chapitre 99 : la goutte d'eau qui a fait déborder le vase
SHAYNE
Cela faisait à présent plus d'une heure que Shayne barrait les noms des listes, passant de famille en famille pour annoncer la mauvaise nouvelle. Les réactions pouvaient varier, de la crise de larmes d'une vieille mère ou de la colère incontrôlable d'un frère. "Vous étiez censé le ramener vivant", c'est ce qu'il entendait le plus. L'un des pires moments avait été de remettre le drapeau du Texas à une fillette de six ans qu'elle allait devoir apprendre à vivre sans sa mère. Il s'était déjà reçu plusieurs gifles, des crachats en plein visage... Maintenant il savait ce que c'était qu'être un Vautour et à quel point il fallait être psychopathe de vouloir faire un tel métier. Il commençait à avoir une terrible migraine et il ne savait pas vraiment si c'était sa conscience qui lui disait d'arrêter ou si c'étaient les plaies de son œil qui commençaient à bouillir au soleil. La foule s'était déjà un peu diminué et il ne restait plus qu'une famille. Shayne prit une grande inspiration et barra le dernier nom sur ses fiches, but une gorgée d'eau pour supporter le soleil du soir du Texas et se dirigea vers deux femmes qui sillonnaient avec désespoir les parages de leurs yeux peinés. Il jeta un regard vers Sarah qui était en train de serrer sa mère et ses quatre sœurs dans les bras et il se décida d'officiellement se présenter au garde à vous à la veuve Cole qui avait l'air très maigre, visiblement très atteinte par la maladie.
- Bonjour Madame, je suis le Lieutenant-Colonel Carter et...
- Je sais qui vous êtes, dites moi où est mon mari ?
La femme tenait à bout de mains une fillette d'une quatorzaine d'années en fauteuil roulant. Celle-ci le regardait avec tellement d'espoir que Shayne ne réussit pas à piailler un mot.
- Alors ?!
- Madame Cole, je suis désolé de devoir vous annoncer que votre mari a trouvé la mort il y a maintenant quelques semaines. Il est mort dans l'exercice de ses fonctions et en tant qu'héros.
L'adolescente en fauteuil roulant plaqua ses yeux dans ses mains et sanglota comme si un million de poignards venaient se planter dans son cœur. Shayne sortit de sa poche le grade de Colonel que Laïthan lui avait donné sur son lit de mort et détacha aussi son drapeau de sa bandoulière avant de le plier en triangle et de le tendre avec une main tremblante vers la veuve qui le regardait d'un air complètement abasourdie.
- Voici le drapeau qui se trouvait dans sa tente, tout ça vous appartient.
Elle ne le saisit pas et il resta, planté, avec les objets dans la main.
- Je n'en veux pas, je veux que mon mari soit ici ! où est ce qu'il est ?!
- Madame Cole, je...
- Où est ce qu'il est ?!
- Il m'a dit de vous dire avant de mourir qu'il était désolé de vous avoir laissé et qu'il regrettait toute sa vie ce qu'il s'était passé.
La jeune fille paraplégique arracha le drapeau des mains de Shayne et l'aigle en argent vint s'écraser par terre.
- Vous deviez me rapporter mon père et tout ce que vous me rapportez c'est un putain de drapeau et des excuses à la con ?
Le Lieutenant-Colonel se baissa avec difficultés pour ramasser l'épingle en argent mais faillit gémir lorsque son cerveau fut complètement traversé de part et d'autre par une foudre de douleur. La veuve s'approcha de lui et lui pointa un doigt menaçant sur le sternum.
- Vous avez un boulot, c'est de le garder en vie et vous avez foiré.. Vous, vous avez foiré ! vous êtes responsable de sa mort !
Shayne allait répondre quand un autre coup de douleur cingla à nouveau sa tête et apparemment alerté par cette vision, Sarah ainsi que ses quatre sœurs s'approchèrent de lui.
- Est-ce que tout va bien ?
La femme de Laïthan se tourna vers la docteur et lui hurla sa réponse.
- A votre avis ? Cet homme est responsable de la mort de mon mari !
- Madame Cole, calmez-vous, je sais que vous devez avoir mal maintenant mais...
Shayne posa une main sur l'épaule de Sarah et tenta d'aligner deux mots à la suite, aveuglé par la douleur.
- Sarah... L... Laisse tomber, c'est mon devoir.
- Shayne est ce que tu vas bien ?
Très loin de là. Mais il essaya quand même de s'excuser auprès de la famille, même si il avait envie de leur dire tout le mal qui venait de sa tête, il savait que ce n'était pas ce que Laïthan aurait voulu, tout ça il le faisait par pur respect pour son Officier supérieur et son ami.
- Je suis le premier à être désolé, d'accord ? Et lui aussi, il l'était, je ne peux même pas imaginer à quel point ça va être dur pour vous de devoir accepter sa mort, mais vous le devez, il a été un héros pour nous tous et c'est grâce à lui que certains ont quand même réussi à survivre. Je suis sûr qu'il aurait voulu que vous vous souvenez de lui comme tel.
- Brûlez en enfer.
Sur ce, la femme caressa la tête de sa fille et sans un regard en arrière, elles s'en allèrent. Sarah s'apprêta à se retourner vers Shayne, mais celui-ci fut attaqué par une énième migraine.
Celle de trop.
Alors il perdit connaissance et s'écroula sur la piste.
Shayne se réveilla à l'hôpital et la première chose qu'il vit c'était les rayons de la lune qui pénétraient les stores des rideaux de sa chambre. Sa tête lui faisait tellement mal que le premier petit mouvement qu'il essaya de faire lui donna le pire tournis qu'il avait jamais eu. Rien ne s'arrangeait non plus avec le fait que sa vision était à présent diminué de moitié. Il essaya de bouger le bras vers son verre d'eau mais avec ses tremblements, il le fit tomber sur le sol et il s'écrasa en petits fragments de verre. Le bruit alerta une infirmière qui rentra dans la pièce, soucieuse.
- Vous êtes réveillé ?
- Non, je suis somnambule.
Elle leva les yeux en l'air et tout en sortant une petite lampe de poche de sa blouse bleu, vint lui ausculter l'œil valide.
- Je vais appeler le docteur pour qu'il vous explique pourquoi vous avez perdu connaissance. Surtout restez tranquille.
La femme sortit de la pièce et Shayne rassembla toutes ses forces restantes pour se rasseoir comme il le fallait et tenta de se souvenir de ce qui s'était passé. Il se souvenait d'avoir été à bord de l'avion et d'avoir été aux côtés de Sarah lorsqu'ils étaient descendus. Il se souvenait de la douce brise de l'été Texan, du sentiment d'être enfin chez soi, libre. Il ferma doucement les yeux pour profiter de cette sensation tout en prenant soin d'éviter de penser à sa rencontre avec la veuve de Laïthan, mais fit à nouveau perturbé avec l'entrée du docteur. Il devait être jeune, dans les débuts de trentaine, tout comme Shayne.
- Lieutenant-Colonel Carter... Je suis le docteur Stevens et c'est moi qui m'occupe de votre dossier.
- J'ai pas de dossier, parce que j'ai rien, sortez moi d'ici qu'on en finisse, je perds votre temps.
Le docteur lui jeta un œil après avoir lu le dossier accroché au pied de son lit et vint s'approcher pour lui expliquer.
- Malheureusement ce n'est pas juste un coup de soleil que vous avez eu.
- Sortez moi d'ici, je me sens bien.
Shayne tenta de sortir du lit, mais le docteur posa une main amicale sur l'épaule.
- Vous avez un anévrisme cérébral.
- Et alors ? Y'en a plein qui en ont, c'est pas si grave, retirez la moi un point c'est tout.
- Vous croyez ?
- Arrêtez de jouer avec moi et dites moi ce qu'il faut que je fasse pour que ça s'arrête.
- L'anévrisme se situe dans le lobe frontal, ce qui rends son extraction quasi impossible. Il y a bien plus de risques de vous ouvrir maintenant que si vous vivez avec. Il faut juste que vous sachiez que ça existe et que le moindre geste de travers pourrait le faire exploser. Vous comprenez ce que ça veut dire ?
- Que j'ai une bombe à retardement dans la tête ?
- En plus de ça vous ne pourriez plus jamais reprendre l'exercice de vos fonctions.
Shayne éclata de rire en plaquant sa tête contre son oreiller et indiqua au docteur son œil aveugle.
- Je suis tireur d'élite... à votre avis, il faut combien de yeux pour ça ?
Au moment où le médecin allait répondre, Sarah entra en trombes.
- Qu'est ce qui s'est passé ?!
Le docteur Stevens se leva en mettant les mains dans les poches de sa longue blouse blanche et tenta d'expliquer.
- J'étais justement en train d'expliquer que...
- Que j'ai une simple commotion cérébrale, rien de plus, n'est-ce pas docteur ?
Celui le regarda un instant avec incompréhension et finit par assurer dans la direction de Sarah.
- Je vous laisse parler entre vous.
Il ferma la porte derrière lui en embarquant son dossier et au moment où ils furent seuls dans la pièce, elle s'approcha de Shayne qui par réflexe professionnel lui ausculta les yeux.
- Et ben... Depuis quand le célèbre Shayne Carter tombe pour une petite commotion cérébrale ?
Heureusement pour Shayne, les symptômes d'une commotion cérébrale étaient quasi identiques avec celles de l'anévrisme, de quoi bluffer devant la docteur qui s'assit à côté de lui, les yeux débordant d'amour.
- Je deviens vieux, je crois.
Elle pouffa légèrement et il s'essuya le front qui était couvert de sueurs avant de lui dire.
- Je vais plus jamais revoir un champ de bataille...
- Tu as encore envie d'en voir un ? Après tout ce qui s'est passé ?
Il regarda devant soi pour mieux en réfléchir et finit par secouer la tête.
- Non. Plus jamais. J'ai envie de rester ici et de devenir un vieux connard qui gueule contre les gamins du quartier qui font tomber leur ballon dans mon jardin.
Sarah dut se mordre la lèvre pour ne pas éclater de rire mais Shayne continua plus sérieusement.
- Je veux faire ça avec toi.
- Attends, tu crois vraiment que je pourrai te supporter ?
Voyant qu'il ne rigolait pas, son sourire de ses lèvres et il précisa.
- J'ai pas regardé assez de films romantique pour savoir comment faire ce genre de trucs, mais... C'était une demande en mariage.
Sarah s'arrêta de bouger durant l'espace d'une minute et finit par s'écraser dans le dossier de sa chaise, les bras croisés au-dessus de sa tête.
- Encore une fois, je sais pas comment ça doit exactement se passer mais... Normalement je crois qu'il faut que tu dises soit oui, soit non. De préférence oui.
- Attends j'ai besoin d'une minute.
Shayne regarda ses ongles d'un geste désinvolte et haussa les épaules.
- Vas-y, je t'en prie, prends ton temps.
Sarah appliqua ses mains sur la bouche et finit par demander, les yeux grands ouverts comme ceux d'une biche.
- Tu es sûr ? Tu es sûr de que c'est ce que tu me demandes ? Je sais que tu as du mal avec tout ça et je voudrai surtout pas te...
- Sarah. Je le demanderai pas si je savais pas ce que je voulais.
Elle rayonnait de joie et se rapprocha de lui pour l'embrasser. Shayne tenta de la repousser et grogna.
- Ok, ok, ça suffit maintenant, j'en conclus que c'était un oui ?
- Je te déteste.
- Je sais, moi aussi je t'aime.
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