Chapitre un.


Sa vie était tout ce qu'il y a de plus banale. Le réveil qui sonnait à tue-tête le matin, le petit déjeuner qu'on ne prend même pas le temps d'avaler, le passage précipité par la salle de bains, le sac de cours d'un poids assez consistant sur le dos, une bise sur la joue de sa mère puis direction le lycée pour une journée entière entre les murs à étudier. Sa dernière année là-bas. En même temps il ne détestait pas tellement ça. Mais ce qu'il aimait par-dessus tout c'était se rendre -dès qu'il avait une heure de pause dans son emploi du temps- à la bibliothèque de l'établissement. Une heure, deux heures, trois heures. Peu importe. Il s'y sentait bien. Comme un deuxième foyer. Il prenait simplement un livre qu'il avait entamé durant le début de la semaine pour le finir ou travailler sur un devoir quelconque puis aller se poser dans un coin tranquille. A l'abri des regards. Et là-bas il n'avait besoin de personne, son cerveau ne réfléchissait plus, il se laissait emporter par les mots. Son petit coin de paradis. Il venait toujours seul, jamais un ami ne l'accompagnait. D'ailleurs les seules personnes qui restaient à ses côtés, qui étaient fidèles, il ne pouvait les compter que sur les doigts d'une seule main. Son meilleur ami, qui ne se trouvait pas dans sa classe cette année, et quelques vagues connaissances. Les autres élèves le trouvaient un peu trop... Bizarre et ne semblait pas lui accorder la moindre importance. Il avait net un penchant pour la solitude, jusqu'à ce que retentisse la sonnerie pour le prochain cours il se tenait debout devant la salle, un livre dans la main. Toujours caché derrière ce dernier alors que les autres élèves discutaient ou rigolaient. Il parlait peu, engager une conversation avec lui n'était pas une chose simple. L'amitié n'était pas son fort. Il soupira en jetant son sac de cours sur son lit refait à la perfection par lui-même au matin, sa mère n'était pas encore revenue du travail et il se sentait à la fois épuisé et seul. Des tas de livres étaient classés par ordre alphabétique dans ses deux étagères et même un nouveau dans son sac qu'il était parti acheté avant de rentrer chez lui, mais il n'avait pas le goût à ça. Pas maintenant. Il voulait autre chose, et cette autre chose n'était pas disponible pour le moment et ne le serait pas avant deux bonnes heures. Pour faire passer le temps le jeune homme décida d'entreprendre des révisions mais son esprit était tout à fait ailleurs et pas apte à se concentrer. Il s'allongea finalement dans son lit, son regard porté au plafond blanc, un livre d'histoire posé sur le ventre. Ses paupières commencèrent à se faire lourdes, ses yeux lui piquaient et c'était en partie dû au manque incontestable de sommeil. S'en vraiment s'en rendre compte il sombra entre les bras de Morphée.

Combien de temps ? Il n'en savait absolument puisque lorsqu'il se réveilla une couverture était tirée sur lui, son livre posé sur son bureau et les rideaux tirés. En retenant un bâillement il se frotta un œil de la paume de la main, bien vite il sursauta en lisant sur son réveil « 20 : 21 » Merde, merde, merde. Son cerveau ne lui répétait que ça, il se leva manquant de trébucher à deux reprises puis alla vérifier si sa mère était bien rentrée. En effet, en un bref coup d'œil à la cuisine il la trouva en plein travail sur un plat tout en écoutant la radio qui diffusait les informations de la journée. Ils préféraient tous deux cette station plutôt qu'une télévision, qui par ailleurs n'était pas d'une grande utilité. A pas de loup, il remonta dans sa chambre, ferma sa porte à clé et sortit son téléphone portable de sa poche de jean. Ses mains tremblaient, son cœur battait à tout rompre et ses pieds lui faisaient faire le tour de la pièce sans qu'il ne s'en rendre vraiment compte. Il hésita quelques instants avant d'appuyer sur la touche du milieu, son portable s'alluma sur trois appels manqués. Merde. Sans perdre une seconde il composa ce numéro qu'il connaissait par cœur depuis un bout de temps déjà et porta le cellulaire à son oreille droite. Inconsciemment il se rongea les ongles, anxieux. Beaucoup trop. Une envie folle de raccrocher le démangeait mais il ne pouvait pas, il ne voulait pas. Finalement au bout de deux intonations, une voix familière s'éleva à l'autre bout du fil. Sa poitrine se comprima à l'entente de celle-ci, douce, rassurante.

« Bonsoir Harry, ça va ? »
« Je... Je m'étais endormie, désolé. La... La prochaine fois je mettrai mon réveil à sonner comme ça je ne serais plus en retard pour décrocher, c'est de ma faute je n'aurais pas dû me... »
« Calmes toi Harry, ça va, d'accord ? »
« Oui. Excuse-moi. »
« Souffle. Prends ton temps, respires. Je suis là et toi aussi alors tout va bien. Compris ? »
« Je suis désolé de t'avoir inquiété, tu... »
« Harry, tu te souviens des exercices ? »
« Oui, je... Je me rappelle. »
« Très bien alors tu vas poser ce téléphone et faire ce que je t'ai appris. »
« Mais... »
« Je peux attendre, fais-le. »
« D...D'accord. »

D'une main tremblante il posa le téléphone sur le lit pour venir s'assoir dessus. Il ferma les yeux puis inspira un bon coup avant d'expirer. Il reproduisit ce geste trois fois de suite jusqu'à ce que son corps arrête ses tremblements, que les battements de son cœur reprennent une cadence normale et que sa respiration se calme. Cet exercice avait toujours marché sur lui, même dans les pires situations. Il paniquait très vite, et souvent pour un rien. Mais tout pour lui avait de l'importance. Après avoir retrouvé une certaine constance, il saisit son téléphone. Soulagé.

« C'est bon. »
« Excellent... Alors, comment c'est passé ta journée ? »

« Plutôt bien. Comme les autres je dirais. »

« Raconte-moi. »
« En littérature on a parlé des grands auteurs britanniques du siècle dernier, du coup j'ai... J'ai pensé à toi vu que je sais que tu les admire beaucoup. »
« C'est adorable, merci... Ça te plait aussi comme sujet j'espère ? »
« Je crois que ce celui que je préfère sur l'année oui.... Je suis allé à la bibliothèque ce midi puis une heure cette après-midi, j'ai croisé mon meilleur ami mais il n'avait pas le temps de me parler alors.. »
« Alors tu as passé la journée seul ? »
« Hm. Osa-t-il à peine prononcer. »
« Tu as mangé ce midi ? »

Lui répondre positivement serait le plus affreux des mensonges, et il n'aimait pas cachait des choses aux autres encore moins à la personne avec qui il partagé actuellement une conversation. De toutes manières il ne savait pas mentir, que ce soit face à face ou par téléphone. Sa voix s'enrouait et il se mettait à trembler violemment. Alors il resta silencieux, on pouvait juste entendre sa respiration qui se faisait un peu plus difficile.

« Je ne vais pas m'étendre sur le sujet parce que tu sais ce que j'en pense. Ce n'est pas bon. En plus de cela tu fais dépenser de l'argent en plus à ta mère qui crois pertinemment que tu manges à la cantine. »
« Je n'aime pas aller là-bas. »
« Alors prends des sous pour t'acheter un truc à manger, rien qu'un sandwich ce serait déjà mieux que de ne rien avaler du tout. »

« Mais je me sens en pleine forme comme ça. »

« C'est impossible Harry, tu ne peux pas te sentir bien si ton repas de la journée n'est qu'une maudite pomme, que tu ne finis surement même pas d'ailleurs. »

« Qu'est-ce que ça peut faire... »
« Ça fait que je n'ai pas envie d'apprendre, un de ces jours en te téléphonant, que tu es mort de malnutrition ! S'emporta-t-il, la voix enrouée. »

Harry avait une soudaine envie de répondre que ce serait mieux que de mourir par un acte de suicide mais le ton de son interlocuteur était bien assez colérique comme ça pour qu'il en rajoute. Il ne le connaissait que trop bien pour savoir que si il le mettait trop sur les nerfs, il raccrocherait et ne le rappellerait que le lendemain soir, et ça le tuerait de ne pas pouvoir lui parler avant ce moment-là. Il baissa alors simplement la tête, fixant sa main qui jouait avec le pli de la couverture.

« Je... Je n'aurais pas dû te crier dessus, désolé. Je crois que je vais te laisser, tu as besoin de repos et... »
« Non attend ! S'écria-t-il, juste avant de se rappeler que sa mère se trouvait dans une pièce pas loin, il chuchotait presque à présent. Désolé, je.... Je mangerais ce soir, je te le promets... Pour toi. »
« Harry.... Son soupir se répercuta jusqu'aux oreilles du brun. Ce n'est pas pour moi que tu dois te nourrir, mais pour toi. Pour ton bien. »
« Mais je vais bien ! »
« Tu peux mentir à qui tu veux Harry, mais pas à moi. »
« Je.... Il hésita une longue minute. Tu as raison, je ne vais pas bien non. Je me sens mal, chaque matin quand je me réveille, quand je vais en cours parce que je sais pertinemment que la place à côté de moi en classe sera vide, mais ce genre de chose on s'y habitue. Je crois que le pire c'est de voir les autres s'amuser, voir ses anciens amis t'ignorer complètement, te rigoler au nez. Qu'est-ce que j'ai à tours les faire fuir merde ? La peste, ou une de ces maladies contagieuses ? Dis-moi... Je suis perdu. Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? »
« Écoutes moi bien, tu n'as absolument rien fais. Et celui qui te dira le contraire est un con. Tu es quelqu'un de bien, je le sais pour t'avoir tous les jours au téléphone depuis deux ans. Deux années Harry, ce n'est pas rien. Tu peux dire que je ne te connais pas, parce que c'est vrai je ne t'ai jamais vu je ne sais pas à quoi tu ressembles je ne sais pas de quelle couleur sont tes yeux, je ne connais pas grand-chose de toi mis à part tout ce que tu me dis à travers nos conversations. Et c'est déjà bien assez pour savoir que tu es une personne extraordinaire. Ne laisses pas les autres t'enlever ça, jamais. Tu peux ne pas me croire, mais je suis sure de ce que je dis. »
« Verts. Répondit-il, simplement. »
« Pardon ? »
« Mes yeux. Ils sont verts. »
« Oh. »
« Tu... Tu me crois si je te dis que c'est surement la seule chose que j'aime chez moi ? »
« Sur parole oui, je suis certain qu'ils sont magnifiques. »

Sans en être conscient, un sourire se dessina sur les lèvres du bouclé qui n'avait pas reçu de compliments depuis un long moment. Un raclement de gorge se fit entendre à l'autre bout du combiné, ce qui le fit revenir à la réalité. Malheureusement.

« Quand même, il doit bien avoir quelque chose qui cloche chez moi pour que personne ne vienne jamais m'adresser la parole. »
« Ou alors ce sont les autres qui ne savent pas ce qu'ils ratent. »
« Je me demande pourquoi tu es encore là.... »
« Parce que tu as besoin de moi, de quelqu'un à qui t'accrocher. Parce qu'il y a deux ans tu m'as demandé de t'aider à aller mieux et je veux que ça arrive alors je ne te laisserais jamais tomber. »
« Tu me le promets ? »
« Je te le jure sur ma vie, Harry. »
« Arrêtes elle est bien trop précieuse pour être mise entre les mains d'un con comme moi. »
« Si j'étais à côté de toi en ce moment même tu aurais eu le droit à une belle claque. »
« Si t'étais à côté de moi en ce moment même je pourrais enfin être heureux. »

A peine avait-il prononcé ces paroles qu'il regrettait déjà de les avoir dites. Les mots avaient dépassé sa pensée, bien qu'au fond de lui il savait que ce qu'il venait de répondre était totalement véridique. Il ne voulait pas se permettre de tenir à quelqu'un, d'avoir un certain sentiment d'amitié, parce que toutes les personnes avec lesquelles il s'entendait bien finissaient par le quitter faisant sur leur passage des dommages psychologiques. Des troubles qui ne se soignaient que par la parole et Harry s'était tellement renfermé qu'il ne prenait même pas l'initiative de commencer une conversation. Mis à part avec la personne au bout de ce téléphone, qui se trouvait dieu ne sait où, cette personne -qui elle- ne devait absolument pas le quitter. Ou tout serait fini.

« J'ai pas mal de devoir à faire, je te laisse.... Passe une bonne soirée. »
« D'accord. Toi aussi Harry, et merci d'avoir rappelé. »
« J'en avais besoin. »
« Je sais. Prends soin de toi, surtout. A demain. »
« Oui, je tâcherais d'être à l'heure cette fois. »
« Je préfère que tu dormes et que tu ne me répondes pas plutôt que tu t'écroules sur ta table en cours. Tu ne crois pas ? »
« Peut-être, ouais. »
« Au revoir Harry... Et ? »
« Oui ? Questionna-t-il les sourcils froncés. »
« Manges ! »

Et ce fut le dernier mot qu'il entendit de sa part avant que la communication ne soit coupée. Il posa son téléphone sur la table de chevet à côté de lui en soupirant d'aise. Tout allait bien, pas mieux, mais c'était déjà ça. Deux coups se répercutèrent contre sa porte en bois, il sursauta quand la voix de sa parente retentit.

« Chéri, le dîner est prêt. Tu viens manger ce soir ? »

Le bouclé se leva de son lit aisément glissant son téléphone dans la poche de son slim noir et ouvrit la porte sur cette femme qui lui sourit faiblement par peur de le blesser et qu'il ne se renferme sur lui-même une fois encore. Il leva les yeux au ciel, amusé, avant de lui embrasser la joue et rejoindre le salon où l'attendait une assiette fumante. Elle lui avait concocté son plat préféré dans l'espoir qu'il accepte d'au moins en manger deux ou trois cuillères, au lieu de ça il s'était installé tranquillement à table et comptait bien finir son assiette. Un diner en tête à tête avec sa mère. Cet évènement n'était pas survenu depuis longtemps et semblait si loin d'eux. Mais ce soir il était présent, elle ne mangerait pas seul, elle ne lirait pas le journal du matin pour passer le temps, non elle lui racontait sa journée, elle riait avec lui, elle le voyait sourire. Et c'était si beau. Pourtant il ne faisait pas ça pour lui-même mais bel et bien parce qu'il l'avait promis à la personne avec qui il avait entretenu une conversation de plus d'une demi-heure tout à l'heure. Et le jeune homme tenait toujours ses promesses, c'était la seule chose qu'il ne brisait jamais.

Oui, Harry menait une existence tout à fait normale, exception faite que depuis deux ans il était suivit tous les jours de la semaine par un psychologue -loin de l'ordinaire- par l'intermédiaire d'un téléphone. Ils ne s'étaient jamais vus et pourtant ils connaissaient presque tous l'un de l'autre. Ils avaient appris à lire en chacun comme un livre ouvert, ils savaient que ce livre contenait des pages déchirées et qu'ils mettraient un certain temps à rassembler tous les morceaux. Mais ils y arriveraient, parce que dès le départ ils se l'étaient jurés.

-Flash-Back-


Nerveux, inquiet et légèrement sur les nerfs Harry attendait l'appel qu'il était censé recevoir dans à peine deux minutes. Et s'il ne rappelait pas ? Et s'il brisait la promesse qu'il avait fait la veille stipulant qu'il l'aiderait ? Et si il avait simplement jugé bon de laissé le jeune homme se débrouiller sans le cauchemar qu'il vivait, parce qu'après tout, pourquoi lui viendrait-il en aide ? Pourquoi lui tendrait-il sa main alors que personne n'a jamais pris la peine de le faire avant ? Alors que tous le regardait crouler sous le poids de la vie ? Il commençait à perdre espoir au fil des secondes quand son portale se mit à vibrer le faisant sursauter au passage. Peut-être était-ce simplement son meilleur ami qui venait prendre de ses nouvelles ? Mais ça ne pouvait pas arriver, ou bien sous le coup d'un miracle, parce qu'il ne venait simplement jamais lui demandait si sa santé mentale allait mieux.

« Oui ? »
« Je suis à l'heure ? »

Un faible sourire se dessina sur les lèvres du bouclé qui avait commencé à perdre tout espoir d'entendre cette voix un jour. Finalement il lui restait peut-être un peu d'espoir...

« Parfaitement, oui. »

Son ton était froid, neutre, il ne voulait rien laissait paraître même si à l'intérieur son cœur explosait de joie.

« Bien, alors... Pourquoi avoir refusé un rendez-vous au bureau ? »
« Je ne veux pas vous voir. »
« Vous préférez au téléphone ? »
« Oui. »
« Très bien, alors pour vous connaître un peu plus, pouvez-vous me parler de vous ? »
« Je... J'ai... Euh... Hésita-t-il. »
« Juste votre prénom, votre âge, et ce que vous aimez ou détestez. Pas vos problèmes pour le moment. »

C'était la première fois qu'un psychologue lui demandait de ne pas raconter ses problèmes, de ne parler ce qui lui faisait mal. D'habitude ils commençaient par lui torturer l'esprit avec des questions non ? Ils venaient toucher à où il était brisé ? Normalement. Un sentiment de sécurité l'envahit peu à peu.

« Je... Je m'appelle Harold, mais je préfère largement Harry. J'ai quinze ans. Je déteste le soleil, j'ai peur de la foule et je panique facilement quand y en a, je ne supporte pas les matières scientifiques et je méprises les psychologues. »
« Eh bien je crois qu'on va bien s'entendre. Ironisa-t-il. »

Harry n'était pas d'humeur ni du genre à plaisanter sur ça et le médecin à l'autre bout du fil l'avait bien saisit étant donné qu'il se racla la gorge avant de soupirer un bon coup.

« Tu... Tu me permets de te tutoyer ? J'ai l'habitude de le faire avec les patients de ton âge et ça me fait bizarre de te vouvoyer. »
« Si vous voulez. »
« Alors Harry, parles-moi de ce que tu aimes ? »

Que pouvait-il dire ? Sans même compter il savait qu'il haïssait plus de choses qu'il n'en aimait. Sa mère, un peu trop protectrice, peut-être ? Ou les lames de rasoir caressant sa peau ? Les cicatrices qui retraçaient le chemin de sa piètre existence? Mais il ne pouvait pas dire tout ça, il ne voulait pas. C'était sa vie privé, sa histoire personnelle, son œuvre d'art à lui.

« J'aime rester à ma fenêtre et regarder puis écouter la pluie tomber. C'est relaxant et joli. Sinon j'aime écrire, dessiner et lire. »
« D'accord, et au niveau des études tu en es où ? »
« Je viens de rentrer en seconde. »
« Et ça se passe bien ? »
« Ça va oui, il y a pire. »
« Tu veux faire quoi plus tard ? »
« Je... Je voudrais être libraire mais... »
« Mais quoi ? »
« Je sais que je ne vais pas réussir, tout ce que j'entreprends finis par se casser la figure ou se briser devant moi. C'est comme ça. »
« Faux, c'est ce que tu te dis, ce dont tu te persuades. Mais tu es capable de le faire. »
« Vous ne me connaissez pas. »
« C'est vrai oui, je ne te connais pas mais personne ne mérite de baisser les bras et de ne pas saisir sa chance. Si tu veux quelque chose t'as juste à tout faire, vraiment tout faire, pour l'obtenir. Tu tends le bras et tu l'attrape, et surtout tu ne la regarde pas passer devant toi. »
« Je... Je peux vous posez une question docteur ? »
« Bien sûr, je suis là pour ça. »

Encore une fois ce médecin le laissait totalement mué, il déjouait toutes les idées qu'il se faisait des psychologues et de leurs méthodes de travail. C'était eux qui étaient censé poser les questions, celles qui vous trottaient dans l'esprit, qui remuaient le couteau dans la plaie, qui retournaient totalement l'estomac, qui laissaient un goût amer dans la gorge après une séance, des questions qui vous collaient jusqu'au bout. Alors que là, il pouvait poser ses propres questions, des sujets qui restaient flous pour lui. Parler librement. Se livrer même ?

« V... Vous y croyez, vous à l'espoir ? »
« C'est ce qui nous fait vivre, Harry. »
« Alors pourquoi je suis encore là ? »
« Parce que même si tu n'oses pas te l'avouer, au fond de toi, tu en as. Tu as de l'espoir. Que tout puisses aller mieux un jour, que le monde arrêtes d'être remonté contre toi, qu'il relâche cette oppression permanente sur tes épaules et qu'enfin tu puisses un peu être aimé. »
« J'ai l'impression qu'il n'y en a pas pour moi, que je vie dans une répétition permanente, que je ne m'attache qu'aux mauvaises personnes, que je perds tout ce que j'ai. Le temps défile et je suis en train de raté totalement ma vie. Je voudrais voyager, voir des choses, en apprendre d'autres, pouvoir inspirer de l'air à pleins poumons. Mais je n'ai pas la force de tenir, j'ai cette éternelle impression de marcher au-dessus du vide et de pouvoir y tomber à n'importe quel moment. »
« Dans ce cas trouve-toi une main assez solide pour te retenir de la chute. »
« J'aimerai docteur, j'aimerai vraiment mais... Mais tout le monde fini par me quitter, malgré tous les efforts que je peux faire. C'est moi le problème au fond. »
« Le problème ce n'est pas toi Harry, mais les autres et quand tu auras compris ça, crois-moi, tu iras déjà beaucoup mieux. »
« Vous croyez que c'est possible ? »
« Quoi donc ? Demanda-t-il en fronçant les sourcils. »
« Que je puisse aller mieux un jour ? »
« Tu veux savoir, je crois que tu as un bel et bien un problème. Tu pars toujours défaitiste, tout ce que la vie t'offre tu le vois comme quelque chose de sombre, de néfaste, de dangereux alors tu te renfermes, tu ne laisses plus rien t'atteindre et c'est pour cela que tu n'as plus d'espoir. Alors tu devrais laisser les chances venir à toi, ouvrir les bras et arrêter de tout repousser. »
« Je n'en ai pas la force. »
« Ne dis pas des bêtises, tu sais très bien que si mais tu as traversé tellement de mauvais chemins que tu te persuades du contraire. Et tu sais ce que c'est ? Un comportement d'enfant. »
« Demain à la même heure ? »
« Harry.... Soupira-t-il. »
« Au revoir. »

Il raccrocha sans rien ajouter, vexé. Jamais quelqu'un, encore moins une personne qu'il ne connaissait pas, ne lui avait parlé de la sorte. Aussi durement. On lui disait ce qu'il ne voulait pas entendre, ce qui lui faisait mal, ce qui ne pouvait que le touchait au plus profond de son être. En fait pour la première fois quelqu'un osait lui dire la vérité, on ne lui cachait rien, on ne l'épargnait pas, on l'assommait à coup de mots et il en souffrait.

-Fin du flash-back-


Il était plus de minuit et le jeune homme n'arrivait toujours pas à trouver le sommeil, malgré s'être tourné et retourné dans son lit à maintes reprises. Son esprit était plus que tourmentaient par un problème sur lequel il ne savait pas poser de nom. Il soupira en s'asseyant sur son lit et saisit son portable, l'heure défilait lentement, il ramena ses genoux contre son torse. Il hésitait vraiment à faire ça. D'habitude dès qu'il allait mal, que n'importe quel sentiment le torturait il appelait son psychologue mais... Si celui-ci dormait déjà ? Mais il avait besoin de savoir, de se sentir mieux, et c'était le seul qui pouvait y remédier. Tant pis. Il composa le numéro et porta le cellulaire noir à son oreille.

« Harry... Ça ne va pas ? »

Un soupir de soulagement s'échappa d'entre ses lèvres. Le médecin avait décrochait au bout de trois longues intonations alors que lui commençait à perdre espoir et pensait passer une nuit blanche. Encore une fois. Les cernes sous ses yeux émeraude en témoignaient bien, et aussi le fait qu'il avait du mal à tenir une journée entière éveillé.

« Je n'arrive pas à m'endormir. »

« Oui, j'avais deviné. »

« Désolé de te déranger encore une fois. »

« Eh Harry, je suis ton psychologue et en tant que tel je me dois d'être présent pour toi à n'importe quel moment de la journée ou de la nuit. Donc tu ne me dérangeras jamais, rentre toi ça dans le crâne. »

« Oui enfin je crois que je suis le seul patient, que tu aies eu, qui t'appelle en pleine nuit parce qu'il n'arrive pas à fermer l'œil. »

« C'est vrai, mais t'es pas un patient comme les autres pour moi et tu le sais. »

Oui il le savait mais le peu de fois où il avait pu lui dire lui retourné l'estomac à chaque fois. Il sentait ses joues s'enflammaient et ses mains tremblaient. Il n'était pas habitué aux compliments, aux liens avec les gens. Ça lui avait toujours fait peur, il angoissait tout le temps, sa gorge se nouait, sa peau devenait moite, son cœur battait vite. Il détestait ça. Son silence était en lui-même une réponse.

« P... Pourquoi tu ne dors pas encore, toi ? »

« A dire vrai je n'en sais strictement rien. Je viens de finir un livre et j'en entamais un nouveau là.

« Tu veux que je te laisse alors ? Demanda-t-il doucement. »

« Tu rigoles ou quoi ?! »

Le bouclé leva les yeux au ciel, un petit sourire au coin des lèvres, même si il lui avait proposé cela au fond de lui il avait vraiment besoin de lui parler. Peu importe quel sujet. La pluie, le soleil, le thème d'un livre que son psychologue avait pu lire auparavant, le repas de la veille, les nouvelles au travail. Tout ce qu'il y a de plus anodin, de banal. A dire vrai pouvoir se dire qu'en rentrant d'une longue journée de cours il allait pouvoir parler à quelqu'un qui serait là pour l'écouter, qui avait -lui- l'oreille attentive, qui se souciait un minimum de lui alors qu'ils ne s'étaient jamais vu.

« Alors comment s'est passé ta journée ? »

Suite à cette question Harry s'enfonça dans son lit, au chaud sous ses couvertures, et poussa un soupir d'aise une fois allongé sur son dos. Il ne voulait pas l'avouer à son médecin pour ne pas passer pour un idiot mais il lui semblait que le fait d'avoir entendu sa voix suffisait déjà à lui donnait sommeil.

« Et bien assez banal tu sais, j'ai passé la matinée à assurer mes rendez-vous avec mes patients et j'ai fais le ménage chez moi. C'est marrant. Il exprima un rire nerveux qui se coinça au final dans le fond de sa gorge. On pourrait presque croire que je suis le patient et toi le psychologue. »

« J'aime bien t'entendre parler de ta vie. »

« Oui mais tu sais que logiquement c'est toi qui devrait le faire. »


Le plus jeune exprima un long soupir qui n'échappa pas aux oreilles de son médecin qui lui -leva les yeux au ciel- il détestait parler et même si il y arrivait plus avec lui ça ne changeait rien au fait que les mots qui sortaient d'entre ses lèvres étaient courts, et vagues. Il essayait de ne pas trop faire de phrases, d'abréger mais ça ne marchait pas tellement avec le jeune homme de l'autre côté du téléphone qui lui était plutôt têtu, borné et persévérant.

« Je... J'aimerais avoir une personne à côté de moi dans ce lit, il est beaucoup trop froid et vide et j'ai l'impression que même avec dix couvertures j'aurais éternellement froid. J'aimerais me réveiller sur un visage, peu importe lequel, mais que ce soit celui d'une personne qui sera toujours présente pour moi, celle qui aura su me sauver de la chute. Si ça ne se passe pas avant bien sûr.

« Alors fixe toi l'objectif de trouver cette dite personne. »
« Mais... Sa voix se brisa. J'ai peur. »
« Peur de quoi ? »

Que pouvait-il bien répondre ? Il y avait des tas de choses qui lui faisaient peur dans ce monde. Les araignées, la masse, les regards brûlants dans le dos, le cri des hiboux la nuit, la vue du sang. Mais il y avait une chose en particulier qui effrayait le bouclé plus que tout, une chose qui le comprimait avant de le réduire en cendre.

« - D'aimer. Des sentiments. J'ai peur de tout ça. »
« Ce n'est pas quelque chose de mal, Harry. C'est humain et normal. »
« Pas quand la personne pour qui vous ressentait des sentiments vous abandonne. »
« Il faut parfois prendre la mauvaise direction pour pouvoir trouver la bonne. »
« Tu veux bien arrêter avec tes dictons à deux balles ? Ça ne marche pas et ça ne marchera jamais ! Tu tombes, tu tombes encore et encore. C'est un putain de cercle vicieux duquel il n'y a aucune sortie alors arrêtes d'essayer de me... Il souffla sous peine de crier encore plus, ne souhaitant pas réveiller sa mère qui se poserait surement des questions sur cet appel en plein milieu de la nuit. Arrêtes de vouloir me sauver. »
« Mais justement je veux te sauver, de un parce que tu me l'as demandé et de deux parce que tu peux l'être seulement tu t'entête à penser le contraire et ça t'enfonce dans ton trou. Mais si tu ne veux plus que je te téléphone, qu'on s'appelle tu n'as qu'à tout simplement me le dire et je mettrais fin à tout. A nos conversations, nos consultations et tu reprendras ta vie d'avant. C'est aussi simple que ça. »

La poitrine de Harry s'affola, ses pensées s'emmêlaient entre elles et lui faisaient dire des choses qu'il ne voulait pas prononcer et surtout qu'il ne pensait pas. Sa main se resserra sur son téléphone comme si, grâce à ce geste, il pouvait serrer celle du psychologue dans la sienne de l'autre côté du combiné pour l'empêcher de partir, de le laisser sombrer dans le noir complet. Celui d'où il ne serait jamais sortir par lui-même.

« Non je... Je suis désolé. Je ne veux pas que tu m'abandonne. Jamais. Je suis un idiot de te demander ça, alors que je sais très bien que j'ai besoin de toi. Tu comprends ? Je n'y arriverais pas sans ton aide. Faut que tu sois celui qui me fasse marcher droit, il n'y a que toi qui soit capable de me sauver. Ne me quitte pas Louis. Jamais. »


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