5🤖L'aigrie de service


Entre deux bouchées de poulet frit croustillant, Natalia observait son oncle et l'androïde Connor, engagés dans une conversation animée. Elle avait l'impression que ce dernier posait plus de questions qu'un enquêteur sur une affaire criminelle.

— Il va le rendre dingue, commenta Gary, le propriétaire du Chicken Feed, en lui tendant un soda. Tu devrais peut-être aller aider ton oncle, Nat.

— Et supporter l'androïde ?

— Hank le supporte toute sa journée de travail.

En mordant à nouveau dans le poulet, elle n'osa pas l'avouer mais elle ne trouvait plus le même plaisir gustatif qu'avant, tout lui semblant plus fade récemment.

— Hm. Tu as changé ta recette, Gary ?

— Jamais. Mais tes papilles gustatives habituées à la merde de L.A ont tout perdu du vrai goût de Detroit, gamine !

— Oh la ferme, répondit-elle en souriant avant de lever les yeux au ciel et de rejoindre la table où étaient accoudés les deux hommes.

Même si elle ne considérait pas Connor comme un « homme » à proprement parlé, elle devait reconnaitre qu'il l'avait aidé à se débarrasser de Gavin et évité la prison alors qu'elle était innocente.

— Je suppose que travailler avec un officier ayant des problèmes personnels est un défi supplémentaire, mais m'adapter à l'imprévisibilité humaine est l'une de mes caractéristiques, déclara Connor.

En voyant l'androïde faire un clin d'œil, et la mine renfrognée de son oncle, Natalia ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Lorsque Hank se leva pour partir aux toilettes, il lui laissa sa place, laissant Natalia seule avec Connor qui la scrutait de nouveau.

— Quoi ? demanda-t-elle, la bouche encore pleine. T'es encore en train de m'analyser ?

— Vous avez des similitudes avec le lieutenant, observa Connor.

— Tu veux dire que je suis vieille, bedonnante, alcoolique, dépressive, aigrie et que je ne peux pas voir les androïdes en peinture ?

Connor demeura impassible, ses traits ne trahissant aucune émotion.

— Ce n'était pas ce que je voulais dire, rectifia-t-il d'un ton neutre. Je faisais référence à votre manière directe de vous exprimer.

— Ah bon ? Eh bien, désolée si je t'ai offensé.

— Vous ne m'avez pas offensé. Je m'adapte simplement à la façon dont vous interagissez.

Elle haussa les épaules tout en terminant son poulet manquant de goût, lorsque l'androïde reprit :

— Vous semblez proche du lieutenant.

— C'est normal, c'est mon oncle. Peut-être bien le seul être de ma famille que je peux supporter. Et vice-versa.

— J'aimerais apprendre à vous connaitre afin de mieux comprendre le lieutenant et améliorer ma relation avec lui. Je souhaite être le plus efficace possible dans notre collaboration. Comprendre vos interactions peut m'aider à mieux servir nos objectifs communs.

Natalia arqua un sourcil, impressionnée par la logique implacable de Connor.

— Tu es plutôt direct, toi aussi, remarqua-t-elle, un sourire taquin aux lèvres. Mais je suppose que c'est une qualité utile dans ton travail.

— L'efficacité est primordiale dans notre domaine.

Natalia réfléchit un instant, puis se détendit légèrement, appréciant la franchise de l'androïde. Elle prit une longue gorgée de son soda, remarquant à peine la saveur sucrée, avant de mordiller dans sa paille et de demander :

— D'accord, mais avant que l'on apprenne à se connaitre, j'ai une question. Si tu devais décrire tes sentiments, en supposant que tu puisses en avoir, comment les décrirais-tu ?

Connor fit une pause, le regard fixe, analysant la question avant de répondre.

— Bien que je ne ressente pas d'émotions de la manière dont les humains le font, je suis programmé pour comprendre et traiter les réactions émotionnelles, expliqua-t-il, son ton toujours égal et mesuré.

— Et que penses-tu des humains ? Penses-tu qu'on est juste des machines biologiques compliquées ?

— Les humains sont intrinsèquement complexes et possèdent des capacités d'adaptation et de création que nous, androïdes, tentons encore de comprendre pleinement. Chaque interaction humaine me fournit des données précieuses pour améliorer mes algorithmes et mes interactions futures.

Natalia laissa s'échapper un rire, s'amusant de l'idée.

— Fais attention, je ne suis pas sûre que tu veuilles tout apprendre de mon oncle ou moi.

Connor pencha légèrement la tête, un geste qu'il avait appris à utiliser pour montrer son engagement dans la conversation.

— Chaque donnée est une opportunité d'apprentissage. Vos expériences, vos choix, même vos erreurs sont des informations précieuses.

L'androïde fit une pause et parla d'une voix plus basse :

— Puis-je vous poser une question personnelle ?

— Vas-y, répondit Natalia, intriguée.

— Pourquoi votre cœur...

Juste au moment où Connor allait formuler sa question, le bruit des pas de Hank résonna sur le béton. Simultanément, la LED de l'androïde se mit à clignoter, signe d'une notification entrante.

— Je viens de recevoir un signalement concernant un déviant présumé, annonça Connor d'une voix neutre. Il se trouve à quelques pâtés de maisons d'ici. Nous devrions aller vérifier. Je vous laisse terminer votre repas, lieutenant. Je serai dans la voiture, prêt quand vous le serez. Aurevoir, Natalia.

Hank acquiesça alors que Natalia avait encore l'esprit partiellement accroché à la question inachevée de Connor. Elle savait que le devoir les appelait, mais une partie d'elle restait curieuse de la direction qu'aurait pu prendre la conversation.

— Alors, qu'est-ce que tu penses de lui ? demanda son oncle.

— Je ne sais pas. Il a l'air de faire des efforts... mais ça ne doit être que pour sa mission et que tu ne lui exploses pas le crâne avec ton flingue.

— Ouais, c'est parfois troublant. Elijah Kamski n'a pas fait les choses à moitié avec ses créations. Connor n'est pas un androïde ordinaire. Il est conçu pour être plus intuitif, pour mieux comprendre et interagir avec les humains. Cela fait partie de son programme, d'être... eh bien, presque humain.

— Parfois, je me demande si ces machines ne sont pas plus humaines que certains d'entre nous.

— Tu parles de tes parents ?

Natalia soupira doucement, son regard fixé sur la façade sombre derrière la voiture où Connor attendait sagement.

Elle se demandait si souvent si elle était morte l'été précédent qu'elle en arrivait à douter de sa propre humanité. Elle aurait voulu en parler à son oncle mais le souvenir de son cousin Cole lui revint en mémoire et elle se ravisa.

— Tu vas pouvoir rentrer seule ? demanda-t-il.

— Ouais, pas de soucis. Bon courage et fais attention.

— Et toi évite de te faire embarquer une nouvelle fois au poste, jeune fille !

Alors que la voiture s'éloignait, Natalia restait immobile, absorbée dans ses pensées. Elle était fascinée et terrifiée par l'humanité qu'elle percevait en Connor, un être programmé pour simuler des émotions qu'elle-même trouvait parfois difficiles à gérer.

Natalia se dirigea vers l'arrêt de bus le plus proche et une fois à l'intérieur, elle observa les rues de Detroit défiler, les bâtiments passant de l'industriel au résidentiel au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient du centre-ville.

Un moment plus tard, alors que le bus ralentissait pour s'arrêter près de la demeure de Hank, Natalia descendit, ses mouvements trahissant une lassitude profonde.

Devant la porte, elle trouva une boîte estampillée CyberLife, verrouillée par un code qu'elle venait tout juste de recevoir via l'application contrôlant le fonctionnement de son cœur synthétique.

Elle récupéra le colis et l'emporta à l'intérieur, le posant sur la table de la cuisine pendant que Sumo tournait autour d'elle, excité par son arrivée.

Natalia découvrit une seringue placée soigneusement à côté d'une poche de sang bleu. Consciente de la sollicitation extrême de sa pompe à thirium tout au long de la journée, elle ne perdit pas une seconde.

Il lui fallait sa dose, alors elle n'attendit pas.

— Je suis vivante, murmura-t-elle en retirant son sweat-shirt.

Avec une précision clinique, elle positionna la pointe de l'aiguille près de sa cicatrice, là où la LED bleue pulsait doucement. Dès que l'aiguille pénétra sa peau, la LED s'illumina plus intensément, une série de clignotements confirmant l'arrivée du thirium vital dans son système.

Submergée par un mélange de soulagement et de tristesse, Natalia glissa lentement jusqu'à s'adosser contre le frigo. Les larmes coulaient librement sur ses joues, trace salée de sa lutte quotidienne pour maintenir un semblant de normalité.

Sumo, ressentant son chagrin, vint se coucher à ses côtés, offrant le réconfort silencieux que seul un animal fidèle pouvait donner. Sa main libre caressait machinalement le pelage épais du chien, chaque mouvement la rapprochant un peu plus du calme.

Elle resta ainsi quelques instants, respirant profondément, jusqu'à ce que la LED cesse de clignoter, signalant la fin du transfert. Natalia prit une profonde inspiration, puis sortit son téléphone pour vérifier l'application gérant son dispositif cardiaque.

Tout semblait fonctionner comme prévu. Elle retira finalement l'aiguille, son geste précis trahissant une routine bien rodée, et essuya ses larmes d'un revers de main avant de se relever lentement.

Consciente que son oncle n'irait jamais fouiller, Natalia rangea ses nombreuses poches de thirium dans le bac à légumes du réfrigérateur, un lieu peu suspect pour de tels objets. Après avoir sécurisé ses réserves, elle se dirigea vers l'évier pour nettoyer minutieusement la seringue, s'assurant qu'aucun résidu de thirium n'y restait.

Une fois la seringue propre et sèche, elle la replaça soigneusement dans son kit portable. Natalia prit ensuite le temps de remplir une petite poche de secours avec une dose supplémentaire de thirium, la glissant à côté de la seringue.

Elle referma le kit, s'assurant que tout était bien en place, puis le déposa près de la platine vinyle et des disques de jazz de son oncle en attendant de la ranger dans son nouveau sweat.

Ses préparatifs terminés, Natalia se dirigea vers la salle de bain pour se laver.

Elle retira son discret collier, un cadeau qu'elle avait toujours gardé avec elle, avant de le caresser et de le déposer sur le meuble du lavabo.

Alors que l'eau coulait sur son corps, elle ressentit une légère détente, ses pensées et ses inquiétudes temporaires s'effaçant sous le jet apaisant.

L'apaisement procuré par la douche fut cependant de courte durée. En entrant dans sa chambre sobrement meublée, où la seule touche personnelle était une photo de Cole posée sur la commode, Natalia fut accueillie par une surprise perturbante.

Alors qu'elle ouvrait son ordinateur portable et saisissait ses identifiants, un message inhabituel s'afficha soudainement à l'écran.

« rA9 »

Ces deux lettres et ce chiffre, clignotant dans une fenêtre qui semblait s'ouvrir de manière autonome, capturèrent immédiatement son attention.

La curiosité mélangée à une pointe d'anxiété, son cœur battant un peu plus fort à l'idée de ce qu'il pourrait révéler, Natalia cliqua sur le symbole rA9 qui fit apparaitre une seule phrase en bleu et sur fond noir.

« JE SUIS VIVANT »



🤖PROCHAIN CHAPITRE JEUDI 9H🤖

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