— Après l'accident, quand j'ai remplacé son cœur par une pompe à thirium, Natalia est devenue plus qu'une humaine. Elle est un symbole de ce que la science peut accomplir en termes de fusion entre biologie et technologie, expliqua Mikhael avec une fierté mêlée d'une froideur scientifique.

Connor, bien que programmé pour la neutralité, ressentit une ombre de colère. Il observa Natalia, inconsciente et vulnérable sur la table d'examen, son humanité sujet d'une expérimentation sans son consentement entier.

— Les circonstances de sa survie nécessitaient des interventions extraordinaires, continua Mikhael sans lever les yeux de ses instruments. Elle n'est pas seulement ma fille. Elle est aussi mon chef-d'œuvre, mon projet en constante évolution. Elle représente l'avenir du transhumanisme.

L'implication détachée de Mikhael dans le sort de sa propre fille renforça l'inconfort de Connor. Il scrutait chaque outil, chaque écran avec une méfiance croissante, conscient que chaque modification apportée à Natalia la déshumanisait un peu plus.

— Vous avez apporté des améliorations récentes qui vont au-delà de simples réparations, remarqua Connor, sa voix légèrement tendue sous l'effort de contenir son désaccord.

— Effectuées depuis son retour à Detroit. Son état était déplorable, révéla Mikhael avec un détachement clinique. Elle était dépressive, gaspillant son potentiel. Je ne pouvais pas permettre cela. Les modifications que nous avons entreprises augmentent sa dépendance au thirium. Peu à peu, elle perdra les besoins humains de manger, de dormir, ou même de ressentir des variations de température. À terme, elle surpassera les capacités humaines ordinaires en matière de perception et de résilience physique.

— Est-elle au courant de l'étendue des modifications que vous avez apportées ?

— Pas encore, elle n'est pas prête à comprendre la pleine portée de ce que cela implique. Et maintenant, ce que vous avez appris ici doit rester entre nous. Les répercussions pourraient être... considérables.

Connor acquiesça, le conflit interne évident même pour un androïde. Sa programmation le poussait à protéger l'humanité, mais que faire lorsque l'humanité elle-même menaçait l'une des siennes ?

Mikhael Volkova voyait sa fille non comme un individu mais comme une étape vers quelque chose de nouveau, de potentiellement révolutionnaire mais terrifiant.

Connor se sentait tiraillé entre sa mission et le sort de Natalia, qui méritait de choisir son propre avenir... Jusqu'à que l'image d'elle en train de danser au crépuscule lui revienne en mémoire tant elle exultait de bonheur.

— Je comprends que vous la considériez comme un projet, Dr. Volkova, mais elle reste une personne avec des droits et des sentiments.

Mikhael leva les yeux de ses écrans, surpris par l'intervention de Connor, et arqua un sourcil.

— Je suis son père, et avant tout, un scientifique. Je sais ce qui est le mieux pour elle. Le jour où elle comprendra, elle me remerciera. Tu es un androïde, tu n'as pas à donner ton avis.

— Si Natalia subit plus de 50% de modifications corporelles, ne deviendrait-elle pas similaire à un androïde ? Une grande partie de son sang est déjà synthétique. Quelle différence reste-t-il alors avec les déviants ?

Mikhael fronça les sourcils, clairement agacé par l'insistance de Connor.

— Elle restera humaine car elle conserve sa conscience propre, rétorqua-t-il.

— Et si les déviants développent eux aussi une conscience autonome ?

— Alors ça voudra dire que le monde a évolué. Que les différences entre androïde et humain biocomposé n'existeront plus. Dans ce cas, toi qui as été programmé pour chasser les déviants, la considérerais-tu comme tel ? Seras-tu prêt à la traquer ? Aurais-tu la capacité de la neutraliser ?

Connor fut momentanément pris au dépourvu par la logique froide de Mikhael.

— Votre fille n'est pas une déviante.

— Exactement. Les déviants que tu chasses ont choisi de s'écarter de leurs directives. Natalia ne choisit pas, elle évolue selon mes plans. C'est une avancée scientifique, pas une rébellion.

Connor regarda de nouveau Natalia, allongée et inconsciente sur la table d'examen, son cœur biomécanique battant au rythme imposé par la technologie plutôt que par la nature. Un sentiment d'injustice monta en lui, étranger à sa nature d'androïde.

— Évoluer ne devrait pas signifier perdre son droit de choisir. Peut-être qu'un jour, les lignes que nous traçons maintenant deviendront floues et nous devrons tous reconsidérer ce qui définit vraiment un être "vivant".

Mikhael secoua la tête, amusé par la réflexion de l'androïde.

— Peut-être. Mais jusqu'à ce que ce jour arrive, continue de faire ce pour quoi tu as été créé, RK800. Et laisse-moi faire ce pour quoi je suis destiné.

À ces mots, Mikhael Volkova se pencha à nouveau sur la table d'examen, ses gestes précis et méthodiques alors qu'il ajustait et réparait la pompe à thirium intégrée dans le corps de Natalia.

Le trouble ne quittait pas les traits de Connor normalement impassibles, un malaise croissant au fur et à mesure que le temps passait. Plus d'une heure s'écoula dans un silence presque religieux, seulement interrompu par le son des instruments médicaux et le souffle régulier de la ventilation du laboratoire.

Il analysa et fut un instant rassuré que le scientifique ne rajoute aucun nouvel élément au corps de Natalia, se contentant de réparer, contrôler et faire un entretien.

Finalement, Mikhael fit un pas en arrière, un soupir de satisfaction s'échappant de ses lèvres alors qu'il activait un mécanisme pour réveiller Natalia.

Elle cligna des yeux lentement, sa conscience émergeant du voile de l'anesthésie. Sa première vue fut celle du plafond lumineux du laboratoire, puis celle de son père qui se penchait sur elle avec un sourire qui se voulait rassurant.

— Comment te sens-tu ? demanda Mikhael en vérifiant les dernières données affichées sur les moniteurs à côté de la table.

Elle mit quelques secondes à rassembler ses pensées avant de répondre d'une voix un peu rauque :

— Étourdie...

Son regard se porta ensuite sur Connor, qui se tenait toujours à distance.

Il n'y avait rien dans l'apparence de Natalia qui trahissait ses modifications. À l'extérieur, elle semblait tout à fait humaine, une illusion parfaite de normalité.

— Tu as fait un bon sommeil, annonça Mikhael, comme si rien d'anormal ne venait de se passer.

Natalia essaya de sourire, mais son expression était teintée d'une légère confusion, ses yeux cherchant dans ceux de Connor une sorte de compréhension, ou peut-être un soutien.

— On se revoit dans quelques jours, déclara soudain Mikhael en consultant les moniteurs.

— Ah bon ?

— Je dois faire des modifications et des rajouts pour améliorer ton état, expliqua Mikhael, ses yeux scrutant brièvement les données affichées sur l'écran avant de revenir à Natalia.

Elle hocha la tête, sa méfiance légèrement dissimulée par une façade de résignation.

— J'aurais besoin d'une chemise pour rentrer. Il fait un peu frais dehors et je ne veux pas attraper froid.

— Il n'y a vraiment aucun risque, répondit son père avec un ton étrangement détaché, son regard se tournant vers Connor, observant sa réaction.

Connor, percevant l'inconfort de Natalia et la froideur presque calculatrice de Mikhael, ne put se résigner à l'inaction. Il s'approcha doucement de la table d'examen, enleva sa veste et détacha sa cravate avec une précision méthodique.

— Qu'est-ce que tu fous, Connor ? demanda Natalia, surprise et légèrement embarrassée, le rouge lui montant aux joues.

— Il serait plus convenable que vous ayez quelque chose pour vous couvrir durant le retour, expliqua-t-il en douceur. Cela vous offrira un peu de confort.

Mikhael, observant la scène, esquissa un sourire mi-amusé mi-perplexe, comme s'il évaluait une variable imprévue dans une expérience.

— Très humain de ta part, RK800.

Connor, d'une fluidité mécanique, déboutonna finalement sa chemise blanche et la retira, révélant un torse sculpté. Natalia ne put s'empêcher de détailler un instant le torse de l'androïde, étonnée par l'illusion parfaite de la peau humaine.

Elle l'enfila rapidement, la sensation du tissu doux contre sa peau lui apportant un confort immédiat. Après avoir ajusté les manches un peu longues, Natalia remit sa veste, s'arrangeant pour que la chemise de Connor ne semble pas trop déplacée sous les vêtements formels de son tailleur.

— Merci, Connor, murmura-t-elle, un sourire reconnaissant illuminant brièvement son visage.

Connor remit sa veste et rangea sa cravate dans sa poche avant d'acquiescer en retour.

Tandis qu'ils se préparaient à quitter le laboratoire, Mikhael se remit à ses écrans, tapant rapidement sur les touches de son clavier, visiblement absorbé par ses recherches. Il lança toutefois une dernière recommandation sans détourner le regard de ses données.

— Assure-toi de ne pas oublier le prochain rendez-vous.

Natalia acquiesça, bien qu'une lueur d'inquiétude traversât ses yeux, avant de se diriger vers la sortie. Le silence entre elle et l'androïde était lourd.

Connor, bien que principalement une machine, ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine responsabilité envers elle, surtout après avoir été témoin de la manière dont elle était traitée par son propre père.

En quittant le bâtiment, l'air frais du soir les accueillit, offrant un léger soulagement après l'atmosphère oppressante du laboratoire. Natalia s'arrêta un instant, prenant une profonde inspiration, cherchant à rassembler ses pensées.

— Je commence à comprendre pourquoi mon oncle passe ses soirées au bar... En tout cas, merci d'avoir été présent, Connor. Ta présence m'a apporté du soutien.

— Natalia, je...

Connor s'interrompit brusquement, sa LED clignotant au jaune, un signe qu'il recevait une information.

— Je dois vous laisser rentrer seule. Je viens de recevoir une directive de CyberLife, expliqua-t-il, sa voix portant une pointe de regret.

Natalia fronça les sourcils, surprise et un peu inquiète de le voir partir si subitement.

— Est-ce que tout va bien ? Est-ce quelque chose de grave ?

Connor prit un moment pour considérer sa réponse, son regard se perdant un instant dans le vague avant de se fixer à nouveau sur elle.

— C'est ma mission. J'ai été programmé pour ça. Mais soyez rassurée, je serai vigilant.

— Connor, tu...

— Faites attention à vous en rentrant, ajouta-t-il avant de se rediriger vers le bâtiment.

Il sembla vouloir dire autre chose, mais il se contenta de lui offrir un léger sourire rassurant.

Natalia regarda Connor s'éloigner, sentant une étrange sensation de solitude l'envahir alors que la nuit tombait sur un Detroit troublé par les récentes revendications des androïdes de la Tour Stratford.

🤖PROCHAIN CHAPITRE JEUDI 9H🤖

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