Chapitre 7 : Revor
Cela faisait déjà plusieurs semaines que Thalia avait commencer son étude des runes. Elle traversait les couloirs sinueux du sanctuaire, sa concentration rivée à la rune Kael qu'elle avait passé la nuit à tenter de comprendre. L'écho de ses pas était le seul bruit qui troublait le silence. Mais en vérité, elle savait qu'elle n'était jamais seule. Les yeux du culte étaient partout.
En arrivant dans la salle d'entraînement, elle trouva Korin déjà présent. Il n'était pas seul cette fois. Un autre individu se tenait à ses côtés. Plus âgé, c'était un elfe dont la présence imposante semblait remplir l'espace. Ses cheveux argentés, fins et soyeux, cascadaient en arrière, révélant des oreilles effilées caractéristiques de son peuple. Une cicatrice profonde traçait une ligne diagonale sur son visage pâle et anguleux, renforçant l'impression de dureté émanant de lui. Ses yeux perçants, d'un vert émeraude presque luminescent, semblaient sonder tout ce qu'ils regardaient.
Korin fit un geste léger pour indiquer à Thalia de s'arrêter.
— Voici le Général Revor, dit-il, un ton inhabituellement respectueux dans sa voix. Il est venu évaluer tes progrès.
Le cœur de Thalia s'accéléra. Elle avait entendu parler de Revor. On disait qu'il était l'un des membres les plus influents du conseil du culte. Froid, stratège, et dépourvu de toute compassion. Si cet homme s'intéressait à elle, ce n'était pas bon signe.
— Approche, ordonna Revor, sa voix grave emplissant la pièce.
Thalia s'exécuta, gardant son visage neutre malgré la tension qui étreignait sa poitrine. Revor la scruta de ses yeux perçants, comme s'il pouvait sonder son âme.
— Korin m'a parlé de tes aptitudes. Montre-moi ce que tu sais faire.
Un simple ordre, mais chargé d'expectatives. Thalia inspira lentement, se dirigeant vers une tablette gravée de runes qu'elle avait longuement étudiée. Ses doigts effleurèrent la surface, et elle tenta d'activer Kael comme elle l'avait fait auparavant. Une faible lueur apparut, vacillante mais présente.
Revor ne montra aucune émotion.
— Intéressant, dit-il simplement. Mais insuffisant.
Il leva une main, et avant que Thalia ne puisse réagir, une rune complètement différente émergea sous ses pieds. Une onde de force invisible l'entoura, la coupant de la brume qu'elle tentait d'utiliser. La panique monta en elle.
— La brume ne sera pas toujours à ta disposition, expliqua Revor. Apprends à compter sur autre chose.
Thalia serra les dents. Elle se concentra, tentant de ressentir les contours de la rune qu'il avait sortit de terre. Elle comprit qu'elle devait décoder cette rune pour annuler son effet. Ses yeux décryptèrent rapidement les lignes complexes, et elle fit appel à ce qu'elle avait appris.
Un instant plus tard, l'onde disparut, et la brume afflua de nouveau vers elle.
Revor esquissa un sourire froid.
— Tu apprends vite. Mais la vitesse n'est qu'un outil. Sans discernement, elle ne te servira à rien.
Thalia baissa la tête, le souffle court. Revor se tourna vers Korin.
— Continue de la former. Elle a du potentiel. Mais si elle faiblit, je m'en occuperai personnellement.
Un frisson glacial parcourut Thalia à ces mots. Revor sortit de la salle, ses pas lourds résonnant jusqu'à ce qu'il disparaisse.
— Ne le prends pas à la légère, dit Korin une fois qu'ils furent seuls. S'il t'évalue à nouveau, tu devras montrer beaucoup plus que ce que tu viens de faire.
Thalia hocha la tête, mais une étincelle de défi brillait dans ses yeux. Elle n'était pas effrayée. Pas vraiment. Elle était furieuse. Elle comprenait maintenant que son combat ne serait pas seulement contre les forces extérieures, mais contre les attentes écrasantes du culte.
Cette même nuit, alors qu'elle étudiait les runes seule dans sa chambre, Moor apparut de nouveau. Elle se glissa dans la pièce comme une ombre, ses mouvements silencieux comme le vent.
— Je t'avais dit de ne pas trop te faire remarquer, dit-elle en s'adossant au mur. Maintenant, Revor te surveille. Pas vraiment idéal, hein ?
Thalia leva les yeux, agacée par l'intrusion.
— Que veux-tu, Moor ?
Moor haussa les épaules, un sourire en coin.
— Disons que j'étais curieuse. Et que j'avais une information à partager. Mais si tu n'es pas intéressée...
Elle fit mine de partir, mais Thalia l'arrêta.
— Quoi comme information ?
Moor s'assit sur le rebord d'une table, jouant distraitement avec un pendentif qu'elle portait autour du cou.
— J'ai vu Revor entrer dans les galeries inférieures hier soir. Les mêmes galeries que les elfes ont scellées après les explosions. Intéressant, non ?
Thalia fronça les sourcils.
— Pourquoi irait-il là-bas ?
Moor haussa les sourcils, feignant l'innocence.
— Peut-être pour quelque chose qu'il ne veut pas que le reste du culte découvre. Ou peut-être pour rien d'important. Va savoir.
Elle plissa les yeux, un sourire narquois toujours collé aux lèvres.
— En tout cas, je suis sûre que toi, tu brûles d'envie d'aller y jeter un œil. Ce qui est... plutôt idiot, si tu veux mon avis.
Thalia croisa les bras, adoptant une expression de défi.
— Si c'est si dangereux, pourquoi me prévenir ? Tu pourrais juste me laisser faire une erreur.
Moor éclata de rire, un son léger mais tranchant.
— Oh, mais je serais ravie de te voir te planter. C'est toujours divertissant. Mais, vois-tu, je suis une bonne âme. Enfin... disons que je préfère choisir quand et comment quelqu'un se ridiculise. Là, ce serait trop facile.
Thalia arqua un sourcil, son ton devenant acerbe.
— Tu es vraiment d'un altruisme impressionnant. Merci, je suppose.
Elle se redressa, son sourire moqueur s'adoucissant légèrement.
— Écoute, je sais que tu es du genre à vouloir tout découvrir par toi-même, mais un conseil : les galeries inférieures, ce n'est pas un terrain de jeu. Si tu veux survivre ici, choisis bien tes batailles.
Thalia plissa les yeux, cherchant une intention cachée dans les paroles de Moor.
— Et toi, pourquoi tu me dis ça ? Tu pourrais juste... m'ignorer.
Moor la fixa un instant, avant de hausser les épaules.
— Disons que je n'aime pas voir des gens se faire briser par ce système. Mais bon, c'est toi qui vois. Juste... fais gaffe.
Elle quitta la pièce comme elle était venue, laissant Thalia seule avec une décision à prendre. Poursuivre son entraînement comme si de rien n'était... ou risquer de descendre dans les profondeurs pour découvrir ce que Revor cachait.
Quelques jours plus tard, la routine avait repris son cours, mais l'idée des galeries interdites ne quittait pas l'esprit de Thalia. Moor n'était pas réapparue, mais ses paroles résonnaient encore, comme un avertissement voilé. Pourtant, la curiosité était un feu qu'elle ne pouvait éteindre.
La brume régnait toujours sur sa vie, mais les secrets du culte l'attiraient bien plus que les leçons monotones de Korin. Depuis son enlèvement, il y a quelques mois, elle vivait dans cet endroit comme une étrangère, toujours sur le qui-vive. Elle n'avait jamais vu le monde extérieur depuis l'incendie qui avait détruit sa maison et emporté ses parents. Pour elle, les vrais dangers étaient ici.
Cette nuit-là, Thalia mit enfin son plan en œuvre. Elle avait étudié les horaires des rondes, mémorisé les recoins sombres où se cacher, et repéré l'entrée des galeries scellées.
Thalia referma la porte de sa chambre avec précaution, le cœur battant à tout rompre. Le silence des couloirs ne la rassurait pas, il amplifiait chaque craquement du bois, chaque souffle trop fort. Elle resserra sa cape autour d'elle, s'efforçant de calmer son esprit. Les paroles de Moor tournaient encore en boucle dans sa tête : "J'ai vu Revor entrer dans les galeries inférieures hier soir. Les mêmes galeries que les elfes ont scellées après les explosions. Intéressant, non ?"
Intéressée, oui, elle l'était. Assez pour risquer de s'aventurer là où elle n'avait jamais mis les pieds. Les souterrains étaient un dédale dangereux, et leur scellage récent rendait toute exploration encore plus hasardeuse. Elle ne savait pas ce qu'elle espérait trouver. Peut-être simplement des réponses. Peut-être rien du tout.
L'air devint plus frais à mesure qu'elle descendait les marches irrégulières d'un escalier oublié, éclairé seulement par les rares torches accrochées aux murs. Les niveaux inférieurs du sanctuaire n'étaient plus qu'un amas de galeries à l'abandon.
Thalia avança au hasard, suivant des passages tantôt étroits, tantôt si vastes que leurs plafonds disparaissaient dans l'ombre. Elle n'avait aucun plan précis, aucune idée claire d'où aller. Sa seule piste était l'étrange pulsation qu'elle ressentait parfois sous ses pieds, comme si la pierre elle-même vibrait d'une énergie ancienne.
En errant, elle passa devant une arche partiellement effondrée. Un détail attira son attention : une inscription, presque effacée, se dessinait sur la pierre. Ce n'était pas une rune qu'elle connaissait, mais elle sentit une résonance étrange en elle, une familiarité inexplicable. Elle hésita un instant, puis s'engagea sous l'arche.
Là, la pulsation s'intensifia, guidant presque ses pas. Elle longea un corridor sinueux, où les murs semblaient s'étrécir de plus en plus, jusqu'à ce qu'elle atteigne une impasse. Mais ce n'était pas un cul-de-sac ordinaire.
Les pierres du mur semblaient légèrement disjointes, et à leur surface, elle aperçut des runes gravées si discrètement qu'elles étaient presque invisibles. Elle effleura l'une d'elles du bout des doigts, sentant une chaleur inattendue sous sa peau.
Un grondement sourd retentit. La pierre sembla s'effacer, révélant un passage étroit et une salle faiblement éclairée. Le cœur de Thalia s'emballa. Elle venait de découvrir quelque chose, mais elle ignorait encore quoi. Était-ce un piège ? Un coup de chance ?
Se faufilant à l'intérieur, elle se réfugia immédiatement dans l'ombre d'un pilier. Son regard balaya la pièce : circulaire, voûtée, et ornée de motifs complexes. Au centre, un groupe d'individus se tenait rassemblé. Revor était là, sa silhouette imposante se détachant parmi les autres.
Thalia sentit un frisson la parcourir. Elle avait trouvé leur réunion.
Elle s'adossa au pilier, tâchant de calmer son souffle et de tendre l'oreille. Il n'y avait plus de retour en arrière possible.
Revor était au centre, comme toujours, ses traits marqués par la concentration. Autour de lui se tenaient trois autres figures : une femme élancée, au visage dur, un homme à la peau sombre dont l'allure imposait le respect, et une silhouette plus petite mais au regard acéré.
— La dissimulation a fonctionné à merveille, déclara l'homme à la peau sombre, brisant le silence. Lyall a tenu parole. Aucun des dirigeants du culte n'a la moindre idée de nos activités ici.
— Lyall a ses propres intérêts, répondit Revor. Ces runes sont fiables, mais nous ne pouvons pas lui accorder une confiance aveugle. Il nous faudra trouver un moyen de nous libérer de sa dépendance, le moment venu.
La femme hocha la tête, ses bras croisés, son regard froid fixé sur Revor.
— Et Kaida ? Où en est-elle ?
Le cœur de Thalia rata un battement à l'entente de son nom de code.
— J'ai évalué ses progrès hier, répondit Revor, d'un ton froid. Sa maîtrise des runes s'améliore, bien qu'elle soit encore loin de ce que nous attendons. Son potentiel est indéniable : plus elle progresse, plus Thanis renaîtra avec une puissance proche de ce qu'elle possédait jadis. Mais nous avons besoin de patience.
Un silence pesant envahit la pièce, brisé seulement par les pulsations faibles des runes qui continuaient à luire doucement.
L'homme à la peau sombre prit la parole, sa voix grave résonnant comme un écho contre les murs :
— Et si elle n'atteint jamais ce niveau ?
Revor tourna lentement la tête, ses yeux d'un vert perçant transperçant l'interlocuteur.
— Elle l'atteindra, affirma-t-il. Si nous devons la pousser plus fort, nous le ferons. Mais pour l'instant, nous ne devons pas compromettre le processus.
La femme acquiesça, son expression froide adoucissant légèrement.
La silhouette frêle esquissa un sourire acide.
— Et Korin ? Est-il un problème ?
Revor secoua la tête, presque agacé par la question.
— Korin ? Non. Il est l'exemple parfait d'un serviteur aveugle. Il suit les ordres sans poser de questions. Thalia n'est rien de plus qu'un outil pour lui. Il n'a aucun attachement envers elle.
Un sourire mince passa sur le visage de l'homme à la peau sombre.
— Alors, nous n'avons rien à craindre de lui.
— Pas directement, confirma Revor. Mais il reste un serviteur fidèle des dirigeants actuels. Si nous devions agir ouvertement contre eux, il se tiendrait immédiatement à leurs côtés.
Thalia sentit un frisson parcourir son échine. Elle recula imperceptiblement, mais son pied heurta une pierre. Le bruit résonna faiblement dans l'espace, mais assez pour que les figures en contrebas se figent.
— Quelqu'un est là, souffla la femme, tendant une main vers l'obscurité.
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