Chapitre 4 : Les cendres du chaos

Un tambour battait dans son crâne. Lourds, réguliers, implacables. Thalia ouvrit les yeux, mais le monde flotta devant elle comme un mirage tremblant. La lumière vacillante de la lanterne au mur lui fit plisser les paupières, la douleur dans sa tête redoublant à chaque mouvement.

Elle se redressa avec peine, ses muscles protestant, ses membres lourds comme du plomb. Une toux sèche secoua sa poitrine, la laissant haletante. La fumée. Oui, elle se souvenait... Non, pas vraiment. Les souvenirs étaient flous, morcelés, comme des éclats de verre impossible à assembler.

Le livre. Elle l'avait ouvert, elle en était certaine. Les runes dansantes. Mais après ? L'homme... Une silhouette sombre, des mots qu'elle ne comprenait pas, et ce poids écrasant sur son corps. Ensuite, le vide. Comment avait-elle regagné sa chambre ? Son esprit, déjà embrumé, refusa de coopérer.

Thalia se força à se lever, trébuchant presque sur ses propres pieds. Elle se soutint contre le mur, respirant difficilement. Dans les couloirs, une agitation inhabituelle régnait : des voix basses et pressées, des pas précipités qui résonnaient entre les pierres. Quelque chose s'était passé, elle pouvait le sentir. Mais quoi ? Elle avançait lentement, sa tête lourde, sa gorge encore irritée.

Elle avançait parmi eux, se tenant en retrait, observant, écoutant. Puis une conversation attira son attention.

— Tu crois qu'ils vont revenir ? dit une voix masculine, tremblante.

— Si c'était vraiment le Conseil, alors oui. Ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils n'auront pas détruit le culte, c'est déjà la troisième base. répondit une femme, son ton plus ferme, mais teinté d'inquiétude.

Le Conseil. Ce nom, ce n'était pas la première fois qu'elle l'entendait depuis son arrivée. Elle ignorait qui ils étaient exactement, mais leur mention provoquait toujours une tension palpable. Une chose était certaine : ils étaient une menace.

Puis, ce frisson. Un courant glacé lui parcourut l'échine. Elle ralentit, jetant un regard furtif par-dessus son épaule. Personne. Les couloirs étaient déserts. Pourtant, la sensation persistait, comme un poids entre ses omoplates. Une présence. Une paire d'yeux. Moor.

Thalia secoua la tête, chassant l'idée. Elle se souvenait encore de la lueur intense de ses yeux bleus, comme deux éclats de glace perçant l'obscurité. Mais Moor n'était pas là, bien sûr. Elle n'avait pas que ça à faire. Pourtant, chaque bruit d'étoffe dans les ombres, chaque souffle de torche vacillant lui donnait l'impression qu'elle était observée.

— Arrête, murmura-t-elle, sa voix rauque. Ce n'est que ton esprit.

Elle accéléra le pas, comme si elle pouvait distancer cette sensation. Mais même lorsqu'elle atteignit enfin la salle d'entraînement, le malaise ne l'avait pas quittée.

Korin l'attendait, impassible. Grand, anguleux, il ressemblait toujours à une statue d'ombre, avec ses yeux froids qui semblaient la transpercer. Dès qu'elle franchit le seuil, il parla.

— Tu es en retard.

Thalia hésita à répondre, mais la douleur dans sa tête l'empêcha de trouver les mots. Elle se contenta de hocher la tête, un geste maladroit et contrit.

— En place, ordonna-t-il d'un ton sec.

Elle se plaça au centre du cercle, les glyphes gravés dans la pierre luisant faiblement sous la lueur des torches. La routine était la même : se concentrer, ressentir la brume, attirer l'énergie à elle. Mais aujourd'hui, tout lui semblait différent. Les glyphes semblaient danser, flous, comme si son esprit ne parvenait pas à se fixer sur eux.

Elle ferma les yeux, cherchant ce calme qu'on lui demandait toujours. Pourtant, les souvenirs la tourmentaient : Moor, son regard perçant, son avertissement presque énigmatique : Réfléchis stratégiquement. Mais que voulait-elle dire ? Thalia serra les poings, cherchant à se concentrer, mais l'image du livre surgit aussitôt. Les runes brillantes. Le poids de ce savoir inconnu. Et cette voix. Cet homme.

Sa respiration s'accéléra. Les murmures de la brume s'étaient transformés en un bourdonnement oppressant, un chaos qui lui martelait les tempes. Elle ouvrit les yeux d'un coup, rompant le lien, haletante. Les glyphes s'éteignirent.

— Concentre-toi ! aboya Korin. Tu laisses tes pensées te distraire. C'est cela qui te rend faible.

Thalia le fixa, sa mâchoire crispée. Chaque mot qu'il prononçait frappait quelque chose de profond en elle, un mélange de frustration, de colère et de honte. Elle serra les poings plus fort, se forçant à respirer lentement. Mais dans un coin de son esprit, une question persistait : que lui avait-on fait ? Pourquoi ne se souvenait-elle pas ?

Quand l'entraînement prit fin, elle quitta la salle rapidement, son corps tendu comme une corde sur le point de rompre. Les couloirs, pourtant éclairés, semblaient plus sombres qu'à l'accoutumée. Chaque ombre était une menace. Chaque bruit, une preuve qu'elle était suivie.

Moor, pensa-t-elle encore. Mais pourquoi elle ? Thalia savait qu'elle devait être surveillée – c'était évident. Mais Moor ne faisait que son travail, non ? Alors pourquoi ce regard semblait-il la poursuivre, même dans son propre esprit ?

Elle atteignit enfin sa chambre, s'y enfermant avec précipitation. Ses mains tremblaient alors qu'elle s'appuya contre la porte. Un instant, elle se demanda si elle devenait folle. Mais ce n'était pas de la folie, elle le savait. C'était autre chose. Un avertissement. Une menace. Ou peut-être... une opportunité.

Elle inspira profondément, son esprit toujours embrouillé, mais une certitude naissant au milieu du chaos : elle devait comprendre ce qui se passait. Pour ça, elle devait jouer leur jeu, au moins pour un temps. Mais jouer intelligemment.

Thalia n'eut pas le temps de réagir. Le sol vibra sous elle, un grondement sourd se propageant comme une onde de choc. L'air se déchira avec un éclat brutal, suivie d'une déflagration qui la propulsa au sol. Elle n'eut pas la force de se relever. La poussière envahit instantanément ses poumons, la rendant à moitié aveugle, asphyxiée. Un cri de panique lui échappa, mais il se noya dans le tumulte. Ses oreilles bourdonnaient, les bruits du monde disparaissant dans une sorte de brouillard sonore. Le souffle coupé, elle tenta de se redresser, mais la terre tremblait toujours, instable et menaçante. Son cœur battait dans un rythme effrayé, chaque pulsation vibrant dans ses tempes. Le bruit continuait, lourd et oppressant, comme si l'ensemble du souterrain se déchaînait.

Elle s'agrippa à un coin de mur, les mains tremblantes, sa tête éclatante de douleur. Le monde autour d'elle semblait se déformer, les angles des couloirs se tordant sous l'effet de la secousse. La sensation de vertige monta, ses jambes faibles la trahissant. Le souffle court, elle se leva, mais ses pensées étaient noyées dans la panique, ses repères disparaissant dans l'obscurité croissante. 

Thalia se tenait dans l'ombre d'un couloir étroit, la respiration saccadée, ses muscles tendus. L'explosion avait retenti si brutalement qu'elle en avait encore les oreilles bourdonnantes. Les murs tremblaient sous les impacts, et des débris s'éparpillaient dans l'air chargé de poussière.

Des cris résonnaient tout autour : des ordres, des hurlements de panique, et le martèlement des bottes courant dans les couloirs. Le Conseil attaquait à nouveau, sans doute avec la même férocité que la veille.

Thalia savait qu'elle devrait se diriger vers les souterrains profonds, là où les disciples se dirigeaient tous. Mais quelque chose l'en empêchait. Elle ne voulait pas être prise dans ce flux chaotique, mêlée à une foule terrifiée et surveillée par des supérieurs suspicieux.

Non. Elle avait une meilleure idée.

Elle scruta le couloir, cherchant un chemin moins fréquenté. À sa gauche, une galerie latérale semblait s'étendre loin du tumulte principal. Sans réfléchir davantage, elle s'y engouffra, ses pas amortis par la poussière qui recouvrait le sol.

Plus elle avançait, plus les bruits de panique s'estompaient, remplacés par un silence oppressant, uniquement troublé par le crépitement lointain des torches.

Son esprit était embrouillé, mais une certitude grandissait en elle : cette attaque était une opportunité. Si elle pouvait atteindre une sortie, ou au moins comprendre la configuration de cet endroit, elle pourrait enfin élaborer un véritable plan d'évasion.

Soudain, elle entendit un bruit derrière elle. Une pierre roulée sur le sol. Elle se retourna brusquement, le cœur battant. Rien. Seulement les ombres dansantes des torches.

Calme-toi, Thalia.

Mais cette sensation, ce poids dans son dos, persistait. Quelque chose n'allait pas.

Elle accéléra le pas, suivant l'instinct qui la poussait à s'éloigner toujours plus du flux principal.

— Tu comptes vraiment partir comme ça ? murmura une voix grave derrière elle.

Thalia se retourna brusquement. Il était là. L'homme de la dernière fois. Drapé dans son éternelle aura de mystère, il se tenait à quelques mètres d'elle, les bras croisés. Ses yeux, sombres et perçants, semblaient lire au travers d'elle comme si elle était un livre ouvert.

— Vous... siffla-t-elle, sa voix mêlant surprise et exaspération.

Il s'avanca lentement, chaque pas résonnant sur les dalles de pierre. Elle recula instinctivement, le dos heurtant le mur.

— Je dois avouer que tu es... pleine de ressources, dit-il avec un sourire en coin, bien que son ton n'était pas moqueur. Mais aussi d'une imprudence fascinante. À croire que tu tiens à te faire attraper.

Thalia sentit une montée de colère. Était-il venu ici uniquement pour la sermonner ? Elle déglutit difficilement, cherchant à cacher son agitation.

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Vous ne savez rien de moi.

Il haussa un sourcil, amusé.

— Peut-être. Mais ce que je sais, c'est que tu joues un jeu dangereux sans en connaître les règles. Cela pourrait te coûter bien plus que tu ne le crois.

Elle serra les poings. Les paroles de Moor résonnèrent dans sa mémoire. Réfléchis stratégiquement. Mais comment pouvait-elle réfléchir avec ces murs qui semblaient vouloir s'écrouler sur elle et cette peur constante qui la dévorait de l'intérieur ?

— Arrêtez ! gronda-t-elle. Arrêtez de parler comme si je ne comprenais rien ! J'ai survécu jusqu'ici, non ?

L'homme s'arrêta, la fixant de son regard froid. Il semblait peser ses mots, ou peut-être était-ce elle qu'il jaugeait.

— Survivre n'est pas suffisant, Kaida. Tu devras apprendre à penser avant d'agir. Sinon, tout cela n'aura servi à rien.

Son ton était calme, mais les mots frappèrent Thalia comme un coup de poing. Avant qu'elle ne puisse répondre, une déflagration encore plus proche les secoua. Elle perdit l'équilibre, tombant à genoux. L'homme, lui, resta debout, immobile, comme si rien ne pouvait l'ébranler.

Il la regarda une dernière fois avant de se retourner.

— Si tu veux vivre, retourne avec les autres, dit-il sans se retourner.

Puis, sans attendre de réponse, il se détourna et s'éloigna, disparaissant dans les ombres comme s'il n'avait jamais été là.

Thalia resta un moment figée, les mains tremblantes. Ce n'est qu'après plusieurs secondes qu'elle réalisa qu'elle était de nouveau seule.

Elle inspira profondément, son esprit en ébullition. Cet homme... qui était-il vraiment ? Pourquoi ses mots résonnaient-ils avec une telle intensité ?

Mais elle n'avait pas le temps de réfléchir davantage. Une nouvelle détonation retentit au loin, suivie de cris encore plus proches. Le Conseil ne semblait pas prêt à battre en retraite, et le chaos ne faisait que commencer.

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