19🤖Test de Kamski


— Monsieur Kamski ?

— Un instant, je vous prie.

En pénétrant dans la pièce, Hank cligna plusieurs fois des yeux en voyant sa nièce, désormais installée dans un fauteuil près de la vitre, mais en débardeur avec sa chemise pliée sur ses jambes.

Le regard perdu vers le lac gelé, elle semblait totalement obnubilée par ses pensées et lui donnait presque l'impression d'être comme les autres androïdes de la pièce.

Englobée dans l'aura de Kamski, comme si elle était en veille.

Connor hésita à aller la voir et lui demander si elle allait bien, avant de se raviser et de se tenir bien droit et neutre devant son « créateur ».

Kamski sortit de l'eau avec une élégance fluide, sa Chloé l'aidant à enfiler son peignoir avant qu'il ne rajuste sa coiffure et soit disposé à leur adresser la parole.

— Je suis le lieutenant Anderson. Voici Connor.

— Que puis-je faire pour vous, lieutenant ?

— Monsieur, nous enquêtons sur les déviants. Je sais que vous avez quitté CyberLife il y a des années mais j'espérais que vous pourriez éclairer notre lanterne...

— Les déviants... Ils sont fascinants, n'est-ce pas ? Des êtres parfaits dotés d'une intelligence infinie, et maintenant du libre arbitre. Les machines nous sont tellement supérieures que la confrontation était inévitable. La plus grande invention de l'humanité menace de causer sa perte. Ironique, n'est-ce pas ?

— Nous devons comprendre comment les androïdes deviennent des déviants, répondit Connor. Savez-vous quelque chose qui pourrait nous aider ?

— Les idées sont des virus, elles se répandent comme des épidémies. Le désir d'être libre serait-il une maladie contagieuse ?

Hank, agacé par ces détours philosophiques, intervint avec fermeté :

— Écoutez, on n'est pas venu ici pour parler de philosophie. Les machines que vous avez créées préparent peut-être une révolution. Soit vous êtes en mesure de nous aider, soit on s'en va d'ici.

— Et toi, Connor ? Dans quel camp es-tu ?

Il resta un moment silencieux, analysant la complexité de la question posée.

— Il ne s'agit pas de moi, M. Kamski. Tout ce que je veux, c'est résoudre cette affaire, déclara-t-il d'une voix où l'on pouvait percevoir une tentative de neutralité calculée.

— Eh bien, tu es programmé pour dire ça... mais toi ? Que désires-tu réellement ?

Kamski le fixa intensément, cherchant à percevoir une faille dans le masque impeccable de l'androïde.

Un frémissement presque imperceptible traversa le regard de Connor. Il détourna brièvement les yeux vers Natalia qui se tenait en retrait.

— Je suis désolé, mais je ne vois pas où vous voulez en venir, répondit-il, une pointe de défensive colorant légèrement sa voix.

Kamski leva les mains en signe de capitulation momentanée, son sourire revenant, mêlant amusement et provocation.

— Chloé ? dit-il avant que son androïde n'approche de lui. J'imagine que vous connaissez le test de Turing. C'est une formalité, une simple question d'algorithmes et de capacité de calcul. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si les machines sont capables d'empathie. J'appelle ça "le test Kamski", c'est très simple, vous allez voir...

Kamski, les yeux brillants d'une curiosité scientifique mêlée à une certaine fierté, observait Chloé avec une admiration manifeste. Natalia, légèrement déconcertée par la proximité de son ancien mentor avec l'androïde, observait la scène, cherchant à comprendre la complexité des émotions qui animaient Kamski.

— Magnifique, n'est-ce pas ? L'un des premiers modèles intelligents développés par CyberLife. La jeunesse et la beauté éternelle. Une fleur qui ne se fanera jamais...

À ce moment-là, elle comprit un peu plus les sentiments d'Elijah et toutes leurs conversations philosophiques jusqu'alors.

— Mais qu'est-elle vraiment ? Un morceau de plastique qui imite les humains ? Ou un être vivant doté d'une âme ?

Soudain, dans un geste théâtral, Elijah ouvrit un tiroir à proximité de Natalia et en sortit une arme, levant les mains pour montrer qu'il ne comptait pas l'utiliser lui-même. Il posa doucement sa main sur l'épaule de Chloé, l'invitant à s'agenouiller sur le tapis immaculé qui recouvrait le sol.

— Ça va être à toi de répondre à cette question fascinante, Connor.

D'une main assurée, Kamski tendit l'arme à Connor, ses yeux ne quittant pas ceux de l'androïde, comme s'il cherchait à lire les réactions de sa propre création.

— Si tu détruis cette machine, je te dirais tout ce que je sais. Si tu l'épargnes parce que tu estimes qu'elle est vivante, tu repartiras d'ici sans avoir rien appris.

La tension dans la pièce monta d'un cran, la LED de Connor devenant jaune et se mettant à clignoter alors que tout le monde retenait son souffle, lorsque Hank déclara :

— OK, je crois qu'on a terminé. Allez, Connor, Nat. On y va. Désolé de vous avoir sorti de la piscine.

— Qu'est-ce qui est le plus important Connor ? Ton enquête, ou la vie de cet androïde ? Montre-nous qui tu es. Une machine obéissante ou un être vivant doté du libre arbitre.

Kamski, l'expression grave, pivota brièvement vers Natalia pour jauger sa réaction. Cependant, il revint rapidement à Connor, son regard scrutant chaque micro-expression de l'androïde comme un scientifique observant une expérience cruciale.

— Ça suffit ! tonna Hank, brisant la tension. Connor, Nat, on s'en va maintenant.

Natalia, pétrifiée, ne bougea pas, ses yeux rivés sur l'arme dans la main de Connor. L'androïde semblait également paralysé par l'enjeu du moment, son programme tiraillé par la décision à prendre.

Tirer, c'était aller dans le sens de sa mission et enfin en savoir plus sur la déviance, sur Jéricho. Ne pas tirer, c'était reconnaitre son instabilité et qu'il n'était peut-être plus apte à remplir ladite mission.

— Appuyez sur la détente... insista Kamski d'une voix douce mais impérieuse, comme s'il lui proposait de franchir un point de non-retour.

— Connor, non ! cria Hank, sa voix tremblante d'émotion.

— ...et je te dirai tout ce que tu veux savoir.

Chaque seconde qui passait semblait une éternité, les battements de cœur de Natalia résonnant dans ses oreilles. Elle attendait, horrifiée, de voir si Connor allait prendre une décision qui pourrait changer leur relation et leur compréhension du monde pour toujours.

Jusqu'à ce qu'il ferme les paupières, sa LED devenue rouge, avant de baisser le bras en signe de résignation devant un Kamski émerveillé alors qu'une vague de soulagement parcourait la pièce.

— Fascinant... Le dernier espoir de CyberLife pour tenter de sauver l'humanité est lui-même un déviant.

— Je ne... hésita Connor visiblement troublé. Je ne suis pas un déviant...

— Tu as préféré épargner une machine plutôt que d'accomplir ta mission. Tu as vu un être vivant dans cet androïde. Tu as fait preuve d'empathie.

Soudain, Kamski se tourna vers Natalia, la regarda avec insistance et dit :

— Chloé n'est pas une déviante, mais si tu étais face à l'un d'eux, pourrais-tu l'arrêter ? Pourrais-tu la tuer... elle ?

Kamski, captant l'attention de tous, ajusta sa position et pointa de manière inattendue l'arme que tenait Connor directement vers Natalia.

Hank, jusque-là retenu par l'intensité de la scène, réagit immédiatement en dégainant son arme et la pointant vers Kamski, puis vers Connor, la main tremblante mais déterminée.

— Baisse cette arme, Connor ! ordonna-t-il d'une voix forte. Et toi, Kamski, ne joue pas à ça. Elle est humaine, plus qu'aucune de tes machines ne le sera jamais.

— Natalia ? demanda-t-il, son ton soudainement durci. Il serait temps de voir la vérité en face. Elle...

Soudain, en voyant l'expression infiniment torturée de Connor en regardant Natalia, Kamski éclata d'un rire froid.

— Tu étais au courant et tu ne leur as rien dit ?

— Dit quoi ? murmura Natalia en déglutissant.

— Que ton père a pris sa fille pour une poupée mécanique.

Natalia resta figée, ses yeux écarquillés par la nouvelle, un sentiment de trahison inondant ses veines.

— Elle est à plus de 50% androïde, n'est-ce pas ? Par définition, cela ne fait-elle pas d'elle une déviante selon ta propre logique, Connor ?

— Je... Je l'ai découvert hier à CyberLife, admit-il finalement. Votre père a intégré suffisamment de composants cybernétiques pour que vous puissiez être considérée comme un hybride, Natalia.

— C'est pour cela que tu étais là ? Pour... inspecter ? Pour voir si j'étais devenue une déviante ? demanda Natalia, sa voix tremblante.

— Non, Natalia, je... je voulais comprendre, je ne savais pas comment aborder... commença Connor, la voix brisée par l'incertitude.

Hank, toujours le pistolet en main, se tourna brusquement vers Kamski, son regard furieux.

— Vous saviez tout cela ? C'est pour ça que vous avez insisté pour la voir seule ? demanda-t-il, accusateur.

Kamski, imperturbable et toujours d'un calme glacial, acquiesça lentement, son sourire ironique soulignant l'arrogance de sa révélation.

— Oui et non. J'ai toujours trouvé nos conversations stimulantes et vous devriez être fière de votre nièce, lieutenant. Elle a un esprit brillant.

— Je n'ai pas eu besoin d'un type comme vous pour m'en rendre compte !

— J'étais curieux de voir jusqu'où Mikhael irait avec sa propre fille. Désolé que tu aies eu à l'apprendre de cette manière, Natalia, mais quelqu'un devait le faire. Cela change tout, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que l'humanité ? Qui mérite de vivre ?

Kamski posa sa main sur l'épaule de Natalia, se tournant ensuite vers Connor.

— Et toi, Connor, si tu n'arrives pas à tirer sur une déviante, seras-tu prêt à accepter que tu en es devenu un ?

Kamski récupéra l'arme des mains hésitantes de Connor avec un soupir théâtral, plongeant la salle dans un silence lourd.

— Une guerre se prépare et tu vas devoir choisir ton camp... Vas-tu trahir ton propre peuple ou te rebeller contre tes créateurs ? Pour ta liberté... ou pour elle ? Qu'y a-t-il de pire que d'avoir à choisir entre deux camps ?

— Assez ! intervint Hank, visiblement écœuré. On s'en va d'ici.

Natalia, encore sous le choc, se rhabilla et se leva lentement, jetant un regard confus et blessé à Connor.

— Je ne suis pas une machine, murmura-t-elle presque pour elle-même en passant à côté de lui sans oser le toucher.

Kamski, observant la scène avec un intérêt presque clinique, ne put s'empêcher d'intervenir, son ton portant une assurance presque paternaliste.

— Natalia, n'oublie pas que j'ai toujours eu de grandes attentes envers toi. Tu n'es pas destinée à rester passive et tu possèdes déjà la clé pour changer ton destin. Elle a toujours été avec toi et il te suffit d'ouvrir les yeux.

Au moment où ils atteignaient la porte, sa voix s'éleva une dernière fois, arrêtant Connor dans son mouvement.

— Ah ! Au fait... J'intègre toujours une issue de secours dans mes programmes, au cas où.

Sa remarque était énigmatique, comme tout ce qui le composait, enveloppant les pensées de l'androïde d'encore plus de trouble.

La brise glaciale qui les accueillit à l'extérieur sembla intensifier le poids du silence qui les entourait. Natalia enveloppa son corps dans son manteau, tandis que Hank, d'un air grave, jetait des regards inquiets dans sa direction.

Connor, quant à lui, semblait absorbé par les paroles de Kamski, son regard perdu vers l'horizon enneigé, une LED jaune clignotant doucement sur sa tempe.

— Il faut qu'on parle, Natalia, déclara Hank en brisant le silence qui les enveloppait comme le manteau neigeux sous leurs pieds. Tout ce que tu as appris aujourd'hui... ça change les choses. On doit savoir sur quel pied danser.

Natalia hocha la tête, le regard perdu dans le vide, ses pensées tourbillonnant comme la neige autour d'eux.

— Oui, on doit parler, mais pas ici. Pas maintenant.

À côté d'eux, Connor semblait perturbé, ses circuits surchargés par les émotions qu'il n'était pas censé pouvoir ressentir. Sa respiration, bien que mécanique, portait un timbre étrangement humain, marqué par la colère et la frustration.

— Pourquoi tu n'as pas tiré ? demanda Hank en le fixant.

— J'ai vu les yeux de cette fille... et je n'ai pas pu. C'est tout, avoua-t-il, sa voix éraillée par une émotion qu'il ne comprenait pas lui-même.

— Tu as toujours dit que tu ferais n'importe quoi pour accomplir ta mission. On avait une chance d'apprendre quelque chose et tu l'as laissée filer.

Connor serra les poings, sa LED clignotant faiblement d'un rouge incertain.

— Oui, je sais ce que j'aurais dû faire ! Mais je n'ai pas pu... Je suis désolé. D'accord ?

Sa voix, bien que synthétique, vibrait d'un écho d'émotion vraie, presque humaine.

Hank observa l'androïde un long moment, son regard se radoucissant légèrement à mesure qu'il mesurait l'ampleur de ses mots.

— T'as peut-être fait le bon choix.

À côté, Natalia observait l'échange, son visage portant un mélange de soulagement et d'amertume.

— Pour ça, au moins, commenta-t-elle d'un ton visiblement amer. Mais pas pour tout.

— Natalia, je-

— Vous allez au poste ? l'interrompit-elle. Je vais rentrer en taxi. Bon courage pour votre traque des déviants. Je lâche l'affaire parce qu'apparemment, je flirte avec la limite.

— Natalia, attend ! s'écria Hank, alors qu'il se dépêchait de la suivre, laissant Connor un peu en retrait, son expression neutre brouillée par un conflit interne visible.

— Laisse-moi, tonton. Je ne veux pas discuter maintenant, répliqua-t-elle fermement sans se retourner.

— Je comprends que tu sois en colère, que tu te sentes trahie, mais tu n'es pas seule dans cette histoire. Tu es ma nièce, et je...

Natalia s'arrêta et se tourna vers lui, ses yeux brillant de larmes retenues.

— Je sais que tu es là pour moi. Mais là, tout ce que je veux, c'est un peu d'espace. Je dois réfléchir à tout ça. À ce que je suis, à ce que je veux être.

Hank hocha la tête, acceptant à contrecœur sa décision. Il fit un pas en arrière, donnant à Natalia l'espace qu'elle demandait.

— D'accord, Nat. Mais s'il te plaît, appelle-moi dès que tu es prête à parler. N'importe quand, jour ou nuit. Je te l'ai déjà dit : peu importe que ce que tu aies, je t'aimerais toujours comme ma propre gamine.

— Merci, tonton... murmura-t-elle avant de s'engager seule sur la route, son portable à la main pour commander un taxi.

Connor, toujours silencieux, observait la scène, ses processeurs analysant chaque détail, chaque émotion humaine qu'il avait du mal à comprendre complètement.

Il sentait une sorte de perte en la voyant partir, un sentiment d'impuissance à aider Natalia, une femme qu'il considérait désormais comme plus que comme un atout pour sa mission.

Elle le troublait, devenant tout ce qui l'attirait dans l'humanité et tout ce qui causait des instabilités dans son programme.

Elle représentait un « désir » qu'il ne devait pas exprimer sous peine d'être en contradiction totale avec ce pour quoi il avait été conçu.

Elle était derrière cette limite à ne pas franchir.



🤖PROCHAIN CHAPITRE MARDI 9H🤖

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