Austin - Munich, 11 août 2024
Il est plus de minuit lorsque je me remue et quitte le canapé pour traverser le couloir en direction de ma chambre. J'ai arrêté le film lorsque Ivy est allée se coucher, et je viens de passer une heure à ressasser les trois dernières années en boucle dans l'espoir de me souvenir de signes particuliers que la blondinette aurait pu avoir avec moi. Est-ce qu'elle était attirée par moi ? Est-ce que c'est à cause de Sam et de ses mensonges, qu'elle a commencé à me détester alors que notre relation était jusqu'alors assez neutre ?
Je m'arrête devant sa porte en entendant des bruits de sanglots étouffés et de draps qui se froissent. Une part de moi est tentée de la laisser seule pour que l'on puisse réfléchir à ce qu'il vient de se passer chacun de notre côté, mais une autre me pousse à entrer dans la pièce et à m'approcher du lit.
Ivy est allongée en son centre, se tournant et se retournant tandis que son visage trahit sa peine. J'allume la lampe de chevet avant de tendre une main vers elle, que je finis par poser sur son épaule pour la secouer légèrement.
— Ivy ? Hé, réveille-toi...
Bien trop perdue dans ce qui semble être un cauchemar, elle ne m'entends pas et continue de gémir en balbutiant des mots inintelligibles. Je m'allonge à côté d'elle, la prends dans mes bras pour qu'elle cesse de se débattre avec les draps et caresse ses cheveux d'une main jusqu'à ce qu'elle s'apaise contre moi.
— Tout va bien, chuchoté-je dans son oreille. C'est un cauchemar, Ivy, tu vas bien.
Je sens ses paupières s'ouvrir alors que ses cils caressent mon cou, dépose un baiser sur son crâne et baisse le visage pour la regarder. Les joues humides, les yeux encore baignés de larmes, elle me fixe d'un air absent avant d'enfouir à nouveau la tête dans mon cou.
— C'est à cause de moi, l'entends-je murmurer tandis que je resserre mon étreinte sur elle. Elle était persuadée que j'étais la raison pour laquelle tu ne voulais pas d'elle... Et c'est pour ça, qu'on s'est disputé juste avant l'accident. Tout est revenu, Austin. Tous les mots, toutes les accusations...
Ma main se pose sur sa pommette alors que je capte à nouveau son regard, mon pouce tentant de cueillir chaque perle qui rend sa peau luisante.
— Tu l'étais, Ivy, avoué-je en déglutissant péniblement. Je savais ce que tu ressentais, et je ne voulais pas te briser le cœur en t'avouant que ça n'était pas réciproque. Mais j'ai aussi été clair avec Sam dès le début, et elle savait qu'il ne se passerait rien entre elle et moi. Je n'ai jamais couché avec elle, et je te promets que ça, tu n'y est pour rien.
Et maintenant ? me demandé-je à moi-même. Maintenant, tout a changé. Je n'ai jamais ressenti de l'amour, mais si ça signifie vouloir revenir en arrière et effacer chacune de nos disputes, si ça signifie sentir un feu crépiter à l'intérieur de soi à longueur de journée, si ça signifie être prêt à donner tout ce qu'on a pour que la personne que l'on aime soit heureuse et arrête de se torturer, si ça signifie n'en avoir jamais assez de son rire comme de ses pleurs, de son sourire comme de ses grimaces, de ses plaisanteries comme de ses insultes...
Alors je suis fou d'amour pour elle.
— C'était une erreur, Austin, lâche-t-elle dans un souffle. Faire semblant d'être en couple, ça a changé trop de choses.
Je pince les lèvres en sachant pertinemment qu'elle a raison. Le mois dernier, on pouvait à peine se supporter et rester dans la même pièce. Aujourd'hui, j'attends de retrouver son regard assassin à chaque fois que je sors de scène pour ressentir à nouveau quelque chose à la place du vide béant que j'ai toujours ressenti. En un mois, les rumeurs sur notre couple n'ont fait qu'amplifier, mes story Instagram où je feins l'amour fou également, et nos prises de bec se sont transformées en baisers volés qu'aucun de nous n'a empêché.
— Tu veux arrêter ? m'inquiété-je malgré moi.
Je sais que ça n'est pas du tout le moment. Qu'elle est encore bouleversée, et que je suis également perdu entre le cœur et la raison.
Ses larmes redoublent alors qu'elle secoue négativement la tête.
— Je jouerai encore à la petite-amie, mais ça s'arrête là. Ça, fait-elle en faisant un geste entre nous, ça doit rester pour de faux. En dehors des réseaux sociaux, je veux qu'on arrête de se parler.
Je relâche mes bras qui l'emprisonnaient toujours, je me recule sur le matelas pour la regarder, et je me relève en passant une main dans mes cheveux. J'amorce un pas en avant, me désiste au dernier moment et me tourne vers elle pour me retrouver face à son regard déterminé, sans trace de regrets.
— Si tu as besoin de moi, tu sais que je serai là, déclaré-je avant de sortir de la pièce.
J'ai dû dormir cinq heures avant d'être réveillé en fanfare par Jack. Il hurle dans la pièce d'à côté, et je grimace avant de poser l'oreiller sur ma tête pour faire taire le bruit. Malheureusement, c'est le moment qu'il choisit pour claquer la porte en entrant.
— Dis-moi que t'étais pas au courant, putain !
Je soupire en râlant puis me débarrasse du drap qui me recouvrait. Si lui est de mauvaise humeur, je le suis aussi et je n'ai aucune envie de devoir le supporter aujourd'hui. Ni lui, ni personne, à vrai dire.
— Au courant de ? me renseigné-je tout de même alors qu'il se laisse tomber sur son lit en se tirant les cheveux.
— Ethan se tape ma sœur, lâche-t-il assez fort pour que toute la suite l'entende.
Je retiens mon rire en le voyant me lancer un regard noir, pas sûr qu'il est venu ici pour m'entendre se foutre de sa gueule. Je crois que c'est le seul qui n'a pas remarqué plus tôt que quelque chose se tramait entre le guitariste et Rose, bien que je n'aie jamais cherché à en savoir plus.
— Elle est majeure, lui rappelé-je en reprenant mon sérieux.
— Tu les défends, sérieux ?!
Je hausse les épaules en me tournant dos à lui dans l'espoir de me rendormir, pour me prendre un coup derrière le crâne dans les secondes qui suivent.
— J'en ai juste rien à foutre, maugrée-je. Et je suis crevé, là.
— Ça a à voir avec la tronche de déterrée d'Ivy ?
Je fronce les sourcils et lui refais face, avant de lui offrir mon majeur en gros plan.
— Pas tes affaires. Va plutôt continuer à engueuler ta sœur et Ethan, et fous-moi la paix.
— C'est ça, reste dans le déni et laisse-moi gérer les merdes, ronchonne-t-il en claquant une deuxième fois la porte derrière lui.
À peine deux minutes plus tard, pourtant, c'est Isaac qui vient me les briser en se laissant tomber à côté de moi.
— Va faire un truc, ils vont me rendre taré, souffle-t-il d'un air exaspéré.
Je l'ignore en prenant mon téléphone, puis lance l'application Instagram avant de balayer mon fil d'actualité d'un doigt. J'ai encore des centaines de notifications, de publications sur lesquelles j'ai été tagué, de likes sur mon dernier post. Le même pseudo revient plusieurs fois : echoers_forever. Le compte fan créé il y a peu, qui poste quasiment tous les jours des témoignages d'adolescentes disant que le groupe leur a sauvé la vie et encore d'autres conneries qui me donnent d'autant plus envie de me barrer avant la fin de la tournée.
— Je suis pas conseiller conjugal, marmonné-je en reposant mon téléphone. De toute façon, on doit rejoindre la salle dans trois heures, ils pourront arrêter de s'engueuler d'ici là.
Peine perdue. Nous sommes à peine arrivés que l'ambiance est à nouveau électrique dans le groupe. Jack s'évertue à ignorer tout le monde, Ethan et Rose n'arrêtent pas de chuchoter dans leur coin et Ivy tente de cacher ce qu'elle ressent. Je le sais, parce qu'elle a le même regard fuyant qu'après Zurich et Lyon. Ne pas lui parler pour la rassurer, ou au moins pour plaisanter avec elle sur l'ambiance générale, accentue un peu plus ma mauvaise humeur.
— Je peux savoir pourquoi tout le monde a décidé de tirer la gueule ? se renseigne John lorsqu'on monte sur scène pour les répétitions.
— Pas tes affaires.
D'ordinaire, c'est quelque chose qu'Ethan ou moi aurions pu dire. Or, c'est Jack qui vient de rembarrer l'ingénieur son alors que chacun s'installe à sa place. Et pour la première fois de la tournée, je suis content de me retrouver planqué derrière ma batterie.
— On en est qu'au début, les gars, nous rappelle Ben d'un ton ferme. Soit vous prenez deux minutes pour vous rabibocher, soit je vous ajoute trois émissions de télé pour le mois de novembre.
— Honnêtement ? commence Jack en manquant de se prendre le pied dans un fil. Ajoute les émissions, parce que je te garantis que ça va finir aux urgences s'il dit un mot de travers.
Je devine d'ici la silhouette des filles cachées dans l'ombre, et ignore le poids qui s'écrase sur mes épaules. Ivy refuse ma présence. Elle refuse mon aide, elle refuse que je sois celui qui effacera ses larmes lorsqu'elle en aura besoin. Il y a encore un mois, ça n'aurait pas eu d'importance. Aujourd'hui, ça me tord l'estomac.
— Vous avez cinq minutes pour régler vos merdes, tranche John en quittant la scène.
Un silence s'ensuit alors que je tente de détendre l'atmosphère en tapant sur une cymbale, mais les deux grognons du jour me dévisagent et j'arrête.
— Vous comptez vous regarder dans le blanc des yeux encore longtemps ? demandé-je pour tenter de désamorcer la bombe.
— Tu comptes essayer de faire croire à tout le monde que tu détestes Ivy encore longtemps ? rétorque Ethan en posant sa guitare.
Je fronce les sourcils et lève les mains en l'air en signe de capitulation, mais il a visiblement décidé de me prendre pour cible puisqu'il continue :
— Parce qu'apparemment, tu l'as embrassée à Manchester, non ? C'était pour quoi, au juste ? Pour te prouver que tu pouvais l'avoir, comme c'est le cas avec les autres groupies qui te courent après ?
Je serre les dents pour éviter de rentrer dans son jeu tandis qu'il fait quelques pas dans ma direction en souriant sournoisement.
— Ou alors, tu profites de mentir ouvertement à la terre entière pour la coincer dans tes filets en espérant pouvoir vider tes couilles ces prochains mois ?
Je me relève d'un bond et le saisis par le col de son tee-shirt alors qu'il ne se départit pas de son sourire.
— Je t'ai rien fait, sifflé-je entre mes dents.
— Ah bon ? Et tous ces magazines à la con qui épient tous nos faits et gestes dans l'espoir que l'un de nous finisse pas faire une connerie, c'est pas de ta faute ? Les fans qui hurlaient sous les fenêtres de l'hôtel à Berlin parce que tu as insinué que tu n'étais pas le seul en couple, c'est pas de ta faute ? L'article dans la presse à scandale qui nous invente à tous une paternité cachée, c'est pas de ta faute ?
— Et l'abruti qui a participé à un télé-crochet de merde dans l'espoir de devenir célèbre, c'est moi aussi ?
Je n'ai pas le temps de réagir que son poing frappe déjà mon visage, et que je me recule sans riposter avant de descendre les marches menant aux coulisses. Je passe devant les filles, ignore leur mine surprise et fais un signe en direction de la scène.
— Va dire à ton mec d'arrêter de tout me remettre sur le dos, Carlson. Ou mieux, dis à ton frère que tu fais ce que tu veux avec ton cul, intimé-je.
Je m'enferme dans les toilettes et grimace lorsque je vois le sang qui coule sur mes lèvres. À peine plus d'un mois de tournée, et chacun commence déjà à saturer. La fatigue, les cris chaque soir, les faux-semblants pour les lives sur les réseaux sociaux ou les plateaux-télé, ça met nos nerfs à rude épreuve et il était évident que tout allait exploser à un moment ou à un autre. Seulement, je pensais bêtement qu'on allait pouvoir tenir plus longtemps que ça, et j'ai déjà peur des mois qui arrivent.
Je m'apprête à envoyer chier celui qui entre derrière moi, mais me ravise en faisant face au pincement de lèvres d'Ivy. Elle garde ses mains derrière son dos en restant collée contre la porte, puis se déplace vers le distributeur de papiers et se plante devant moi.
— John a annulé la répétition, m'apprend-elle en bloquant mon menton d'une main. Ce soir, vous y allez au talent, et demain, il vous veut tous dans la salle à neuf heures.
Elle tamponne ma narine gauche plusieurs fois tandis que je reste sans rien dire. Ses yeux s'accrochent aux miens lorsqu'elle expire par le nez, et ça serait mentir que de dire que je n'ai pas encore l'envie de l'embrasser.
— Qu'est-ce qui vous prend, Austin ? questionne-t-elle d'un ton presque suppliant. Ne me dis pas que c'est seulement à cause d'Ethan et Rose, je sais que tu t'en fous.
— Je croyais qu'on ne devait plus se parler, bougonné-je en grimaçant lorsqu'elle appuie un peu plus pour stopper le saignement de mon nez.
Elle roule des yeux en retenant son sourire, penche ma tête en arrière et humidifie un autre bout de papier pour nettoyer le sang qui commence déjà à sécher.
— Tu veux que je demande à Ethan de te faire l'autre narine ? menace-t-elle en me poussant contre le lavabo.
Je pouffe et m'appuie pour être à sa hauteur, gardant mes mains pour moi. Elle enfonce un morceau de mouchoir dans mon nez, je râle et essaie d'attraper son poignet. Elle m'en empêche en reculant son bras.
— Tu étais au courant ? deviné-je alors qu'elle garde un visage impassible. Pour Ethan et Rose, ajouté-je.
— Oui. Elle me l'a dit à Lyon, avoue-t-elle en se détournant pour attraper une trousse de secours qu'elle a dénichée je ne sais où.
— Et tu lui a dit pour... Nous ? tenté-je sans savoir si c'est le mot adéquat.
Elle revient contre mes jambes, saisit à nouveau ma mâchoire entre ses doigts et pose une compresse imprégnée d'alcool désinfectant sur ma lèvre inférieure. Je sursaute en sentant la brûlure du produit sur la plaie, retiens un râle de douleur et la laisse continuer sans plus protester.
— C'est ma meilleure amie..., bredouille-t-elle en guise de réponse. Sam était peut-être une menteuse, mais c'est pas le cas de Rose et moi.
La blondinette jette les produits usagés dans la poubelle à côté, puis met ses poings sur ses hanches en laissant retomber légèrement sa tête vers la gauche pour mieux me dévisager.
— Pourquoi, Austin ?
Je soupire en sachant ce qu'elle attend comme réponse, lorsque mon regard est attiré par la bande de peau que dévoile son crop-top rouge. Je suis quasiment sûr qu'il appartient à Rose, vu la façon dont il flotte sur Ivy, mais ce n'est pas tant ça qui me fait grimacer. Plutôt la marque qui persiste encore sur son épiderme.
— Tu as toujours mal au dos ? éludé-je dans l'espoir de pouvoir échapper à une autre dispute.
Dans le même temps, le bout de mes doigts frôle la trace bleutée sur sa taille alors que j'accroche mon regard au sien.
— J'ai de la crème, hasarde-t-elle lorsque ma paume se pose entièrement contre sa peau.
— C'est pas ce que j'ai demandé, Ivy.
Elle passe une main dans ses ondulations tandis que mon pouce trace des cercles sur l'hématome.
— Plus autant qu'au début, assure-t-elle enfin.
Je peux sentir d'ici les frissons qui la parcourent quand je décale ma main dans le bas de son dos et rapproche un peu plus son corps du mien. Les deux semblent se vouloir, mais les âmes qu'ils renferment sont semblables à deux aimants dont on rapproche les pôles identiques : elles se repoussent sans pouvoir s'en empêcher.
— Je ne veux pas arrêter de te parler, murmuré-je en posant mon front contre le sien.
Elle avale sa salive plusieurs fois et me repousse en pressant ses mains sur mon torse. Son pouce suit la ligne de ma mâchoire avant d'effleurer la petite coupure à ma lèvre, je retiens mon souffle dans l'espoir qu'elle craque la première.
Mais elle ne le fait pas. À la place, sa bouche s'incurve en un léger sourire et sa main retombe sur mon épaule.
— Alors on devra être amis, s'amuse-t-elle. Tu crois pouvoir arrêter de me chercher pour que je t'engueule ?
Je lui souris en retour, prends sa main dans la mienne et la serre en riant.
— Soyons amis, Ivy Salazar Serpentard.
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