Chapitre 3 - L'étrange cas de...
— Aya, tu ne croiras jamais ce qu'on a trouvé !
— Aheum, ce que j'ai trouvé.
— Oui, pardon ô grande déesse du hasard qui fait bien les choses.
Melanie redressa fièrement le dos alors que Neal continuait à s'exciter comme une puce, et Aya ne comprit pas grand-chose au tableau.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— On se demandait où se trouvait la « demeure » de Lys.
— Oui.
— Eh bien, on sait où il habitait.
— Grâce à moi ! souligna Melanie.
— Quoi ?
Aya attendit patiemment des explications, et Neal ne se fit pas prier. Seulement, il n'usa pas de mots ce coup-ci ; il lui prit la main et l'entraina avec lui. Il lui fallut dix bonnes secondes pour réaliser ce qu'il faisait. Melanie étouffa un rire en voyant Neal s'arrêter au beau milieu du jardin et lâcher la main d'Aya avec un air mortifié. Par solidarité, elle entoura un bras autour des épaules de chacun d'eux et les mena vers le débarras.
A l'instar de ses deux amis le jour précédent, Aya se pencha pour voir derrière le mur. Elle fit immédiatement le lien entre la gravure et le nom de l'auteur trouvé dans le journal. Lys... Lysandre. Ainsi qu'elle l'avait supposé, il s'agissait d'un diminutif. Sans doute le surnom que ses proches utilisaient, pensa-t-elle.
Elle se retourna, les yeux brillants, et croisa les regards satisfaits de Neal et de Melanie.
— Les filles, vous savez ce que ça veut dire ?
— Naaaan ? Eclaire-nous, p'tit génie, toi qui brille de mille feux.
Neal bondit sur ses pieds en remuant les mains comme un gamin excité.
— Ca veut dire que la suite du journal se trouve ici. Dans cette maison. Chez-nous !
Melanie plissa les yeux, pointa un doigt accusateur vers lui.
— Whoa whoa whoa... Attends un peu, cousin.
— Ouiiii ?
— Tu vas nous faire chercher dans toute la maison, c'est ça ?
— Comment t'as deviné ?
Melanie poussa un cri dramatique et fit mine de s'écrouler.
— Mais qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un cousin pareil ?... Aya... Aya ! Aide-moi !
Aya était campée devant un Neal au large sourire. Elle regarda Neal, puis Melanie... Et finit par hausser les épaules en direction de Melanie.
— TRAITRESSE.
Et c'est ainsi que les trois amis se retrouvèrent à fouiller la demeure de fond en comble. Les tâches furent réparties dans un premier temps : Neal cherchait à l'étage, Aya au rez-de-chaussée tandis que Melanie se coltinait le jardin. Mais à mesure que leur impatience grandissait, l'ordre se faisait oublier. Ce fut bien vite le chaos, et Neal, Aya comme Melanie se retrouvèrent bientôt à s'agiter dans tous les sens.
Mamie, qui était dans le salon pendant ce temps, les voyait aller et revenir sans comprendre pourquoi ils retournaient la maison de la sorte. Mais elle ne dit rien. Elle était habituée à leurs comportements décalés, et plus rien ne l'étonnait venant d'eux. Cette génération est vraiment unique, pensa-t-elle une énième fois. Bizarre, mais unique.
Au grenier, la persévérance flanchait.
— Bon bah... Reste plus qu'à raser les murs, déclara Melanie, les mains sur les hanches.
Neal la regarda et elle eut peur un instant qu'il la prenne au sérieux. Par détermination, Neal pouvait se montrer... extrême.
— Ok, soupira Neal. Je pense qu'il est temps d'arrêter...
— Oui ! s'écria Melanie.
— ... de chercher n'importe comment.
Melanie poussa un énième grognement, mais Neal ne releva pas. Il était convaincu qu'ils utilisaient la mauvaise approche, et ils avaient perdu déjà assez de temps.
— Mettons-nous à sa place un moment.
— Me mettre à la place d'un homme mort... murmura Melanie. Chouette, dis donc.
— Comment tu sais qu'il est mort ?
— Ca m'étonnerait qu'il soit toujours en train de respirer dans sa tombe.
Neal rit, puis s'interrompit en réalisant qu'il était plutôt de mauvais goût de rigoler de la situation.
— Si j'étais Lysandre, et que j'avais quelque chose de précieux à cacher ce serait dans un endroit que je suis le seul à connaitre.
— Hum, oui c'est ce que font toutes les personnes qui ont quelque chose à cacher.
Neal ignora le sarcasme de Melanie, comme il se contentait de le faire la plupart du temps, et se tourna vers Aya.
— T'en pense quoi ?
Aya, qui regardait dans un vieux carton, leva les yeux. Elle était du genre à tout garder pour elle, et de temps à autre, il fallait la solliciter pour qu'elle parle.
— Le premier endroit qui me vient à l'esprit est ma chambre, répondit-elle.
— Bien vu.
Melanie leva les yeux au ciel, mais suivit ses deux compagnons hors de la pièce. Ils se dirigeaient de toute évidence vers les chambres, pour tenter de trouver celle qu'occupait Lysandre autrefois. Si Aya avait bon, ils avaient tout bonnement raté la potentielle cachette car les chambres avaient déjà été longuement fouillées.
— Au fait, dit Neal en regardant pour la troisième fois derrière l'armoire imposante de la chambre de Melanie, nous n'avons pas donné de nom à notre enquête.
— Depuis quand les enquêtes ont des noms ? maugréa Melanie non loin.
Neal haussa les épaules.
— Juste pour le fun.
— Bon eh bien, que dis-tu de « L'Opération Cobra » ?
— Pourquoi Cobra ? demanda Aya.
— J'aime les serpents.
L'air menaçant de Melanie fit frémir Aya et Neal, qui se reléguèrent dans un coin de la pièce.
— Que diriez-vous plutôt de « L'étrange cas de... »
— De... ?
— De. J'allais dire le nom de Lysandre mais je me suis rendu compte qu'on ne connaissait que son prénom. Et puis ça aurait été trop simpliste.
Melanie haussa les épaules.
— Mon cobra était plus cool.
Les deux chambres dans lesquelles ils remirent les pieds ne donnèrent une fois de plus rien de concluant. Ne restait que celle que Neal occupait pour les vacances. S'ils n'y trouvaient rien, ils devraient s'avouer vaincus.
Et c'est ce qui se passa.
Neal, Melanie et Aya déplacèrent chaque meuble, examinèrent les murs, scrutèrent toutes les surfaces possibles. Rien. Pas l'ombre d'une page. Neal était prêt à arracher les lattes du plancher une à une, juste au cas où, mais Melanie et Aya le retinrent à temps.
Les trois se jetèrent alors sur le lit, découragés. Puisqu'il s'agissait d'un lit d'une place et demie, ils étaient à l'étroit. Et une fois de plus, Neal se retrouva coincé entre Melanie et Aya. N'importe quel autre garçon de son âge l'aurait traité de chanceux, mais lui qualifierait plutôt la situation de gênante. Sauf qu'il n'y pensait pas. Tout ce qui lui importait à l'instant était les pages sur lesquelles ils n'arrivaient pas à mettre la main dessus.
Mais s'ils ne mettaient pas la main dessus, pourquoi ne pas poser les yeux dessus ?
Neal eut comme une épiphanie. A l'instar de ses amies, il était en train d'observer le plafond comme s'il allait lui apporter des réponses. Et si c'était le cas ? Ses yeux s'étaient involontairement posés sur le lustre qui pendait au dessus de leurs têtes. Et ses sens lui ordonnèrent de se mettre debout sur le matelas, de tenter d'atteindre le lustre.
Il dut finalement se mettre un peu plus en hauteur à l'aide d'un escabeau. Melanie et Aya le regardèrent tendre la main vers les coupes représentant des fleurs. Il fouilla l'intérieur de chacune d'entre elle, quand ses doigts finirent par rencontrer la surface rêche d'un vieux papier.
Les pages.
Neal faillit hurler de joie. Aya et même Melanie, qui avait pourtant montré désintérêt quelques minutes plus tôt, se ruèrent vers lui et s'installèrent en parfait auditorat. Toutes deux se devaient d'avouer qu'il y avait de quoi être curieux. Sans plus attendre, Neal déplia les pages et commença à lire à haute voix.
Lundi 20 Mai 1940
— Ok, voilà déjà un élément clé.
— Contente-toi de lire.
Neal grimaça en direction de sa cousine, mais obéit toutefois.
Lundi 20 Mai 1940
Pourquoi ai-je attendu si longtemps pour écrire ceci ?
Tout simplement car j'étais autrefois trop jeune pour comprendre. Mais à présent assez de temps s'est écoulé. Mes yeux se sont ouverts et je réalise enfin l'embarras dans lequel je m'étais empêtré sans prendre gare.
Tout a commencé ce soir, où le malheur s'est invité dans notre maison.
Papa est mort...
Neal leva les yeux, lentement. Les visages d'Aya et Melanie étaient soudain aussi fermés que le sien.
Papa est mort. Il est mort, et au lieu de le pleurer, de lui rendre hommage, tout le monde cherche un responsable. Il n'est pas mort naturellement ; ça, les autres l'ont bien vite compris. Et je le savais aussi, puisque j'étais là.
Ce que j'ignorais, cependant, était la raison pour laquelle on me pointait du doigt.
Neal prit une inspiration.
— Alors... On l'a accusé d'avoir tué son père. C'est à propos de ça qu'il parlait ?
— La vérité...
Aya fronça les sourcils et Melanie s'agita à côté d'elle.
— Pourquoi tu t'arrête ? Ne me dis pas qu'on a passé la journée dessus pour que ça se termine comme ça ?
— Non non, y a une suite.
C'est vrai, quoi de plus facile que de m'accuser. Ils m'ont trouvé avec lui, après tout. Ils m'ont trouvé debout devant le lit de mon père, à fixer absentement son corps inerte. Je l'ai vu mourir. Mais je ne comprenais pas. Je ne comprenais rien. Pourquoi papa devenait tout rouge ? Ne savait-il plus comment respirer ? Je devais probablement prendre la main qu'il essayait de me tendre. C'est ce que je fis, mais ses doigts me serraient si fort ! Tentait-il de parler ? Oui. Oui, il me semblait le voir tenter de m'adresser quelque chose. Mais sa bouche ne fit qu'articuler des mots silencieux, des mots que je ne discernai pas. Ses yeux étaient affolés, mais il s'arrangea pour m'exprimer un dernier « Je t'aime » à travers eux. C'est alors que son corps se raidit et retomba sur le matelas.
Et il fallut un certain temps pour qu'on me retrouve là, à ne rien faire d'autre que regarder le corps sans vie de mon papa.
Neal cligna des yeux, déglutit.
J'aurais pu faire quelque chose. Appeler quelqu'un, au moins, au lieu de rester de marbre, comme si la scène qui se déroulait sous mes yeux ne m'affectait guère. Et c'est ce qui me rendit coupable, à mon avis. Mais en vérité, je ne savais que faire. Je n'en garde qu'un souvenir confus, tant tout est arrivé trop vite pour un esprit embrumé comme le mien.
La confusion, et surtout la panique m'avaient tenu immobile. Pouvait-on blâmer l'enfant impuissant que j'étais ?
Je n'étais qu'un enfant qu'on ne pouvait pardonner. Car la haine est bien plus facile à déchainer. Le pardon, lui, est trop dur à accorder. Je pense les comprendre, en un sens. Nous avons tous subi une grande perte, et la faute devait forcément retomber sur quelqu'un. Dieu, mon père lui-même, ou... moi. Mais je n'étais qu'un enfant fragile et ignorant.
De toute évidence, mes yeux m'ont trompé. Comment aurais-je pu savoir ? Comment, à l'époque où j'ignorais tant de choses sur le monde et sur moi-même, aurais-je pu deviner que ma vie entière rimait avec mensonges ? J'étais aveugle, d'une certaine manière. Mais je n'en savais rien. Personne n'était au courant, et de ce fait, ils ne pouvaient comprendre ma position dans l'histoire, ni même ce qui s'était passé réellement.
A présent, la vérité peut être rétablie. Mais mérite-t-elle d'être connue ? A quoi bon tenter de prouver quoique ce soit après tant d'années ? Après que tout se soit brisé au-delà du réparable, y compris moi ?
Il n'y a aucun intérêt à cela. Aucun intérêt, à part toi. Car après toutes les tempêtes qui se sont abattues sur ma tête, tu as su rester auprès de moi. Aussi près que possible, en tout cas, car je sais que ton éloignement n'est dû qu'à l'entêtement des autres. Tu n'avais pas le choix, contrairement à eux. Et c'est ce qui fait que tu sois la personne à laquelle je dédie ces pages.
Ces pages te feront comprendre aussi bien que moi que tout ceci n'est qu'un malentendu. Que c'est le ciel qui m'a fait ainsi et que ce qui est arrivé était destiné à arriver. Que ce je n'ai rien prémédité. Que je ne suis pas, et n'ai jamais été le diable que l'on voyait en moi.
Je n'étais qu'un enfant... Un enfant fragile, ignorant. Et aveugle. Oui, aveugle... Oh, comme je l'ai été. Et je demeure le même aujourd'hui. Le même enfant, oui...
Ne pouvaient-ils le voir ?
Comme te le prouvera l'objet de ma passion, je n'étais qu'un enfant et tout ce que je voulais était mon père.
Neal voulut aller plus loin, mais il réalisa avec déception qu'il était arrivé au bout de la page.
— Alors c'est tout ? commenta Melanie. Il n'a rien pu faire pour sauver son père mourant. C'est ça la fameuse vérité ?
— Je ne pense pas, murmura Aya. Je pense que c'est plutôt ce que les autres ont cru.
— Et donc il aurait essayé de faire quelque chose ?
Aya secoua la tête.
— Non plus.
— Alors là, dit Melanie en levant les bras en l'air, je ne te suis plus, petite.
Aya laissa échapper un petit rire.
— On ne connait pas le contexte, expliqua-t-elle. Enfin, on sait maintenant qu'il n'a pas pu sauver son père, mais on ignore ce qui s'est passé avant la scène qu'il a décrit, et après.
— Je suis du même avis, approuva Neal. Est-ce que son père était malade ? Comment est-il mort ? Qu'est-ce que Lysandre faisait à son chevet ? Je suis certain qu'il y a beaucoup plus à cette histoire.
Le soir venu, Neal était étendu sur son lit à écouter les tic-tacs constants de son réveil. En observant le plafond, il ne put s'empêcher de penser à Lysandre. Il était étrange de savoir que ces quatre murs aient, selon toute apparence, pu voir grandir l'auteur à ce jour déchu.
Du moins, Lysandre lui-même se présentait comme étant déchu. Et Neal eut la chair de poule en imaginant les pires scénarios à son sujet, et en se demandant si cet homme pouvait, qu'il soit mort ou vivant, suivre l'avancée de son histoire. L'histoire que Neal s'était en quelque sorte approprié.
Il eut soudain l'urgence de fermer les volets de sa fenêtre, malgré la chaleur de la nuit. Il devenait peut-être paranoïaque, mais il avait comme l'impression s'être observé.
C'était presque comme si... Comme si le fantôme de Lysandre demeurait et qu'il était drôlement satisfait du travail de Neal et ses amies.
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