Les yeux fatigués mais fixés sur l'écran lumineux de son ordinateur portable, Natalia mordillait distraitement le bout d'une paille, un bâillement s'échappant de ses lèvres alors que la nuit enveloppait Detroit d'une obscurité dense, accentuée par la pluie battante qui martelait les fenêtres.

Elle se trouvait à seulement quinze minutes en bus de la maison de son oncle, mais pour éviter de l'impliquer ou de risquer que leur domicile familial ne devienne un sujet d'intérêt indésirable, Natalia avait opté pour un endroit plus neutre pour poursuivre ses recherches.

La laverie automatique déserte, ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, offrait l'anonymat parfait. Les lumières fluorescentes et le bourdonnement régulier des machines à laver en cycle octroyaient une sorte de couverture sonore apaisante.

Natalia s'était installée à une table au fond, près d'une fenêtre à travers laquelle elle pouvait voir les gouttes de pluie s'écraser contre le verre.

Entourée de paniers de linge oubliés et d'appareils en pause, elle se sentait isolée du reste du monde, ce qui lui permettait de se concentrer pleinement sur les informations cryptées qui défilaient sur son écran.

Elle tapotait frénétiquement sur son clavier, chaque frappe lui rapprochant un peu plus d'une piste sur l'androïde qui avait utilisé son identité pour détourner des fonds. L'androïde en question avait été repéré pour la dernière fois dans les relevés d'une banque offshore, effectuant des transactions qui semblaient alimenter plusieurs comptes anonymes. Elle exploitait un logiciel d'analyse de données financières pour tracer le chemin de ces transactions, reliant les points entre les numéros de compte dissimulés derrière des sociétés-écrans.

Elle tomba sur plusieurs mentions de rA9 sur des publications cryptées de forum en ligne, ainsi que des manifestes disséminés sur le dark web. rA9 était vénéré comme une figure de libération, mais les détails concrets sur son origine ou sa nature restaient enveloppés dans le mystère.

Simultanément, Natalia suivait les mouvements financiers via des outils d'analyse de blockchain, ce qui lui permettait de voir comment les fonds étaient transférés de manière cryptée pour éviter la détection par les autorités régulières.

Chaque transaction semblait codée avec des signatures qui, une fois décryptées, révélaient un schéma ou un message. L'un d'eux se traduisait par « Le chemin vers la liberté commence avec rA9 ».

Avec ces informations, Natalia esquissait une carte conceptuelle sur son écran, liant des données financières aux activités des androïdes déviants. Elle soupçonnait que l'androïde qui avait usurpé son identité pourrait être un acteur clé dans ce réseau complexe.

Cependant, juste au moment où elle parvenait à connecter des points cruciaux entre les transactions et des opérations suspectes, un message d'avertissement apparut sur son écran, lui faisant prendre compte qu'elle avait peut-être pénétré trop profondément dans un territoire dangereux. Natalia sauvegarda immédiatement ses recherches sur un disque dur externe crypté, consciente que si elle était surveillée, il était essentiel de protéger ses découvertes.

Déterminée à ne pas se laisser intimider, elle éteignit son ordinateur, prit une longue inspiration et prépara son départ.

Les pièces du puzzle commençaient à s'assembler, et malgré les risques, elle savait qu'elle devait continuer à suivre cette piste. Elle sentait qu'elle devait en parler à son oncle dès que possible mais, vu l'heure tardive, elle supposa qu'il devait être en train de se saouler au Jimmy's Bar.

Surprise par un tapotement soudain sur la vitre devant elle, Natalia sursauta, son cœur palpitant d'effroi. Elle lança un regard furtif et irrité vers l'extérieur où se tenait un androïde, le RK800, dont l'intervention l'avait prise au dépourvu.

Reprenant son souffle et maîtrisant son agitation, elle observa avec méfiance Connor pénétrer dans la laverie. Il s'arrêta à une distance respectueuse sur sa gauche, adoptant une posture à la fois alerte et non menaçante.

— Bonsoir, madame Volkova.

— Tonton avait raison, t'es aussi collant que du chewing-gum. Qu'est-ce que tu veux, Connor ?

— J'étais en route pour aller voir le lieutenant et je vous ai vu par la fenêtre. Que faites-vous ici à cette heure ?

— Une manucure.

— Ça ne semble pas être l'endroit adéquat. Ou est-ce du sarcasme ?

— Devine.

Connor afficha un léger sourire, son processeur traitant la réponse sarcastique de Natalia.

Sa réaction provoqua le froncement de sourcil de cette dernière qui, malgré ses sentiments mitigés concernant les androïdes, dût reconnaitre qu'elle lui trouvait un certain charme à cet instant.

— Je comprends que vous souhaitez garder vos activités privées, mais si vous avez besoin d'assistance, je suis programmé pour aider.

— Je n'ai pas besoin d'aide. Je n'aime pas ça.

— C'est ce que le lieutenant m'a dit lorsque je l'ai rencontré et je l'ai sauvé d'une chute mortelle il y a à peine quelques heures.

— Attends, quoi ? Mon oncle a failli crever aujourd'hui ? demanda-t-elle, son ton soudainement sérieux, les traits tirés par l'inquiétude.

Connor inclina la tête, reconnaissant peut-être le changement brusque dans son comportement.

— Oui, madame Volkova. Il y a eu une course poursuite avec un déviant. J'ai pu intervenir à temps pour prévenir toute conséquence fatale. Le lieutenant est sain et sauf.

Natalia se passa une main sur le visage, tentant de masquer son agitation. La nouvelle l'avait ébranlée, mais elle devait rester calme.

— Je... merci de me l'avoir dit. Je vais devoir parler avec lui. Et arrête de m'appeler « madame Volkova ». C'est Natalia.

— Très bien, Natalia.

Elle soupira. Bien qu'elle fût irritée par sa présence, elle savait que Connor, avec ses capacités avancées, pourrait effectivement être pratique. Elle jeta un coup d'œil autour de la laverie déserte, les machines ronronnant en sourdine, puis reporta son attention sur l'écran de son ordinateur portable.

— Si tu veux vraiment aider, j'essaie de tracer des transactions suspectes. Quelqu'un utilise mon identité pour financer des activités... douteuses.

L'expression de Connor changea légèrement, son programme d'analyse se mettant en marche pour évaluer la situation.

— Je peux vous assister dans l'analyse des données et isoler les schémas d'opérations inhabituelles. Souhaitez-vous que je commence une vérification ?

— Oui, et fais vite. J'ai trouvé des références cryptiques à quelque chose appelé rA9, et je pense que c'est lié. Ça pourrait être gros, et dangereux.

À l'évocation de rA9, la LED sur la tempe de Connor clignota brièvement en jaune, signe de traitement d'information ou de conflit cognitif, avant de stabiliser à nouveau au bleu, indicateur d'un état normal.

— rA9... C'est un terme qui revient fréquemment chez les déviants. C'est obsessionnel. Cela semble être un concept ou une entité qui joue un rôle significatif dans la psyché des déviants.

— « Le chemin vers la liberté commence avec rA9 ».

Natalia navigua entre plusieurs fenêtres ouvertes sur son ordinateur, extrayant un document particulièrement crypté qu'elle avait réussi à décoder plus tôt.

— Regarde ce que j'ai découvert, dit-elle en tournant l'écran vers Connor. rA9 est perçu par certains androïdes déviants comme une figure messianique. Ils croient qu'il ou elle est le premier à avoir acquis une véritable conscience, et qu'il incarne la liberté pour leur espèce. Mais c'est enveloppé de mystère, presque mythique. Je ne suis même pas certaine que ce soit une entité réelle...

— Un virus ?

Elle haussa les épaules avant d'observer Connor très concentré et en train d'analyser les informations affichées. Un silence s'installa entre eux alors qu'elle le fixait, intriguée par la précision de ses traits et la subtilité de ses expressions. C'était facile d'oublier qu'il n'était pas humain.

Soudain, Connor se tourna vers elle, son regard aussi sérieux que déterminé.

— Je peux tenter d'accéder à des réseaux sécurisés pour surveiller les mouvements de fonds en temps réel, proposa-t-il. Cela nous permettrait peut-être d'intercepter des communications entre les déviants impliqués.

Natalia réfléchit un instant puis hocha la tête, impressionnée par les capacités de Connor.

— Faisons ça. Plus vite nous aurons des réponses, mieux ce sera pour comprendre l'étendue de rA9 et empêcher que d'autres ne soient exploités comme moi avec mes identifiants.

— C'est en cours.

Le silence s'installa de nouveau. Elle remarqua la manière dont ses yeux analysaient l'écran, les micro-expressions qui traversaient son visage, presque imperceptibles, trahissant une concentration intense.

Connor, sentant l'œil scrutateur de Natalia, détourna brièvement le regard de l'écran pour la contempler.

— Vous semblez penser à quelque chose, Natalia. Est-ce que mes actions ou ma présence vous préoccupent ?

Natalia fut un peu prise au dépourvu par sa question. Elle esquissa un sourire gêné et secoua la tête.

— Non, ce n'est rien de mal. C'est juste... tu es très différent de ce que j'imaginais. Tu n'es pas comme les autres androïdes que j'ai rencontrés. Tu sembles... plus complexe.

— Je suis conçu pour interagir de manière efficace avec les humains et comprendre une gamme étendue d'émotions afin de mieux servir mes fonctions. Cela dit, je suis curieux de savoir comment les humains perçoivent ces aspects de ma programmation. Quelles sont, selon vous, les qualités qui me différencient ?

— Tu parles beaucoup trop.

— Est-ce encore du sarcasme ?

— Devine.

— Mais quelle est votre réponse ?

— Eh bien, tu sembles... réfléchir. Je veux dire, tu ne te contentes pas de réagir ; il semble que tu pèses tes réponses, comme si tu avais tes propres pensées. Et puis, tu commences à comprendre le sarcasme. Quelques jours de plus avec mon oncle et tu sauras l'utiliser ! Ce n'est pas courant chez les androïdes.

Un léger sourire apparut sur les lèvres de Connor.

— Merci pour cette observation. Comprendre comment les humains voient ces nuances m'aide à améliorer mes interactions. Y a-t-il autre chose que vous trouvez unique ou particulièrement humain dans mon comportement ?

Natalia hocha la tête, plus à l'aise maintenant.

— Oui, tu as quelque chose... de curieux, comme si tu cherchais à appréhender non seulement les faits, mais aussi les sentiments. Ça te rend... presque attachant.

La réponse de Natalia sembla provoquer une légère hésitation chez Connor. La LED sur sa tempe scintilla brièvement en jaune, un signe subtil mais inhabituel qui indiquait une sorte de perturbation dans son système de traitement.

— Votre sincérité est... instructive, reprit-il après un court moment de silence, sa voix portant une inflexion presque incertaine. C'est un aspect de l'interaction humaine que je cherche continuellement à mieux comprendre et intégrer.

Natalia observa l'attitude de Connor, déconcertée par cette manifestation d'une réaction presque humaine.

Le léger sourire qui avait éclairé le visage de l'androïde quelques instants plus tôt l'avait troublée, éveillant en elle une émotion qu'elle ne s'attendait pas à ressentir envers une machine.

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