1🤖Tonton Anderson


Novembre 2038 – 10 ans plus tard



Examen complet du cœur synthétique modèle XJ2 terminé avec succès. Aucune anomalie détectée. Pression de thirium stable à 120 millibars.

Température interne régulée à 37 degrés Celsius.

Concentration de nanoparticules vérifiée, conforme aux paramètres optimisés pour une intégration humaine.

Synchronisation neurale à 98% d'efficacité.

Sujet : Natalia Volkova

Date de naissance : 21/12/2012

Date de décès : 05/08/2037

Date de transplantation de la pompe à thirium : 06/08/2037

Intégrité des jonctions biomécaniques intacte.

Veuillez rester immobile pour la déconnexion des interfaces diagnostiques et la réinitialisation des systèmes sensoriels.



— Tout va bien mademoiselle Volkova, vous pouvez vous rhabiller.

Natalia ouvrit lentement les paupières avant de pousser un interminable soupir et de fixer le plafond blanc de la salle d'examen. Un coup d'œil sur le côté et elle sut que derrière la vitre teintée se trouvait son père.

Contrairement à chacun de ses anniversaires, elle savait que pour rien au monde il n'aurait manqué la visite de sa fille dans les locaux de CyberLife.

Elle avait tout fait pour esquiver Detroit, se terrant à Los Angeles le plus longtemps possible chez sa mère. Sa situation précaire et une énième dispute due à son comportement autodestructeur l'avaient forcé à revenir dans cette ville ayant connu sa mort un an plus tôt.

Natalia renfila son débardeur et son sweat-shirt bleu marine avec écrit grossièrement « Life In Progress » ainsi que son jean et ses baskets. Les mains dans les poches, elle en sortit un élastique pour attacher sa chevelure châtain mi-longue en un chignon désordonné.

Mais alors qu'elle s'apprêtait à fuir la salle, il entra.

Mikhail Volkova, renommé chercheur russe débauché par Elijah Kamski, il y a plusieurs années.

Cet homme qu'elle avait cru être son père, fut un temps où ils vivaient à Saint-Pétersbourg avec sa mère. Mais depuis l'expansion de CyberLife, tout avait changé entre eux.

Ils avaient quitté la Russie, s'était installé entre Los Angeles et Detroit et plus le temps passait, plus la famille Volkova se déchirait.

Mikhail s'arrêta à deux pas de sa fille, la dévisageant derrière ses lunettes qu'il rehaussa avant d'approcher lentement sa main de son poignet pour prendre son pouls.

— C'est bien régulier, commenta-t-il, mais tu es très pâle. Yeux cernés. Est-ce que tu as un bon sommeil ?

— Bonjour à toi aussi.

— Nous avons amélioré le logiciel de contrôle de ton cœur.

— Tu parles de la pompe que tu m'as installée de force ? Aie un minimum de respect et n'appelle pas ça un cœur.

— Vu ton état, nous allons augmenter les doses. Tu vas recevoir un stock de thirium à ton adresse.

— J'ai été viré de mon logement.

Son père sembla enfin prendre conscience des mots de sa fille lorsqu'il fronça les sourcils en la dévisageant.

— Tu as encore fait des bêtises ? Va t'installer dans l'appartement que je t'ai acheté et arrête de faire l'enfant. Tu as besoin d'être en bonne santé afin de ne pas fausser les résultats d'analyses. Notre étude compte beaucoup sur-

— Et la santé de ta fille, hein ? Ou est-ce que je suis bien morte il y a un an de cela ? Est-ce que depuis, tu ne me vois que comme ces foutus androïdes que tu conçois ?

— Tu es tendue, se contenta-t-il de répondre. Tu dois aller te reposer. On te fera revenir dans quelques jours pour d'autres examens. Prends bien soin de ton cœur.

— Papa, je-

Natalia n'eus pas le temps d'en dire plus que son père avait déjà quitté la pièce.

Elle aurait voulu lui avouer qu'elle avait plusieurs loyers de retard parce que les androïdes de CyberLife avaient fini par rendre inutile son travail dans la cybersécurité. Être une spécialiste et major de sa promotion à Stanford ne l'avait pas aidé, autant que ses déboires avec l'alcool.

Elle n'était revenue à Detroit que depuis quelques jours et une nuit de plus dans un motel sordide allait l'achever.

— Hors de question que je retourne chez maman, murmura-t-elle en repensant à Helena Anderson menant sa nouvelle vie au côté d'un androïde masculin HR400 répondant à ses fantasmes.

— Il me faudrait votre adresse pour la livraison de thirium, lui demanda soudain un androïde d'une voix dénué d'émotion.

Natalia hésita un instant puis, comme si c'était une évidence, donna la seule adresse à Detroit où elle pourrait encore se sentir chez elle.

— 115 Michigan Drive. Au nom d'« Anderson ».

— Merci mademoiselle Volkova.

Sans un regard de plus, elle quitta la salle d'examen ainsi que les locaux de CyberLife alors que le soleil se couchait à l'horizon entre les buildings.

Avec pour uniques bagages une petite valise et un sac à dos, elle ne perdit guère de temps pour retrouver cet être aussi imprévisible qu'elle. Le dernier lien qui la rattachait encore à l'idée d'une famille.

Lorsque le taxi la déposa devant le Jimmy's Bar, un soulagement éphémère l'envahit en constatant que l'établissement était interdit aux androïdes. Cependant, ce répit fut de courte durée, car son cœur synthétique se mit à battre avec une intensité alarmante.

Portant une main à sa poitrine, elle affronta la pluie qui commençait à la tremper, tentant vainement de réguler le rythme de son cœur en murmurant à plusieurs reprises "Je suis vivante."

En s'engouffrant dans le bar, elle fut accueillie par une atmosphère saturée d'une odeur entêtante de tabac et de sueur, mêlée à l'effluve âcre de bière renversée. Les lumières tamisées du lieu jetaient des ombres dansantes sur les murs tapissés de vieux posters de rock et les étagères chargées de bouteilles d'alcool.

Elle glissa sa valise avec précaution sur les lattes abîmées du plancher en bois. Arrivant au comptoir, elle prit place à côté de l'homme qu'elle était venue retrouver.

Assis là, son oncle, avec ses cheveux ternes en bataille et une barbe de quelques semaines donnant à son visage marqué un air encore plus grisonnant et fatigué. Il portait son habituel blouson en cuir usé qui semblait endosser autant d'histoires que lui.

Sans perdre un instant, elle commanda à Jimmy un Bloody Mary, sa voix couvrant à peine le morceau de blues crachotant des haut-parleurs.

— Ça fait un bail que je n'avais pas entendu ce petit accent russe ! s'exclama Hank en se levant pour l'enlacer. Oh fillette, tu m'avais manqué !

— C'est tellement réciproque... murmura-t-elle, emmitouflée dans ses bras.

Hank Anderson était son oncle maternel mais surtout le pilier rassurant et tout aussi dysfonctionnel qu'elle. Natalia avait toujours eu beaucoup d'admiration pour ce lieutenant de police et avait de bons souvenirs de ses étés à Detroit avec lui.

Après la tragique disparition de son cousin Cole, alors qu'elle était plongée dans ses études, Natalia n'avait pas eu l'opportunité de soutenir son oncle comme elle l'aurait souhaité. Ce n'est qu'après son accident, en août 2037, qu'elle réalisa à quel point leur douleur commune les avait rapprochés.

Son oncle Hank avait été un aide éphémère mais inoubliable et elle avait encore le souvenir d'Hank éméché et en larmes, veillant à son chevet, murmurant le prénom de son fils perdu dans un accident de voiture similaire au sien.

Cette douleur réciproque les avait unis, chacun portant les éclats brisés de leur existence.

— Qu'est-ce que tu fais à Detroit, gamine ? lança Hank, un ton affectueux dans la voix, après avoir vidé son verre. T'es venue voir ton fichu de père ?

— Avec grand déplaisir, oui ! Mais ce n'est pas la seule raison...

Natalia se déversa alors, partageant avec lui ses récentes épreuves : la perte de son emploi, de son logement, ses relations toxiques, en particulier avec sa mère, et une dépression si palpable où l'alcool lui offrait un semblant de répit.

La boisson coulait doucement dans sa gorge, mais Natalia ne ressentait pas la brûlure habituelle qui l'apaisait et mit ce fait sur le compte du mauvais spiritueux de Detroit mais surtout de ses problèmes exposés à son oncle.

Elle savait qu'Hank, de tous les gens, pouvait comprendre son tourment, et sa réponse fut qu'une main chaleureuse et réconfortante posée sur la sienne.

— Et voilà... Si je suis ici, c'est parce que-

— T'as besoin d'un lieu où crécher ? Tu aurais pu commencer par ça ! Ma porte t'est toujours ouverte.

Dans un geste brusque mais tendre, Hank fouilla dans ses poches avant de jeter un trousseau de clés sur le comptoir. Commandant un autre verre, il ajouta :

— Va devant, gamine. Tu as l'air épuisé, tu ferais mieux de rentrer te reposer.

— Et toi, tu restes ici ?

— Ouais... j'ai des choses à repenser.

Même si elle se sentait en confiance avec son oncle, Natalia connaissait sa répulsion pour les androïdes, bien plus importante que la sienne, et ne pouvait pas encore lui expliquer pourquoi elle devrait se faire livrer du sang bleu chez lui.

Seuls CyberLife et son père étaient au courant du cœur synthétique dans sa poitrine, pas même sa mère.

L'opération avait été menée en urgence après un accident de voiture et alors que Natalia avait été déclarée comme officiellement morte, son père avait réussi à remplacer son cœur biologique par un cybernétique. Le même que ceux des androïdes.

Alimenté par le sang humain mais également par du thirium nommé « sang bleu », la pompe en elle la maintenait en vie, mais à quel prix ?

Cela faisait un an et, même si ses résultats étaient normaux, elle en souffrait toujours psychologiquement. L'insomnie devenant de plus en plus régulière à mesure que ses doses de sang bleu augmentaient.

Natalia vida son verre d'une traite puis déposa un baiser empreint de tendresse sur le front de son oncle. Hank, perdu dans ses pensées sombres, agrémentées par l'amertume de l'alcool, lui rendit un sourire triste et lointain avant de se replonger dans le tourbillon mélancolique de ses réflexions.

Elle régla Jimmy, le barman au regard compatissant, et attrapa fermement la poignée de sa valise. La porte s'ouvrit sur la nuit, un rideau de pluie battante l'accueillant avec vigueur.

À peine eut-elle mis un pied dehors qu'un taxi, comme appelé par le destin, s'arrêta brusquement devant l'entrée. L'homme qui en descendit, ajustant sa cravate, la dépassa sans même une œillade, ses pas précipités le menant vers l'entrée du bar.

Natalia nota l'éclat métallique de son uniforme d'androïde sous l'éclairage des réverbères, son allure stricte contrastant fortement avec la décontraction habituelle des humains.

Elle se retourna pour l'observer de dos, capturant chaque détail de sa silhouette. Mais alors qu'elle scrutait l'inconnu, une sensation désagréable compressa son cœur synthétique, un rappel pénible de sa condition. Poussée par une nécessité soudaine de fuir ce rappel de sa propre nature artificielle, elle grimpa précipitamment dans le taxi.

— 115 Michigan Drive, s'il vous plaît.

La voiture sans chauffeur se fraya un chemin à travers les rues détrempées. Natalia jeta un dernier regard vers le bar, où l'androïde s'était arrêté à l'entrée, avant que la pluie dense ne brouille sa vision.



🤖PROCHAIN CHAPITRE JEUDI 9H🤖

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