I. Gouttes de pluie



4 février 2054 – 23h48

Nord de San Francisco, Californie

12°C, précipitations 47%, humidité 61%, vent 31km/h.

La roue de la voiture passa dans une flaque, projetant une vague d'eau de pluie sur le béton humide de l'allée. L'homme se pencha légèrement en avant, les yeux rivés sur la porte d'entrée grande ouverte de la villa, barrée par deux bandes jaunes holographiques uniquement percées par quatre lettres. SFPD. Les petits génies de l'informatique qui avaient jugé bon de remplacer les bons vieux rubans que la police utilisait depuis de longues décennies avaient dû trouver moins difficile de se contenter des initiales plutôt que de percer leur jolie lumière dorée de « San Francisco, Police Departement, do not cross ». Moins esthétique, probablement.

— Vous êtes arrivé à destination, déclara une voix féminine à travers les haut-parleurs de l'automobile.

— Oui, je l'avais deviné, marmonna l'homme tandis que la portière à sa gauche s'ouvrit lentement, laissant l'odeur de la pluie et l'air frais caresser son visage.

Les semelles de ses bottes plongèrent dans une large flaque dès qu'il s'extirpa du véhicule, lui arrachant un petit juron étouffé lorsque le bas de son pantalon trempé se colla désagréablement contre sa peau. Plongeant les mains dans les poches de sa veste bleu marine ornée d'une étoile en acier, il contourna la voiture en la regardant refermer la portière, éteindre ses phares éblouissants et se verrouiller comme si, une fois sa mission accomplie, elle s'endormait paisiblement. Les merveilles de la technologie, songea-t-il en balayant les alentours d'un regard las. Il y en avait deux autres, plus ou moins bien garées autour du perron de la villa, dont les lueurs rouges et bleues des avertisseurs tournoyaient dans l'obscurité, illuminant les briques de la façade et projetant les ombres des sculptures du jardin sur les marches de l'escalier. C'était la première fois qu'il posait les pieds dans l'une des splendides maisons nichées sur l'une des collines surplombant San Francisco. En général, les missions qu'on lui confiaient se déroulaient plutôt dans les quartiers où une personne sans uniforme avait rarement envie de passer la nuit.

— Une clope, inspecteur ?

L'homme détacha les yeux des fenêtres à meneaux en voyant un jeune policier traverser l'allée en tendant un paquet de cigarettes entre ses doigts. Il refusa son offre d'un mouvement de tête, croisant ses bras sur son torse.

— Je suis content que vous soyez venu. Je sais que vous n'étiez pas en service ce soir, mais...

— Ça ne fait rien, Marty. De toute façon, Sean n'est pas à la maison ce soir, alors ce n'est pas comme si j'allais manquer à quelqu'un.

Marty acquiesça lentement en feignant de se plonger dans la contemplation d'une sculpture installée à côté des marches du perron. C'était un ange, une femme, dénudée, recroquevillée, dont les yeux vides jetaient timidement un regard par-dessus ses larges ailes. Les riches avaient vraiment des goûts étranges.

Mais, à cet instant, c'était Marty que l'inspecteur Harrison observait. C'était un bon gars, Marty, et même lui savait à quel point se faire respecter en tant que policier noir pouvait être difficile, surtout face à cet abruti de Chef Johnson qui semblait prendre un malin plaisir à envoyer ses subordonnés de couleur faire le sale boulot. Malgré tout, Marty ne se plaignait jamais, et en six ans, il n'avait jamais donné à Johnson une seule raison d'écrire une ligne dans son dossier disciplinaire. L'intégrité, c'était tout ce qu'Howard Harrison attendait de ses collègues. La couleur de leur peau ou le quartier dans lequel ils avaient grandi était bien le cadet de ses soucis.

— Ça se présente comment ?, demanda-t-il en désignant la porte d'entrée de la villa d'un coup de menton.

— C'est pas joli à voir. Ni à sentir, d'ailleurs. Le médecin légiste ne devrait pas tarder, mais à l'odeur, je parie que ce pauvre vieux est là depuis un bon mois.

Howard haussa mollement les épaules en traversant l'allée, Marty sur les talons. Il gravit les marches du perron et les deux hommes s'arrêtèrent un instant sur le palier, inspirant une bonne bouffée d'air frais avant de traverser les bandes holographiques qui barraient l'entrée. Marty n'avait pas exagéré : l'odeur était simplement atroce. S'il n'avait pas eu une bonne vingtaine d'années d'expérience déplaisantes derrière lui, Howard aurait été secoué du même haut-le-cœur que son collègue, mais il se contenta de lâcher un grognement de dégoût tandis que les autres policiers massés dans le salon le saluaient d'un hochement de tête.

Le parquet grinça sous son poids lorsqu'il traversa la pièce jusqu'à la grande cheminée devant laquelle se trouvait un large fauteuil en cuir noir. Il avait l'air incroyablement confortable, bien plus que le canapé bon marché que l'inspecteur avait dans son propre appartement. Apparemment, le cadavre qui y était installé partageait son avis.

— Eh bien, on t'a pas raté..., siffla Harrison en tirant la petite lampe torche de sa ceinture pour inspecter le trou béant qui ornait l'exact milieu de son front.

Le vieillard fixait le plafond de ses yeux vitreux, la bouche grande ouverte et la nuque posée contre le cuir du fauteuil. Des traces de sang sec s'écoulaient de la plaie, passant entre ses deux sourcils composés d'une poignée de poils blancs pour se scinder en deux flots de chaque côté de son nez. Quelques gouttes avaient souillé son peignoir en soie. Un crime en soit, vu le prix qu'il devait coûter.

— Le canon du flingue posté entre ses deux yeux est probablement la dernière chose qu'il a vu, déclara tristement Marty.

Harrison lui jeta un bref regard en passant le faisceau de sa lampe entre les pieds nus du vieillard, suivant les éclats de sang qui avaient séché sur le tapis, droit en direction de la cheminée remplie de cendres grisâtres.

— Non. On lui a tiré dessus de derrière. La balle lui a traversé le crâne. Je pense qu'on lui a relevé la tête par la suite...

— Pourquoi quelqu'un aurait fait une chose pareille ?

— J'en sais rien. Quoiqu'il en soit, le vieux est mort sur le coup. On a retrouvé l'arme du crime ?

— Non. Et il n'y a aucune trace d'effraction, ni de vol. Les voisins n'ont rien vu, rien entendu, et, de toute façon, plus personne ne l'avait vu quitter sa propriété depuis pratiquement dix ans. C'est l'infirmière qui venait faire son check-up mensuel qui a trouvé le corps et nous a immédiatement appelé.

— Famille ?

— Il était veuf. Vous ne vous en souvenez pas, inspecteur ? Il avait déclaré se retirer de la vie publique après le décès de sa femme et confier ses affaires à son dernier fils, Desmond.

Howard émit un claquement de langue agacé.

— Les chroniques de la grande famille O'Sullivan, ça ne m'a jamais passionné.

— C'est tout de même..., tenta Marty.

— ... la famille la plus influente de la côte ouest, je sais. Des nouvelles de son fils ?

— On l'a appelé, il nous a répondu qu'il est en voyage d'affaires à Paris et qu'il ne peut pas rentrer pour le moment.

L'inspecteur leva les yeux vers Marty et le dévisagea gravement durant de longues secondes, comme s'il s'attendait à ce que son jeune collègue lise dans ses pensées, mais se redressa finalement en soufflant, parcourant les tableaux ornant les murs. Des scènes bibliques, pour la plupart. Il ne connaissait pas grand-chose à la religion, mais il lui restait encore quelques vagues souvenir des cours de catéchisme que ses parents l'avaient forcé à suivre durant toute son enfance. Le jardin d'Éden, Adam et Eve. Caïn et Abel. Le faisceau de la lampe se tourna ensuite sur le troisième et dernier tableau.

— Inspecteur ?

Howard fronça doucement les sourcils, parcourant la toile des yeux. Toutes ces scènes avaient un côté sombre, presque résigné à la douleur, à la colère, la trahison... Mais celle-ci dégageait quelque chose d'autre. Quelque chose de pire. Ce n'était pas tiré de la Genèse, cette fois. C'était mythologique. Les traits étaient plus fiévreux, les couleurs saturées, les formes plus marquées. Cronos dévorant ses enfants.

— Inspecteur, tout va bien ?

— Quoi ? Ah... Oui, ça va. Je me disais juste...

Marty arqua un sourcil, le questionnant du regard lorsqu'il se retourna face à lui.

— ... que son fils apprend que son père a été retrouvé mort, mais il préfère rester en France.

Howard eut un sourire en coin en traversant le salon en direction des grands escaliers menant au premier étage.

— Faites des gosses, qu'ils disaient, marmonna-t-il pour lui-même. Personne n'a encore inspecté l'étage ?

Marty secoua silencieusement la tête avant de se tourner à nouveau vers le corps du vieux O'Sullivan. Cela ne servait à rien d'insister à propos du fils de O'Sullivan : personne ne savait rien de la vie privée de ces gens-là. Et si même la police peinait à récolter des informations, ou même à oser se pencher sur leur cas, c'était bien la preuve qu'ils avaient amassé tant d'argent qu'il leur permettait désormais d'empêcher les indésirables d'approcher de trop près leurs petites affaires. Un petit privilège supplémentaire, en somme.

Howard baissa les yeux en sentant sa semelle glisser sur le parquet irrégulier, comme si les pluies de cette dernière semaine avaient été si puissantes que des flaques s'étaient invitées même dans le salon. De l'eau de pluie noire, et légèrement huileuse. Deux ou trois traces de semelles quittaient la flaque et traversaient le salon avant de s'estomper.

— Ah, c'est ma faute, inspecteur, bredouilla un autre policier adossé contre un mur de la pièce. Il faisait noir quand on est entré, j'ai marché dedans sans le vouloir.

Harrison lui adressa un regard mauvais, mais au lieu de faire le moindre commentaire, plongea deux doigts dans le liquide noir et les frotta un instant, observant la matière contre sa peau avant de la porter à ses narines.

— Du liquide de refroidissement ?, murmura-t-il en essuyant ses doigts sur son pantalon.

L'inspecteur releva la tête et se redressa lentement, enjambant la flaque, la lumière de sa lampe rivée sur le parquet à la recherche d'autres traces noires. Il n'y avait aucune raison que le vieux O'Sullivan s'amuse à transporter un tel produit à travers ses appartements. En fait, il n'y avait même aucune raison qu'il en ait à portée de main, puisqu'il n'avait plus de voiture depuis une bonne décennie. À quoi bon garder un véhicule, et qui plus est l'une des huiles nécessaire à son entretien, lorsqu'on ne met plus le nez hors de son jardin ?

Il monta une à une les marches menant au premier étage, marquant une courte pause chaque fois qu'une trace noire, aussi discrète et effacée fut-elle, attirait son attention. Lorsqu'il atteignit le palier du premier étage, il balaya chaque extrémité du couloir du faisceau blanc de sa lampe, ne trouvant que la porte de droite encore close. À gauche, la salle de bain. Aucun intérêt, donc. Son attention se porta ensuite sur la lourde porte en bois verni qui lui faisait face. Lorsqu'il actionna la poignée, elle s'ouvrit dans un grincement sinistre, découvrant une pièce plongée dans l'obscurité, rongée par l'humidité, et occupée par une poussière bien plus envahissante que celle des pièces du rez-de-chaussée. Des toiles d'araignées se nichaient dans chaque recoin, reliant les bibliothèques entre elles tandis que leurs minuscules propriétaires fuyaient la lumière en courant sur le plafond fissuré.

— Bordel, lâcha Howard en détaillant les couvertures des livres occupant les étagères des yeux. J'en ai pas vu des comme ça depuis la fin des années vingt.

D'un pas lent, il contourna l'imposant bureau qui trônait au centre de la pièce. Les tiroirs éventrés, vidés, semblaient figés dans le temps, recouvert eux aussi d'une couche épaisse de poussière grise. Il y avait bien un petit cadre retourné contre la surface du meuble, mais...

L'inspecteur Harrison reporta la lumière sur le cadre en s'approchant d'un pas. Une seconde. Il s'agissait très probablement d'une photographie de la femme ou du fils du vieux O'Sullivan, c'est pourquoi il ne s'était pas un seul instant senti intrigué par cet objet sans importance, mais un détail avait failli lui échapper. Un détail qui, soudain, rendait ce cadre bien plus intéressant encore que les vieux livres en papier qui encombraient les étagères.

Une très légère marque de doigts, une marque noire, avait séché sur le bord du cadre.

Howard approcha sa main. Cette marque... Appartenait-elle au vieux qui s'était fait descendre sans même voir son agresseur pointer son arme sur lui, ou bien à...

Un craquement résonna soudain derrière lui. Dans un sursaut tendu, Howard fit aussitôt volte-face en tirant son pistolet de la ceinture de son uniforme, les deux bras tendus devant lui, braquant sa lampe torche au-dessus du canon de son arme.

— Bon sang...

Personne. Bien sûr. C'était peut-être seulement l'un de ses collègues qui avait fait grincer une marche de l'escalier, ou s'était appuyé contre un meuble légèrement fragile du salon. En soi, rien de bien alarmant.

Ou peut-être que ce n'était pas ça.

Il n'y a aucune trace d'effraction, ni de vol. Howard avança jusqu'à la porte et s'immobilisa dans le couloir menant à l'unique porte encore close, les yeux rivés sur le parquet. Il y avait encore ces traces noires, mais il n'était pas question cette fois-ci d'une simple trace de doigt. C'était comme si quelqu'un avait rampé au sol.

Il le connaissait, songea-t-il. Il l'a fait rentrer chez lui. Et il n'était visiblement pas motivé par l'argent. C'était personnel. Un meurtre en toute conscience : c'était le vieux O'Sullivan qui devait mourir, pour une raison ou pour une autre.

Howard traversa le couloir sans un bruit, restant aussi stoïque que les statues du jardin dès qu'une planche grinçait sous son poids. Encore quelques pas, et il serait juste devant la porte. Plus il s'en approchait, et plus la lueur blanche de sa lampe torche soulignait les traces de doigt laissées maladroitement sur la partie inférieure du bois, conduisant son regard jusqu'à la poignée.

L'inspecteur abaissa la sécurité de son arme, tandis qu'une profonde inspiration lui gonflait les poumons. Trois. Deux. Un.

Projetant toutes ses forces dans sa jambe, il donna un violent coup de pied sur le vantail de la porte, brisant la serrure en fissurant le bois sous le choc. Elle céda d'un coup sec, claquant contre le mur en dévoilant une large pièce encombrée d'innombrables bibelots décoratifs et de documents encadrés aux murs. Des diplômes, des coupures de presse concernant les affaires de ce bon vieux Alistair O'Sullivan, son emprise sur l'industrie pharmaceutique, les dizaines d'hôpitaux privés qu'il avait ouvert sur la côte ouest durant les années trente, les personnalités influentes qu'il avait rencontré...

Howard pointa son pistolet en direction du cerf empaillé posté dans un coin de la pièce, tout près de la large fenêtre à meneaux donnant sur le jardin et à travers laquelle les lueurs bleues et rouges des voitures de police se glissaient pour balayer la pièce. Une patte repliée, alerte, le cou dressé, ses grands yeux bruns semblèrent escorter l'inspecteur tandis qu'il avançait prudemment à travers la pièce. Sans même prendre le risque de ciller, Howard contourna le grand lit parfaitement bordé, passant la lumière sur chaque infime centimètre du drap à la recherche d'autres traces noires. Rien. Rien du tout.

Laissant échapper un profond soupir, mêlant à la fois déception et soulagement, Howard abaissa son arme tout en dévisageant les grands yeux du cerf comme s'il y cherchait une forme de soutien. Il était incroyablement beau. Sa fourrure brune, lisse et brillante, soulignait la forme gracieuse de son corps. Il avait quelque chose... d'inexplicablement envoûtant. Alors, sans vraiment en savoir la raison lui-même, Howard acheva de traverser la pièce jusqu'à lui, niché derrière le large lit, comme effrayé par la présence de ce parfait inconnu sur son territoire, ce visage inconnu qui s'approchait peu à peu de lui...

Jusqu'à s'arrêter.

Howard sentit son cœur remonter brusquement dans sa gorge, emprisonnant l'air contenu dans ses poumons. Il n'eut même pas la présence d'esprit de redresser l'arme qu'il tenait mollement entre ses mains, ni même la simple idée d'appeler ses collègues. Il resta simplement là, ses yeux d'un bleu gris écarquillés, les battements furieux de son cœur résonnant dans son corps tout entier.

— Oh putain...

Le faisceau de sa lampe restait obstinément rivé sur le visage pâle d'un jeune homme, refusant de se détacher de ses lèvres fines entrouvertes légèrement bleutées, de ses yeux d'un brun profond, vitreux, encadrés de longs cils noirs, de sa chevelure foncée légèrement ondulée qui reposait contre le parquet froid.

— Oh putain, répéta-t-il en s'efforçant de balayer son corps des yeux, s'accroupissant lentement à ses côtés.

Le jeune homme était étendu sur le ventre, les jambes repliées, un bras coincé sous son ventre et l'autre reposant misérablement contre le parquet, comme si ses yeux restaient accrochés à sa main. Merde, il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. En étant mort à soixante-dix huit ans, il doutait qu'Alistair O'Sullivan est un fils aussi jeune, dont la presse n'aurait jamais parlé. De toute façon, d'après les vêtements qu'il portait, il semblait plus proche d'un domestique que d'un riche héritier. Alors quoi ? Une victime collatérale ? Possible.

Howard tendit ses doigts et les glissa dans le cou du garçon, pressant sa peau douce et glacée à la recherche du plus infime et faible pouls. Bien sûr, si sa théorie était exacte et qu'il avait été tué en même temps que le vieux O'Sullivan, cela n'expliquait pas pourquoi, contrairement à la première victime, il était toujours en merveilleux état de conservation. Il ne dégageait même pas cette infâme odeur de putréfaction.

L'inspecteur secoua la tête, résigné à ce qu'aucun battement de cœur ne saisisse ses doigts. Ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait face à une victime si jeune, mais il ne parvenait jamais à examiner ces cadavres avec le même détachement qu'il ressentait envers les quarantenaires, cinquantenaires ou n'importe qui ayant eu la chance d'expérimenter la vie avant de franchir le gouffre final.

— Pauvre garçon..., soupira-t-il avant de retirer ses doigts de sa gorge.

Harrison se redressa et tourna les talons, reculant jusqu'à la porte pour avertir ses collègues de la présence d'un second corps, lorsqu'un grincement retentit derrière lui. Un frottement sur le parquet, les planches qui grinçaient. Howard fit volte-face, sa lampe torche levée, le bras pressé contre son torse. La lumière traversa les draps lisses du lit, le regard fixe du cerf empaillé, puis se précipita au sol.

Howard sentit un cri se bloquer dans sa gorge, incapable de s'en extirper comme si un nœud empêchait sa voix et son souffle de quitter son corps. Une vague de terreur fouetta ses nerfs et dressa les pores de sa peau tandis que des gouttes de sueur froide perlaient sur son front et coulaient le long de sa colonne vertébrale. Il ne pouvait pas voir son reflet, mais il était certain que les couleurs avaient fui son visage, le rendant aussi pâle que le jeune homme qu'il venait de trouver.

À présent, sa joue ne reposait plus contre le parquet, ses yeux vitreux ne fixaient plus éternellement son poing ouvert. Dès que la lumière aveuglante de la lampe torche s'était à nouveau rivée sur son visage, les muscles du jeune homme semblaient s'être soudainement contractés, tentant de se redresser d'un mouvement brusque mais ses membres faibles n'avaient pas été capables de supporter son poids.

— Bordel de merde !, cria finalement Howard alors qu'une vague de sang brûlant envahissait ses bras et ses jambes, lui hurlant de se saisir de son pistolet.

Le dos du garçon heurta maladroitement la table de chevet, renversant la petite lampe qui s'y trouvait et qui chuta dans les pattes du cerf. L'une de ses mains s'agrippa aux draps du lit alors que la seconde griffait le parquet à la recherche d'un point d'appui, ou peut-être du moindre objet pouvant lui servir d'arme ou de bouclier.

— Bouge pas ! Putain !, s'égosillait l'inspecteur, le canon tremblant de son pistolet rivé sur le front du garçon.

Bon sang, mais qu'est-ce que c'était que ça ? Un revenant ? Il était absolument certain de n'avoir senti aucun battement de cœur au creux de son cou ! C'était impossible, purement et simplement impossible.

— Inspecteur !

Marty entra en trombe dans la chambre, trois collègues sur les talons, leurs armes à la main. Le policier s'immobilisa, ses yeux noirs écarquillés passant d'Howard au jeune homme recroquevillé par terre, massé contre la table de nuit.

— Mais qu'est-ce que...

— Il était mort ! Putain de raide mort !

— Qu...

Harrison détacha les yeux de ses collègues abasourdis, reportant son attention sur le visage du garçon. Sa tête bougeait d'un point à l'autre de la pièce, suivant les voix qu'il entendait autour de lui, les yeux mi-clos, plissés, ses lèvres bleutées pincées. Les jambes repliées contre son torse et les bras en croix, Howard ne put s'empêcher de relever les yeux en direction du cerf massé à ses côtés. Son corps était aussi inerte que le sien, à l'exception de ce mouvement de tête fiévreux.

— Inspect...

La voix de Marty mourut dans sa gorge lorsque le garçon s'écroula brusquement au sol comme une poupée désarticulée, sa tête retombant mollement sur son épaule.

Durant de longues secondes plongées dans un silence lourd, Howard garda son arme rivée sur lui. Qu'est-ce que c'était ? Ce phénomène étrange des poules à qui on aurait coupé la tête et dont le corps continuait à bouger ? Une sorte d'impulsion électrique, un dernier souffle de vie ?

À sa gauche, il entendait les chuchotements de Marty, enchaînant mille et une questions sans même qu'Howard soit capable de formuler la moindre réponse. Il était mort. Ce garçon était mort.

— Embarquez-le, murmura-t-il en portant sa main tremblante à son front couvert de sueur.

— Mais...

— J'ai dit : embarquez-le !

Il était mort. Mais il l'avait regardé.

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