Mia entendra tout de même les basses.

Bon anniversaire ! s'exclame-t-elle à peine ai-je pris l'appel. T'as vu la nouvelle publication d'Austin ?

Je grimace en enclenchant le haut-parleur, la remercie rapidement et ouvre l'application Instagram. Pour gagner du temps, je tape directement austincollins_se dans la barre de recherche, et clique sur son dernier post.

— Oh le con ! gémis-je en découvrant mon dos vêtu d'un tee-shirt qui sort du merch de la tournée – et que je porte toujours.

Les likes et les commentaires ne cessent d'augmenter alors qu'un sourire se dessine sur mon visage lorsque je lis la description. Austin Collins est très doué pour faire croire une connerie plus grosse que les muscles de ses bras au monde entier.

T'es sûre qu'il n'y a rien entre vous deux, sérieux ? Ivy, il n'a JAMAIS publié une photo de fille en quatre ans que je le suis sur les réseaux.
— Je suis certaine à cent pour cent qu'il ne se passe rien, Mia, assuré-je. Il faut juste qu'il monte un scénario crédible, c'est tout, le défends-je malgré moi.

Elle soupire et j'entends une porte claquer derrière elle, puis la voix de Lea me perce les tympans.

Ivy ! Bon anniversaire, tu me manques trop trop trop, je t'aime !
— Salut, microbe ! T'es prête pour ton spectacle de danse ?

Je m'en veux de ne pas pouvoir y aller. Depuis qu'elle a débuté les cours de danse classique il y a deux ans, c'est moi qui me charge de la déposer et de la récupérer à chaque fois, et je sais à quel point elle tenait à ce que je vienne demain soir.

Je crois que oui. Mia a promis de me faire des tresses, pas vrai ?

La concernée marmonne un « ouais, ouais » d'un ton blasé.

Maman et papa vont venir, mamie m'a dit qu'elle essaierait de faire sortir papy pour venir me soutenir, ça va être trop cool !
— Tu diras à Mia de m'envoyer des vidéos, d'accord ? Je t'aime, p'tite sœur.

Le son caractéristique des lattes du lit de ma sœur grince dans mon oreille lorsqu'elle se laisse tomber dessus. Elle semble chercher quelque chose, si je me fie aux multiples bruits en arrière-plan, puis son visage apparaît à l'écran et je souris plus largement en allumant ma caméra.

T'as même pas bronzé, Ivy ! Me dis pas que tu restes enfermée dans une chambre d'hôtel toute la journée, quand même ?
— Tu sais ce que c'est, une tournée mondiale ? plaisanté-je en me hissant sur la coiffeuse. J'ai même pas le temps de découvrir la ville qu'il faut déjà repartir ailleurs.

Elle roule des yeux en mâchouillant une sucette, se tourne sur le matelas et peste lorsque ses cheveux, qu'elle porte plus longs que moi, se collent à la sucrerie.

Tu vas quand même pas te plaindre de vivre le rêve de ma vie, si ? Bordel, t'es avec Sparkling Echoes, et t'es la nouvelle copine du mec le plus canon de l'univers ! s'offusque-t-elle alors que la porte de la loge s'ouvre sur Rose.
— Je ne suis pas sa copine ! réfuté-je pour la énième fois. Et tu ne sais pas ce que c'est de devoir supporter leur humour lourdingue tous les jours.

Rose hoche la tête en levant un pouce, descend une bouteille d'eau entière et s'allonge sur le sofa en fermant les yeux.

Est-ce qu'ils sont aussi beaux en vrai qu'en photo ?
— OK, bisous Mia-ou, je t'aime !

Je raccroche sans lui laisser le temps de continuer à me questionner, tire sur le col du tee-shirt qui affiche le nom du groupe et les dates de la tournée dans mon dos, et balance une chaussette oubliée sur mon amie. Elle réagit à peine en me faisant signe d'approcher. Je soulève ses jambes pour me glisser dessous, pose un coussin qui me gênait sur ses cuisses et attends sagement qu'elle ouvre à nouveau les yeux.

— Je veux rentrer à Miami, annonce-t-elle dans un soupir. Ethan n'arrête pas de souffler le chaud et le froid, de me dire qu'il va l'annoncer publiquement puis de changer d'avis, j'en ai ma claque.
— J'ai embrassé Austin, risqué-je pour lui changer les idées.

Et ça fonctionne. Elle se redresse d'un coup, s'excuse pour son pied qui s'écrase sur mon menton, le tout en criant dans la pièce.

— T'AS FAIT QUOI ?! Putain, Clover, t'es censée le détester ! me sermonne-t-elle en me frappant avec le coussin.
— Je sais, arrête de crier !

Je défais ma queue de cheval pour jouer avec la pointe de mes cheveux, une habitude lorsque je suis stressée, alors qu'on se dévisage l'une et l'autre. Elle éclate de rire la première, je la suis de peu en me tenant les côtes. J'ai toujours mal, même après plus d'un mois, mais l'hématome commence à se résorber.

— On est dans la merde ? demande-t-elle en reprenant son sérieux.

Je hoche la tête, et affirme :

— On est dans la merde.

Elle se laisse à nouveau tomber sur le sofa tandis que je balance ma tête en arrière, puis lève un doigt.

— Est-ce que tu l'aimes toujours ?

Je la dévisage sans comprendre, et elle continue :

— Je sais que t'étais à fond sur lui, quand on avait treize ans. C'est toujours le cas, hein ?

Je hausse les épaules, plus sûre de rien. D'un côté, je crois que mon cœur n'a jamais cessé de battre pour appeler le sien, mais d'un autre, il est à l'origine de mon premier chagrin d'amour sans même le savoir. J'avais déjà commencé à le détester le jour où, lors d'une soirée lorsque j'avais treize ans, une nana s'est vantée d'avoir fait des trucs avec lui dans le jacuzzi. Puis, après Orlando, ce sentiment s'est transformé en haine profonde.

— Il a couché avec Sam, Rose..., lâché-je en évitant de répondre directement.
— On a aucune preuve. J'adorais Sam, elle était ma meilleure amie, mais tu sais aussi bien que moi que c'était la reine des mensonges. Et entre nous, elle avait quinze ans. Il n'aurait jamais fait ça avec une fille aussi jeune.

Elle a l'air convaincue de ce qu'elle avance. J'en viens à douter du récit de Sam, qu'elle a pourtant répété en boucle pendant deux ans et demi lorsque le sujet Austin Collins entrait sur le tapis.

— Et Ethan, tu l'aimes ? éludé-je en reportant mon attention sur elle.
— Oui. Tu te souviens, la fois où on a parlé de ce que ça faisait, d'être amoureux ?

J'acquiesce, sans lui dire que j'y ai repensé pas plus tard qu'il y a quelques jours.

— Je ressens tout ça, Ivy. Je l'aime, et lui, il ne sait même pas s'il veut l'annoncer publiquement ou pas, si on doit d'abord en parler à mon frère, et je suis totalement paumée parce que je veux juste pouvoir arrêter de me cacher..., continue-t-elle en tirant sur son tee-shirt.

Je pince les lèvres, perdue tout comme elle quant à ce que je veux vraiment aujourd'hui. Et puis je repense aux deux dernières semaines, à ses bras rassurants lorsque j'ai craqué, à son odeur contre mon nez... Je ferme les yeux, ouvre la bouche, et articule difficilement :

— Je suis amoureuse d'Austin depuis six ans, et je crois... Que c'est la raison pour laquelle je le déteste autant.

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