* Chapitre 17 *
Tom ne comprenait pas.
̶ Écoute, j'en sais pas plus que toi... répondit-il à Keyros. J'ai aucune réponse à te donner mis à part que le message a bien été délivré.
̶ C'est bien ce qui m'inquiète.
Tom se remémora la journée de la veille, après sa discussion avec Granval : oui, il avait bousculé le bon type, et il avait bien glissé la lettre dans son sac. Il avait tout fait pour que la Sorcière agisse... Et pourtant ce midi, au lendemain de la Nuit de jeu, quelqu'un était mort. Un Loup. Quelque chose n'allait pas.
̶ Tu es sûr qu'il n'y avait qu'un seul mort de prévu pour cette Nuit ? demanda-t-il à Keyros.
̶ Absolument. J'ai tout fait pour que ce soit le cas.
̶ Alors peut-être que la Sorcière n'avait plus de potion de vie ?
̶ Tu me prends pour un débile ?
Tom prit un instant pour réfléchir. Keyros avait dut vérifier sa stratégie un nombre incalculable de fois avant d'en parler à son coéquipier. Il n'avait pas l'air d'être du genre à négliger son travail. C'était forcément autre chose.
̶ Peut-être que ce joueur était un déviant ? proposa le jeune homme. Peut-être qu'il ne voulait pas obéir et que, par conséquent, il a ignoré notre message.
̶ Possible... En attendant, ça ne me plais pas non plus : ça veut juste dire qu'on a une chance en moins de sauver quelqu'un.
̶ C'est vrai...
C'était dans ce genre de situations que Tom ressentait à quel point il était petit : bien des choses lui échappaient, à lui comme à Keyros. Il y avait trop de facteurs qu'ils ignoraient, qu'ils ne pouvaient même pas prendre en compte. Le jeu était bien trop important pour que deux paires d'yeux suffisent à l'analyser. Il serra la mâchoire et lâcha un long soupir désespéré.
̶ Merde ! répondit soudain Keyros. Tom, je crois que je sais ce qu'il se passe !
̶ Quoi ?
̶ Ils ont retrouvé le corps de la Sorcière dans une poubelle du centre ville. Première page du journal.
̶ Pardon ?!
̶ Et je viens d'apprendre que ton agresseur s'est échappé de l'hôpital. Deuxième page. J'imagine que c'est lui qui a fait ça.
Tom sentit les poils se dresser sur tout son corps. Ça ne pouvait pas être pire.
̶ Tu sais où il est ? s'enquit-il.
̶ Je cherche, je cherche... Laisse-moi le temps de chopper le réseau de son smartphone... J'espère sincèrement qu'il l'a toujours sur lui.
Mais le jeune homme ne pouvait pas attendre. Si ce taré était dehors, il n'allait pas se priver de tuer... Quant au joueur à lunettes de repos, il était le premier sur sa liste. Le fils du boucher était probablement devant sa porte à l'heure qu'il était, cherchant un moyen de s'infiltrer dans la maison. Ce n'était qu'une question de temps avant que quelqu'un d'autre disparaisse et Tom était en très, très mauvaise posture.
̶ Arrête de gesticuler, lui renvoya finalement Keyros. Il n'est pas chez toi.
̶ Alors où est-il ?
̶ J'ai du mal à savoir où exactement, mais il est en ville. Je dirais même à proximité du salon de coiffure.
̶ Sud ? Celui prêt de mon quartier ?
̶ Oui. Laisse-moi deux minutes et je te donne plus de précisions.
Deux minutes ? C'était suffisant pour traverser la forêt et se rendre sur place. Tom avait parfaitement saisit où se trouvait le meurtrier et quelle vie il menaçait. Il ne pouvait pas rester là à attendre que les choses se passent. Tant pis pour le danger.
Il prit son téléphone de secours et alla chercher le gilet à capuche qu'il avait laissé dans le salon. Puis il songea à la clef que le MJ lui avait rendue : mauvaise idée. Il fallait rester discret et, surtout, ne pas perdre de temps. Alors il prit un gros couteau de cuisine et s'enfonça dans les bois en courant.
Il lui fallut cinq minutes. Deux pour se rendre sur place et trois pour reprendre son souffle. Devant lui clignotait la façade du salon de coiffure Sud et, juste à côté, celle du supermarché. Ce devait être l'heure de la pause des employés car, de l'autre côté de l'entrée vitrée du magasin, les caisses étaient presque toutes fermées... Tom n'avait pas beaucoup de temps. Il se faufila discrètement à l'arrière de la grande surface, échappant au regard des rares personnes qui traînaient dans les parages.
Il était là. Ou plutôt ils étaient là : le meurtrier avec son long couteau de boucher, souriant comme le grand malade qu'il était ; la caissière à genoux devant lui, la lame dangereusement proche de sa gorge, en larmes. C'était celle à qui Tom avait prit le numéro.
̶ Oh ! Quelle rapidité ! s'étonna l'assassin. Moi qui pensait devoir attendre pendant un bon quart d'heure !
L'adolescent s'était figé devant eux. Il n'y avait qu'une seule entrée à cet endroit et le fils du boucher s'était placé juste en face : il attendait clairement sa proie. Non pas la caissière, mais Tom lui-même
̶ Laisse-la, lui ordonna ce dernier.
̶ Parce qu'elle n'a rien fait, c'est ça ? s'esclaffa l'autre. Franchement, t'es pas fait pour les discours héroïques. Surtout pour quelqu'un qui a faillit me tuer.
̶ Je me suis défendu, rétorqua Tom. Je ne suis pas comme toi. Je ne veux tuer personne.
̶ Et pourtant, tu l'as déjà fait.
Tom perdait son sang froid à une vitesse affligeante. Il sentait la rage lui monter à la gorge et sa main s'enrouler autour du manche de son couteau avec beaucoup trop de force.
̶ Je n'en avais pas conscience, répondit-il. Je n'ai jamais voulu tuer qui que ce soit. Je vis juste l'injustice du jeu comme beaucoup d'autres joueurs.
̶ Injustice ! répéta l'assassin. Tout ça de la part d'un tricheur ! Laisse-moi me marrer, Tom !
Le jeune homme fit un pas en arrière. Comment...? Comment pouvait-il savoir ? L'avait-il espionné ? Était-il tombé sur la lettre que Tom avait laissé dans le sac de la Sorcière ? Est-ce que...c'était à cause de ça que ce taré l'avait tué ? L'évidence sauta brutalement aux yeux de l'adolescent. Bien sûr. Cette prise d'otage était juste un stratagème pour attirer le jeune joueur jusqu'ici et le faire chanter.
̶ Je ne suis pas un tricheur, mentit-il.
̶̶ N'essaies pas de me prendre pour un con. Je sais tout. Je t'espionne depuis des jours.
̶ Et qu'est-ce que tu vas faire ?
Le sourire du meurtrier s'élargit.
̶ Prendre ta place.
Son couteau glissa sur la gorge de la caissière. Du sang s'écoula le long de son torse dans un gargouillement immonde alors qu'elle essayait de hurler, en vain. L'assassin la laissa s'écrouler par terre et se noyer dans son propre sang, insensible à sa propre barbarie. Il enjamba le corps secoué de spasmes d'agonie et se rapprocha lentement de Tom. Le jeune homme avait sortit son couteau et s'était mit en garde. Il se savait ridicule, frissonnant et peu sûr de lui, mais il ne comptait pas se laisser tuer par ce type.
̶ Et bien, ne soit pas si surpris ! s'exclama l'autre. Nous sommes pareils, au fond : deux assassins qui cherchent leur camp. J'ai choisi le mien, tu as choisi le tien... Sauf qu'il n'y aura qu'un seul vainqueur. Soit toi, soit moi. Je te propose de jouer ça dans une confrontation loyale. Pouvoir contre pouvoir.
Tom pâlit. Il se souvenait avoir longuement hésité à l'utiliser, aussi longtemps qu'il avait hésité à se prendre au jeu de favoritisme du MJ. Mais maintenant qu'il comprenait jusqu'où un pouvoir pourrait le mener, ce qu'il signifiait vraiment, le jeune homme n'avait plus aucune envie d'en user. Il se bénit lui-même de ne pas avoir utilisé la clef du coffre à fusil puis, resserrant son emprise autour du manche de son couteau, tenta de retrouver un minimum de contenance.
̶̶ Je ne compte pas l'utiliser, cracha-t-il d'une voix tremblante. Ni contre toi, ni contre qui que ce soit.
̶ Bon... Alors... Tant pis pour toi !
L'assassin leva son couteau et se jeta sur sa victime. Au moment où Tom comprit qu'il allait mourir, un bâton sortit de nulle part vin frapper le fils du boucher en plein dans les côtes : il s'écroula dans un gémissement de douleur et lâcha son couteau, les deux mains sur le ventre. Un étrange personnage vint alors se poster aux côtés de Tom, tout de sombre vêtu, masqué d'un foulard et d'une capuche. Il se tourna vers lui et lui adressa un regard noir, son manche à balais toujours pointé vers l'assassin :
̶ Les mots me manquent pour te dire à quel point tu es con, Tom.
̶ ...Quoi ?
̶ Arrête de me regarder comme ça et reprend-toi. J'ai un moyen de se casser d'ici sans éveiller de soupçons mais il va falloir que tu te concentres.
̶ ... Keyros ?!
̶ Non, ta mère espèce d'abruti !
En effet, la voix de Keyros était... féminine ?! Un timbre juvénile, appartenant sans doute à une adolescente du même âge que Tom. Ce dernier dévisagea son alliée, complètement ahuri.
̶ Qu'est-ce que je viens de te dire ! Bouge t... Ah !?
Keyros était sur le point de lâcher une insulte, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle s'écroula brusquement, inconsciente, sans que Tom puisse comprendre pourquoi.
̶ Vous n'irez nulle part... susurra une voix dans son dos.
Quelque chose de piquant se ficha dans son omoplate. Le monde se mit à tourner tout autour de Tom, si vite que la nausée lui brouilla la vision. Il se sentit chuter sur le bitume, complètement sonné, puis perdit connaissance.
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