* Chapitre 5 *
La dernière Nuit de jeu avait été salvatrice. Aucun mort à déplorer. Mais le repos n'avait pas été long car l'annonce d'une nuit sans mort avait vite été suivie du début des délibérations. Un lynché allait être désigné le lendemain et face à la décision des habitants, ni le Salvateur, ni la Sorcière ne pouvait agir.
Ce jour là, Tom avait fait l'effort d'aller au lycée : il était déterminé à changer d'air et à se concentrer sur ses examens de fin d'année. Tant est s'il survivait jusque là. Une boule s'était formée au creux de son estomac lorsqu'il avait pensé à cela. Il ferma son cahier de mathématiques et se força à respirer calmement.
Il était une heure du matin. Sa mère s'était couchée depuis longtemps mais Tom savait qu'elle était inquiète : elle percevait tout l'affolement de son fils sans pouvoir l'apaiser, et cela la rendait malade. Le seul fait d'être la cause de ce trouble rendait le sommeil de Tom particulièrement difficile. La nuit allait être longue jusqu'au lendemain, ou plutôt jusqu'au matin... Demain était déjà aujourd'hui, malheureusement, ce qui rimait avec lynchage. Le jeune homme n'était pas sûr d'être prêt pour une nouvelle disparition.
Une légère brise l'attira jusqu'à sa fenêtre. Il inspira une grande goulée d'air nocturne, épuisé au point où la fraîcheur du soir lui était complètement indifférente. Il était déjà frigorifié ; frigorifié d'une angoisse qui le faisait trembler mieux que le froid. Les ombres au dehors lui paraissaient mouvantes, menaçantes, tout droit sorties de ses pires cauchemars. Oui, c'était bien ça : il avait l'impression de cauchemarder sans même avoir à fermer l'œil.
Il recracha son chewing-gum en grimaçant. C'était son sixième de la nuit : il n'avait dans la bouche plus qu'un goût de menthe et de caoutchouc absolument immonde. Enchaîner les chewing-gums, c'était la manie nerveuse de Tom. Et autant dire que dans la situation actuelle, son paquet neuf n'avait pas tenu la journée... Alors il alluma la torche de son smartphone et sortit de sa chambre sans un bruit, espérant ne pas réveiller sa mère dans son périple jusqu'à la cuisine. Il prit un verre sale dans l'évier, le rinça et se servit au robinet. Il avait éteint sa torche et buvait dans l'ombre de l'arbre qui poussait devant la fenêtre de sa cuisine.
Non.
Il n'y avait jamais eu d'arbre devant la cuisine.
Tom se précipita dans le salon. Il attrapa une chaise, l'escalada et passa la main au dessus du meuble-bibliothèque : il n'y avait plus de clef. Le garçon pesta et sauta sur le tapis en silence. Sa mère avait dû la cacher autre part. Elle trouvait toujours de nouveaux endroit où ranger la clef du coffre à fusils quand son fils n'était pas là.
Le débarras au fond du jardin... Cet endroit était tellement flippant qu'elle-même rechignait souvent à s'y rendre. Ce devait être là-bas. Seulement pour y parvenir, Tom devait aller dehors... S'il longeait le garage et le saule, il pourrait peut-être passer inaperçu. Un couteau dans une main et son smartphone dans l'autre, il ravala la terreur qui lui compressait la poitrine et sortit par la porte de derrière.
Longer le mur. Le garage. Tom avait l'horrible impression que le simple son de sa respiration raisonnait dans tout le jardin, que chaque minuscule feuille qui craquait sous son pied allait le perdre. L'ombre avait disparu. Elle n'était plus devant la cuisine, ni même devant la maison. Tom savait qu'il n'avait pas rêvé. Il y avait quelqu'un dans son jardin et ne pas savoir où il se trouvait le mettait extrêmement mal à l'aise. Mais c'était peut-être l'occasion de se dépêcher.
Le saule. La plus basse de ses branches, cassée, touchait à moitié le sol. Son feuillage était en train de mourir mais de nuit, le peu qui en restait cachait aisément la silhouette du jeune homme.
Ce n'était qu'un petit craquement, mais il l'avait parfaitement entendu.
Tom fit volte face et alluma la torche de son téléphone en mode rafale. La personne qui se tenait derrière lui se protégea le visage en reculant, éblouie. Le résident brandit son couteau lorsque l'intrus leva la main en un signe pacifique, presque implorant :
̶ S'il vous plait, arrêtez ! J'vous veux pas de mal ! J'vous jure ! Éteignez cette lumière, s'il vous plait...!
Tom régla sa torche en mode normal. Il en rapprocha son couteau pour que sa lame brille dans la lumière.
̶ Si vous ne me voulez pas de mal, rétorqua-t-il d'une voix menaçante, qu'est-ce que vous foutez à une heure pareille dans mon jardin ?
̶ J'suis un joueur... Un joueur de Thiercelieux.
Cette nouvelle avait pour but de calmer Tom. Elle eut l'effet inverse.
̶ Cassez-vous.
̶ Mais j...
̶ Rien à foutre de vos raisons. Partez avant qu'il nous arrive quelque chose de regrettable à tous les deux.
̶ Mais... C'est mon rôle d'être ici...
Tom se tut, le sourcil levé. L'homme haletait, de peur sans doute, mais trouva le courage de continuer :
̶ J'suis l'Espion. J'ai accès à toutes les informations à propos des joueurs et j'ai le droit de les espionner.
̶ Et pourquoi m'espionner moi ?
̶ Vous étiez là quand le p'tit a disparu. C'est vous qu'avez appelé les flics.
̶ ... Oui. Et alors ?
̶ J'sais que je peux vous faire confiance.
Tom le toisa. C'était un grand bonhomme, large et poupon, une espèce de gros nounours au regard désolé que l'adolescent regretta presque d'avoir menacé. Il semblait affolé. Perdu. Mais l'espoir qui brillait au fond de son regard noyait tout éclat de terreur.
̶ ... Je ne sais pas ce que je peux faire pour vous, lui confia Tom. Je ne pourrais pas vous sauver, ni vous, ni les autres joueurs.
Ses derniers mots tremblèrent. Gaël, lui, avait essayé. Tom n'avait pas envie de tenter une chose aussi inconsidérée. Il savait où cela le mènerait.
̶ J'voudrais juste qu'on s'allie, s'expliqua le type. À deux, on a pt'être une chance de s'en sortir.
L'intéressé considéra la question. Ce gars avait peut-être raison. De plus, son rôle était très intéressant : il n'avait pas l'air de savoir quoi en faire mais Tom, lui, y réfléchissait déjà. De toute façon, il n'avait aucune envie de tourner le dos à ce type.
̶ Quel est votre pseudo ? L'interrogea-t-il.
̶ Algorn.
Tom baissa les yeux vers la main hésitante que l'autre lui tendait. Le résident avait toujours son couteau à la main et son téléphone braqué en avant, mais il lâcha son arme et accepta l'offre d'Algorn.
̶ Allions-nous, déclara-t-il. Mais une fois de plus, ne prenez pas cela comme un contrat de protection.
̶ J'sais bien. On est tous impuissant. Le MJ l'a dit lui même... Mais merci de m'avoir écouté.
Dans la chambre de Tom, son téléphone de secours n'arrêtait plus de sonner. Mais, de là où il était, le jeune homme n'avait aucune chance d'apercevoir tous les sms qu'il avait reçu. Sans réponse, l'auteur des messages finit par comprendre qu'il n'attirerait pas l'attention du joueur ce soir. Il abandonna dans un dernier sms :
« Ne t'allie pas à ce mec, Tom. Tu vas le regretter. Refuse. »
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