* Chapitre 22 *
La porte sortait presque de ses gonds. Le type qui avait tenté de la défoncer s'y était donné à cœur joie... Quant à la fille aux cheveux roses, il n'y avait pas la moindre trace d'elle. Tom essayait d'imaginer ce qui lui était arrivé mais d'horribles images lui venaient en tête : il les chassa d'un clignement de paupières et franchit le seuil. Ce n'était pas le moment de se poser ce genre de question.
Il n'y avait personne. Seuls les cliquetis des néons perturbaient le profond silence du couloir : rien ne laissait présager que des gens y étaient passé quelques minutes plus tôt. Ce calme angoissa Tom. Ne pas savoir où se trouvaient les deux autres ne le rassurait pas... De son côté, Jade (que Tom n'avait plus aucune raison d'appeler Keyros) accueillit l'ambiance en levant un sourcil perplexe.
̶ Il n'y a pas l'air d'avoir qui que ce soit... remarqua-t-elle sur un ton lourd de sens.
̶ Ils sont repartis. Mais je te jure que je les ai vu.
̶ Que faisaient-ils ?
̶ L'un d'eux menaçait l'autre avec une matraque.
̶ Pourquoi ?
̶ Qu'est-ce que j'en sais ?!
̶̶ ... Hum...
Elle balaya rapidement le couloir du regard, d'un côté puis de l'autre, avant de s'en aller vers la gauche : il était clair que la présence décrite par Tom ne l'alarmait pas plus que ça, ou plutôt qu'elle avait du mal à y croire... Il jura intérieurement. La seule façon de lui prouver la véracité de ses propos était de se retrouver face aux autres, ce que le jeune homme comptait éviter plus que tout autre chose. Au fond, il préférait que Jade le pense fou plutôt que de se prendre une matraque dans les dents... C'était même largement préférable.
Il y avait beaucoup de salles par ici, plus meublées et en meilleur état que les autres. Il y avait toujours une odeur de renfermé et des auréoles d'humidité mais, pour une fois, la peinture ne s'écaillait pas et les meubles tenaient debout. D'ailleurs, Jade venait d'entrer dans ce qui semblait être un ancien vestiaire : il y avait de longs casiers en ferraille tout le long des murs ainsi qu'un vieux banc abandonné en plein milieux de la salle. Les caméras de surveillance filmaient aussi cette partie du bâtiment, sans grande surprise, et le socle d'une bombe à incendie s'encrassait dans un coin, non loin des restes déchirés d'un vieux poster. Mis à part ça...rien. Ni personne, d'ailleurs.
̶ R.A.S ? s'interrogea Jade après un petit tour d'inspection.
̶ R.A...
Un téléphone sonna. Le cœur de Tom manqua un battement : le garçon tendit l'oreille en attendant la seconde sonnerie, rejoint par une Jade bien moins confiante. L'écho se perdit dans les casiers jusqu'à ce qu'une autre sonnerie retentisse, bien trop forte au goût de Tom.
Le téléphone était là, caché entre deux meubles de fer : c'était une ligne fixe accrochée au mur, datant sans aucun doute de la fermeture du commissariat. Le joueur décrocha rapidement avant qu'il sonne de nouveau.
̶ ... Allô ?
̶ Ah ! s'exclama une voix déformée à l'extrême. Quel plaisir de t'endendre répondre, mon petit Tom !
̶ Pourquoi ces joueurs sont-ils toujours vivants ? demanda-t-il sans détour.
̶ Tu n'as pas besoin de le savoir. Tu veux juste t'échapper, non ?
̶ Vous jouez encore avec eux, n'est-ce pas ?
̶ Tom, enfin... Si tu connais les réponses, arrêtes de poser les questions ! Tu nous fait perdre du temps à tous les deux !
Le jeune homme éloigna un instant le combiné de son visage pour calmer sa fureur, puis reprit la conversation aussi calmement que possible :
̶ Pourquoi vous appelez ?
̶ Oh ! Rien de bien important. Je me permet juste de te rafraîchir la mémoire...
̶ À propos de quoi ?
̶ Tu as peut-être triché mais tu es toujours un joueur. Tu as toujours ton pouvoir. Tu peux toujours tue...
Tom raccrocha violemment. Son cœur battait la chamade, gonflé de haine et de peur : il tourna la tête vers Jade qui le regardait avec inquiétude, adossée au casier le plus proche. Elle ne semblait pas avoir entendu la conversation. Son compagnon souffla discrètement, entre soulagement et angoisse.
̶ Qu'est-ce qu'il voulait ? lui demanda-t-elle, devinant sans peine l'identité de celui qui venait d'appeler.
Tom mit du temps à répondre. Ou plutôt à trouver un beau mensonge, éloigné le moins possible de la réalité :
̶ Les joueurs, ils ont toujours leurs p...
Une porte claqua dans le couloir. Jade s'écarta brusquement du casier pour se mette devant Tom et le pousser dans l'ombre : après un instant de surprise, le garçon la prit par le bras et la tira vers lui, l'écartant de l'angle de vue qu'offrait la porte. Il était trop tard pour fuir. Trop tard pour trouver de quoi se défendre. Il parcourut la pièce d'un regard désespéré. Le bruit de la porte mourait lentement dans les meubles qui entouraient la pièce, comme pour appuyer l'urgence de la situation.
Tom ouvrit le casier le plus proche et poussa la jeune fille à l'intérieur, puis il se glissa à sa suite et referma la porte en silence. Il se retrouva collé à sa camarade, torse contre torse, et pouvait sentir sa respiration affolée contre son oreille. Elle était terrifiée. Lui aussi. Et pourtant un sentiment étrange fit surface parmi la peur, la rage et l'angoisse... De l'inquiétude ? Non. Plus que ça. Un sentiment bien plus...complexe. Tom décida de l'ignorer et s'avança imperceptiblement vers les fentes de la porte, les yeux au niveau du rayon de lumière qui perçait à l'intérieur du meuble.
Des bruits de pas se rapprochèrent. Un duo de joueurs entra dans la pièce en courant avant de freiner au niveau du téléphone, à seulement quelques centimètres de la cachette de Tom. Il sentit Jade retenir son souffle ; il fit de même, les yeux rivés sur les nouveaux arrivants.
̶ Et merde ! pesta une voix familière, masculine. On est arrivé trop tard...
L'homme fit mine de faire demi tour, suivit d'une petite présence que Tom ne parvenait pas à définir. Le téléphone décida alors de sonner de nouveau, provocant un sursaut général : le type se jeta sur le cellulaire et grogna dans le combiné sur un ton particulièrement agressif.
̶ Allô ?
Il y eut un silence, ponctué du grésillement du téléphone et des grincements de dents de l'homme. Puis il perdit brusquement patience, visiblement habitué à ce genre d'intervention téléphonique :
̶ Allez vous faire mettre.
Il raccrocha. La seconde présence, cachée dans son dos, fit alors entendre sa petite voix d'enfant :
̶ Qu'est-ce qu'il voulait, cette fois-ci ?
̶ Il y a un deux nouveaux joueurs. Un Villageois et un Loup.
̶ Mais... Et la cellule d'arrivée ? Elle était déjà ouverte, non ? Ça veut dire qu'ils sont déjà en liberté dans le bâtiment...
̶ ... Ouaip...
Tom entendit un reniflement. Il aperçut le type se baisser devant son camarade et lui tendre un mouchoir.
̶ Eh, eh, ça va aller, mon p'tit gars... tenta-t-il de le rassurer. P't'être que le Meneur l'a refermée entre temps, tu sais...
̶ Je veux sortir d'ici... sanglota l'enfant. Je veux rentrer chez moi !
̶ T'inquiète pas, Matt. On va trouver ce Loup, Loïs va s'en débarrasser et...
̶ Mais je veux pas ! pleura l'enfant de plus belle. Je veux plus que les gens se tuent... Je veux pas que Loïs tue Syrinailla... Elle est trop gentille...
Syrinailla... La fille aux cheveux roses. Tom se souvenait de son pseudo. Et Loïs, c'était probablement le type asexué ? Maintenant qu'il s'en souvenait, Syrinailla était bien un Loup... Et Loïs, un Villageois. Cela volait donc dire que la guerre des camps continuait toujours pour les perdants ? Sauf qu'ici, les enjeux semblaient bien plus directs. Les deux nouveaux arrivants n'auraient que peu de temps pour le comprendre... À cette pensée, la lumière se fit dans l'esprit de Tom, et ce qu'elle révéla ne lui plut pas du tout. Il serra la mâchoire alors que le grand bonhomme se redressait lentement :
̶ Ça va aller, déclara-t-il d'une voix très douce. On va sortir d'ici avec Syrinailla et tous les autres. J'te le promet, p'tit Matt.
L'enfant hocha lentement la tête en séchant ses larmes. Il leva vers son immense camarade un regard où se mêlaient reconnaissance et terreur, ce qui arracha au type un sourire triste.
̶ Tu veux que j'te porte jusqu'à au dortoir ?
L'enfant acquiesça une fois de plus. L'homme le hissa sur son dos avec douceur et ils sortirent de la pièce en silence.
Tom et Jade purent enfin reprendre leur souffle. Le jeune homme pouvait sentir le cœur fou de son allié battre contre sa propre poitrine : elle avait posé la tête contre le fond du casier et avait fermé les yeux, soulagée. Son camarade l'admira le temps d'un sourire et se décida enfin à rouvrir le casier, mettant fin à ce contact forcé.
̶ T-tu sais qui c'était ? lui demanda-t-elle en écartant quelques mèches de son visage rouge écarlate.
Un grand gaillard au langage limité et un enfant. Tom les avait déjà rencontré tout les deux.
̶ Le petit garçon qui a disparu devant chez moi et Algorn.
Jade resta silencieuse un court instant. Elle avait l'air de comprendre que rencontrer ces gens-là était pour Tom une véritable claque... Elle avait complètement raison. Mais ce n'était pas ce qui le dérangeait le plus. Il fixa l'entrée de la pièce avant de se décider à la franchir, creusant la distance entre lui et sa partenaire.
̶ Attends ! l'interpella-t-elle. Il vaudrait mieux attendre qu'ils s'éloignent avant de repartir...
Il s'arrêta sur le seuil, le regard baissé.
̶ Un Loup rôde, déclara-t-il sur un ton particulièrement sombre. Alors il vaudrait mieux qu'on sorte d'ici avant qu'il nous arrive quelque chose.
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