* Chapitre 7 *

Jeudi. Tom n'avait pas eu le courage d'aller en cours. La disparition d'Algorn avait éradiqué la dernière étincelle de sa détermination à ne pas se laisser dévorer par la situation. De toute façon, quelqu'un d'autre avait disparu la nuit précédente. Tout le monde avait joué et, sauf bénédiction du destin, quelqu'un avait été tué. Tom ne voulait pas passer sa journée au lycée dans l'angoisse de découvrir une fois chez lui le visage du nouveau mort.

Midi. Les résultats apparurent sur le site du jeu. Syrinailla. Loup-garou. Le doux visage d'une demoiselle aux cheveux roses chargea sur l'écran de Tom : elle n'avait pas encore été portée disparue, sans quoi il connaîtrait déjà ses traits... Mais cela ne saurait tarder. Dans une telle atmosphère de peur, aucune disparition ne passait inaperçue.

̶   Dix joueurs encore en lice, annonça le MJ dans sa boîte de dialogue privée. Que les votes pour le lynchage commencent !

Tom referma violemment son ordinateur portable.

̶   Non. Il est hors de question que je participe à un vote de plus. Ça ne peut plus continuer comme ça.

Il avait atteint sa limite. Se dire que sa voix allait contribuer à la disparition de quelqu'un lui donnait envie de vomir. Il n'avait plus aucune envie de voter. Il avait déjà trop d'enlèvements la conscience.

Son téléphone d'urgence sonna.

« Je vais finir par croire que tu es foncièrement con, Tom... »

Là aussi, c'en était trop.

̶   Vas te faire foutre toi et ton avis, renvoya Tom au numéro masqué. Et tu peux aussi aller te faire foutre avec tous tes conseils. Vas. Te. Faire. Mettre.

̶   J'allais te rappeler que ne pas voter est considéré comme un acte de passivité, donc d'abandon, rétorqua l'autre, mais si tu le prends comme ça...

Tom se figea. Ce connard avait raison. Mais quelque chose le dérangeait tout de même profondément.

̶   Comment tu peux être au courant de mes intentions ?  s'étonna le jeune homme. Comment es-tu au courant de tout ce que je fais ?

̶   J'ai hacké ton smartphone. Je te vois et je t'entend, où que tu sois : or tu viens de péter les plombs à voix haute. Et enfin, au vu de tes activités sur le net, le mot « vote » était un bon indice sur tes intentions. Ah, et si tu veux savoir comment je connais ton identité et ton deuxième numéro de téléphone, j'ai fait un petit tour sur le net et sur le portable de ta mère. Est-ce que ça te vas comme explication ?

̶   Pourquoi tu m'observes ? l'ignora Tom.

̶   Je veux t'aider à faire les bons choix.

̶   Qui es-tu pour prétendre les connaître ? Et qu'est-ce qui m'oblige à t'écouter ?

̶ Je participe au jeu du Loup-Garou, moi aussi. Je sais comment il fonctionne.

Tom pinça les lèvres. Plus il discutait avec cet inconnu, moins il avait envie de lui faire confiance.

̶   Quel est ton pseudo ? lui demanda-t-il.

̶   Keyros.

En effet, Tom avait déjà aperçu le nom de ce joueur. Il ne l'avait cependant jamais vu s'exprimer sur le site, cette conversation se résumait donc à un premier et houleux contact entre les deux joueurs.

̶   Saches que rien ne m'oblige à écouter tes soi-disant conseils, Keyros, lui répondit finalement Tom. Alors une fois de plus, tu peux juste aller te faire foutre.

̶   Oh, tu en es sûr ? Parce que, je sais pas, il me semblerait, mais je pourrais me tromper, de t'avoir conseillé de ne pas t'allier avec Algorn, si je puis me permettre de te rappeler ceci.

̶   Je ne vois pas en quoi refuser son alliance aurait changé quoi que ce soit.

̶   Algorn n'aurait pas été lynché.

Tom en lâcha presque son téléphone. Comment ça, Algorn avait été lynché à cause de leur alliance ? Cela n'avait aucun sens ! Et à en croire le discours de Keyros, c'était la faute du Meneur. Ridicule. Si le MJ voulait tant que ses victimes jouent le jeu, il n'avait aucun intérêt à faire ça.

̶   Qu'est-ce que tu veux dire ? lui demanda tout de même Tom.

̶   Tout se jouait entre vous deux, lui répondit Keyros. Le MJ a tout simplement fait basculer la balance de la malchance du côté d'Algorn au lieu de laisser les votes se terminer par une égalité parfaite. En gros, si tu n'avais pas sympathisé avec lui, personne n'aurait été lynché.

̶   Le MJ n'a aucun intérêt à faire ça. Ta théorie est complètement foireuse.

̶   Le MJ ne cherche pas à être logique. Du moins, sa logique à lui est bien différente de la notre. Nous, tout ce qu'on veut, c'est survivre, et que tout le monde survive aussi... Le MJ, lui, veut qu'on s'entre-tue, qu'on se déchire les uns les autres pour qu'il n'y ait qu'un seul gagnant. Il ne t'a pas menti en te disant qu'il te faisait un cadeau : tu as sa protection, Tom, et sa bénédiction pour te débarrasser des autres. Il t'a offert deux petites chances de t'en sortir car, j'en ai bien peur, il ne pourra il y avoir qu'un seul vainqueur à ce jeu.

Tom relut plusieurs fois le message de Keyros. Tout son raisonnement tenait la route. Pourtant le jeune homme refusait de lui laisser gagner le terrain de sa confiance.

̶   Rien ne m'oblige à croire tout ce que tu viens de dire.

̶   Tu te souviens du gosse qui a disparu le deuxième jour ? Oh ! Oui, c'est vrai : il était devant chez toi... C'est toi qui a appelé les flics.

Si ce Keyros lui avait dit tout cela en face, Tom lui aurait déjà envoyé son poing dans la bouche. Il se préparait à répliquer lorsque son interlocuteur continua :

̶     C'était mon allié. Le MJ a décidé de me faire un cadeau et a buté ce pauvre gosse. Exactement la même chose que pour toi et Algorn. Alors, permet moi de te mettre en garde. Les cadeaux du MJ, c'est juste un beau gros gâteau de cyanure caché sous un glaçage à la fraise. Ce n'est pas pour rien que je te harcèle depuis ta rencontre avec Algorn. J'aimerais éviter que notre enfoiré de Meneur te transforme en psychopathe et te pousse à tuer tout le monde. Tu comprends ?

Tom comprenait parfaitement. Et il comprenait tout aussi parfaitement qu'il avait intérêt à ne pas trop s'approcher de ce joueur. S'il suivait ses conseils, s'allier revenait à ce que l'un d'entre eux disparaisse incessamment sous peu. En vérité, Tom n'avait franchement pas envie de faire confiance à Keyros. Il savait trop de choses et cela ne lui plaisait pas du tout.

̶   Je comprends, lui répondit Tom. Mais bon, puisqu'il faut survivre, je pense que je vais aller tuer tout le monde plutôt que de rester passif.

̶   Au fait, je sais comment sauver les autres sans se faire tuer, si jamais tes envies meurtrières te passent rapidement.

C'était beau. Bien trop beau pour être vrai. Ce type se payait la tête de Tom. Il aurait pu en rire, sincèrement, mais il était vraiment trop énervé contre le machiavélisme de Keyros pour se laisser aller à l'humour noir.

̶   Vas te faire foutre.

̶   Soit.

Il y eut un long silence de Keyros. Tom cru qu'il avait enfin réussi à le faire taire, jusqu'à ce qu'un dernier message fasse vibrer son téléphone :

̶   Nous n'avons pas tous la même morale dans ce jeu. Certains n'hésiteront pas à suivre les directives du MJ à la lettre. Certains rôles ont été créés pour ça. Fais bien attention à toi.

Puis plus rien. Keyros avait enfin terminé son speech. L'adolescent jeta son téléphone au loin et soupira. C'était à se demander si ce jeu n'était pas, au final, un combat entre le MJ et celui qui parviendrait à contrer son emprise.

Sa tête se mit à tourner. Tom n'avait plus rien mangé depuis 24h et n'avait pas dormi la nuit précédente. Son corps était à bout. Il se tira de son lit avec peine et se traîna jusqu'à la cuisine : sa mère lui avait laissé une grosse part de gratin et un petit mot doux abandonné sur un post-it.

« Mon cœur, je n'ai pas réussi à mettre la main sur la clef du coffre à fusils. »  disait-t-il. « Je vais essayer d'appeler un serrurier le plus vite possible. Je t'ai laissé une part de gratin et un bout de tarte aux pommes au frigo. J'espère que tu te reposeras un peu, aujourd'hui... Ta maman qui t'aime. ».

Elle avait écrit vite, probablement en retard. Tom esquissa un pâle sourire. C'était bien la marque de fabrique de sa mère.

Un autre post-it était caché sous le premier. L'écriture, tout aussi bâclée que sur le précédent, était à peine visible : « PS : je t'ai laissé des somnifères sur la table du salon, au cas où tu n'arriverais pas à dormir. Bisous, je t'aime mon ange. ».

En effet, une boîte de médicaments au nom imprononçable gisait sur la table basse. Tom les rangea dans un tiroirs de sa chambre. Sa mère avait vu juste : il en avait grandement besoin.

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