Chapitre 1

- Tiens, il neige.

- Embrasse-moi... embrasse-moi encore... murmura Kit Snicket.

La jeune femme qui marchait à ses côtés obéit, un sourire en coin. Elle avait toujours un peu pensé à elle, à ce moment, mais sans vraiment y croire, sans penser qu'elle-même le désirait réellement. Pourtant, maintenant que c'était bien en train d'arriver, elle ne pouvait nier que c'était formidable.

- On nous suit.

Effectivement - mais ça va de soi - elles étaient suivies depuis le cinéma. L'homme qui trottinait derrière elles depuis maintenant une bonne vingtaine de minutes ne les inquiétait pourtant que très peu : elles savaient y faire, elles étaient deux et... elles étaient armées.

Elles pouvaient sentir le mépris de leur détective assigné à travers le mur derrière lequel il était (très bien) caché et c'est pourquoi Jacquelyn Scieszka ressentait une certaine adrénaline en prenant la main de Kit Snicket. L'adrénaline. C'est comme ça que se vit l'amour, des deux côtés du schisme. L'endorphine ne vient qu'après : c'est bien la peur, le stress, l'angoisse qui créent et renforcent les liens.

- Voilà... c'est chez-moi.

- Ça fait tellement longtemps. Je ne suis pas venue ici depuis l'enterrement de vie de jeune fille de Béatrice...

Kit rit.

- Je m'en souviens, c'est vrai. Tu sais, je ne suis pas venue depuis longtemps non plus.

- Où est ta fille ?

- Chez Lemony.

- Lemony ?

- Pars du principe qu'il ne meurt jamais. Ce sera souvent plus proche de la vérité que l'inverse. Pas comme pour...

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux mais se retint en ouvrant sa serrure. Son appartement était petit, étroit, jonché d'objets et de livres, avec seulement une gazinière, un lit et un bureau.

- Tu te souviens de quand je suis arrivée à Prufrock ? demanda ma sœur.

- Oui. J'étais toujours fourrée avec mes frères et Bertrand alors... je ne t'ai pas beaucoup prêté attention au début. Mais... je m'en souviens. Bien sûr.

- Moi je m'en souviens. De toi, je veux dire. Dès que je t'ai vue... dès que je t'ai vue j'ai senti qu'il y avait quelque chose d'étrange.

(C'est vrai. J'étais là, je peux en témoigner : dès que Kit Snicket avait levé les yeux pour la première fois vers ma sœur, quelque chose avait définitivement changé chez-elle. Je n'avais pas mis longtemps à savoir quoi, mais je ne lui en ai jamais vraiment parlé - c'était trop évident pour en faire un sujet.)

- Au début je me suis dit que je t'admirais, puisqu'il y avait de quoi. Et puis j'ai compris.

Kit rougit.

- Je ne savais pas.

- C'était le but...

- Mais par contre, je me souviens de la fois où... où je t'ai remarquée pour la première fois. On sortait de la piscine, et j'étais à côté de Béatrice. Tu nous faisais dos. Elle ne parlait que d'un garçon, impossible de dire si c'était Lemony ou Bertrand, peut-être les deux, sûrement Bertrand, à cette époque. J'ai levé les yeux et je t'ai vue, relever tes cheveux sur ta nuque, te sécher vigoureusement, baisser les bretelles de ton maillot... je n'ai pas pu détacher mon regard de toi. Béatrice m'avait regardée en souriant je crois, comme si elle savait.

- Et que s'est-il passé ?

- J'ai eu peur et j'ai foncé droit dans les bras d'Olaf.

Elle sourit, mi amusée, mi gênée.

- Je l'ai aimé. Vraiment. Mais si tout ça n'était pas arrivé... tout le monde m'a demandé pourquoi je me sentais en sécurité avec lui, puisqu'il était déjà si marginal, et j'ai toujours répondu que je n'avais pas besoin d'être en sécurité. La vérité, c'est qu'il représentait un danger beaucoup, beaucoup moins grand que ce qui aurait pu se passer s'il n'avait pas été là.

- Tu as peur ? murmura l'ancienne secrétaire de M.Poe d'une voix douce.

Kit sourit de nouveau et s'avança vers la jeune femme.

- J'ai l'habitude. D'avoir peur.

- N'aie pas peur, murmura l'autre en se rapprochant à son tour.

Sa respiration se fit de plus en plus rapide, de plus en plus forte aussi. Kit Snicket ne mentait pas : elle avait l'habitude d'avoir peur. Il y avait des milliers de raisons qui légitimaient cette peur, à cet instant : elle avait accouché il y avait à peine trois mois, sa fille était chez son frère qui faisait semblant d'être mort mais qui ne l'était pas (en tous cas physiquement), son autre frère était mort, le père de l'enfant était mort, son ex-compagnon était mort, elle n'avait aucune trace des Baudelaire et encore moins des Beauxdraps, et aucune, aucune foutue idée d'où se trouvait le sucrier. Son corps était brisé. Elle était brisée. Fatiguée. Épuisée.

- N'aie pas peur.

Kit Snicket avait peur, et elle avait raison. Mais elle n'avait pas peur de la femme qui la serrait entre ses bras, elle n'avait pas peur de son étreinte, de sa voix, de ses mots, de ses mains, de ses lèvres, de son parfum, de ses caresses, de sa douceur, de sa tendresse.

- Je n'ai pas peur de toi, souffla-t-elle avant de l'embrasser.

Jacquelyn passa sa main dans ses cheveux bruns.

- Tu n'as pas peur de ça ?

- Non...

- Et... est-ce que tu aimes bien ?

- Oui...

Kit se détacha doucement des bras de Jacquelyn, et pouffa en croisant son regard. Elle retira son écharpe rouge et la laissa tomber sur le sol. Elle soutint le regard de la jeune femme, enleva sa veste doucement, puis...

- Laisse-moi faire...

Jacquelyn l'embrassa à nouveau, frôla le débardeur gris de sa camarade et après une seconde d'hésitation le releva et le laissa tomber sur la pile qui s'était formée sur le tapis. Elle la laissa ôter son chemisier à elle, dénouer son foulard, l'embrasser dans le cou.

- Tu es sûre, Snicket ?

Les mots ne furent pas utiles. Elles s'avancèrent en tâtonnant vers le matelas, se cognant presque contre les murs, sur le point de faire ce dont elles avaient rêvé il y a longtemps - ou depuis longtemps, quand...

- Kit ! Kit Snicket, ouvre-moi !

La porte fut tambourinée.

- Qu'est-ce que...?

- C'est Lemony.

- Kit ! Je suis derrière la porte !



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