Austin - Manchester, 23 juillet 2024
Ivy est de nouveau celle qu'elle était au début de la tournée. Elle insulte quiconque lui adresse la parole, elle ne se montre que lorsqu'elle y est forcée, elle passe son temps à soupirer et à grommeler tout bas.
Je pensais être heureux à l'idée de la retrouver comme je l'ai toujours connue. Finalement, c'est tout le contraire qui se passe : je sais qu'elle remet seulement le masque pour éviter de se confronter à sa douleur, et j'ai mal pour elle.
Elle me lance d'ailleurs un regard noir lorsqu'elle se rend compte de mon regard posé sur elle. Je tente un sourire, obtiens un doigt d'honneur en retour, et retiens mon rire pour éviter de récolter ses foudres.
Depuis Lyon, elle m'ignore. Elle ne m'accorde quasiment pas un seul coup d'œil. Elle repart en sens inverse quand elle rentre dans la même pièce que moi, ou se concentre sur l'écran de son téléphone.
Or, aujourd'hui, j'ai besoin de lui parler. Le plus vite possible. Parce qu'un putain de magazine à deux balles a ouvert les hostilités sur son compte, et qu'elle va s'en rendre compte très rapidement.
Je la retiens par le bras alors qu'elle s'apprête encore une fois à m'éviter, tandis que je m'assieds à côté d'elle sur le sofa de la loge.
— Faut qu'on parle, déclaré-je sans préambule en faisant face à ses sourcils froncés.
— Et j'ai autre chose à fai...
— Une photo de toi tourne dans le monde entier, la coupé-je.
Elle secoue vivement la tête en dégageant son poignet de ma prise, pour me dévisager longuement la seconde d'après.
— Et alors ? Ça devait arriver, non ? lâche-t-elle en croisant les bras.
Je sors le magazine que m'a amené Ben ce matin, l'ouvre à la bonne page et lui mets sous le nez. Ses yeux s'écarquillent de plus en plus à mesure qu'elle parcourt les quelques lignes sur notre compte, puis font l'aller-retour entre mon visage et le gros titre.
— Ben se charge déjà de contacter le rédacteur en chef du magazine, mais ça a fait le tour de la planète, Ivy, indiqué-je d'un ton posé.
Je lui reprends l'article des mains pour une autre séance de torture. Bordel, ils ne me laisseront jamais tranquille. Je ne pourrai jamais passer une minute seul avec une fille sans que les paparazzis nous mitraillent et qu'un écrivain de pacotille raconte des salades sur mon compte.
« AUSTIN COLLINS, BATTEUR DES SPARKLING ECHOES, BIENTÔT PAPA ?
Alors que le boys-band phénomène enchaîne les concerts depuis le début du mois, il semblerait que ses membres aient enfin décidé de rentrer dans les rangs et d'arrêter les coups d'un soir.
En effet, si l'on invente un amour passionnel à Jack Carlson, chanteur principal, depuis de nombreuses années, Austin Collins, lui, avait jusqu'à il y a peu la réputation d'un briseur de cœur, qui enchaînait les histoires sans lendemain et ne s'en cachait pas.
Pourtant, le batteur aurait avoué lors d'un Q&A en Europe que sa petite-amie ferait partie de la tournée, avant de la mentionner une nouvelle fois lors d'un plateau-télé en Italie. Bien qu'aucune preuve n'avait été fournie jusqu'ici, les élucubrations allaient bon train et les Echoers (la communauté constituée par les fans de Sparkling Echoes) ont pris le rôle d'enquêteurs pour démêler le vrai du faux...
C'est désormais chose faite, puisque le jeune couple aurait été aperçu à Lyon, alors qu'il se rendait au Groupama Stadium où devait avoir lieu le premier concert dans la ville. Austin Collins et sa bien-aimée étaient alors stationnés sur le bas-côté de la route... Et celle à qui l'on devine une chevelure dorée semblait être pliée en deux et malade, avant de se réfugier dans les bras du batteur à la mauvaise réputation !
Une question se pose désormais : le batteur serait-il bientôt papa, ce qui l'aurait amené à parler de sa relation amoureuse restée secrète jusqu'ici ?
Une chose est sûre : les membres de Sparkling Echoes n'ont pas fini de faire parler d'eux, puisque leur tournée mondiale ne se terminera qu'en avril prochain, après deux dates à Toronto... »
— Putain de merde... souffle-t-elle en regardant la photo qui complète l'article.
— Je te jure que je ne l'avais pas vu, allégué-je pour éviter qu'elle ne me hurle dessus – ce qu'elle semblait prête à faire. Je veux redorer mon image, certes, mais pas à tes dépends.
Elle contracte sa mâchoire sans détacher son regard de ce foutu bout de papier, puis son téléphone se met à vibrer sur sa cuisse. Elle l'ignore une première fois, une seconde fois, puis serre les poings avant de prendre l'appel et d'enclencher le haut-parleur. J'aurais pensé qu'elle m'aurait envoyé voir ailleurs, à la place de quoi elle me fait signe de la fermer alors qu'une voix douce résonne dans la pièce.
— Salut, Ivy ! Dis, les parents demandent où t'es en ce moment ?
Ivy arque un sourcil étonné avant de répondre :
— Toujours en France. Rose a été malade quelques jours, on n'a pas pu faire grand-chose... ment-elle tellement facilement que je manque de sourire.
— Ah bon, t'es sûre ?
Un silence alors que la blondinette se mâchouille les lèvres. Je lui fais signe de répondre, elle chuchote un « ta gueule ».
— Pourquoi je serais pas sûre ? Je sais reconnaître les pays, Mia.
— C'est bizarre, j'ai cru voir sur ta position Snap que tu étais à Manchester. D'ailleurs, il me semble que c'était Glasgow hier, et Lyon il y a quelques jours...
— Oh, ouais, un abruti a volé mon téléphone en Italie, j'ai dû en racheter un... Bref, la merde !
Je cache mon rire dans mon coude pour éviter qu'elle me tue seulement avec son regard, alors qu'elle s'enfonce encore plus dans son mensonge.
— C'était pas toi non plus, la fille avec Austin Collins sur le magazine ? Pourtant, elle te ressemblait vachement ! Elle avait le même tee-shirt que je t'ai emprunté début juin, tu sais, celui avec la fleur cousue au milieu pour cacher un trou ?
— Vraiment ? J'ai pas fait atten...
— Te fous pas de moi, Ivy ! C'est quoi ce bordel, sérieux ?! la coupe la voix qui se met à hurler dans le combiné. T'es en putain de tournée avec Sparkling Echoes, et tu me mens depuis le début ?!
Ivy soupire longuement en faisant craquer ses phalanges, me jette un coup d'œil et reporte son attention sur l'écran de son téléphone.
— C'est pas ce que tu crois, p'tite sœur... commence-t-elle sans s'énerver.
Aussi, le prénom de son interlocutrice me disait quelque chose... Mia Salazar, l'une de nos plus grandes fan, celle pour qui je dois dénicher des places en carré or pour Miami.
— Ah ouais ? Et comment tu t'es retrouvée avec eux, si tout ce qui traîne sur les réseaux sociaux sont des conneries, hein ?!
Elle grimace alors que je pose une main sur son épaule, lui intimant de ne pas mentir à sa sœur. OK, j'ai une réputation à refaire dans le domaine amoureux, mais ne pas dire la vérité à sa famille ne ferait que l'en éloigner davantage, alors que je sais que ses relations avec ses parents ne sont pas au beau fixe en ce moment.
— Je... Le nom de famille de Rose, c'est Carlson, lâche-t-elle doucement. Jack est son frère, et il nous a proposé de faire la tournée avec eux pour qu'on se change les idées. Mais je te jure qu'il n'y a rien entre Austin et moi, Mia ! Tout ça, c'est juste pour...
— Mais je m'en fous, sérieux ! Tu m'as menti depuis je sais pas combien de temps, maman est folle de rage à l'idée que tu puisses traîner avec des inconnus pour te payer le voyage, et toi, tu te barres à l'autre bout du monde du jour au lendemain, tu donnes des nouvelles quand ça te chante, et tu nous laisses, Lea et moi, éponger ta merde !
Un voile humide teinte les iris noisette d'Ivy lorsqu'elle prend conscience des accusations de sa sœur. Elle attend une longue minute sans rien dire, en fixant mes doigts qui tracent des cercles sur sa main.
— Je suis désolée, Mia, murmure-t-elle enfin. Je voulais juste terminer la liste de Sam, partir quelques jours... Je te jure que j'ai voulu rentrer plus d'une fois, mais j'y arrive pas...
Un silence au bout du fil alors qu'une larme roule sur la pommette de l'aînée en face de moi. J'amorce un geste pour l'essuyer, elle le fait avant moi en me dévisageant bizarrement.
— Alors t'es vraiment en tournée avec Sparkling Echoes ? demande Mia d'un ton plus calme. C'est bien toi, sur la photo ? C'est toi, la nouvelle copine d'Austin ?
Un échange de regard entre elle et moi, un nouvel hochement de tête de ma part, et un léger sourire se dessine sur ses lèvres.
— Oui, oui, et non. L'abruti compte surtout sur moi pour redorer son image, mais tout ça, c'est des conneries. Il ne se passe rien entre nous, je le déteste, et je déteste le groupe. J'ai même hésité à t'envoyer à ma place, quand Rose est venue me chercher, avoue-t-elle alors que je pouffe discrètement.
— Ça veut dire que Jack Carlson habite à côté de chez nous depuis trois ans, et que j'ai rien vu ?
Cette fois, c'est Ivy qui laisse échapper un rire.
— T'avais juste à regarder par la fenêtre, et t'aurais même pu voir les quatre fantastiques de nombreuses fois, acquiesce-t-elle alors que son visage s'illumine. Je suis désolée de ne rien t'avoir dit, Mia, mais...
— Non, non, ne sois pas désolée ! Je savais que tu cachais un truc ! Par contre, t'as intérêt à me présenter dès que vous êtes de retour, sinon je te tue dans ton sommeil.
Ivy m'offre son majeur en gros plan lorsque je mime une pendaison, puis reprend sa conversation en me balançant un coussin.
— Promis, sœurette. Par contre, je te préviens, ils sont chiants, râleurs, bruyants et ils puent !
Je m'esclaffe face à sa petite gaminerie, elle me fait les gros yeux en secouant la tête.
— T'es avec qui, là ? J'ai entendu du bruit derrière toi.
— Heu... Hum. Non, personne. Pourquoi je serais avec quelqu'un ? Enfin, si, Rose est en train de se... maquiller. Elle te dit bonjour, et elle promet de t'offrir une dédicace la prochaine fois qu'elle te voit.
Elle n'est tellement pas crédible que je lève les yeux au ciel alors que Mia semble réfléchir, avant de contrer :
— Rose n'a pas un rire aussi grave, tu mens. C'est qui ? Pas Ethan, il ne rit jamais. Isaac, c'est moins grave aussi... J'hésite entre Austin et Jack, mais tu détestes le premier et le second est le frère de ta meilleure amie... Remarque, tu joues à être la copine d'Austin, donc ça doit être lui. J'ai raison ? Est-ce que je peux lui parler ? Tu peux lui dire que je l'adore ? Non, attends, ça fait trop groupie. J'suis pas une groupie, moi. Si ?
— Tu m'emmerdes, Mia ! prévient sa sœur alors que je lui offre mon plus beau sourire.
— Allez, Ivy, s'il te plaît !
Je ne lui laisse pas le temps de répondre avant de lui piquer son téléphone et de me lever d'un bond. Elle râle en essayant de l'attraper, je la repousse et lève mon bras pour qu'elle ne puisse pas y accéder.
— Salut, Mia, c'est Austin ! chantonné-je. Tu peux dire à tes parents de venir récupérer ta sœur ? Elle me tape sur le système.
Un très long cri se fait entendre, puis l'appel est coupé. J'éclate de rire en tendant l'appareil à sa propriétaire, hausse les épaules en reprenant mon sérieux et lâche :
— Elle a raccroché.
— T'es un emmerdeur, Collins ! me sermonne-t-elle alors que son regard trahit son amusement.
Dans sa main, une ribambelle de notifications allume l'écran du téléphone. Elle me le brandit sous le nez et mon rire ne fait que redoubler en lisant les cinq messages écrits par Mia, tous contenant une tonne de points d'exclamation et de majuscules.
— Je suis enfin aimé à ma juste valeur, plaisanté-je en retenant ses mains qui s'apprêtaient à me frapper le torse.
Son visage redevient sérieux lorsque je réalise moi-même notre proximité. Mes yeux se posent sur ses lèvres, reviennent se river à ses iris, tandis que je me penche légèrement en avant.
Je m'arrête à cinq centimètres de sa bouche, mêle mon souffle au sien sans détacher mon regard de ses yeux.
— Merde, Ivy... soufflé-je avant qu'elle réduise totalement la distance qui nous séparait.
Elle dépose ses lèvres sur les miennes un bref instant, se recule. Je prends la relève pour l'embrasser plus fort, lâche ses poignets pour passer mes bras autour de sa taille, recule de plusieurs pas pour me retrouver contre le mur. Sans jamais rompre le contact de nos bouches, qui se goûtent et se dévorent alors que je force la barrière de ses lèvres pour lier nos langues. Ses doigts s'agrippent aux courts cheveux au-dessus de ma nuque tandis que j'approfondis encore notre baiser, elle mord ma lèvre lorsque j'appuie sur ses côtes.
Puis elle s'écarte brusquement, frôle ses lèvres du bout des doigts et me tourne le dos. Trois secondes plus tard, la porte de la loge claque derrière elle.
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