Ivy - Cannes, 1er novembre 2024
On sait tous les deux que c'est une connerie, cette histoire d'amitié. Qu'en réalité, c'est bien plus que ça. Mais je crois qu'on est tous les deux trop bornés pour l'avouer à voix haute.
Et ça me va. J'accepte d'être celle avec qui il passera des soirées à discuter jusqu'à la fin de la tournée, avant de retourner à nos quotidiens diamétralement opposés. Pour ne pas souffrir quand ça sera terminé.
Ce soir, avec Rose, on ne se glisse pas dans les coulisses comme c'est le cas habituellement. Ce soir, on se retrouve dans la salle du Palais des Congrès de Cannes, au milieu d'autres spectateurs qui patientent pour voir leurs artistes préférés monter sur scène. Des milliers de Français auront les yeux rivés sur nous à travers la télévision, et pourtant je ne me suis jamais sentie autant en sécurité.
— Ivy, je crois qu'il y a Imagine Dragons au deuxième rang ! pointe du doigt Rose en retenant son cri de joie.
Je roule des yeux, peu sûre de ce qu'elle avance. Le groupe a sorti son nouvel album il y a à peine quelques mois, et j'ai cru voir sur les réseaux sociaux qu'il a enchaîné avec le début de sa tournée.
— T'as qu'à demander à ton frère, chuchoté-je pour éviter de me faire entendre des filles d'à côté. Il doit savoir s'ils sont présents ou pas.
Sparkling Echoes doit monter sur scène en deuxième partie de soirée, et est nominé dans deux catégories : Chanson internationale de l'année, Groupe ou duo international de l'année. Mia doit probablement suivre l'émission en cachette pendant l'un de ses cours, avec les sous-titres pour essayer de comprendre quelque chose. Tout à l'heure, quand je l'ai appelée pour prendre des nouvelles, elle m'a quasiment hurlé dessus pour que je filme la cérémonie, et a encore plus hurlé lorsque je lui ai dit que les téléphones portables étaient interdits.
Les garçons sont installés à peine deux rangs devant nous. Les sourires discrets qu'ils nous ont lancé en arrivant ont manqué de nous faire repérer, mais les filles derrière nous ont cru qu'ils leur étaient destinés.
— Pourquoi j'ai l'impression que Austin est prêt à te bouffer dès qu'on rentrera ?
Je grimace en lui frappant le bras, recentrant mon attention sur la nuque du concerné. Puis je soupire, triture mes doigts, et avoue :
— On a décidé de redevenir amis.
Elle s'étouffe littéralement avec sa salive, prise d'une quinte de toux qu'elle peine à faire passer – et qui attire l'attention sur nous, évidemment.
— Vous allez...
Elle mime l'acte en formant un rond à l'aide de son pouce et son index droits, dans lequel elle fait passer son index gauche plusieurs fois.
— Rose, putain ! la sermonné-je tout bas. J'ai dit amis, pas sex friends !
— Oh, pas à moi, hein ! Vous avez déjà dépassé le stade des petites chamailleries d'ados, tous les deux !
Elle a raison, et je ne réussis même pas à l'engueuler pour ça. Alors je me renfrogne sur mon siège, et croise les bras devant moi.
— Tu peux la fermer, maintenant ? C'était juste une erreur, tout ça, rien d'autre. On est d'accord là-dessus, tous les deux.
Elle arque un sourcil en me coulant un regard en coin. Mes joues chauffent à peine, suffisamment pour me mettre dans l'embarras.
— Et dans une semaine, tu viendras me dire que tu l'as laissé te déshabiller encore une fois, Ivy...
Je grimace pour me retenir de pleurer. Parce que je sais que c'est ce qu'elle pense, et que ça me blesse, qu'elle ne me croit pas capable de garder la face devant Austin. Qu'elle m'imagine craquer et écarter les cuisses dans la semaine.
J'ignore Rose pour éviter de lui répondre, alors que les lumières s'éteignent pour laisser l'émission débutée.
Je n'écoute que d'une oreille jusqu'à ce que les garçons montent sur scène. Je passe les trois minutes à regarder Austin, derrière sa batterie, à ressasser les derniers mois, encore une fois... Et à tenter de me convaincre que c'était une bonne idée. Que je ne vais pas le regretter. Et qu'en tant qu'adulte, moi aussi j'ai le droit de faire mes propres expériences. Quitte à me retrouver avec un cœur brisé à la fin de la tournée.
Le groupe gagne le trophée de la Chanson Internationale de l'année pour Golden Days. Les applaudissements retentissent, les quatre fantastiques remercient Ben, Harper, John, toute l'équipe qui les suit sur la tournée et en dehors, se félicitent entre eux, lèvent leur récompense dans notre direction, nous lance des clins d'œil qui ne passent pas inaperçus, et regagnent leurs sièges sous les acclamations.
Puis d'autres artistes défilent sur scène, d'autres discours sont prononcés, d'autres récompenses sont attribuées, la soirée se termine à une heure du matin, la salle se vide, Rose et moi rejoignons les garçons en coulisses. Ils nous présentent à quelques chanteurs, chanteuses, groupes. Et je me dis que j'ai de la chance, d'être ici. De les avoir suivis.
D'avoir accepté de jouer à un jeu dangereux avec Austin, qui pourrait nous mener tous les deux au bord d'une falaise de laquelle aucun n'est prêt à sauter. Et ne le sera jamais.
— Vous vous êtes organisés pour les chambres ?
La question de Ben jette un froid sur le trajet du retour. L'hôtel ayant été réservé au mois de juin, lorsque la date de l'émission a été révélée, Ben et Harper en ont profité pour prendre une chambre individuelle pour chaque garçon. Évidemment, c'était avant que Rose et moi décidions de nous incruster, et je sais d'ores et déjà qu'elle va vouloir dormir avec Ethan.
D'ailleurs, le regard qu'elle me lance veut tout dire, et je hoche la tête pour lui faire signe que je suis d'accord.
— Ivy dort avec moi, décrète Austin sans me demander mon avis – et en ignorant superbement les regards salaces de ses amis. Si ça te dérange pas, ajoute-t-il enfin en se tournant vers moi.
Je hausse les épaules en guise de réponse, un sourire flottant sur mes lèvres.
— Parfait, problème réglé. On reste trois jours, donc reposez-vous, s'extasie Harper, les mains liées devant elle telle une prière.
Je pouffe à peine face à sa provocation cachée, bien trop fatiguée pour l'encourager plus dans ses bêtises.
Le groupe s'engouffre dans l'ascenseur exigu, direction le deuxième étage de l'hôtel. Je réponds aux sifflements qui résonnent derrière nous quand on s'engouffre dans la chambre par un doigt d'honneur, balance mes baskets d'un coup de pied contre le mur et m'enferme dans la salle de bains sans demander son avis à Austin. Je troque mon jean slim trop serré contre le legging que je portais en arrivant, peste toute seule en me rendant compte que je n'ai pas pris de haut, et pique le tee-shirt qui traîne au bord de la baignoire. En à peine dix minutes, mes cheveux sont détachés, mes dents brossées, et je retourne dans la chambre en m'écroulant au milieu du lit.
Puis je me fais pousser par un Austin torse nu, qui sort tout juste de la douche, avec les cheveux encore humides.
— Laisse-moi une place, Serpentard, ronchonne-t-il d'un air fatigué.
Avant de pousser un long râle de plaisir lorsque son corps massif s'étale de tout son long à côté de moi, sur son ventre, les bras repliés sous l'oreiller.
— J'ai une fesse dans le vide, marmonné-je en tentant de le faire bouger un peu.
— T'as qu'à arrêter de t'éloigner de vingt centimètres.
— Austin, bouge !
— Flemme.
— Je suis capable de te secouer l'épaule toute la nuit s'il le faut, le préviens-je en me tournant sur le côté.
Il ouvre un œil, sourit, et lève un bras pour venir le passer autour de ma taille. Et me rapprocher de force de lui.
— J'ai clairement pas la force de me battre avec toi, se désole-t-il en resserrant sa prise lorsque j'essaie de me dégager.
J'abandonne la partie, laisse mes jambes contre sa cuisse, ses doigts dans mon dos, et ferme les yeux. En essayant de me rappeler que ça n'ira désormais jamais plus loin entre nous que ce semblant de proximité étouffante qui me permet de ne pas laisser mes rêves se transformer en cauchemars dans lesquels je revois Sam, le sang, et tout le reste.
Je me réveille après deux petites heures à peine de sommeil, lorsque Austin gigote en essayant de ne pas me déranger. Je râle en me prenant un coup de genou dans la cuisse, il s'excuse en allumant la lumière sur la table de chevet, et je planque ma tête sous l'oreiller.
— T'es gelée, j'essaie juste de chopper la couverture, m'apprend-il en se redressant dans le lit.
Effectivement. Je ne sens plus le bout de mes doigts, ni mes pieds, et mon nez est glacé. Alors je râle un peu moins, je l'aide à soulever la couette, et je m'emmitoufle dedans. Et je le laisse se tourner face à moi, déposer un baiser sur mon front, me prendre dans ses bras. Pour me rendormir à peine quelques secondes plus tard, en l'entendant murmurer quelque chose que je ne comprends pas.
Et en espérant que ça soit pour le mieux.
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