20🤖Trouver Jéricho (1)
Devant le miroir de la salle de bain, Natalia, les cheveux encore trempés, laissait l'eau chaude couler, formant un léger brouillard sur le verre.
Absorbée par ses pensées, elle écoutait distraitement les interviews télévisées de citoyens après la marche pacifique des déviants dans le centre-ville de Detroit. Les images sur l'écran de son portable montraient clairement les androïdes menés par Markus, marchant calmement et déterminés, jusqu'à ce qu'ils rencontrent les forces de l'ordre équipées de blindés.
Le silence de la marche avait été brutalement interrompu par des tirs des forces de l'ordre, des corps s'effondrant sur la neige blanche, teintée du sang bleu des androïdes.
Un tir de trop avait enclenché une riposte des déviants, menant à un affrontement violent qui avait ébranlé l'opinion publique, exposant à la fois la dangerosité potentielle des déviants et la brutalité impitoyable des réponses humaines.
Depuis cet événement, les débats animaient les plateaux télévisés, polarisant l'opinion entre les défenseurs des droits des androïdes et leurs détracteurs, annonçant les prémices d'une guerre civile.
La présidente des États-Unis devait bientôt s'exprimer, mais Natalia avait une idée claire de l'issue : une stigmatisation accrue des déviants, violents ou non.
Le reflet de sa LED bleue sur le miroir lui rappela cruellement les mots de Kamski et la révélation de son propre état.
« Ma plus belle création. » avait dit son père avec un sourire rassurant, qui sonnait désormais creux à ses oreilles.
Elle se pencha au-dessus du lavabo, la nausée la submergeant, ses pensées tumultueuses lui rappelant chaque modification apportée à son corps sans son consentement. Elle se rinça la bouche avant de caresser affectueusement Sumo venu pour lui apporter le réconfort de sa présence.
En parcourant sa peau de ses mains tremblantes, à la recherche de preuves supplémentaires des manipulations de son père, elle sentit un cliquetis sous ses doigts près de sa côte droite.
Elle retira sa main brusquement, un frisson la parcourant.
— Est-ce que j'ai été dans le déni tout ce temps ? se murmura-t-elle, scrutant son reflet embué. Ce n'était pas la bouffe ou l'alcool qui perd son goût... mais c'est moi qui change ? Je n'ai presque plus faim à mesure que les jours passent, ni sommeil. Ce n'est pas de l'insomnie.
Soudain, elle repensa à Connor. Cet être avec ses propres luttes internes, son apparente humanité qui transperçait parfois la froideur de son programme, s'ancrait dans son esprit.
Elle sortit de la salle de bain, caressant au passage Sumo, avant qu'elle ne s'approche de la fenêtre où les flocons de neige dansaient lentement autour des lampadaires éteints.
Le froid glacial de l'extérieur ne pénétrait pas ; c'était comme si elle devenait insensible à ces petites sensations autrefois si familières. Natalia pensait à Connor, à sa manière calme de la regarder, à son inquiétude presque imperceptible quand il pensait qu'elle n'était pas à l'aise.
— Est-ce qu'un androïde pourrait comprendre ce que c'est que de sentir son propre monde changer ? se demanda-t-elle, ses doigts effleurant le verre.
La réponse semblait claire maintenant. Connor avait montré des signes de quelque chose de profond, peut-être pas identique à l'humanité, mais quelque chose d'assez proche pour brouiller les lignes qu'elle pensait définies.
Quand elle avait été en danger, il avait réagi avec une rapidité et un désespoir qui n'étaient sûrement pas inscrits dans son code. Elle devait se l'avouer mais plus elle interagissait avec lui, plus son absence était dérangeante.
Peut-être que ce n'était pas juste de l'affection ou de la gratitude pour son aide.
Peut-être qu'elle était en train de développer des sentiments plus profonds pour Connor, et cette réalisation la terrifiait autant qu'elle l'excitait.
Elle était à mi-chemin entre l'humain et l'androïde et elle ne voyait pas mieux que Connor pour la comprendre.
Lorsqu'elle revint à la salle de bain pour se rhabiller et qu'elle caressa son collier, elle s'arrêta net.
« Tu possèdes déjà la clé pour changer ton destin. Elle a toujours été avec toi et il te suffit d'ouvrir les yeux. »
— Je suis vraiment aveugle ? murmura-t-elle, empoignant fermement le collier en se dirigeant vers son ordinateur.
Assise sur le canapé, elle alluma la télévision, perturbant Sumo qui s'étira avant de se diriger vers sa gamelle.
Natalia posa son ordinateur portable sur ses genoux, le collier toujours en main. Elle le fit tourner entre ses doigts, scrutant chaque détail qu'elle avait ignoré pendant des années. L'objet semblait ordinaire, mais les mots de Kamski avaient semé le doute dans son esprit.
— Une forme circulaire, comme celle des LED d'androïde... Et si... ?
Elle frotta doucement son pouce contre la surface lisse du pendentif, y appliquant une légère pression dans le sens des rotations d'activation des LED. Un clic subtil se fit entendre, et soudain, une petite section du collier se détacha, révélant un compartiment caché.
À l'intérieur, elle trouva une micro-puce électronique, scintillant faiblement à la lumière de la pièce. Son cœur battit la chamade tandis qu'elle réalisait l'importance de sa découverte.
Natalia s'empressa de connecter la micro-puce à son ordinateur à l'aide d'un adaptateur universel qu'elle avait gardé de son ancien travail. La puce fut immédiatement reconnue, mais l'accès aux données nécessitait un décryptage. Elle lança son logiciel d'analyse de sécurité et commença le processus de déchiffrement, son esprit bourdonnant d'anticipation.
Après plus d'une heure à afficher des lignes de code défilant à toute vitesse sur son écran, le décryptage fut terminé et elle put parcourir les données, son cœur s'accélérant à chaque fichier ouvert.
Elle ne savait pas comment, mais certains fichiers dataient autant d'il y a dix ans que de quelques mois, comme si tout était mis à jour en temps réel par une intelligence artificielle.
Elle vit des numéros de modèles d'androïdes commercialisés, d'autres non, des données n'ayant jamais à quitter CyberLife et qui, si elle se faisait arrêter avec, lui garantira la prison sans jugement.
Et là, parmi des schémas complexes et des notes cryptées, elle découvrit une série de coordonnées géographiques accompagnées d'un mot : "Jéricho."
— Bordel, Elijah est au courant. Cette « clé » est mise à jour régulièrement mais s'il me l'a donné il y a dix ans, avant son départ de CyberLife... Ça veut dire qu'il avait anticipé une déviance chez les androïdes. Aurait-il pu en être à l'origine ?
Les coordonnées pointaient vers un vieux navire désaffecté dans les docks de Detroit, un endroit apparemment parfait pour cacher une communauté d'androïdes en quête de liberté.
Elle avait trouvé le sanctuaire des déviants.
Pourtant, malgré l'importance de cette découverte, elle hésita. Elle savait qu'elle devrait partager cette information avec son oncle et Connor, mais après les révélations de la matinée, sa confiance avait été ébranlée.
Si Connor restait fidèle à sa mission, divulguer cette information pourrait signifier la fin de la révolte déviante. Il ne réaliserait jamais qu'il était, lui aussi, touché.
Avec un mélange de peur et d'excitation, Natalia prit une décision rapide. Elle sauvegarda toutes les informations sur un lecteur externe, éteignit son ordinateur, et se prépara à affronter les implications de sa découverte.
Son passif ne l'avait jamais fait apprécier les androïdes et elle avait de nombreuses raisons de ne pas vouloir les approcher, surtout après ses dernières altercations avec des déviants.
Cependant, Connor avait réussi à lui montrer qu'au-delà des simples machines, ces êtres pouvaient manifester ou réellement éprouver des émotions humaines.
En tant qu'hybride, elle ressentait le devoir impérieux de se rendre à Jéricho pour rencontrer leur leader. Il était essentiel de comprendre les intentions de Markus, d'empêcher que leur lutte pour la liberté ne sombre dans une violence incontrôlable, et de trouver ensemble une manière de coexister pacifiquement.
Une opportunité qui lui permettrait d'exprimer ses émotions impossibles et impensables pour l'un d'eux.
Natalia emballa rapidement quelques poches de sang bleu dans un petit sac à dos, puis chargea les coordonnées de Jéricho sur son téléphone.
« Le pays entier se retrouve en état de paralysie, tandis que les androïdes sont remis aux autorités. Les hôpitaux et les écoles ferment leurs portes, Des coupures d'eau, d'électricité et d'Internet sont à prévoir. Retombée sans doute plus inquiétante : nos forces armées ont perdu près de deux tiers de leurs effectifs, qui consistent en des modèles d'androïdes spécialisés. La situation est extrêmement alarmante. »
Les nouvelles diffusées à la télévision indiquaient clairement la position du gouvernement contre les androïdes, ignorant totalement l'opinion publique. Si elle voulait agir, c'était maintenant ou jamais.
Elle passa la main sur le pelage de Sumo, lui offrant une caresse rassurante avant de vérifier si ses gamelles étaient pleines. Le Saint-Bernard semblait percevoir la gravité de la situation, observant Natalia avec une expression presque compréhensive.
Elle sortit de chez son oncle, enveloppée dans une épaisse parka malgré les effets du froid amoindri pour son corps, mais afin d'affirmer le plus possible son humanité en cas de contrôle.
Natalia n'avait aucune idée des choses que son père avait modifié en elle mais si elle n'avait que du sang bleu dans ses veines et qu'elle était au moins à plus de 50% modifiée, elle devait prendre ses précautions.
— Flirter entre deux mondes, murmura-t-elle tout en se dirigeant vers l'arrêt de bus le plus proche.
La ville semblait presque silencieuse sous le poids de la neige, ses habituels bruits étouffés par le manteau blanc. Le bus arriva finalement, crissant légèrement sur la neige compactée. Elle monta à bord, trouvant une place près de la fenêtre. Le véhicule était presque vide, la plupart des gens ayant choisi de rester chez eux à cause de la neige mais surtout des récents événements.
Le trajet lui donna le temps de réfléchir à sa prochaine rencontre avec les androïdes de Jéricho et à la manière dont elle pourrait aborder Markus.
Elle descendit une trentaine de minutes plus tard à une station déserte non loin des coordonnées indiquées, l'éclat des lampadaires se reflétant sur la surface glacée des routes et des trottoirs.
Elle suivit les indications de son téléphone jusqu'à un vieux navire rouillé dans les docks, un lieu qui semblait abandonné en apparence.
Prenant une profonde inspiration, elle franchit les derniers mètres avant de voir sortir de l'ombre trois figures qui s'approchaient du même cargo rouillé qu'elle-même visait. C'était une femme, un homme, et une petite fille, tous enveloppés dans des manteaux épais contre le froid mordant.
— Bonsoir, murmura-t-elle en les rattrapant, tentant de dissiper l'atmosphère tendue d'une rencontre inattendue. Vous aussi, vous allez à Jéricho ?
La femme, qui tenait la main de la petite fille, se tourna vers Natalia. Ses yeux, bien qu'humains en apparence, trahissaient une profondeur et une mélancolie que Natalia reconnut immédiatement : c'étaient des androïdes. Des déviants.
Natalia discerna rapidement une lueur de méfiance dans leurs yeux. Elle savait que gagner leur confiance serait essentiel pour entrer à Jéricho sans incident. Elle décida d'adapter la vérité à la situation.
— Je suis venue apporter du thirium, commença-t-elle en extrayant prudemment une poche de sang bleu de son sac. Après la fusillade de cet après-midi, j'ai pensé que vous pourriez en avoir besoin. Ce n'est pas beaucoup, juste ce que j'avais en réserve, mais j'espère que ça pourra aider quelqu'un ici.
Elle tendit la poche, son geste délibérément ouvert et sans menace, espérant que ce petit acte de générosité serait suffisant pour baisser les gardes.
L'androïde, après un instant d'hésitation, refusa la poche de thirium.
— Merci, dit-elle doucement, mais nous venons d'arriver et nous n'en avons pas besoin. Nous aussi, nous découvrons Jéricho.
Natalia acquiesça, appréciant la prudence de celle s'appelant Kara et la transparence de sa réponse. Elle remit soigneusement la poche dans son sac, suivant ensuite Kara, Luther et Alice le long des corridors échoïques du navire. Leur passage était silencieux, seul le bruit de leurs pas résonnait sur le métal froid, tandis qu'ils se frayaient un chemin à travers ce labyrinthe de fer.
Avec l'espoir d'y trouver, comme ces androïdes, une direction pour sa propre existence à la frontière entre l'humain et la machine.
🤖PROCHAIN CHAPITRE JEUDI 9H🤖
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