Chapitre 16 : Comme si ma vie en dépendait


Je m'avance d'un pas discret en direction du bureau de Monsieur Davis, mes pensées toujours accaparées par les révélations de Marcus.

Je ne cesse d'y penser depuis le vernissage. Tout ce qu'il m'a dit m'a semblé si éloigné de la réalité que je m'étais imaginée que j'ai encore du mal à y croire. Et voilà maintenant qu'il veut me revoir, mais cette fois-ci en présence d'Ivanna et de Juliette.

C'est le monde à l'envers !

Je secoue la tête et essaie de focaliser mes pensées sur ce pour quoi je suis ici, devant le bureau de Monsieur Davis. Lorsque j'arrive, la porte est grande ouverte et l'homme concerné a ses yeux rivés vers une pile de documents qui semblent lui donner du fil à retordre.

J'inspire un grand coup et prends mon courage à deux mains. Comme il ne s'aperçoit pas de ma présence, je toque deux coups à sa porte en attendant qu'il relève les yeux.

-Ah ! s'exclame-t-il lorsque son regard croise le mien. Mademoiselle Miller !

Il me lance le plus enjoué des sourires et se lève en tirant un peu sur son veston pour en lisser les plis. Il tend une main en direction d'un des sièges faisant face à son bureau, m'invitant à m'asseoir. 

Ce siège, c'est le même sur lequel j'étais assise deux semaines auparavant, lorsqu'il nous avait dévoilé –à Adam et moi– que nous serions concurrents dans la course au poste de directeur.

-Bonjour, Monsieur Davis, je réponds en prenant place en face de lui. Excusez-moi de vous déranger...

-Non, non ! s'écrie-t-il sans se départir de son sourire. Vous ne me dérangez jamais. Que me vaut l'honneur de votre visite ?

Je me tortille sur mon siège, gênée. Je ne sais pas vraiment comment aborder le sujet, mais je sais que je me dois de m'assurer qu'il soit prévenu.
Je me mordille les lèvres en tentant de trouver une manière professionnelle de lui expliquer la situation.

Son regard reste fixé sur moi, en l'attente d'une réponse de ma part.

-Certaines ... rumeurs me concernant ont circulé pendant ces derniers jours, et je voulais m'assurer que vous sachiez qu'elles ne sont que de rumeurs.

Je garde la bouche fermée, retenant ma respiration pendant ce qui me semble être des heures entières. 

Il pince ses lèvres et repose son dos sur son siège en hochant la tête de manière répétée. Pendant un court instant, ses épaules se détendent et le soulagement traverse brièvement les traits de son visage.

-Ah ! s'exclame-t-il finalement en se redressant. Bien, bien... Je m'étonnais de savoir que vous ne m'aviez pas fait part d'une si heureuse nouvelle.

Il passe une main sur son visage et son crâne chauve, comme soulagé.

J'avale ma salive bruyamment.
Bon sang, si une souris avait creusé un trou dans le coin, je me serais précipitée pour m'y cacher.

-Alors... vous saviez ?

Il me lance un sourire peiné et remet la cravate de son costume trois pièces en place.

-Malheureusement oui, ce sont les lois du travail en entreprise.

Du pouce et de l'index, il réajuste ses lunettes. Mon pouls s'accélère alors qu'une bouffée de panique m'envahit.

-Mais ne vous en faites pas, ajoute-t-il en levant ses deux mains pour m'exhorter au calme. Un nouvel arrivant, et vous serez éclipsée en moins de deux secondes !

Le clin d'œil qu'il me lance finit par me dérider. 

Après tout, je ne vois pas pourquoi je fais tout un drame de cette histoire. Je sais qu'elle est fausse, Sonia le sait également, et savoir que mon patron n'y croit pas non plus est un véritable soulagement.

A part ces personnes, je ne vois pas de qui je devrais m'inquiéter

-Je suis soulagée ! je m'exclame en reposant mon dos contre le dossier de la chaise.

Ça, c'est un problème en moins.

Je lui lance un sourire et, me rappelant qu'il doit certainement encore avoir une montagne de travail à faire, me relève d'un bond. La dernière chose que j'aimerais, c'est bien de passer pour la potiche qui ennuie tout le monde.

Mais il arrête mon geste d'un signe de la main et m'invite à me rasseoir.

Ses yeux brillent d'une lueur étrange qui semble provoquer en lui une joie proche de l'hystérie.
Bon sang, à quelle sauce vais-je être mangée cette fois-ci ?

-Justement, je suis heureux que vous soyez venue, continue-t-il en mettant de côté tous ses dossiers pour poser ses deux mains sur la table. Il fallait que je vous parle de ...

Deux coups frappés à la porte l'interrompent.

- Entrez !

Il relève la tête instinctivement. Je me retourne pour découvrir l'identité de la personne qui fait son entrée dans le bureau.

-Ah ! s'exclame Monsieur Davis en frappant dans ses mains. Monsieur Marciello !

-Monsieur Davis, le salut-t-il en retour.

Sa démarche est féline alors qu'il s'avance vers nous pour serrer la main de notre patron.  Il tourne le visage  dans ma direction et m'adresse un bref hochement de la tête en signe de salutation. 

Aujourd'hui, il porte une veste de costume bleue marine et une chemise blanche. Il ne porte pas de cravate mais à son poignet est accroché une montre en or blanc et au cadran en bois. Sa tenue est pleine d'élégance et de ce je-ne-sais-quoi qui caractérise Adam Marciello. 

Néamoins, les cernes de son visage le trahissent. Je ne sais pas pourquoi, mais il semble être particulièrement préoccupé cet an-ci. 

Ses yeux -que je pensais occupés à autre chose- surprennent mon analyse peu discrète. Je rougis, honteuse d'avoir été prise sur le fait, et de surplus devant notre patron.

Je me racle la gorge et tire sur les pans de ma jupe pour me donner une contenance.
Ses lèvres s'étirent en un sourire qu'il tente tant bien que mal de cacher.

Monsieur Davis semble aux anges.

Je ne sais pas s'il possède des enfants, mais je suis persuadée qu'il aurait adoré qu'Adam soit son fils. Il est évident qu'il l'idéalise –si tant est qu'il en ait besoin– et je ne peux m'empêcher d'éprouver une pointe de jalousie.

Pourquoi cet homme qui me fait face ne peut s'empêcher d'être encore et toujours meilleur que moi ? Et ce, sur tous les terrains.

D'ailleurs, je n'ai toujours pas avalé son coup de l'autre fois, même s'il est évident qu'il avait tous les droits de jouer selon ses règles pour gagner.
Au moins maintenant, je suis avertie.

Le regard d'Adam change imperceptiblement, comme s'il avait perçu mon bref changement d'humeur. Ses traits se plissent peu à peu alors qu'il perd deux secondes à analyser trop attentivement mon expression.

Heureusement, son examen est interrompu par notre patron.

-Asseyez-vous, propose-t-il à Adam en tendant la main en direction du siège juste à côté du mien. Cela tombe bien que vous soyez tous les deux ici, j'étais sur le point de vous envoyer un mail pour vous tenir informé de l'évolution de la situation.

Adam prend place sur le siège à ma droite, ses gestes souples et sa carrure imposante agissant comme une onde de choc sur moi. Je tente de me concentrer et de regarder devant moi alors que mes paumes deviennent moites.

Mes muscles se tendent, en l'attente de la sentence inéluctable. Je ne m'attendais pas à ce que ça aille si vite, mais après tout c'est pour le meilleur. Si je dois être évincée, je préfère encore que ce soit fait rapidement. Que je ne perde pas de temps à m'attacher à un job de rêve que je n'aurais finalement pas.

Le coup de maître d'Adam était certes totalement hors règles, mais c'est également ce qui lui a permis de signer le contrat à ma place. Et je sais que les lois du travail sont compliquées de nos jours.
Je ne peux cependant m'empêcher d'être triste à l'idée de quitter cet environnement. Même si je ne suis pas là depuis longtemps, je me suis habituée à venir ici tous les jours.

A avoir un bureau, une routine, des collègues... Un collègue.
Suis-je idiote de penser que l'homme même qui m'a fait virer sera celui qui me manquera certainement le plus ?

Je patiente, le cœur à mille à l'heure, dans l'attente de l'inévitable sentence.

Le regard de Monsieur Davis fait des allers-retours entre Adam et moi. Lorsqu'il se décide finalement à parler, il utilise un ton calme et enjoué qui me surprend un peu.

-Madame Jones a jugé que votre première mission n'était pas suffisante pour déterminer lequel d'entre vous est le meilleur sur le terrain, lâche-t-il sans se départir de son sourire.

Ses yeux se plissent et il tourne le regard dans ma direction.
Ça y est, mon heure est venue...

-Elle a donc décidé de vous demander de remplir une seconde mission.

Je frôle l'arrêt cardiaque. Mes yeux s'ouvrent grands sous l'effet du choc.
Une... deuxième mission ? Je ne comprends pas. La première aurait dû suffire à leur prouver que je n'étais pas de taille à faire face à Adam Marciello –et me l'avouer m'arrache une mimique de dégoût.
Il a gagné. A la déloyale, mais il a gagné.

L'expression d'Adam se fige, mais il ne dit pas un mot. En réalité, ses épaules s'abaissent comme s'il se détendait face à cette nouvelle.

C'est le monde à l'envers et je ne comprends plus rien à cette situation. Adam n'est-il pas supposé s'indigner en demandant à ce qu'il soit choisi sur-le-champ ? Face au ridicule de la situation, je ne peux m'empêcher d'intervenir.

-Excusez-moi, je commence d'une petite voix en pointant mon doigt en direction d'Adam, mais Monsieur Marciello a ...

-Très bien réussit sa mission, me coupe Monsieur Davis en lui lançant un regard désolé. Même si vous avez attrapé le plus gros investisseur, Edward Aldwin !

Je ... Quoi ?
Je lance un regard en biais à Adam qui ne bouge pas d'un iota. Il ne bronche pas, ni pour se plaindre, ni pour partir dans un accès de colère qui serait bien justifié.

Au lieu de ça, il détourne la tête pour que je ne perçoive pas le sourire discret qui étire ses lèvres.

Plus perdue que jamais, je retourne mon attention vers Monsieur Davis. Il semble aux anges et me lance un sourire encourageant.

-Je suis très fier de vous, Mademoiselle Miller.

Tout dans son attitude montre clairement qu'il est très heureux de ma « réussite ».

J'avale bruyamment ma salive.
Aurais-je par inadvertance inhalé des fumées toxiques émanant des cigarettes des passants dans la rue ? Je ne comprends rien à toute cette situation.

Bon sang, est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer ce qu'il se passe ?!

-Mais ...

-Cela nous mène donc à votre deuxième mission, me coupe Monsieur Davis en coupant court à mes questionnements.

Il tire son tiroir et en récupère une liasse de feuilles manuscrites. Il me semble vaguement reconnaître son écriture. Elle ressemble de près à un recueil de notes, ou plutôt à une liste.

-En réalité, c'est moi qui ai demandé à Madame Jones que vous m'aidiez avec un petit ... souci que je rencontre.

Je plisse les yeux et fronce mes sourcils, concentrée.
Il y a deux secondes j'étais sur le point de me faire virer, et voilà que maintenant je suis bonne pour un deuxième chapitre dans l'histoire de la lutte acharnée contre Adam Marciello.

Ce dernier se penche vers l'avant, le regard focalisé sur le petit homme chauve se tenant devant nous. L'espace d'un instant, je ne peux m'empêcher de le trouver très attirant dans la posture de l'homme érudit et compétiteur.

-Ma fille, Julia Davis, vient d'obtenir son diplôme d'architecte en sortant major de sa promotion, commence-t-il, les yeux pétillants de fierté. Pour la féliciter, j'aurais aimé lui organiser un dîner en grande pompe dans un lieu splendide situé à un vingtaine de kilomètres. C'est une résidence dans laquelle nous aimions passer nos vacances lorsqu'elle était enfant et je suis sûr que ça lui fera plaisir de retrouver cet endroit l'instant d'une soirée.

Je l'écoute en tentant de cacher mon étonnement. Je ne savais pas qu'il avait une fille. L'espace d'un instant, je me perds à l'imaginer en tant que papa, et je ne peux m'empêcher d'envier cette Julia.

Mes parents n'ont jamais été très présents dans ma vie ; pour eux, le travail est plus important que tout. Ils étaient certes là lorsque j'avais besoin de leur soutien ou de leur avis sur certaines questions importantes, mais la plupart du temps, je devais me débrouiller toute seule.

Après tout, ça m'a aidé à forger mon caractère et devenir quelqu'un de rigoureux et de sérieux dans mon métier. Mais j'avoue que l'idée d'avoir un père comme Monsieur Davis ne peut que me plaire ; pour moi, il a tout d'un modèle.

-Vous verrez, ajoute-t-il en feuilletant les documents qu'il a récupérés de son tiroir, ce lieu est magique. Il possède son propre lac et les cygnes y ont prit leurs habitudes. Il y a aussi un immense jardin de plusieurs hectares, une forêt où on peut régulièrement croiser des chevreuils, des fontaines et même un parc pour les enfants.

Waouh. Dans le style « maison de la haute société », je pense qu'on ne peut pas faire mieux.
Des cygnes, des chevreuils... Un peu comme une sorte de forêt de Blanche-Neige à domicile.

Personnellement, j'aurais peur de m'y promener la nuit.

-Bref, vous devez certainement vous demander pourquoi je vous parle de tout ça ? demande-t-il en visant juste sur mes questionnements.

A ma droite, Adam hoche la tête en signe d'accord. Il semble tout aussi perdu que moi.

-La personne que j'emploie habituellement pour ce genre de démarches est partie en congés, et je me retrouve avec une fête sur les bras à organiser en moins de 48h. J'ai donc pensé que ce serait une excellente manière de vous évaluer !

Je hoche la tête en signe d'accord, mais mon corps se liquéfie.
Bon sang, j'aurais encore préféré partir à la chasse à l'investisseur une fois de plus car cette fois-ci, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes.

Si je me trompe, je décevrais non pas uniquement Madame Jones –si ce n'est déjà fait– mais aussi et surtout Monsieur Davis. C'est de sa fille qu'il s'agit, et je ne peux me permettre de faire un seul faux pas.

Dès lors que je suis décidée, mon esprit se met en mode guerrier : je vais réussir cette fois-ci. Et non pas pour battre Adam Marciello, mais uniquement pour que Julia Davis assiste au plus bel évènement que la Terre ait jamais connu. Tous les journaux en parleront !

Calme-toi, Lena. Ne t'emballes pas trop, tu sais comment ça se termine lorsque tu précipites les choses. Ne sous-estime pas ton adversaire.

D'ailleurs, celui-ci ne semble pas très à l'aise à cette idée.

-Vous voulez qu'on organise cette fête ? demande Adam en haussant un sourcil, perplexe. Pour votre fille ?

-Exactement, acquiesce notre patron en hochant vigoureusement la tête. Un directeur doit savoir diriger une équipe et organiser un évènement, de quelque sorte qu'il soit. Alors à moins que cette tâche vous semble trop difficile à ...

-Non ! s'exclame-t-il rapidement en lui lançant le plus beau de ses sourires. Bien sûr que non, Monsieur.

Des étoiles brillent dans mes yeux. Je vais pouvoir montrer ce que je vaux vraiment. Ma créativité, mon sens naturel de la gestion, ma rigueur, l'amour du travail bien fait... Je me surprends à être pressée de commence. 48h c'est très peu de temps, et je n'en ai que trop bien conscience.

Notre patron dépose juste en face de nous les papiers qu'il tenait dans ses mains. Je les examine rapidement et ne vient à la conclusion que je ne m'étais pas trompée ; c'est bien une liste.

Une liste de toutes les tâches à effectuer.
Mon rythme cardiaque s'accélère et mon regard croise brièvement celui d'Adam qui ne montre rien d'autre qu'une assurance sans failles. Il remet en place la veste de son costume et crois nonchalamment ses bras ses sa poitrine, comme détendu.

Bien évidemment, Adam Marcillo est un excellent joueur ; il sait comment cacher son jeu.

-Bien, dit Monsieur Davis en lâchant un soupir satisfait. Vous aurez chacun une équipe de trois personnes à votre charge. Vous devrez leur donner des tâches à exécuter et répartir le travail de la manière la plus efficace possible. Pour toutes les décisions importantes, ils devront se référer à vous. Marc, ajoute-t-il en tournant la tête dans sa direction, vous serez en charge de dresser la liste des invités et de vous assurer qu'un maximum de personnes possibles participent à l'évènement. Toutes les plus proches connaissances de ma fille doivent être invités, mais également toutes les personnes qui ne manqueraient pas de faire de notre entreprise une image de marque. Il faudra aussi que vous vous chargiez d'embaucher un DJ et planifiez la liste des musiques.

Je retiens un fou rire mal venu. Je ne suis pas persuadée que désigner Monsieur Marciello en charge de la musique soit une très bonne idée. Après tout, je ne l'imagine pas se trémousser au rythme de chansons modernes. Non, je le vois plutôt assit au bar à discuter avec ses amis riches, trop « classes » pour se mêler au bain de la foule déchainée.

Pour autant, lui attribuer la gestion de la liste des invités est une bonne idée ; s'il y a bien une personne qui connait tout le monde, c'est bien lui.

Monsieur Davis reprend en s'adressant à moi, coupant court à mes pensées.

-Lena, vous vous chargerez de la décoration complète des extérieurs, et des apéritifs, dit-il en me tendant une feuille sortie de sous une pile de dossiers. Il vous faudra choisir les meilleurs vins, champagnes, et cocktails à disposition, le tout dans une ambiance champêtre dans des tons clairs et modernes.

Adam se mord les lèvres et je me demande si lui aussi se retient de se moquer de moi dans le rôle d'une experte en vignobles et vins de luxe.

Tu va voir, Monsieur Marciello. Rira bien qui rira le dernier.

Je récupère la feuille que notre patron me tend et la parcourt rapidement du regard.
C'est une liste des différentes allergies et régimes alimentaires qu'il me faudra prendre en compte pour élaborer les apéritifs. Bien évidemment, il n'y a que des riches pour manger sans gluten et être allergiques au caviar.

Y figure aussi le nom de quatre cuisiniers de renoms avec qui l'entreprise à l'habitude de travailler.

-Je voudrais également que vous choisissiez le repas –entrée, plat, dessert– ainsi que le déroulement de la soirée ensemble.

Je me retourne vers Adam qui arbore un immense sourire. Ne me dites pas que je vais devoir travailler en équipe avec lui.

-Discours ? continue Monsieur Davis sans remarquer le mélange de colère et de panique qui bouleverse mon esprit. Arrivée surprise ? A vous de choisir, je laisse libre cours à votre imagination !

Il est coupé par la sonnerie de son téléphone. Il tend son index en l'air pour nous faire signe de patienter un instant.

-Allô ?

S'ensuit un long silence entrecoupé de hochements de tête de la part de Monsieur Davis.

Je serre les dents et mes mains deviennent moites. C'est ce qui arrive généralement lorsque je panique. Respire, Lena. Respire.

Concentrée dans mes exercices de relaxation, je ne remarque pas le regard d'Adam qui ne rate pas une miette de mon spectacle. Je ne sais pas depuis combien de temps il m'observe, mais ses prunelles sont intenses. Il semble vouloir lire en moi comme dans un livre.

La plupart des gens se trompent sur mon compte. On m'a décrite comme calme, superficielle, trop sérieuse, apathique... Si seulement les gens savaient.

S'ils savaient que mon apparence n'est qu'une carapace qui s'est construite au fil des années, sans même me demander la permission. S'ils savaient que j'ai tendance à être tout le temps en ébullition, extrêmement peu portée sur mon apparence, plus heureuse de faire une blague plutôt qu'être concentrée sur un travail, bien plus sensible que la plupart des gens...

C'est moi.
C'est la personne que je suis à l'intérieur. Celle qui personne n'a jamais vu, pas même mon ex-copain.

Celle qui aimerait sortir pour se libérer et enfin vivre la vie qu'elle mérite.

-J'arrive de suite, conclut Monsieur Davis en raccrochant.

Il se lève spontanément, et nous l'imitons. Il nous tend une main à chacun, puis nous invite à l'accompagner jusqu'aux ascenseurs. Nous marchons en silence le long du couloir, à une distance raisonnable les uns des autres.

-Bon courage pour la suite, annonce Monsieur Davis lorsque le « ding » annonçant l'ouverture des portes retentit. Je vous reverrais dans deux jours.

Il pénètre dans l'habitacle, nous laissant tous les deux dans le couloir. Et juste avant que les portes ne se referment, il ajoute :

-Si jamais vous avez des questions, Madame Jones sera là pour y répondre !

Et les portes se referment.
Je ne peux m'empêcher de pouffer. Plutôt m'enlever les poils du nez un à un plutôt que de lui demander de l'aide.

Un coup d'œil à ma droite m'informe qu'Adam m'observe une fois de plus avec intensité. Mon sourire se fane ; la profondeur de son regard me gêne profondément. Non pas que je ne l'apprécie pas, mais il n'empêche. Cet homme ressemble de près à mon idéal masculin –physiquement parlant– et malgré toute ma volonté, il m'impressionne.

Le silence est pesant, et le couloir désert. Je me retourne vers lui à trois-quarts, n'osant pas lui faire complètement face. Je n'ai qu'une envie : prendre la fuite. M'échapper de son regard sondeur et de son attractivité indéniable.

Mais je ne peux pas. Quelque chose me pousse à rester. Une question restée en suspend qui me triture l'esprit.

Lorsque j'ose enfin rencontrer son regard, une décharge électrique parcourt mon échine. Mes yeux restent fixés aux siens, comme collés à la glue. Mon cœur bat à tout rompre et une sensation de chaleur parcourt mon ventre.

Je tente de cligner des yeux, bouger mes doigts, remuer mes orteils... Mais rien. Aucun mouvement de ma part, ni de la sienne. Le temps s'arrête et la distance entre nous deux se rétrécit. Pour autant, personne n'a bougé d'un millimètre.

Ses yeux sont deux issues de secours sans issue. Un labyrinthe, un dédale dans lequel on se perd sans jamais pouvoir retrouver son chemin. D'un brun qui me rappelle la couleur des forêts d'automne, tirant vers l'orangé et l'ocre. Ils sont beaux, séducteurs même sans le vouloir, doux et tendres tout en étant sauvages et définitivement ancrés en moi.

Ses lèvres sont légèrement entrouvertes et ses yeux fixent les miennes avec une expression reflétant l'indécision. Sa poitrine s'élève au rythme de ses respirations, m'obligeant à observer sa musculature bien trop impressionnante. Ses épaules sont carrés, ses bras forts et puissants, et son regard est séducteur au possible. Il passe sa langue sur ses lèvres, et mon pouls s'accélère.

Une bouffée de chaleur m'envahit et me tétanise face à cet individu qui semble être différent à chacune de nos rencontres. C'est pourquoi je ne peux m'empêcher de lui poser cette question :

-Pourquoi ne rien avoir dit ?

J'ai beau me triturer l'esprit, je ne trouve aucune raison valable pour lui de ne pas réagir face aux remarques de Monsieur Davis. Il aurait dû se rebeller parce qu'après tout, c'est lui qui a signé les papiers avec Edward Aldwin. Officiellement, c'est lui qui a remporté l'accord de cet investisseur.

Les yeux d'Adam remontent jusqu'à mes yeux, oubliant pour une seconde mes lèvres tétanisées par la peur.
Il cligne deux fois des yeux, mais je vois dans son regard que je n'ai nul besoin de lui expliquer ce que je veux dire par là.

Il sait très bien de quoi je parle.

Il avance d'un pas vers moi, réduisant la distance –déjà trop courte– entre nous deux.
Le couloir est vide et silencieux. Presque assourdissant. Je n'entends rien d'autre que les battements de mon cœur qui pompe bien trop vite, bien trop fort.

Cette fois-ci, sa mélodie est différente des autres fois : mon cœur semble vouloir que je me rapproche d'Adam. Que je dépose mes lèvres sur les siennes. Que mes doigts effleurent sa peau et le contour de son visage. Un instant, je me demande si c'est également le cas pour lui. S'il désire la même chose que moi.

Lorsqu'il ouvre enfin la bouche, son haleine mentholée manque de me faire défaillir. Comme une addiction, une substance illicite qu'on ne pourrait pas contrôler.

-Je suis allé voir Madame Jones juste après la course hippique, commence-t-il en plongeant ses yeux dans les miens. Je lui ai dit que vous aviez réussit à faire signer Edward Aldwin, mais que vous ne vous sentiez pas bien, et que j'avais proposé de m'occuper du remplissage des documents.

-Pourquoi ? je murmure, plus sure que mes jambes soient capables de tenir plus longtemps debout.

Il soupire. Un de ces soupirs longs et remplis de mots non exprimés, de pensées refoulées, et de sentiments cachés.

-Je ne sais pas.

Son index se relève, semblant flotter dans les airs. Un moment, il reste suspendu juste là, devant ma joue, sans oser la toucher. Puis, sa peau entre en contact avec la mienne et c'est léger, agréable, et doux. Instinctivement, mes hanches se rapprochent des siennes.

Bon sang, Lena ! Reprends-toi.

Sans que je puisse l'arrêter, son bras libre s'enroule autour de ma hanche avec une infinie aisance. Comme si ses bras avaient été sculptés pour mon corps.

Il caresse ma joue du dos de son doigt, avant d'attraper une mèche de mes cheveux et de la remettre en place.

-Il semblerait que vous ayez sur moi un effet positif... Ça ne m'était pas arrivé depuis très longtemps.

Ses sourcils se froncent, perplexe. Au-delà de l'étrangeté de la situation –lui, moi, nous deux, nichés l'un contre l'autre en plein milieu d'un couloir– son esprit semble en ébullition. Il paraît peser le pour et le contre, comme si son ange et son démon se battaient en louant une lutte acharnée.

Il finit par relâcher ma hanche et s'éloigner d'un pas. Sa peau n'est plus en contact avec la mienne, et j'en ressens immédiatement le manque. Suis-je accro à Adam Marciello ?

Il baisse la tête, l'esprit si éloigné, si perdu dans ses pensées que je n'ose dire quoi que ce soit. Je n'ose même pas bouger.

Je ne sais pas ce qu'il vient de se passer. Je ne sais pas pourquoi j'ai agis comme cela, pourquoi il a agit comme cela, et pourquoi nous sommes tous les deux stoïques, en plein milieu d'un couloir désert.

Une bouffée de panique m'envahit. Je dois m'enfuir. Je dois partir.

Je tourne les talons et emprunte la porte la plus proche menant aux escaliers. Je cours presque, laissant Adam Marciello seul dans ses réflexions.

Je dévale les escaliers comme si ma vie en dépendait.

Parce qu'après tout, je pense que ma vie en dépend.


N'oubliez pas de voter si ce chapitre vous a plu ! :)

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Chapitre plus long que d'habitude, mais je pense qu'il le seront à partir de maintenant si ça vous va (dites-moi en commentaire) ! J'en ai vraiment besoin pour décrire les caractères de Lena et Adam :)

Le chapitre suivant est posté en même temps que celui-ci, alors bonne lecture ^^

J'accepte toutes les critiques constructives et tous vos avis en commentaire ! :D

Si vous avez des questions, ou juste pour me dire ce que vous avez aimé/pas aimé, ou si vous attendez la suite, c'est dans les commentaires ! ;)

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21/06/2018

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