Chapitre 7 : La vie est cruelle.
Des yeux bleus, un regard de feu, une blonde incendiaire : voilà le reflet que Judy Manson offrait chaque jour au monde entier.
Elle devait certainement passer des heures à admirer sa silhouette aux courbes de rêve avec satisfaction, éclairant son reflet d'un sourire à plusieurs milliers de watts, tendant ses jambes fines en exposant fièrement ses hauts talons, et pinçant ses lèvres pour exacerber leur volupté. Ses yeux sont pétillants et ses joues si naturellement roses que j'en ai toujours été jalouse.
Au lycée, elle était la reine.
Judy Manson n'a jamais eu besoin de faire grand chose pour paraître indétrônable à mes yeux.
Une peau parfaite, des ongles parfaits, une vie parfaite dans un corps parfait. Je l'enviais au point que j'aurais pu vendre mes deux parents pour avoir sa vie.
Enfin, façon de parler.
Dans les lois de l'univers, quelque chose me semblait injuste. Pourquoi fallait-il que je sois si imparfaite alors que d'autres, même dans leurs meilleurs jours, paraissaient en bien meilleure forme que le jour où je fournis le plus d'efforts ?
J'observe avec gêne la tenue ridiculement simple -robe noire à volants- que je porte. Il n'y a qu'à voir la sienne, toute faite de mousseline blanche et aux détails en dentelle pour comprendre que face à elle, je ne ferais jamais le poids.
C'est un peu comme un combat entre une colombe et ... un pigeon.
Un coup d'œil discret en direction d'Adam me renvoi à la réalité avec une puissance inattendue. Ils ne sont pas du même monde que moi. Nous ne jouons pas dans la même cour et j'ai été stupide de croire qu'il pouvait s'intéresser à moi lorsqu'on sait que Judy Manson l'attend patiemment chaque soir lorsqu'il rentre du travail.
Je ne peux m'empêcher de l'admirer avec douleur : elle est la personnification même de la Jalousie pour moi. Aucun défaut, à part sa légendaire fausse modestie. Mais après tout, qui ne le serait pas lorsque la vie a décidé de tant vous offrir ? Même ses embrouilles m'ont toujours parues parfaites.
Je me souviens d'un jour en particulier, alors que j'étais au lycée ; le premier jour où j'ai compris que la vie était injuste.
"Marcus et moi on s'est disputés parce qu'il ne voulait pas accepter que de nous deux, j'étais celle qui l'aimait le plus", avait-elle dit tout fort dans la cour, heureuse d'avoir un tas de gens suffisamment intéressés par sa vie pour boire chacune de ses paroles. "Au final, on a compris tous les deux qu'on s'aimait tellement que ça ne servait à rien d'essayer de le quantifier."
Je l'ai regardé au loin, la bouche grande ouverte d'ébahissement. Il semble logique de préciser que la fille parfaite possédait un petit ami parfait.
J'ai rencontré Marcus Johnson pour la première fois le jour de ma rentrée au collège. Ce n'est pas à côté de Judy qu'il a été placé, mais bien a côté de moi ; j'en étais plutôt fière.
Marcus et moi avons partagé le même pupitre pendant toute une année, avant qu'il ne change de classe et se retrouve éloigné de moi pour toujours. Mais ça a suffit pour qu'il jette son sort sur la pauvre petite fille que j'étais.
Marcus n'était pas le quaterBack de l'équipe de football. Ce n'était pas non plus le fils d'un riche homme d'affaire, ou le plus grand bad boy de tous les bad boys du lycée -il n'avait d'ailleurs rien à voir avec eux.
Non, Marcus Johnson était le garçon le plus intelligent que j'ai jamais rencontré. Il excédait partout où il passait, si bien que tout le monde ne pouvait que l'admirer. Il gagnait tous les marathons et remportait toutes les médailles aux jeux de l'école. Il jouait de la guitare et du piano, et passait ses journées perdues à faire du surf.
Un jour, pour le spectacle de fin d'année, il avait même écrit une chanson pour Judy Manson.
Une chanson juste pour elle.
J'étais restée devant la scène à l'époque, accompagnée de filles que je pensais être mes amies pour la vie, et je l'ai regardé.
Ce n'est pas à ce moment que j'ai su que j'étais amoureuse de Marcus Johnson.
Non, ça je l'ai appris bien avant.
Mais c'est à cet instant précis que je me suis rendue compte à quel point ma vie était misérable.
Pas de copain pour Lena la rousse, aux lunettes trente fois trop grandes pour son visage -merci maman, merci papa- et aux dents décorées de cet abominable fil de fer qu'on appelle "appareil dentaire".
Bref, je ne vais pas m'éterniser sur ce sujet trop longtemps ; il y aurait trop peu à dire. J'étais laide et je n'intéressais personne, fin de l'histoire.
Heureusement pour moi, aujourd'hui mes cheveux roux ont tournés au brun et j'ai fini par retirer l'immondice fixée sur mes dents.
Je disais donc : je savais à cet instant précis que ma vie était vouée au cataclysme. Un bon boulot ? J'en aurais certainement un. Heureusement pour moi, la seule chose que je pouvais me vanter de posséder était un excellent niveau scolaire. Et voici donc le premier point commun que je partageais avec Marcus Johnson.
Il n'y en avait pas d'autre, et il n'y en a jamais eu par la suite. Ne tentez pas d'espérer une fin heureuse pour cette histoire : elle n'existe pas.
Marcus Johnson avait les plus beaux cheveux du monde, bruns aux reflets dorés dûs à toutes ces heures passées au soleil. Je me souviens avoir rêvé d'y mettre mes mains -rien que pour savoir l'effet que ça fait.
Je me souviens aussi d'avoir élaboré mille et un stratagèmes pour essayer de déterminer son lieu de surf préférer et l'espionner quand bon me semble, mais c'est un autre sujet.
Il possédait également les plus beaux yeux qu'il m'ait été donné de voir -bleus, avec une pointe de vert à l'intérieur. Je le sais parce qu'une fois, alors que nous étions assis à côté en cours, il m'a demandé de lui prêter ma gomme. Lorsqu'il l'a fait, son regard s'est plongé dans le mien avec intensité.
C'était la première fois qu'un garçon me parlait.
Faux.
Ce serait stupide de vous laisser croire ça. Qui, pendant les douze premières années de sa vie, n'a jamais adressé la parole à un garçon ? Mon père est le premier exemple.
Mais c'était bel et bien la première fois qu'un garçon qui me plaisait me parlait. Et ce n'était pas tout : j'étais amoureuse de lui.
C'est à ce moment précis que je m'en suis rendu compte. Vous savez, le coup de foudre au premier regard, le passage de gomme enveloppée d'un fine couche de transpiration , les joues roses et la sensation de ne pas savoir quoi faire avec soi-même... C'est tout ce que j'ai ressenti à ce moment. Il m'a lancé un clin d'œil, et m'a dit "Merci", avant de suivre à nouveau le cours.
C'est tout ce qu'il a fallut à mon esprit de gamine trop émotive pour tomber amoureuse de lui. J'ai fondu sur place, emportant ma dignité avec moi.
Sincèrement, vous y croyez ?
Avec du recul je me dis que :
1) j'étais stupide
2) il n'était pas si beau que ça
3) il m'a juste dit "merci" bon sang !
4) j'étais stupide.
Il n'a d'ailleurs jamais discuté avec moi pour une autre raison que par intérêt. Tous les jours, il oubliait sa gomme. Et tous les jours, il me demandait de lui prêter la mienne. Fin de l'histoire.
Et pourtant -allez savoir pourquoi- je ne me suis jamais sentie comme un objet qu'on utilise quand on le souhaite. Et croyez-moi, j'avais toutes les raisons de le croire : ce mec ne me regardait même pas dans les yeux lorsqu'il me demandait sa fichue gomme. Il ne me parlait jamais, surtout pas devant les autres.
Après coup, je le comprends ; ils se seraient tous moqués de lui si tel avait été le cas.
J'étais Lena Adele Miller, la première de la classe et la dernière des populaires.
La vie était injuste à cette époque -et l'est d'ailleurs toujours autant aujourd'hui. La preuve est bien juste devant moi.
-Lena Adele Miller ! s'exclame-t-elle une fois de plus en s'avançant vers moi pour me prendre en accolade.
Je lui réponds par politesse sans pouvoir cacher mon étonnement.
Jamais au grand jamais Judy Manson n'avait essayé de me toucher. C'est à peine si elle venait me parler -sauf, bien évidemment, si c'était l'occasion de se moquer de moi.
J'ai un mouvement instinctif de recul lorsque la puissance de son eau de toilette s'infiltre dans les narines. Mollo la prochaine fois, s'il te plait !
Mais la senteur fleurie ne peut que me faire complexer un peu plus : je suis sûre que je ne sens pas aussi bon qu'elle.
Lena, tu es pathétique. Comparer ton parfum avec le sien, vraiment ? Pourquoi ne pas vous comparer l'odeur des aisselles tant que tu y es !
Elle m'étreint rapidement avant de poser ses mains sur mes épaules, en me scrutant minutieusement. L'envie de me cacher dans un trou de souris fait soudainement son apparition. Je prie pour que les énormes cernes que j'avais ce matin sur mon visage se soient effacés comme par magie.
Judy n'a pas de cernes, elle. Elle a un visage sans imperfection, des cils si longs qu'ils paraissent infinis, et un rouge à lèvres digne du festival de Cannes.
Elle prend un faux air choqué lorsqu'elle me répond :
-Je n'arrive pas à croire que ce soit bien toi ! J'ai faillis ne pas te reconnaître sans ton appareil dentaire et ces affreuses lunettes, ajoute-t-elle en pointant mon visage comme si ce détail important était à souligner. Tu as bien fait de passer aux lentilles de contact.
Mes joues se mettent à rougir en pensant à l'image qu'Adam va maintenant avoir de moi : une jeune adolescente asociale et sans une once de beauté. Je jette un coup d'œil discret vers lui : il semble mi-étonné, mi-amusé, mais pas le moins du monde rebuté comme j'aurais pu l'imaginer.
Je serre les dents et les poings, me demandant de quelle manière la situation a pu autant dégénérer. Judy Manson, je te le dis haut et fort -dans ma tête- je te déteste.
-Et pourtant... je réponds en tentant d'esquiver ses mains toujours posées sur mes épaules.
Vite, Lena. Fuis avant qu'un drame de plus ne te tombe dessus.
-Eh bien c'était... hum... c'était un plaisir pour moi de te revoir. J'espère qu'on aura l'occasion de se reparler une autre fois... j'ajoute en mentant éhontément, plus pressée que jamais de retrouver mes "amis" que je ne connais pas.
Je fais quelques pas en arrière, priant pour n'entrer en collision avec personne. Je jette un coup d'œil à Adam pour je ne sais quelle raison, et je le regrette automatiquement. Ses prunelles s'illuminent et je ne peux empêcher les papillons de voler dans mon ventre.
Judy m'observe de plus près maintenant, faisant la navette entre Adam et mon regard posé sur lui. Quelque chose dans ses yeux me ramène à l'époque, au moment précis où elle s'était décidée à jeter son dévolu sur une âme innocente.
Pour la dévorer bien-sûr.
C'est une dévoreuse d'âme.
-Je dois ... je commence en pointant l'entrée de la cafétéria.
-Oh oui, quelle idée formidable ! me coupe Judy en joignant ses mains en prière, comme si j'avais eu l'idée du siècle. Nous devrions nous revoir, n'est-ce pas mon cœur ? ajoute-t-elle en empoignant fermement les hanches d'Adam.
Je refoule ma nausée à la mention de ce surnom si écœurant. Mon cœur se serre car malgré tout et même si je m'en doutais, elle n'est définitivement pas sa sœur.
L'inconnu, mon inconnu, sort avec Judy Manson.
Comme la vie est cruelle.
Lorsqu'elle relève le visage, le regard qu'elle me lance est sans équivoque.
"Il est à moi. Ne le touche pas."
La froideur de ses prunelles me fige sur place, mais je ne peux m'empêcher de trouver la situation quelque peu amusante.
S'il est à toi, commence par lui demander d'arrêter de me suivre partout.
Adam me jette un regard paniqué et cette fois-ci, je ne peux m'empêcher de cacher mon sourire. Pour rien au monde je ne souhaiterais revoir Judy Manson, à part bien sûr si ça met mon inconnu dans une situation embarrassante.
Ses yeux semblent m'intimer de refuser avec une ardeur inégalable. Je plisse les yeux et le regard que je lui rends le fige sur place. J'observe avec délectation ses muscles se figer en l'attente de ma réponse.
-Avec plaisir, quelle bonne idée ! je m'exclame en feignant l'euphorie, les bras en l'air.
Okay, les bras en l'air étaient peut-être un peu de trop.
Je rougis derechef, cachant mes mains derrière mon dos. Lena, l'humiliation c'était supposé être fini pour aujourd'hui.
Du coin de l'œil, je vois mon inconnu se figer. Pourtant, un léger sourire se dessine aux coins de ses lèvres et je ne peux m'empêcher de cacher le mien, quitte à attiser la flamme qui semble dévorer Judy Manson à chaque fois qu'elle pose son regard sur moi.
Je l'avais bien dis : il adore jouer. Et je suis sûre qu'il considère mon affront comme ce que je voulais qu'il perçoive : le début des hostilités.
-Tu n'auras qu'à demander à Adam de me transmettre les informations, j'ajoute en lui lançant un faux sourire.
Judy dépose sa main sur la poitrine d'Adam en signe de possession, mais quelque chose dans son regard m'indique qu'elle est clairement perturbée.
Aurais-je dis quelque chose de mal ? Je n'attends pas de le savoir pour m'éclipser.
-A plus tard ! je m'exclame en priant pour ne pas me rétamer devant eux.
Je file en direction de la cafétéria sans attendre de réponse de leur part, trop pressée d'échapper à leurs regards, au jugement de Judy Manson, et à mon attraction pour ce sombre idiot. Et juste avant que je ne n'ouvre la porte du réfectoire, il me semble bien entendre Judy lui demander :
"Adam ? Elle t'a appelé Adam ?"
N'oubliez pas de voter ! :)
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Haha, je ne sais pas comment je vais arriver à me passer de ce running gag XD Mais ne vous inquiétez pas, sa réaction sera au prochain chapitre et ça promet ! ^^
J'accepte toutes les critiques constructives et tous vos avis en commentaire ! :D
Si vous avez des questions, ou juste pour me dire ce que vous avez aimé/pas aimé, ou si vous attendez la suite, c'est dans les commentaires ! ;)
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26/05/2018
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