Chapitre 1 : La fuite d'Oliver 1/1
La nuit tombait doucement sur la forêt, faisant peu à peu disparaître les derniers rayons du soleil. C'était le moment où la température baissait, où une dure journée de chasse se terminait, où nous ne tarderions pas à rentrer au sein de notre village pour bénéficier d'un repos et un repas bien mérités...
Mon corps n'était pas forcément contre, même si au fond de moi j'aurais encore parcouru le Territoire quelques heures, entouré des miens. La sensation était indescriptible, addictive... C'était comme si nous n'étions qu'un à ce moment-là, c'était grisant, enivrant, et parfois, j'avais la sensation de sentir les cœurs de mes congénères battre au même rythme que le mien... Le bonheur que l'on ressentait en ces instants n'avait pas de prix.
Certains disaient que c'était ainsi au début, et qu'on s'y faisait au fil du temps. Je ne pouvais que le croire, étant donné que je ne participais aux chasses que depuis une année... Et en moi, une partie insolente refusait d'écouter les anciens, refusait de croire qu'un jour cette sensation serait moins forte, plus habituelle, routinière.
Que je chasse était une volonté de mon frère, notre Chef de Meute, et je devais bien avouer qu'au début je n'en avais pas très envie. C'était une chose de courir et de se sentir un avec les autres, mais la contrepartie était plus brutale et plus sanglante : un chasseur tuait. Et ce n'était pas forcément pour me ravir l'estomac... La première fois qu'on avait mis à mort un sanglier devant moi, j'avais vomi. La seconde, j'avais réussi à me contenir, plus ou moins, même si je ne me sentais pas franchement bien.
Puis, je n'avais pas vraiment de contre argument à opposer à mon aîné pour refuser de devenir chasseur... Je n'étais pas en position de négocier quoi que ce soit. Après tout, j'étais un Bêta, je devais obéir aux ordres des Alphas, encore plus s'il s'agissait d'un Chef de Meute – ainsi étaient faîtes les choses.
Mon frère était plus âgé que moi, plus grand, plus puissant, et surtout, avait les nerfs plus fragiles. Il avait l'habitude qu'on lui obéisse. Peu importe qu'on soit de sa famille ou pas, discuter n'était pas une option, encore plus lorsqu'on était un Bêta.
D'ailleurs, en parlant de lui, il ne me quittait pas de son regard perçant. Par rapport à moi, il était plus imposant – bien plus imposant – ce qui me faisait toujours me sentir faible et fragile. Minuscule et insignifiant, même. Que je sois sous une forme humaine ou animale, d'ailleurs...
Son regard glaçant ne me quitta pas durant de longues secondes. Les autres, autour de nous, se reposaient, se chamaillaient ou rassemblaient le fruit de notre journée de labeur pour que l'on rentre au plus tôt... et lui aurait dû faire son petit chapeautage habituel... Mais visiblement non.
Généralement, lorsqu'il m'accordait de l'attention, ça finissait mal. Pour moi.
Ce n'était pas vraiment la bonne entente entre nous, cela remontait à toujours, et je ne saurais expliquer pourquoi... Peut-être parce qu'il était bien plus vieux que moi ? Ou qu'en tant qu'Alpha, il avait honte que je sois un Bêta ? Parfois, je passais des nuits sans dormir à me poser toutes ces questions sans trouver de réponses...
Depuis la mort de notre père, six ans auparavant, c'était encore pire. Avant, il était là pour le remettre à sa place et me remonter le moral, mais maintenant... Il n'y avait plus personne pour lui tenir tête.
À l'époque j'avais douze ans, mon frère en avait vingt-cinq. C'était lui l'adulte responsable, lui l'Autorité à la maison et au sein de la Meute, et moi, je n'avais rien à dire, juste à obéir.
Soudainement, mon frère s'approcha de moi, se grandissant le plus possible, sans me quitter de son regard menaçant. Ça me rendait toujours nerveux quand il faisait ça... Et je le soupçonnais de le faire exprès. Pour que tout le monde voit bien que je lui étais soumis, que c'était lui le Chef, et moi, un Bêta insignifiant.
La scène se figea dans le temps. Tous les autres, Alphas ou Bêtas, nous observaient, tendus, redoutant quelque chose... Comme si c'était important, crucial, capital, ce qu'il se jouait-là... alors que cette scène était d'un banal affligeant pour moi ; il faisait son numéro de grand et fort pour m'impressionner, comme souvent. Si l'on occultait cette rage et cette rancœur qu'il avait envers moi, c'était même un comportement normal avec tout autre congénère.
Son regard était menaçant, froid, avec sa carrure puissante, on aurait dit un molosse en colère... Et personne, autour de nous, n'avait l'envie de réagir. De l'arrêter ou de me protéger.
Mon cœur battait à tout rompre, tellement que j'en avais mal, et mon estomac dansait drôlement dans mon ventre... Je sentais mes forces vaciller, comme mes pattes, sous le coup de la peur.
L'idée qu'il avait simplement décidé de se débarrasser définitivement de moi ce soir me frappa soudainement. Que ce soit prémédité ou non. Tous les autres devaient l'avoir compris, et moi, je ne me doutais de rien jusqu'à présent... Et je n'avais plus de porte de sortie – du moins, j'étais incapable d'en trouver une à cet instant.
L'intimidation et la terreur que cela dégénère vraiment me firent reculer d'un pas.
Enfin...
D'ordinaire, j'aurais reculé, j'aurais baissé la tête comme le regard, je me serais couché devant lui, et j'aurais prié pour qu'il m'épargne... Puis j'aurais filé dès qu'il se serait désintéressé de moi.
Mais... Pas cette fois. Pas ce soir.
Quelque chose d'étrange au fond de moi me stoppa net. Cette chose ne voulait plus reculer ni avoir peur, et j'avais beau vouloir me soumettre, montrer un signe, n'importe lequel, pour qu'il comprenne que je ne défiais pas... !
Rien ne se passa.
Mon corps ne bougeait pas, ne m'obéissait plus. Malgré la panique et la peur de mourir, je restais là, stoïque, fier, décidé à tenir tête à ce Lycan qui faisait deux ou trois fois ma carrure.
Son regard se fit plus dominateur encore, et je compris que c'était là ma dernière chance de retrouver ma place. De montrer mon respect envers lui et remords pour mon attitude... Et je voulais vraiment baisser les yeux, me rouler à ses pattes, implorer son pardon et reconnaître sa domination sur moi, je le voulais tellement !
Mais... Rien ne se passa non plus.
Oh, bon sang, je voulais et je devais me soumettre !
Enfin... non ! En fait, je n'en avais aucune envie ! Bien sûr que je n'en avais pas envie de me rouler à ses pattes et de l'implorer d'être clément avec moi ! Même si ma raison me dictait que c'était le seul comportement à adopter pour survivre, le reste refusait obstinément d'obéir.
Une force nouvelle avait pris possession de moi, une sorte de colère noire, mélangée à de la haine et de la frustration trop longtemps refoulées... Et cela commençait à prendre le dessus sur moi, sur ma raison.
Ça se propageait dans mes veines comme un poison – mais un poison qui me faisait du bien : la peur, l'appréhension me quittèrent, tout comme ce sentiment que j'avais à me soumettre qui, d'ordinaire, régissait ma vie de Bêta.
Je me sentais puissant, invulnérable, invincible, mais aussi assoiffé de vengeance, de domination. Je voulais que le sang coule en rédemption de toutes ces années passées dans la soumission, la frustration... Et je le voulais maintenant.
Cet incendie de haine qui m'embrasait n'était pas près de s'éteindre, loin de là.
Un frisson me parcourut, tandis que je grondais en montrant les crocs, bien déterminer à soumettre celui qui me faisait face. Qu'importe qu'il soit mon Chef de Meute, mon frère.
Je ne me disais plus que je n'avais pas à le faire, que j'étais un fou suicidaire, que je devais avoir peur de mourir...
Non. À lui de se soumettre. À lui d'implorer.
C'était lui le fou qui devait se soumettre à moi, de me redouter, à lui d'implorer pitié et pardon ! Tout ce que j'avais en tête, c'était que c'était à lui de courber l'échine, à lui de me craindre, de me respecter, maintenant et tout de suite.
Il s'avança vers moi, paraissant le plus dominateur et intimidant possible, cependant même un grognement menaçant, suivi d'un grondement sourd, ne changèrent rien à ma position...
Je le toisais toujours avec insolence, le défiant ouvertement. Il était à présent à quelques centimètres de moi, me dominant de sa taille, sous le regard des autres Alphas, censés le protéger... Me réduire en charpie.
Je n'avais aucune chance de m'en sortir face à lui, encore moins entouré de sa garde... Mais est-ce que cela m'arrêterait ? Non, pas la moindre petite chance. Je n'avais pas peur de lui, ni des autres, ni de la mort.
De toute façon, la limite était franchie, à présent c'était...
Survivre ou mourir.
La suite des événements m'avait totalement échappé. C'était le trou noir, le black-out complet. Mon corps obéissait à autre chose qu'à moi. Que ma conscience n'était plus, qu'elle avait disparu...
Cette chose avait totalement pris le dessus sur moi, je m'étais laissé submerger par cette vague de puissance, de dominance, avant qu'elle ne m'engloutisse dans les bas fonds de mon propre esprit...
J'avais l'impression que mes poumons se remplissaient de cette eau froide et salée qui tentait de me noyer... Et j'avais beau essayer de lutter pour retrouver la surface, c'était en vain ; je ne savais même pas où elle était ! Tout s'était assombri, ma vue brouillée par l'eau, l'esprit incapable de raisonner, au vu des circonstances...
Soudainement, tandis que je me débattais comme je le pouvais dans cette mer infernale, quelque chose apparu. Une grande forme vague, d'un blanc nacré qui luisait comme la Lune les nuits de forte intensité... Une Dominance insoupçonnée s'échappait d'elle, et ça me terrifiait d'instinct.
Ses yeux d'or luisant comme elle me fixaient avec profondeur, une sorte de rudesse dans le regard, comme si elle m'estimait faible, incapable, médiocre – indigne d'elle. Je ressentais une profonde honte, l'impression d'avoir échoué, encore une fois, et d'ainsi avoir perdu à la fois sa confiance et son respect...
Qu'est-ce que cela faisait, de perdre la confiance et le respect de son propre Loup ?
C'était la chose la plus humiliante qu'un Lycanthrope pouvait ressentir. Le rejet, le mépris des congénères, ce n'était rien ; parce qu'il restait toujours le Loup, fondu en nous, qui restait envers et contre (presque) tout, nous empêchant d'être réellement seuls... Alors, le perdre, c'était perdre une partie de soi, mais également se retrouver totalement seul, démuni, vulnérable et pour ma part incompréhensif...
Je comprenais ce qu'il m'arrivait maintenant. Je perdais le contrôle. Je perdais mon Loup. Je perdais... Je perdais tout. Peut-être même la vie, d'ici quelques instants ?
Je le suppliais du regard de ne pas me laisser là, de me faire retrouver la surface avec elle, qu'on ne se désunisse pas, mais... Mais cela ne semblait pas lui convenir.
Tandis que je me débattais pour la rejoindre, il me tourna le dos, s'éloignait, de plus en plus...
J'avais tenté de crier, mais ce n'était qu'une nouvelle idée stupide ; l'eau envahit mes poumons, l'air s'échappait vers la surface, et je ne pouvais plus rien faire maintenant... Rien à part assister à ma propre fin.
Mon Loup s'éloignait tranquillement, comme s'il s'en fichait que je meurs. Bien sûr qu'il s'en fichait, puisqu'il prendrait le contrôle... Il m'empêcherait même de voir le carnage.
Ce n'était plus mon Loup à présent... mais une Bête incontrôlable.
Peu à peu, je perdais conscience, mes yeux se fermaient, mon cœur ralentissait, puis... Plus rien. À part un froid intense, mon corps noyé perdu dans les limbes noirs de son propre esprit, et un cœur qui battait de plus en plus lentement...
Mon corps obéissait à quelque chose d'autre. À ma Bête. Ma conscience ne serait plus rien tant qu'elle n'en aurait pas décidé autrement... Et personne autour de moi n'avait probablement idée de ce qu'il venait de se passer.
🐺🌕🐺🌕🐺
Je ne savais pas combien de temps j'étais resté « inconscient », mais cela n'avait pas dû excéder quelques dizaines de minutes. Ce fut un hurlement qui déchira le ciel, le même hurlement qui glaça le sang de chaque Lycan présent ici, et sans doute ceux l'ayant entendu aux alentours...
Ce n'était pas n'importe quel hurlement ; c'était... Le hurlement de la Mise à Mort.
Ce n'était pas rien, comme son nom l'indiquait... Il condamnait purement et simplement le malheureux à qui il était destiné à mort. C'était une sentence de moins en moins appliquée de nos jours, une méthode barbare pour se débarrasser d'un membre qui mettait en péril la hiérarchie ou l'équilibre de la Meute de façon définitive et sanglante. On préférait chasser ou Bannir, de nos jours... Moins meurtrier.
Cependant, la pratique n'était pas interdite, rien n'empêchait un Lycan de hurler... Même s'il fallait l'assumer derrière, ce qui était un bon moyen de limiter son utilisation.
Ce soir, le condamné, c'était moi.
C'était sûr que c'était moi, qui cela pouvait-il être d'autre ?
A présent, c'était fuir ou mourir.
Fuir ou mourir.
Mon frère me détestait, il avait là l'occasion rêvée de se débarrasser de moi définitivement de la manière la plus douloureuse qu'il soit... Pourquoi s'en priverait-il ?
Actuellement, il me toisait de ses iris colériques et dominateurs, la gueule ensanglantée, dans une position d'attaque. Autour de nous, les autres étaient tous à terre. Soit inconscient, soit incapable de se lever... Mais tous blessés, parfois sévèrement, et couvert de sang. Moi-même, j'étais couvert de sang, et j'avais mal partout, mais j'étais bien loin de m'en préoccuper actuellement.
Un éclair de lucidité me frappa soudainement, je me rendais compte de ce qu'il s'était passé durant cette perte de conscience... J'avais défié, j'avais perdu le contrôle de moi-même après avoir perdu l'estime de mon Loup, et j'avais... Attaqué les miens. Et maintenant, je me retrouvais condamné à mort par mon grand-frère, qui était le seul encore capable de tenir debout... Mais il n'en restait pas moins dangereux.
Donc, il allait s'en charger lui-même. Ce qui ne me laissait aucune chance de m'en tirer.
Enfin, ça, c'était ce que je pensais moi. Quelque chose au fond de moi ne raisonnait pas du tout comme ça... Quelque chose pensait que je pouvais m'en tirer, que j'en avais les capacités, que j'avais les ressources pour cela... Je commençais moi-même à y croire, même si ça me semblait encore impossible que ça fonctionne.
Je réfléchissais à toute vitesse pour prendre la bonne décision... Attaquer ou fuir ? Lequel de ces choix avait le plus de chance de me maintenir en vie ? Les deux s'affrontaient en moi et je ne savais pas à quoi me fier. Mon instinct d'humain qui voulait fuir, ou l'instinct de la Bête qui me poussait à attaquer ?
Mon Chef de Meute s'approcha de moi, ce qui m'avait poussé à faire un choix.
Le choix décisif.
Faisant fi de ce sentiment de fureur et cette humiliation que je ressentais, j'avais fui. C'était, pour moi, la solution la plus simple. Pas forcément la plus brave ou la plus facile à assumer pour autant.
Par rapport à mon adversaire, celui qui voulait me mettre à mort, j'étais plus rapide, plus agile, je connaissais cette terre mieux que je me connaissais moi-même... Et puis, je savais très exactement quoi faire.
Il me fallait juste garder mon sang-froid, rester concentré sur mon objectif, et courir plus vite que jamais je n'avais couru...
Tout en zigzaguant entre les arbres et autres fourrés, poursuivis par mon frère, je mettais en place la suite de mon « plan ». Je ne devais pas juste le fuir quelques heures, je devais le fuir définitivement. Donc, quitter ma Meute, ma maison et mon Territoire, au plus vite.
Rien que de penser à cela, je fus parcourut de frissons. C'était totalement contre nature pour un Bêta de faire ça, surtout sans être accompagné, mais... entre ça et la mort, j'avais choisi rapidement !
Je déboulais au village rapidement, tout le monde me regardait avec de grands yeux choqués et surpris, mais personne n'osa intervenir. Et tant mieux ! Parce que je n'avais pas le temps d'en perdre !
Je repris une forme humaine dès le perron franchi et la porte refermée derrière moi, mon torse s'abaissant et se soulevant dangereusement... Mon cœur battait tellement fort et tellement vite qu'il aurait pu m'exploser la cage thoracique !
– OK, Oli, calme-toi !
Je finissais ma phrase en montant les escaliers quatre à quatre, pour entrer en trombe dans la chambre de Père. Personne n'y mettait plus les pieds depuis des années en dehors de moi, je faisais la poussière, changeait les draps, vérifiait que tout était à sa place, comme ça devait être, de temps en temps.
J'étais donc le mieux placé pour savoir que dans son placard, il y avait un sac. Une espèce de sac de survie, avec tout ce qu'il fallait pour survivre en cas de problème. Je sais, ça peut paraître totalement glauque ou fou, mais mon père m'avait enseigné beaucoup de choses tout au long de ses années... la première étant à survivre en milieu hostile en exploitant mes capacités de Lycan. Ce qui allait probablement me sauver la vie aujourd'hui.
Ces enseignements se perdaient avec le temps, la modernisation de nos modes de vie, l'accès à des technologies nouvelles... Et mon père était de la vieille école. Il pensait qu'un bon Lycan était un Lycan capable de retourner à l'état sauvage si la situation le nécessitait. Et là, la situation le nécessitait clairement.
Parmi toutes ces choses qu'il m'avait enseignées, il y avait celle qui consistait à conserver un paquetage prêt et opérationnel dans un endroit discret, mais accessible, en cas de fuite ou de danger.
Toujours être prêt au pire, Oli, aurait-il dit.
Sans perdre une seconde, j'empoignais le sac, le passait sur mon dos et scellait l'attache devant mon torse. Je n'avais pas remarqué, mais mon cœur battait moins fort, et mon esprit n'était concentré que sur mes sens, sur ce que j'avais à faire maintenant, et non plus sur la peur de mourir ou les conséquences de ma fuite.
Je perdais du temps à tergiverser, du moins, ce fut ce que je pensais. Que... Quelque chose pensait, pour être précis. C'était assez étrange à ressentir, mais...
Pas le temps pour ça maintenant.
Je passais la tête par la fenêtre au moment où mon frère débarquait à son tour au village, pas du tout content que je lui ai ainsi échappé... Il sut directement où aller, même si j'avais pris soin de ne pas allumer les lumières...
Il ne tarda pas à enfoncer la porte d'entrée que j'avais refermée un peu plus tôt, les murs de la maison, pourtant solides, tremblaient à chaque coup de son épaule massive.
Nos maisons avaient été construites par nos ancêtres, elles étaient prévues pour accueillir et résister aux Lycanthropes les mieux portant... Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne défoncerait pas la porte pour autant. Il s'acharnait sur elle et les coups se répercutaient dans les murs et le plancher. Avant de résonner en moi, comme le glas annonçant la mort prochaine.
Cela ne me prit qu'une seconde pour reprendre mes esprits ; ce jeu ne faisait que commencer, je n'avais pas perdu, il n'avait pas gagné...
L'enjeu serait ma vie, et s'il pensait que j'allais me laisser avoir sans tenter le tout pour le tout... C'était mal me connaître. Mal nous connaître.
Je n'avais qu'une option : passer par la fenêtre.
Sans réfléchir plus et avec sang-froid, je passais mes jambes par la fenêtre pour m'asseoir sur le rebord. Par chance, il y avait un arbre, dont les branches me permirent de retrouver le sol sans dommage et surtout, sans trop de bruit. La discrétion et la rapidité étaient mes deux atouts sur ce coup, hors de question de gâcher bêtement l'un des deux à cause de la précipitation...
Dès que je fus à terre, je repris une forme animale, le sac resta en place grâce à l'attache au niveau de la poitrine, et, après avoir lancé un dernier regard à la maison qui m'avait vu naître et grandir, je filais à travers les fourrés.
Au loin, j'entendais mon frère hurler mon prénom, trahissant sa rage et sa frustration, suivi d'un gros bruit sourd. Il devait penser que c'était le moment de refaire la décoration...
Personnellement, ça m'allait qu'il me laisse de l'avance bêtement, car incapable de contrôler ses pulsions.
🐺🌕🐺🌕🐺
Cela me prit une demi-heure à allure soutenue pour enfin entrapercevoir une lueur d'espoir réellement palpable : une gare, desservie par une petite ligne de train, à quelques kilomètres en aval de chez moi. On ne s'y rendait jamais et je n'avais pas l'autorisation de m'en approcher... Mais je n'écoutais pas toujours ce qu'on me disait, même si on ne le soupçonnait pas au premier abord.
Soudainement, je cessais ma course. Je voyais la lumière de la gare, il ne me restait que quelques centaines de mètres à parcourir... Mais ce n'était pas ce qui était important en cette seconde.
J'avais atteint la limite du Territoire. De mon Territoire. Du seul que je connaisse, du seul que j'avais besoin de connaître.
S'opposer à un Alpha, qui plus était un Chef de Meute, c'était déjà beaucoup pour une journée... Alors, quitter cet endroit sécurisant pour le monde extérieur, c'était un nouveau grand pas à franchir.
En théorie, un Bêta n'avait pas à le quitter. C'était sa maison, l'endroit où il se sentait le plus en sécurité, entouré des Alphas, de sa famille, de ses amis... Mais vu les circonstances, je n'avais pas le choix. C'était fuir ou mourir. Et clairement, j'étais trop jeune pour rencontrer la mort maintenant...
Luttant contre le profond mal-être que je ressentais, cette insécurité qui tordait les tripes et cette sensation d'être agressé par tout ce qui m'entourait, je franchissais la limite invisible qui délimitait notre Territoire.
J'avais l'impression que la Mort se tenait à mes côtés, prête à faucher mon âme au moindre mouvement de poil... Un profond sentiment de terreur m'avait envahi, mon instinct me poussait à retourner en arrière, retrouver ma terre.
Mais je ne pouvais pas.
Mais mon esprit restait concentré sur les raisons de ma fuite, ma vie en danger, le temps précieux que je perdais...
L'influence se fit plus forte au fur et à mesure que je m'éloignais, je résistais de mon mieux, mais... J'étais prêt à craquer à n'importe quelle seconde.
Du moins, jusqu'à ce qu'une force insoupçonnée me permette d'avancer, me libère d'un poids qui me lestait : une frustration trop grande qui générait de la colère, peut-être de la haine, même... mais qui me permit d'avancer. De quitter mon chez-moi, même si c'était contre ma nature de Bêta.
Au loin, j'entendais des hurlements. Les hurlements de ma Meute, unie pour me traquer, pour me mettre à mort...
C'était le bon moment pour franchir le pas, visiblement.
Une fois à l'abri dans la petite gare, je me sentais fier. Fier d'avoir réussi à lui échapper, fier d'avoir franchit la limite du Territoire. J'avais l'ego gonflé et le sentiment d'être invincible, invulnérable...
Enfin « je »... La Bête ressentait cela, ce serait plus juste.
J'essayais de faire abstraction de ça ; je n'étais pas encore tiré d'affaire. Loin de là. Et j'avais besoin d'elle, de son influence, pour m'en sortir, même si c'était dangereux...
Je repris forme humaine dans un coin sombre du bâtiment – je ne tenais pas à ce qu'on me voit me transformer, même si je ne ressentais aucune présence humaine.
C'était maintenant que mes affaires allaient me servir ; passer de la forme animale à la forme humaine nous faisait perdre nos vêtements. Donc, nous étions nus. Et l'avantage que j'avais par rapport à mes poursuivants, c'était d'avoir prévu des vêtements avant de fuir...
Ce fut en les enfilant que je mesurais à quel point mes blessures étaient graves... Je ne m'en étais pas rendu compte et je ne les sentais pas, mais maintenant c'était le cas !
Des hématomes partout, des traces de morsures – assez superficielles, je dois l'avouer – des écorchures çà et là, sans grande gravité... Par contre, ce qui m'inquiétait le plus, c'était la large plaie béante que j'avais sur le flanc gauche. C'était profond, ma peau était couverte de sang... Avec la course, la blessure s'était rouverte et le sang imbibait mes vêtements. Par chance, le t-shirt, le pantalon et le sweat étaient noirs, le sang ne se voyait pas.
La douleur me parvint une fois arrivée sur le quai. Le retour de bâton après tous ces efforts et ces émotions fortes... Je dus me tenir pour ne pas tomber sous le coup de la douleur, mais aussi parce que ma tête me tournait.
Au loin, dans la nuit angoissante, les hurlements des miens me firent frissonner. Ils se rapprochaient, ce n'était pas bon...
– Maudit sang, crachais-je alors, pourquoi est-ce que tu t'es laissé mordre aussi ! T'es stupide, Oli !
Inutilement, je pressais la plaie à travers les vêtements, comme si ça changerait quoi que ce soit... La piste était facile à suivre, ils n'avaient qu'à se laisser guider par l'odeur de mon sang.
La panique et la peur me gagnèrent à nouveau. Et il n'était pas bon qu'elle me submerge. Pas maintenant. Pas alors que ma vie était en jeu... Pas alors que je m'en étais presque sorti.
J'essayais de faire passer le mal en me répétant « faites qu'un train arrive bientôt », ce qui marchait plus ou moins... Si je perdais connaissance maintenant, je le paierais de ma vie.
Il était tard, il n'y avait que peu de chance pour que...
Comme si la Lune m'avait entendu, que l'univers était de mon côté, que quelque chose là-haut voulait que je survive : un train arriva. Lentement, trop lentement à mon goût, mais il arrivait...
Il y avait des passagers à bord. Des humains. Et ça me rassura alors. Devant eux, aucun lycanthrope, qu'il soit Chef de Meute ou non, n'oserait se faire remarquer, de peur de trahir le secret de notre existence... Ce qui ne voulait pas dire que je serais hors de danger pour autant.
Ce fut avec angoisse et soulagement mêlés que je pris place sur un siège, le premier que je vis assez à l'écart des autres passagers.
Le temps qui s'écoula entre ce moment et le départ dura une éternité au moins... Et ce ne fut qu'au bout de plusieurs minutes de trajet que je m'autorisais à me détendre. Juste un peu. Pour apprécier ma victoire. Cette sensation de victoire, tout du moins. Je n'étais pas encore tiré d'affaire – ça ne faisait que commencer, à vrai dire.
La plaie était douloureuse, je pressais machinalement ma main sur mon flanc, ce qui ne servait qu'à intensifier la douleur et ne devait pas l'empêcher de couler. J'essayais d'agir le plus normalement possible pour n'éveiller les soupçons de personne...
La prochaine grande ville serait dans plusieurs dizaines de minutes de trajets, ce qui me laissait le temps de me reposer un peu, de faire un point sur la situation. Et c'était encore critique pour le moment.
J'étais à bout de nerfs, à bout de force, blessé dangereusement, terrifié par l'avenir et ce qui m'entourait, totalement livré à moi-même en terrain inconnu pour la première fois de ma vie... Seul et désespéré, voilà comment je me sentais.
J'avais fui, d'accord, mais pour aller où, au final ? En ville, parmi les humains, dont j'ignorais tout ? Sur un Territoire d'une Meute que mon frère connaissait, et qui l'appellerait dans la minute qui suivrait mon arrivée ?
J'étais seul, totalement seul, et je n'avais que l'envie de retourner sur ma terre, retrouver la sécurité auprès d'un Alpha, auprès de ma Meute... Ce qui était impossible.
J'avais également la sensation que deux entités s'affrontaient en moi : le Bêta soumis et impressionnable, et le raisonnement humain qui avait plus de sang-froid...
Puis, une troisième était là, je le savais, même si je ne sentais rien pour le moment. Une troisième beaucoup plus dangereuse et totalement incontrôlable, qui pouvait bien décider de prendre le dessus sur les deux autres à n'importe quel moment... Pour n'importe quelle durée.
Mon combat interne monopolisa toute mon attention et toutes mes forces, au point que je fus surpris lors de l'arrivée en gare... Par chance, personne ne remarqua rien. Pas même le contrôleur.
Une fois seul sur le quai, je regardais la ville avec un profond sentiment d'angoisse. C'était la première fois de ma vie que je me retrouvais en milieu urbain.
J'étais loin de chez moi. Hors de mon Territoire. Seul. Et désespéré.
🐺🌕🐺🌕🐺
Voilà pour cette première partie de ce premier chapitre ! J'espère que vous avez accroché, que vous vous posez pleins de questions, et que vous avez hâte de lire la suite :p
(et aussi de découvrir qui est Oliver :p)
Cette partie était un peu plus longue que les autres, la semaine prochaine ce sera un peu plus court XD
Sinon, je vous souhaite une bonne fin d'après-midi, on se dit à la semaine prochaine pour la fin de ce chapitre, ou à dimanche sur L'Esprit de Noël !
Haydn
(Crédit : Rosie Fraser)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top