Chapitre 8 - La pièce manquante

TOUCHÉ !

Ce qu'il y avait de bien avec les vacances à la campagne sans wifi, c'est que c'était l'occasion de ressortir les vieux jeux de société du grenier. C'est ainsi que Neal et Aya se retrouvèrent à la table de la terrasse, assis face à face, à tenter de faire couler les navires de l'autre.

Melanie était plus intéressée par sa forteresse d'M&M's.

— C5. L'une d'entre vous aurait une idée de l'endroit où on pourrait trouver les prochaines pages ?

— Tu pourrais pas les oublier un peu, ces pages ?

— J'en conclus que tu n'en as aucune idée. Aya ?

— Touché. D4. Je ne sais pas trop, d'habitude c'est vers la fin non ?

Au moment de sa lecture, aucun endroit particulier n'avait sauté aux yeux de Neal. D'habitude, le prochain lieu à fouiller était mentionné de manière plutôt explicite, mais cette fois rien. Lysandre tentait-il de corser le jeu ? En tout cas, ces pages ne pouvaient pas être les dernières, la vérité n'ayant pas encore été relatée. Il devait forcément y avoir quelque chose.

— A l'eau. J'ai beau relire je ne vois pas. B5 ?

— Touché. T'as vérifié au début des pages, alors ? D3.

— A l'eau. J'ai relu plusieurs fois... Je ne vois vraiment pas.

Melanie, concentrée sur son chef-d'œuvre en bonbons, tricha et en mit un dans sa bouche. Elle en sortit un autre du paquet et prit la parole.

— Imaginez que ce soit encore la cabane ?

Neal qui préparait son prochain coup s'interrompit pour se tourner vers elle.

— Pour la troisième fois ? Deux ça va, mais trois ça me parait abusé.

— Bon eh bien derrière le débarras ?

— Y a pas vraiment de cachette, là.

Melanie leva les yeux au ciel, préférant retourner à son petit passe-temps que de rester coincée face à cette impasse.

— Je pense qu'on devrait quand même vérifier, avança Aya.

— Peut-être, mais ça m'a l'air d'être une perte de t... A5 ET C'EST UN COULÉ !

Le cri triomphant de Neal réussit, à la fois, à : 1) Faire sourire Aya, 2) Réveiller Garfield qui dormait 3) Renverser la montagne d'M&M's et 4) Horripiler Melanie. D'ailleurs, elle ne mit pas longtemps à le lui faire savoir.

— ARRÊTE D'HURLER COMME ÇA OU JE TE FAIS BOUFFER TES BATEAUX ET LE PLATEAU DE JEU AVEC.

Mamie sortit la tête par la fenêtre du salon.

— Neal, écoute ta cousine, veux-tu ? J'aimerais éviter que ça se termine en bain de sang.

Neal eut l'audace de voler une poignée de bonbons à Melanie et de lui faire un grand sourire.

Taquineries et enfantillages mis de côté, les trois personnages décidèrent de reprendre leurs recherches. Première étape : vérifier la seconde cachette de Lysandre, derrière le débarras. Ce fut rapide : ils ne trouvèrent rien. Seconde étape : fouiller la cabane pour la troisième car « on ne sait jamais ». Troisième éventuelle étape : tourner en rond dans le village en espérant que les pages viennent d'elles mêmes, car il faut l'avouer, le hasard fait drôlement bien les choses.

Mais avant, ils devaient passer au marché pour faire des courses. C'était bien un truc de grands-parents ça : saisir la moindre occasion pour vous assigner aux courses.

Neal, Aya et Melanie enfourchèrent donc leurs vélos et se dirigèrent vers le marché. A eux trois, tout alla à la vitesse de la lumière. Ils se dispersèrent et emportèrent ce dont ils avaient besoin. Pour une fois la corvée ne fut pas si pénible, et de surcroît, elle leur fera faire un détour essentiel. Car c'est sur le chemin vers la cabane que les choses devenaient intéressantes.

Alors qu'ils roulaient sur les chemins cabossés en direction de la forêt, leur attention fut attirée par le barreaudage qui séparait le sentier et le cimetière. Le seul du secteur, il renfermait des générations de villageois. Aya et Melanie, pas plus intéressées que cela, passèrent leur chemin ; mais pas Neal, qui ralentit. En regardant au-delà des barreaux, il vit les tombes et les sanctuaires de différentes tailles.

Neal eut un flash.

— STOP.

Ses pneus crissèrent et ceux des jeunes filles suivirent, finissant presque en dégringolade.

— Qu'est-ce que t'as ?

Neal ne répondit pas, il tourna simplement la tête vers le cimetière.

— Je crois que... que c'est ici.

— Quoi ?

— Laissez tomber la cabane. C'est ici.

— Mais attends !

Neal franchissait déjà le portail tandis qu'Aya et Melanie trainaient leurs vélos à sa suite.

— Tu comptes nous expliquer ? demanda Melanie lorsque Neal s'arrêta pour inspecter les alentours.

— Les pierres tombales sont alignées.

— Hein ?

Neal sortit les dernières pages en date qui étaient pliées de sa poche et les tendit aux deux jeunes filles.

— Page 4, paragraphe 2, ligne 2.

— « Ma vision est trouble... » lut Aya.

— « ... les pierres tombales sont alignées » finit Melanie.

Elles relevèrent les yeux vers un Neal qui les fixait avec l'air de dire « Alors ? Alors ?! ». Il leur fallut encore deux secondes pour faire le lien entre la ligne et l'endroit où ils se trouvaient.

— Oooooooh ! lâchèrent-elles en chœur.

— Vous en avez mis du temps. Allez venez, on doit commencer à chercher tout de suite.

— Euuuh, ouais, et on cherche quoi au juste ?

Le pas pressé de Neal stoppa de manière immédiate. Oui, que cherchaient-ils au juste ?

— Merde...

Neal fit volte-face.

— Bon, petite réunion improvisée : quelqu'un aurait une idée de ce qu'on est censés trouver ?

Melanie leva les mains en l'air dans une gestuelle sarcastique.

— Dans un cimetière ? Oh, je sais pas ; une tombe ?

— La tombe de Lysandre ? lança Neal sans réfléchir.

— Mais non, ça n'a aucun sens !

— J'avoue.

— La tombe de son père.

Neal et Melanie se turent, se tournant vivement vers Aya. C'est leur silence qui accueillit ses mots, pourtant empreints d'une logique indiscutable.

— Je crois qu'on vient de trouver le nouveau cerveau de la bande, lança Melanie nonchalamment.

— Désolée, lança Aya à Neal avec un sourire.

— Je compte bien récupérer ma couronne.

Neal et Aya prirent les devants, faisant un grand pas vers... vers où ?

— Aaaaattendez, les rappela Melanie. Vous savez comment il s'appelle le monsieur, hmm ?

Neal et Aya firent volte-face, débités.

— C'est bien ce que je pensais, soupira Melanie.

— On devrait peut-être chercher par année.

— On ne sait pas quand il est mort. Et puis ça ferait toujours un paquet de tombes à visiter.

Les trois se regardèrent une minute, deux minutes, trois minutes...

— Bon bah je propose qu'on se sépare et qu'on cherche des indices.

Ils avaient du pain sur la planche. Le cimetière était pour le moins rempli, et chercher la tombe d'un homme dont ils ignoraient tout ? Cela paraissait être mission impossible.

Neal partit à l'opposé de ses amies, parcourant une portion du cimetière à pas lent. Marcher ainsi parmi des tombes lui était atrocement inconfortable. L'idée qu'il empiétait sur un sol renfermant nombre de corps sans vie lui donnait des frissons. Et au fur et à mesure que les noms de défunts défilaient sous ses yeux, il pouvait ressentir le goût amer de la bile qui lui remontait dans la gorge.

Un avant goût de la mort.

Tant de dates, tant de noms qui auraient tous pu lui appartenir. Neal s'imagina un instant six pieds sous terre, entouré d'obscurité avec au dessus de sa tête une pierre qui étalerait son nom à la vue de tous. Comme beaucoup, il avait une fascination morbide pour la mort en plus de la craindre. Ce qui pourtant est un phénomène bien connu des humains reste une part d'ombre dans l'existence de tout un chacun. Un phénomène imprévisible, indomptable.

Inconnu.

Neal mit ses questions existentielles de côté pour se concentrer sur sa tâche. Comment reconnaitre, parmi tous ces inconnus, le père de Lysandre ? Il n'avait aucun nom, aucune date. Aucun indice. Restait à observer et espérer que quelque chose lui saute aux yeux.

Après ce qui parut être une éternité de recherche, Neal put apercevoir du coin de l'œil Melanie – qui a de toute évidence laissé tomber – et Aya qui commençait à perdre espoir. Lui-même n'était plus aussi déterminé. L'échec sentait à plein nez.

Mais l'échec n'est souvent qu'une façade à franchir.

— Aya ?

Neal l'avait appelée dans un murmure. Non qu'il craignit réveiller les morts s'il élevait trop la voix ; il trouvait presque cela irrespectueux de parler alors que des gens... dormaient.

Quand Aya et Melanie le rejoignirent, Neal avait le doigt pointé vers une tombe. Ou en réalité, plusieurs tombes.

L'unique pierre tombale était recouverte d'inscriptions dorées, ressortant sur la couleur bleu marine du marbre. De taille considérable, elle semblait porter les noms de plusieurs membres d'une même famille. Les écritures n'étaient plus très visibles, étant donné l'âge de la pierre ; mais en haut, l'on pouvait quand même lire « Moore ».

Melanie se tourna vers Neal, ses suspicions se reflétant dans les yeux de son cousin. Toutefois, ils les balayèrent le temps de mieux inspecter leur trouvaille.

À gauche, un premier prénom. « Jonathan 1889 - 1930 À la mémoire d'un mari et d'un père aimant. Nous ne t'oublierons pas ». Au milieu, se trouvait le prénom Louise. « 1892 - 1969 À notre mère regrettée. Repose en paix ». Et enfin, à droite...

Lysandre.

— Je crois qu'on l'a trouvé...

— Vous arrivez à lire la date du décès ?

— Pas du tout.

L'année de naissance était nette – 1922. Quand à celle de décès, l'on pouvait voir un 1, distinguer vaguement un 9, mais le reste était illisible.

— Vous avez vu... ? Il n'y a rien. Aucun mot en sa mémoire...

Neal trouva ça infiniment triste. Personne donc ne voulait protéger son souvenir ?

— On dirait que ses deux parents sont morts.

— Mais aucune trace d'Erwan. Vous pensez qu'il est encore en vie ?

— Possible. Mais lui et sa famille doivent être loin d'ici.

Neal contourna la tombe.

— Vous voyez des pages quelque part, vous ?

Bien entendu, aucune feuille de papier ne reposait gentiment par terre dans l'attente qu'ils la trouvent. Quelques secondes leur suffirent à comprendre qu'il n'y avait absolument aucune cachette susceptible de renfermer les pages convoitées. Où était donc la pièce manquante ?

Neal se gratta la tête.

— Ne me dites pas que les pages sont dans le cercueil...

— Mais oui bien sûr ! ironisa Melanie. C'est clair que depuis le début le but de Lysandre est de nous faire déterrer son père ! Neal, vas retrouver ton cerveau je crois que tu l'as fait tomber quelque part.

Neal n'entendit rien. Ou il fit semblant, tout au moins.

— On doit être au mauvais endroit.

— Vous croyez qu'on a mal interprété les pages, cette fois ?

— Ca m'étonnerait...

Neal, Aya et Melanie fixèrent les épitaphes encore un moment, mais la réponse ne se manifesta pas. Décidant qu'il n'y avait plus rien à faire, ils rentrèrent.

— Ben alors ? Qu'est-ce que c'est que ces mines déconfites ?

Les petits-enfants se laissèrent tomber sur les chaises de la cuisine, débités. Ressentant le besoin d'exprimer sa déception, Neal se mit à tout raconter à Mamie. Comment ils avaient trouvé le journal, se sont lancés dans la recherche des pages, appris un peu plus au sujet de Lysandre, et enfin l'impasse.

— On a trouvé la bonne tombe, je pense. Mais il n'y avait aucune page.

Mamie se leva lourdement, les lèvres pincées.

— Un instant.

Quand sa silhouette disparut dans le couloir, Neal se tourna vers Aya et Melanie qui avaient des expressions toutes aussi perplexes.

— Vous aussi vous avez remarqué... ?

— Comme son visage s'est décomposé ? compléta Melanie. Oui, on a remarqué.

Peu après, les marches des escaliers se mirent à grincer sous le poids de Mamie, indiquant qu'elle revenait. Et dès qu'elle arriva au seuil de la cuisine, la surprise fit hoqueter Aya et écarquiller les yeux à Melanie. Neal alla jusqu'à se lever brusquement, entrouvrant la bouche comme s'il venait de voir Voldemort en personne.

Dans les mains de Mamie, il y avait des feuilles de papier aux bords édentés et à la couleur jaunie. Elles devaient être différentes, mais leur allure était on ne peut plus familière.

Que faisait Mamie avec les pages du journal ?

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