* Chapitre 12 *


 C'e fut une fois dans le bus, en route pour le lycée, que Tom se rendit compte à quel point il avait de la chance d'être en vie. La plaie qui entaillait sa paume palpitait. Il avait évité le pire. Et le fils du boucher ? Qu'en était-il de lui ? Tom savait qu'il ne l'avait pas manqué et craignait de se prendre une plainte pour ça. Mais c'était le jeu, après tout... Enfin, il pria pour que le MJ considère toute accusation comme tricherie. Au pire, le jeune homme avait de quoi se défendre : il suffisait de voir l'état de son ancien sac de cours. Aucun des couteaux qu'il avait chez lui n'était assez tranchant pour faire un tel massacre.

L'adolescent faisait tourner son téléphone d'urgence entre ses doigts. Il le plaqua entre ses deux paumes et regarda le paysage défiler derrière sa fenêtre, hésitant, pour finalement allumer le vieil appareil et écrire un message.

̶   Merci pour la nuit dernière, Keyros.

̶   Mais qu'ouï-je ?! Un mot gentil ?! répondit presque immédiatement l'autre. J'ai raté quelque chose après l'épisode du meurtrier ou tu as finalement décidé d'être un peu plus sympa ?

̶   Je suis sincère. Sans ton intervention, je serais mort. Merci.

̶   Roh ! Pas la peine de me remercier ! Ça me fait plaisir de sauver les chieurs dans ton genre ! Et puis, c'est surtout grâce à ton ordinateur que tu es en vie ! Ou plutôt sa super webcam HD et son écran max luminosité qui a su éclairer ce qu'il se passait derrière toi. Quelle idée de traîner tout seul dans le noir quand le danger rôde, aussi ?

Keyros devait prendre ces remerciements comme une marque de confiance, sauf que c'était loin d'être le cas. Tom ne comptait pas le maintenir dans l'illusion éternellement.

̶   Pourquoi tu m'aides ? Pourquoi tu me surveilles ? l'interrogea-t-il. Tu prends beaucoup de risques pour moi.

̶   ...Tu as oublié, n'est-ce pas ?

̶   De quoi ?

̶   Tom... Nous sommes amants, je te rappelle...

Il pesta. Connard de Cupidon. Ce détail lui avait échappé. Génial... Keyros et Tom étaient considérés comme amant dans le jeu : donc, si l'un d'eux venait à disparaître, l'autre le suivrait illico. Heureusement que Keyros venait de le rappeler... Sans quoi le jeune homme ne s'en serait jamais souvenu et aurait pu faire une énorme bêtise.

̶   ...Merde... J'avais complètement zappé.

̶   Je vois. Heureusement que j'ai un cerveau pour deux.

̶   Je ne te permet pas. J'ai réussi à faire fuir l'assassin tout seul, je te signale.

̶   Mais à quel prix ? Dois-je aussi te rappeler qu'il va revenir à la charge ?

̶   Parce que tu aurais préféré que je me laisse planter sans rien dire ?

̶   Rien ne t'obligeait à le provoquer !

̶   Je devais bien tenter quelque chose !

̶   Quand on a un psychopathe devant sois on évite toute forme de psychanalyse, Tom.

Pas faux. Cette remarque le calma immédiatement.

̶    ...On fait quoi, du coup ? demanda-t-il timidement.

̶   Rien.

Il soupira. Après avoir envoyé baladé Keyros un nombre incalculable de fois, voilà que Tom lui demandait son aide. Il l'avait vexé à coup sûr. Il ne lui restait plus qu'à se rattraper.

̶   Tu m'as dit savoir comment sauver tout le monde... lui renvoya l'adolescent. Tu saurais aussi comment se protéger de l'assassin ?

̶   Mange-Âme, le corrigea son partenaire. Peut-être, mais comme tu préfères écouter le MJ...

̶   Je retire tout ce que j'ai dit. Le MJ est un connard qui peut aller se faire mettre. Il est hors de question que je respecte son petit jeu pour me faire tuer.

̶   Bien. Tu as compris sa mentalité.

̶   J'accepte de te faire confiance.

̶   WOW ! CHAMPAGNE !

L'ironie de Keyros fit sourire Tom. Il n'y avait franchement pas de quoi s'en amuser et pourtant il ricanait comme un débile. Le stress était vraiment un sentiment étrange...

̶   Alors ? le relança-t-il. Je t'écoute.

̶   Et bien... ça va être difficile. Le jeu est déjà bien entamé et ça risque de jouer sur l'efficacité de ma technique.

̶   Balance ta technique.

̶   Se faire passer pour le MJ.

Le sourire de Tom s'effaça aussitôt.

̶   Pardon ?

̶   J'ai réussi à retrouver l'identité de plusieurs joueurs, ainsi que leur rôle. Ou du moins l'essence de leurs capacités... Avec ça on pourrait diriger leurs choix et essayer de sauver le plus de monde possible.

̶   Et pas tout le monde ?

̶   ... D'accord, mon premier discours était volontairement aguicheur. On ne pourra pas sauver tout le monde ( de toute façon il est déjà trop tard ) mais on pourra retarder les morts le temps que la police fasse son travail.

̶   OK. Et pour le Mange-Âme ?

̶   Maintenant que je sais qui c'est, je garde un œil sur lui. Il n'est pas dangereux pour l'instant : il est à l'hôpital et alité pour une bonne semaine.

̶   Parfait.

̶   Fais gaffe, tu deviens sadique.

̶   Excuse-moi.

Il détacha son regard du téléphone. Il venait de s'embarquer dans une aventure de malade. Quel idiot... Tenter le diable n'était pas dans sa nature. Mais avait-il réellement le choix ? Si cette personne mourrait, il mourrait aussi : il avait tout intérêt à travailler avec elle pour leur survie à tous les deux. Et puis, les promesses de Keyros étaient vraiment belles... Bref. Au final, Tom avait le choix entre la peste et le choléras. Le MJ ou Keyros. Il avait envie de suivre Keyros ; et si ça tournait mal, il avait toujours le MJ dans la poche. Il serait toujours à temps de le dénoncer.

̶   Par quoi on commence ? reprit-il.

̶   Du calme, répondit son nouvel allier. J'ai déjà quelque chose sur le feu. Laisse-moi le temps de réfléchir, je te recontacte lorsque j'ai plus de temps.

̶   D'accord, ça ira.

Le bus s'arrêta dans un désagréable bruit de freins usés. Les portes s'ouvrirent en soufflant et les premiers passagers sortirent en traînant des pieds : Tom rangea son téléphone et les suivit. La clef du MJ rencontra un instant ses doigts, désagréablement froide à côté de son petit téléphone. Deux opposés pour lesquels le joueur s'était engagé. Deux opposés qu'il n'avait très sincèrement pas envie de décevoir.

Bordel... Mais dans quoi s'était-il embarqué ?!

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