* Chapitre 11 *
Contrairement à Tom, sa mère était très portée sur la religion. Assister à cette veillée était pour elle un espèce de devoir ésotérique que son fils avait du mal à comprendre : elle avait d'ailleurs explosé une fiole d'eau bénite sur le paillasson avant de s'en aller, « pour protéger la maison du Mal ». Tom n'était pas vraiment sûr qu'une petite flaque et deux bouts de verre feraient fuir un kidnappeur, mais si ça pouvait faire plaisir à sa mère...
De toute façon, il s'était barricadé dans la maison. Il avait son téléphone juste à côté, prêt à appeler la police à tout moment, et un joli sac de caillasse à ses pieds. Ce n'était pas pratique de viser dans l'obscurité mais il préférait retarder le moment où il aurait à utiliser son couteau. Il n'avait pas besoin d'être un génie de la physique quantique pour savoir qu'il n'avait pas la moindre chance face à quelqu'un qui saurait s'introduire chez lui.
Pour l'instant, les choses avaient l'air de se passer plutôt bien. Tom n'avait rien vu, ni entendu. Personne ne l'avait contacté (que ce soit le MJ ou Keyros) et aucune nouvelle à propos de meurtre ou de disparition ne lui était parvenue. Le site du jeu, NewThiercelieux.fr, était tout aussi calme, et les joueurs complètement silencieux.
Tom préférait attendre que sa mère revienne avant d'aller se coucher. Il savait qu'elle ne rentrerait pas avant très tard, peut-être 3 ou 4h du matin, mais il était prêt à patienter jusqu'à son retour. En fait, il n'était même pas fatigué... Il avait rattrapé tout son retard de sommeil la veille, entre le départ de Delmes et la marche blanche, avec un battement d'une heure de réveil pour la Nuit de jeu. Psychologiquement, oui, il était épuisé, mais le sommeil ne lui serait pas d'une grande utilité contre ça...
Alors il se cala devant NewThiercelieux.fr, les yeux perdus dans le vide de l'écran d'accueil, et réfléchit longuement. Combien restait-il de joueurs ? Sept. Combien de Villageois ? Aucune idée. Le MJ ne leur avait même pas donné le nombre de Loups-Garous en lice. Les deux seuls Loups qui avaient été tués étaient Syrinailla et l'un des deux disparus dont Delmes lui avait parlé à la marche blanche. Pas plus d'informations. Le rôle de Gaël avait été tu et au final, personne n'avait eu le temps de spéculer à son sujet. Les seules personnes susceptibles de le savoir étaient Algorn et la Voyante ; le premier étant mort et le second inconnu. Tom aurait pu faire sa petite enquête, seulement il n'avait pas envie de s'approcher des autres joueurs. Il avait bien vu où cela risquait de le mener.
Il réfléchit de plus belle. Parmi ces gens se trouvait un meurtrier, un rôle inconnu créé de toutes pièces parle MJ. Il n'avait tué qu'une seule personne pour l'instant mais Tom avait l'intime conviction que ce ne serait pas la seule. Keyros l'avait bien soulevé : il fallait être désespéré pour en arriver à cette morale là. Le MJ devait probablement y être pour quelque chose. Aucun doute que l'assassin ne s'arrêterait pas là, pas avant d'avoir gagné la partie. Le jeune joueur ignorait tout de son pouvoir, de ses limites, de ses objectifs. Plus il y pensait, plus il comprenait à quel point ce malade était dangereux...
...et plus il hésitait à rappeler Keyros. Avait-il un moyen de découvrir qui était ce joueur ? Non pas pour l'éliminer dans le jeu, Tom ne souhaitait à personne de se faire enlever par le MJ, mais au moins pour essayer de le raisonner... Ce grand génie de Keyros devait avoir sa propre idée.
Et en parlant du loup...
« Derrière toi. »
Tom fit volte face. Il eut tout juste le temps de se jeter sur le côté avant qu'une ombre fonde sur son fauteuil et le transperce de sa lame. L'intrus hoqueta de surprise, son long couteau enfoncé dans le dossier : il avait du mal à le retirer et grognait des injures, poussant la chaise du pied pour libérer son arme. Tom profita de l'occasion pour se rapprocher du bureau et saisir la poignée de son tiroir, là où il avait caché son propre couteau.
La main de l'assassin agrippa son bras avant qu'il puisse atteindre le meuble. Il abandonna son arme pour se jeter sur Tom, sauf que sa victime était en pleine possession de ses moyens et bloqua son attaque, doté d'une agilité décuplée par la terreur. L'intrus tentait de lui agripper le cou, en vain, gêné par la vivacité de l'adolescent.
̶ Ne crois pas que tu vas t'en sortir une fois de plus ! Cracha-t-il entre ses dents serrées. Je vais t'étriper espèce de fils de p...
Un violent coup de pied dans les côtes le plia en deux. Tom attrapa son sac de cours, à côté duquel il avait atterrit, et l'envoya dans la tête de l'agresseur : ce dernier recula en grognant de douleur, les mains sur le visage, un petit filet carmin coulant entre ses doigts.
Il pesta. Tom eut un sursaut. Ce ton. Cette voix. Il les connaissait. Il avait déjà rencontré cette personne. Il en était sûr.
̶ Qui es-tu ? Lui demanda-t-il du tac au tac.
L'autre releva la tête. Un semblant de foulard cachait son visage ensanglanté. Ses yeux débordaient de haine et d'une soif intarissable de sang, pourtant il sembla sourire.
̶ Tu ne veux pas le savoir.
Il avait réussi à dégager son couteau. Il le brandit au dessus de sa tête et l'abattit avec force dans l'épaule de Tom : le jeune homme leva son cartable juste à temps, protégeant son cœur avant que la lame vienne s'y enfoncer. Elle traversa le sac et les nombreux cahiers qu'il contenait sans résistance, jusqu'à ce que le manche coince enfin sa progression. Mais c'était quoi ce couteau ?! Il venait de traverser son trieur et son livre de maths comme si de rien n'était ! Tom sentait sa pointe acérée griffer sa peau, cherchant désespérément à lui transpercer la poitrine.
̶ MAIS TU VAS CREVER !?
Le meurtrier poussa sur son couteau de toutes ses forces : la toile s'ouvrit de haut en bas, entaillant les cahiers sur toute leur longueur. La poche avant du sac se déchira, libérant tous les petits objets que Tom y rangeait. Crayons. Calculatrice. Carte de cantine. Son cartable n'était plus qu'un tas de déchets lacérés, inutile. Il s'en servit une dernière fois pour faire reculer l'intrus, puis il chercha des yeux un autre moyen de se défendre.
L'assassin sourit. Tom était entièrement à découvert. Il devait gagner du temps. Vite.
̶ C'est quoi ton rôle ? L'interrogea la victime d'une voix tremblante.
̶ Qu'est-ce que ça peut te faire ? Tu vas mourir, ça va plus vraiment te servir.
Il fit un pas vers sa proie, son immense couteau de boucher prêt à frapper.
̶ Pourquoi tuer les autres joueurs ? S'acharna Tom. Qu'est-ce que tu y gagnes ?
̶ Le bon camp.
̶ Pardon ?!
L'assassin envoyer valser la calculatrice de Tom d'un violent coup de pied et s'avança d'un pas de plus.
̶ Je ne suis ni du camp des Villageois, ni de celui des Loups. Je suis intégré au camp des gens que j'élimine. Mais cela à une seule condition.
Il s'arrêta d'avancer et fixa Tom du regard. Tous deux savaient très bien ce qui allait suivre.
̶ Que je les tue de mes mains.
Le coup fusa. Tom sentit la lame lui caresser le haut du crâne lorsqu'il se faufila derrière l'intrus, pas assez vigoureux pour le stopper.
̶ Mais j'en ai rien à foutre des camps ! Ricana frénétiquement l'assassin. Je vais GAGNER SEUL !
Tom tenta de lui agripper la main pour le désarmer : mauvaise idée. Il s'entailla la paume et recula en gémissant, la peau déjà entièrement rouge.
̶ J'ai pas besoin que le MJ te donne des somnifères, siffla l'autre avec dédain. Je veux que tu me vois te tuer, comme l'autre con qui venait pour te sauver. Voyageur Astral de merde ! C'est bien beau de savoir qui va attaquer et où, mais ça sert à rien quand on sait pas comment s'y prendre pour protéger quelqu'un !
Il sourit de nouveau, d'une façon presque aussi malsaine que l'homme-loup du rêve de Tom. L'adolescent fit un pas en arrière. Il attendait la prochaine attaque.
̶ Je vais tous vous buter jusqu'au dernier... Murmura l'assassin. Il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur et ce sera MOI !
Un estoc fourbe trancha l'air là où Tom se trouvait un instant plus tôt. Il s'était jeté tête la première contre son bureau et atterrit pile devant son tiroir : il dut détourner le regard de l'assassin pour s'emparer de son propre couteau et pria intérieurement pour échapper à la prochaine attaque. Le ciel lui répondit par un miracle. Il fut assez rapide pour s'armer et faire face au meurtrier en une fraction de seconde, le temps que l'autre fasse un pas pour le rattraper.
Il s'était arrêté, son énorme couteau de boucher suspendu dans un revers : il avait bloqué sur un objet qu'il venait d'écraser, sans aucun doute l'un de ceux qui s'étaient échappés du sac de Tom. Il souleva le pieds, révélant la montre à gousset offerte par le MJ. Elle était complètement cassée.
L'assassin leva les yeux vers Tom, se souvenant enfin de sa présence.
̶ D'où elle sort? L'interrogea-t-il. Pourquoi elle est là ?
̶ Le MJ m'en a fait cadeau.
Cette parole fit reculer l'intrus.
̶ ...Le MJ ?!
̶ Oui... Tu pensais qu'il n'aidait que toi, n'est-ce pas ?
L'autre fronça les sourcils. L'incompréhension céda à la colère.
̶ Tu t'es introduit chez moi, espèce d'enfoiré ?
̶ Non.
̶ ALORS QU'EST CE QUE LA MONTRE DE MON GRAND PÈRE FAIT DANS TA CHAMBRE PETIT ENCULÉ ?
Tom baissa la tête avant que la montre à gousset lui brise le crâne. Elle explosa sur le mur voisin avec un bruit mat, le fracas de sa chute couvert par les cris du meurtrier :
̶ COMMENT T'AS OUVERT LE COFFRE FORT ?
̶ J'ai rien ouvert du tout ! C'est le MJ qui m'a refilé ton truc en guise de cadeau !
̶ CADEAU ?! POURQUOI IL T'AIDERAIT ?
̶ Parce que le MJ est un CONNARD ! Il en a rien à foutre de toi !
̶ TU MENS !
Il fonça droit sur sa victime, le couteau de son père brandi à deux mains au dessus de sa tête. Son ventre était sans aucune défense : Tom se baissa et lui écorcha les côtes avec sa propre arme, grimaçant lorsqu'il sentit sa lame ripper sur les côtes de son agresseur. Il regretta immédiatement son coup lorsqu'il vit le fils du boucher s'écrouler à genoux, les mains sur sa blessure, le souffle court.
Mais ce ne fut que de courte durée. Il se redressa en chancelant et fit face à Tom, le couteau baissé et l'ego gravement touché.
̶ T'es qu'un connard de menteur, souffla-t-il. Tu sais quoi ? Je vais revenir pour te découper en putain d'hosties que je vais faire bouffer à ta mère. Le MJ t'utilise pour m'aider MOI, c'est tout. Je suis le seul et unique gagnant de ce jeu, t'as compris ?
Il se traîna jusqu'à la sortie et claqua la porte. Tom l'entendit traverser le couloir, se cogner à la commode et sortir par la porte d'entrée. Il était tétanisé. Il aurait eu envie d'aller verrouiller sa porte, de se penser la main avant de se vider de son sang, d'appeler sa mère pour qu'elle revienne, mais il ne parvenait plus à faire le moindre mouvement. Ce qu'il venait de vivre semblait complètement surréaliste : il s'était fait attaquer par le fils du boucher, rien que ça, qui n'était autre que l'assassin de l'homme qu'il avait trouvé dans la forêt. Il avait promis de tuer Tom. Il avait le MJ de son côté. Il était monstrueusement déterminé. Tom ne pouvait pas être dans une aussi mauvaise posture.
Un déclic le fit bondir. Il se tourna vers la source du bruit, le couteau en avant, pour scruter la montre à gousset qui gisait au pied du mur. Elle venait de s'ouvrir.
Prudemment, Tom la ramassa : elle était toute cabossée et le verre du cadran s'était fissuré, dédoublant l'image des chiffres qui se trouvaient de l'autre côté. Un petit objet brillait derrière la couche de verre, gigotant entre les aiguilles lorsque Tom secouait la montre. Une clef.
Le jeune homme cligna plusieurs fois des yeux, ahuri. C'était la clef du coffre à fusils. Mais c'était sans compter le petit message, inscrit entre les chiffres romains, qui lui était clairement destiné :
« Il est temps de te servir de ton pouvoir, Tom... »
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