Affalée sur le canapé avec son ordinateur portable sur les genoux, Natalia sentait qu'elle s'approchait de plus en plus de la source déviante ayant utilisé ses identifiants.

Malgré seulement deux heures de sommeil, l'insomnie engendrée par sa dernière prise de thirium l'avait laissée sans aucune sensation de fatigue. Comme si cette sensation disparaissait aussi rapidement qu'elle était venue et que son état s'était ajusté seul pour lui permettre de rester éveillée sans encombre.

Soudain, à travers ses écouteurs, elle entendit des grognements bien plus grincheux que ceux du Saint-Bernard allongé devant la télévision. Son oncle Hank, vêtu seulement d'un t-shirt et d'un caleçon, déambulait en jurant dans la cuisine.

Lorsque leurs regards se croisèrent, Natalia se reconcentra rapidement sur son écran, espérant qu'il avait oublié leurs tensions de la veille. Mais ce fut peine perdue lorsqu'il l'appela depuis la cuisine.

Natalia poussa un long soupir et se leva, traînant des pieds jusqu'à la cuisine comme une adolescente redoutant une réprimande imminente.

Elle se servit une tasse de café que Hank venait de préparer, en but une gorgée sans attendre avant de s'étonner qu'il soit déjà tiède et de noter mentalement qu'elle devrait offrir une nouvelle machine à son oncle quand elle en aurait les moyens.

Elle s'installa face à lui, détournant les yeux vers l'emplacement où une vitre brisée avait été remplacée par un morceau de carton, œuvre de Connor la veille.

— J'ai appelé pour ça, commença-t-elle, pointant du doigt la fenêtre provisoire. Un androïde viendra la changer. Tu me feras un virement.

— Et moi, j'ai eu ton père au téléphone hier soir, lâcha-t-il, coupant court à toute diversion.

Elle déglutit, un frisson la parcourant en réalisant que son oncle n'appelait jamais son ex-beau-frère. Ils avaient à peine reconnu l'existence l'un de l'autre depuis le divorce.

— Qu'est-ce que mon cher papa avait à dire ? Il s'inquiétait pour sa chômeuse de fille ?

— C'est moi qui l'ai appelé. Pour savoir pourquoi tu avais une putain de pompe à thirium dans le corps.

— Tu as deviné vite.

— Je suis flic, Nat.

— C'est Connor qui te l'a dit ?

Hank fronça les sourcils et bu une longue gorgée, visiblement gêné qu'elle ait vu juste.

— Je lui ai demandé pourquoi un humain aurait besoin de sang bleu et il m'a dit « vous parlez de votre nièce ? ». Ça m'a fait mal qu'un androïde soit au courant avant moi.

— Il m'a analysé pendant l'interrogatoire, c'est normal, répondit-elle, essayant de minimiser.

— Ce qui me tue, c'est que t'ai cru pouvoir me le cacher dans le bac à légumes du frigo. T'es censé être la personne de la famille avec le plus gros QI !

Natalia leva les yeux au ciel, croisant les bras sur sa poitrine en s'enfonçant dans sa chaise. Hank poussa un long soupir, puis se massa les tempes avant de continuer.

— Ton père m'a parlé de l'accident d'il y a un an. On a tous cru que tu n'avais eu que des blessures superficielles, mais ce connard nous a menti. Transplantation d'un cœur d'androïde... Putain... Ce type est un dégénéré.

— Je ne te le fais pas dire.

— Combien te coûtent tout ça ? Tout le thirium, l'entretien... ?

— Il paye tout pour moi parce que je suis une expérience. Il analyse mon état de santé régulièrement et j'ai subi un contrôle avant de débarquer ici. Si j'arrive à tenir jusqu'à la fin de l'année comme ça, il développera la section biocybernétique de CyberLife.

— Alors, quand ta mère m'a appelé pour me dire que tu te détruisais... c'était à cause de cette merde ? demanda Hank, sa voix teintée d'inquiétude. J'ai cru que... bordel... J'ai pensé à la Red Ice et-

— Jamais je ne toucherais à ça, tonton, intervint Natalia rapidement, les yeux plongés dans les siens, voulant éradiquer toute peur de ce genre de son esprit.

— T'as intérêt, répliqua Hank, son ton mi-sérieux mi-soulagé.

Elle hocha la tête puis détendit ses épaules en caressant les bords de sa tasse, cherchant quelque confort dans la chaleur du café.

— Parce que je n'avais pas le droit d'en parler. C'est confidentiel et aucun androïde récent n'est capable de déceler ma pompe. Sauf Connor, visiblement. C'est un sujet qui remuerait énormément l'opinion publique, déjà bien agité avec les actes des déviants.

Un long silence s'installa entre eux, remplissant la petite cuisine de lourdeur. Natalia, sentant le poids de ses pensées, releva finalement les yeux vers son oncle.

— Est-ce que tu penses que je suis encore humaine sans mon cœur ?

Sa voix était presque un murmure, chargée d'une vulnérabilité palpable.

— Nat...

— Est-ce que je suis encore vivante ? Parfois, je me dis que j'aurais dû m-

Soudain, Hank se leva et traversa la distance les séparant en quelques enjambées rapides pour la prendre dans ses bras, coupant court à ses mots morbides.

Natalia hoqueta de surprise, ses yeux s'écarquillant brièvement avant de se fermer alors qu'elle se laissait aller dans l'étreinte de son oncle.

— Tu pourrais être à 90% une androïde que tu resteras ma gamine, Nat. Tu es vivante. Plus que n'importe qui.

L'étreinte de Hank était à la fois un refuge, un rempart contre les doutes et les incertitudes qui avaient assailli Natalia depuis longtemps. Sentant la chaleur de son oncle, elle laissa échapper un soupir tremblant, se rendant compte à quel point elle avait besoin de cette assurance.

— Je t'aime, tonton, murmura-t-elle contre son épaule, les mots s'échappant d'elle avec une sincérité qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps.

Hank resserra son étreinte, sa main caressant doucement ses cheveux.

— Et moi donc, petite, répondit-il. Rien de ce que tu as ou n'as pas ne changera ça. Tu es ma famille.

Après un long moment, ils se séparèrent lentement, Hank tenant Natalia par les épaules et la regardant fixement dans les yeux, comme pour renforcer ses paroles.

— Maintenant, dis-moi pourquoi Connor m'a demandé ton numéro de téléphone hier soir. Est-ce que je dois casser la gueule à un androïde qui aimerait draguer ma nièce ?

— Tonton !

— Parce que je pense que je n'ai aucune chance contre lui.

Natalia sentit une vague de chaleur monter à ses joues. Elle détourna brièvement les yeux avant de rencontrer à nouveau le regard inquisiteur de son oncle.

— Non, ce n'est pas ce que tu penses, se dépêcha-t-elle de répondre, un rire nerveux échappant de ses lèvres. Connor... il m'aide, c'est tout. Il a besoin de pouvoir me contacter rapidement pour... un truc lié à sa mission pour traquer les déviants. Et puis tu sais que comme toi, je n'ai pas trop d'affects avec ces machines.

Hank observa Natalia un moment, sceptique.

— Vraiment, Nat ? insista-t-il, un sourcil levé.

Natalia hocha la tête vigoureusement, ses mains gesticulant pour accentuer son point.

— Oui, vraiment. N'oublie pas que c'est androïde. Il ne ressent pas les choses comme nous. Tous ses actes sont liés à sa mission.

— C'est bien un truc que je ne pourrais pas oublier, ça ! Bon... mais je vous ai à l'œil. Et si jamais je me trompe et qu'il y a quelque chose... tu me le diras, hein ? Je veux juste que tu sois heureuse.

Natalia se sentit soudainement reconnaissante pour l'inquiétude maladroite mais sincère de son oncle. Elle lui offrit un sourire, rassuré par son soutien constant.

— Promis. Et merci, vraiment. De te soucier autant de moi.

Hank fit un clin d'œil et se dirigea vers la cafetière pour se servir une nouvelle tasse de café, rompant ainsi l'intensité de leur conversation.

— C'est mon job, petite. Maintenant, dis-moi plus sur cette enquête.

— Je n'ai pas grand-chose à te raconter encore, c'est assez complexe et technique. Mais sache que ce n'est pas seulement mes identifiants qui ont été utilisés pour pirater des données bancaires. D'autres victimes humaines sont impliquées et ça remonte toujours au même déviant. Connor a réussi à identifier son matricule, celui de la boutique d'électronique, mais il a disparu de la circulation.

— Donc vous pataugez un peu.

— Ça prend du temps. Avec un protocole que j'ai créé, Connor garde en permanence un œil sur les mouvements financiers que nous avons tracés et-

— OK, c'est du charabia pour moi ! Mais s'il a tous les éléments, ça m'arrange pour notre enquête. Quant à toi, la petite futée, tu vas devoir arrêter de te prendre pour une détective.

— Quoi ? Mais pourquoi ? C'est mon identité numérique qu'on a corrompue !

— Mais tu es une civile. Je ne veux pas que tu te mettes en danger. Je sais que tu es brillante, mais il y a des limites à ne pas franchir pour ta propre sécurité.

Natalia croisa les bras, mordillant sa lèvre inférieure.

— Maintenant, va prendre une douche et va trouver un job ! Je ne veux pas que l'esprit brillant que tu es squatte mon canapé toute la journée, conclut Hank avec un sourire, essayant de détendre l'atmosphère.

Natalia acquiesça à contrecœur, consciente que malgré son irritation, son oncle ne cherchait qu'à la protéger.

Elle se leva, prête à suivre ses conseils, même si une partie d'elle brûlait de continuer à fouiller dans les tréfonds de cette affaire troublante.

Cependant, à peine avait-elle enveloppé une serviette autour de son corps qu'elle se retourna vers son portable, posé sur le rebord du lavabo.

Il n'y avait aucune notification, rien qui ne l'attendait, mais elle avait l'impression que quelque chose arrivait pour elle. Jusqu'à ce qu'il se mette à vibrer pour donner raison à son intuition.

Une série de chiffres lui sauta aux yeux, immédiatement reconnaissables.

Un sourire involontaire et satisfait se dessina sur ses lèvres.

313 248 317-51. Le matricule de Connor.

🤖PROCHAIN CHAPITRE JEUDI 9H🤖

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