Ivy - Copenhague, 25 août 2024
Après presque deux mois, Sparkling Echoes s'apprête à terminer la tournée européenne. Il ne reste que Copenhague ce soir, puis Prague après-demain, avant un mois complet de repos en Australie. Rose et Jack ne se parlent toujours pas. Ethan ne garde son calme que lorsqu'elle est dans les parages, mais reste exécrable la plupart du temps.
Si ça n'était que ça, encore, je pourrais le supporter. En revanche, que ma meilleure amie et son mec changent les plans de tout le monde pour partager un lit, ça, c'est chiant.
J'ai d'ailleurs cru que Ben et Harper allaient les tuer, lorsqu'on est arrivés hier à l'hôtel et que le couple s'est précipité dans une chambre pour poser leurs affaires. Non seulement Rose m'a lâchée sans une once de culpabilité, mais en plus, je me suis retrouvée en pleine confrontation pour savoir qui allait partager ma chambre. Les trois débiles ont fini par tirer à la courte-paille, et je me serais bien passée de subir les foudres du grand frère en colère – et la tronche qu'a tiré Austin avant de claquer la porte de la chambre qu'il allait devoir partager avec Isaac.
— T'as cru que c'était un salon de beauté, ou quoi ?! râle Jack derrière la porte de la salle de bains que nous sommes contraints de partager.
Je manque de glisser dans la cabine de douche, un pied posé sur le lavabo et un rasoir à la main, et me rattrape d'une main glissante contre le carrelage du mur.
— Deux minutes, putain !
— Ça fait une heure que tu rajoutes deux minutes, j'ai besoin de la place ! accuse-t-il en tambourinant sur le battant. Je suis sérieux, sors de là !
Je l'ignore et augmente le volume de la musique sur mon téléphone, puis reprends là où j'en étais alors qu'il s'évertue à me menacer de l'autre côté de la porte. Merde, pourquoi c'est pas tombé sur Austin ou Isaac ?
Une demi-heure plus tard, j'enfile enfin un jean taille haute et une blouse à manches trois quarts vert menthe. Je passe un rapide coup de brosse dans mes cheveux, fais l'impasse sur le maquillage – comme depuis le début de la tournée, en fait – et ouvre la porte en grand en ignorant le regard assassin du chanteur allongé dans le lit le plus près de la fenêtre.
— Tu le savais, hein ? présume-t-il sans détailler sa pensée.
— C'était pas à moi de te le dire, me défends-je en rangeant mes affaires en prévision du départ en jet privé demain après-midi. Et je ne vois pas ce qu'il y a de mal à aimer quelqu'un.
Si tant est qu'Ethan soit amoureux de mon amie. Je sais que les magazines people prennent un malin plaisir à lancer des rumeurs sur les quatre fantastiques, et qu'il ne faut pas s'y fier – la preuve en est avec ma fausse grossesse qui a tourné partout –, mais le guitariste se traîne la même réputation que le batteur, et j'ai peur pour Rose.
— On avait toujours dit de ne pas toucher à l'entourage, grogne-t-il en branchant son téléphone. Et lui, il baise avec ma sœur.
Je suis tentée de le rembarrer pour le mot qu'il vient d'employer, et de lui rappeler que le respect n'est pas resté à Miami, mais je me retiens et quitte la pièce sans lui répondre. Je ne suis pas responsable de la situation, ni psychologue : s'il veut se rabibocher avec Rose, c'est à lui de se bouger le cul et d'accepter la situation.
Je traverse le couloir pour frapper à la porte de la chambre que partagent Rose et Ethan, mais m'abstiens lorsque des bruits suspects me parviennent. Finalement, je me retrouve en route pour le Royal Arena, la salle de concert du jour, située à trois minutes à pied de l'hôtel. La température extérieure ne dépasse pas les dix degrés pour le moment, alors qu'il est déjà onze heures du matin, et j'avoue être déçue par les paysages qui m'entourent. Demain matin, si le réveil n'est pas trop dur, on a prévu de rejoindre le centre-ville en métro et faire un peu de tourisme dans la rue du canal Nyhavn, et j'espère que la vue en vaudra le détour.
Je rejoins la porte arrière de l'Arena lorsque Mia m'appelle en visio, attends que le garde du corps m'ouvre en lui montrant mon badge et brandis le téléphone devant mon visage en souriant largement lorsque les frimousses de mes deux petites sœurs apparaissent à l'écran.
— Il n'est pas que cinq heures du matin, à la maison ? observé-je alors que Lea bâille largement.
— On a repris les cours, je te signale ! se renfrogne Mia avec un regard noir. Alors, c'est comment Copenhague ?
J'essaie de trouver un coin plus calme que là où je suis, avec les techniciens qui s'activent déjà pour monter la scène dans les temps et les semi-remorques qui déchargent tout à l'arrière, lorsque la porte de la loge prévue pour les garçons s'entrouvre sur Austin.
— On n'a pas encore eu le temps de visiter, annoncé-je en ignorant sa moue déçue.
— C'est ta sœur ? chuchote Austin en me faisant signe d'entrer.
Je lève un pouce et referme la porte derrière moi, puis me laisse tomber sur le petit canapé et reprends :
— Et toi, le lycée ?
— Bof, ça change rien, soupire-t-elle en calant son téléphone contre le miroir de la salle de bains du premier étage, celle que nous partageons toutes les trois en temps normal. Sauf les mecs, ils sont vachement plus canons ici !
Austin joue des sourcils avec un sourire en coin, et je suis tentée de lui faire un doigt avant de me rappeler que Mia le verrait.
— Et plus cons, aussi, la préviens-je avec mon ton de grande sœur protectrice. Te laisse pas avoir, tu vaux mieux qu'eux !
Elle pouffe et ouvre une trousse de toilette que je reconnais dans la seconde, avant d'en sortir un rouge à lèvres couleur vieux rose.
— Hé, c'est à moi ça !
— T'es pas là, faut bien que ça serve !
Je plisse les yeux alors qu'elle massacre le tube de maquillage en ignorant mes menaces.
— Comment ça se passe, avec le groupe ? T'as toujours pas demandé un autographe pour moi ? Un album dédicacé ? Mieux : une demande en mariage ?
Elle garde un ton calme alors que je suis surprise de voir qu'elle a pris en maturité depuis mon départ. OK, pas au point de laisser tomber la passion qu'elle voue à Sparkling Echoes, mais suffisamment pour ne plus m'engueuler dès qu'elle m'a au téléphone.
— T'es mineure, Mia, et ils sont trop vieux pour toi, sermonné-je en riant.
Elle capitule d'un signe de tête en appliquant un peu de mascara sur ses cils, repose les produits dans ma trousse à maquillage et enlève la pince qui retenait ses cheveux en arrière alors qu'une boule se loge dans ma gorge.
— Les parents te laissent te maquiller pour aller en cours ? me rends-je compte alors qu'ils ont toujours refusé que je le fasse.
— Yep. J'ai menacé de fuguer s'ils m'en empêchaient, et papa a carrément lâché l'affaire.
— Comment ça ?
Elle change de pièce pour rejoindre la chambre de Lea, farfouille dans l'armoire pour en sortir une robe et des chaussures plates qu'elle dépose sur le lit de notre sœur.
— Il part super tôt et il rentre super tard. Il a pas dîné avec nous depuis, genre, une semaine ? Peut-être plus, même, j'y fais plus attention.
Je grimace face à son air détaché, car je sais que ça la touche bien plus qu'elle ne veut l'admettre. Si j'ai toujours eu du mal à entretenir de bonnes relations avec mon père, Mia, elle, a toujours été plus proche de lui que de maman.
— Et maman ?
— Comme d'habitude : elle fait genre que tout va bien et elle lui reproche après en criant. Attends, deux secondes.
Elle laisse le téléphone sur le matelas, m'offrant une vue sur le plafond constellé d'étoiles phosphorescentes, et crie quelque chose dans le couloir que je n'arrive pas à entendre. C'est le moment que choisit Austin pour s'asseoir à côté de moi et me tendre une pâtisserie danoise que j'accepte lorsque mon ventre se met à gargouiller.
— Je te laisse, Lea veut une couronne de tresses et ça va me prendre des heures !
— OK. Je vous aime, les filles !
— Bonne journée ! ajoute Austin juste avant que je clique sur le bouton de fin d'appel.
Je lui coule un regard blasé et frappe son épaule. Lui se contente de sourire d'un air fier en mâchouillant bruyamment dans mon oreille, puis un message s'affiche sur mon écran.
>Mia, reçu à 11h13 : Est-ce que c'était AUSTIN COLLINS ? Bordel, Ivy, passe-le-moi la prochaine fois, espèce de sœur indigne !
>Moi, envoyé à 11h14 : Pour que tu le rendes sourd en lui hurlant dans les oreilles ? Nope.
— Hé, j'ai aussi mon mot à dire ! râle-t-il, penché sur mon écran.
Je le tourne pour qu'il arrête de lire ma conversation, enfonce l'ongle de mon index dans sa clavicule et le repousse.
— Je t'évite ce que tu détestes, Austin, tu devrais plutôt me remercier.
Il me donne raison en pinçant les lèvres, pose le reste de sa viennoiserie dans une assiette et me scrute un long moment sans dire un mot.
— T'as regardé les réseaux sociaux du groupe, récemment ? finit-il par demander.
Je secoue la tête en avalant ma bouchée, puis bascule sur l'application Instagram et cherche le compte officiel du groupe.
Dernière publication il y a deux jours. Une vidéo, prise depuis les coulisses, où l'on voit deux personnes assises derrière la batterie, de dos. J'augmente le son pour voir s'il a été coupé, et retiens ma respiration lorsque mon rire résonne dans la pièce, suivi de celui d'Austin. La proximité entre nous me frappe, tout comme la légende qui accompagne la vidéo.
« Il faut croire que l'Europe réussit aux couples ! ».
— Lequel je dois tuer ? me désolé-je en laissant la vidéo tourner en boucle devant mes yeux.
— Pas moi, déjà, se dédouane-t-il rapidement. Je doute aussi que ça soit Ethan ou Rose, sinon ils auraient pas pris le risque de s'exposer en mettant la fin au pluriel.
Je lui donne raison sans hésiter, parce que je sais que ma meilleure amie n'aurait pas posté ça dans mon dos. De toute façon, on n'a pas le mot de passe du compte.
Histoire de me torturer un peu plus, j'ouvre les commentaires et commence à lire. La plupart sont emplis de bienveillance et de félicitations, mais une autre partie, celle qui me saute le plus aux yeux, n'est que méchanceté gratuite et critiques.
« J'aime pas son rire »
« Ils ont l'air de pas du tout aller ensemble »
« C'est moi, ou le cul de la fille fait deux fois celui d'Austin ? LOL, il a mal choisi ! »
— Ne lis pas, Ivy, prévient Austin en essayant de me prendre l'appareil.
Je me décale un peu plus pour l'extraire de mon champ vital et continue de balayer vers le bas.
« Remarque, s'il doit juste se soulager pour l'année, il doit se foutre de la tête de la fille, non ? »
« Ou alors, c'est juste des bobards et elle fait partie des meubles... »
Je commence à en lire un autre lorsque mon téléphone s'échappe d'entre mes doigts et que la main du batteur se pose sur ma joue.
Puis se sont ses lèvres qui rencontrent les miennes alors que mes yeux s'emplissent de larmes face à tant de mots acerbes.
Et tout s'efface, si ce n'est son odeur masculine qui me parvient et la sensation de nos bouches l'une contre l'autre, de sa fine barbe contre mon menton.
Le repousser me demande un effort surhumain. Pourtant, c'est ce que je fais avant de planter mes yeux dans les siens, puis de souffler :
— On avait dit « amis », Austin.
Il hoche à peine la tête, se recule et masse ses sourcils en soupirant. J'ignore ma boule au ventre, mon cœur qui court un marathon, pour me concentrer sur lui et essayer de cerner ce qu'il pense.
— Je voulais juste que tu arrêtes de te prendre la tête avec ça, assure-t-il. Faut que j'y aille, les gars vont pas tarder.
Cette fois, c'est lui qui prend la fuite après m'avoir embrassée.
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