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Au bout d'une petite demi-heure passée à ne rien faire, on frappa à la porte presque timidement. Je ne savais pas trop quoi faire. Après tout, ce n'était pas mon bureau et puis je n'avais rien à faire à la place du propriétaire.

James passa sa tête à travers la porte, un large sourire sur ses lèvres, puis s'y glissa subtilement :

– J'apprends vite, hein ! T'as des devoirs à faire ?

– Euh, non, pas vraiment...

Il lança un regard à son téléphone portable, puis sourit :

– Ça te dit un café ? Ou un chocolat – on boit quoi à ton âge ?

– Du café – mais je ne suis pas sûr que – vous n'aviez pas des trucs à faire ?

Son regard espiègle m'indiqua que non :

– D'où l'intérêt d'être hyper efficace – ça me laisse du temps pour bavasser à la machine à café ! Allez, viens ! Max va te voir en revenant, tu pourras le retrouver dès qu'il sortira de l'ascenseur.

J'avais fini par accepter. De toute façon, je m'ennuyais à mourir dans ce bureau. Et puis j'aimais bien James, même s'il m'avait fait une sacrée impression tout à l'heure.

Une fois qu'il eut fait son petit tour à la cafétéria pour remplir son plateau de mets, on s'installa sur une table haute un peu à l'écart des autres personnes présentes. Celles-ci avaient l'air de travailler même en se détendant. C'était impressionnant. Et un peu gênant, je dois dire.

Le responsable de la cafétéria servit un café au lait à James puis me demanda ce que je désirais. Un café noir long. Cela fit sourire James. Maximilian prenait la même chose généralement, même si je n'en avais aucune idée pour le moment.

– Je dois vous dire de mettre ça sur le compte de Maximilian, avais-je rajouté.

Le serveur me toisa avec un drôle d'air, puis s'en alla vers sa machine à café.

– Laisse tomber, c'est moi qui régale, me glissa James, il t'a dit ça au cas où tu viendrais seul, j'imagine... tu ne veux pas manger quelque chose ?

Un simple regard lui suffit comme réponse.

– Je déteste manger seul, enchaîna-t-il, tandis que mon café arrivait devant moi. Oh, merci Kea – malheureusement je mange tout le temps... un truc à cause de mon corps qui travaille un peu trop.

– Je peux me permettre de te rappeler que monsieur a droit à la parole ? demanda Keane avec un petit air moqueur.

James s'excusa auprès de moi, ce qui me gêna vraiment. Je détestais quand on faisait ça alors qu'il n'y avait pas lieu. Keane s'éloigna, appelé à l'autre bout de la cafétéria.

– Je suis tout excité, s'excusa James, c'est la première fois que je rencontre quelqu'un de la famille de Max...

– Oh, je... je n'ai aucun lien de parenté avec lui. Il... s'occupe juste de moi. Enfin, on vit ensemble... Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, je...

– Tu es un des gamins dont son frère s'occupe, c'est ça ?

Tiens, il connaissait l'existence d'Edward ! Je n'aurais pas cru que Maximilian aurait parlé de sa famille sur son lieu de travail, lui qui compartimentait bien les deux.

Un hochement de tête confirma son hypothèse. Le regard du blond se fit plus doux, presque bienveillant.

– Je sais ce que c'est, d'être un peu perdu, enchaîna-t-il plus doucement, comme s'il avait peur qu'on nous entende. Avant que Max m'aide, je faisais n'importe quoi.

Son regard mêlait tristesse et joie à la fois, ce qui me toucha au plus profond de mon être. Ça se sentait qu'il était attaché à Maximilian et lui était reconnaissant.

– On devrait parler de choses plus réjouissantes, la tête qu'il va tirer si jamais il te retrouve tout déprimé... Je pourrais toujours dire que Will est passé par là.

– Je ne sais pas mentir, il le saurait tout de suite qu'il n'a pas... Enfin tu vois.

Il eut une moue, j'avais souri.

– Tu vas me dire, je mens aussi très mal. Regarde-moi ce visage trop expressif, ça me grille tout de suite !

Le temps passa si vite avec lui que je ne me rendis pas du tout compte qu'une heure s'était écoulée. James parlait beaucoup, mais comme j'étais à l'aise avec lui, ça ne me dérangeait pas vraiment. Je n'avais même pas vu Maximilian revenir dans son bureau, mais lui m'avait bien vu, puis rejoint. Il avait l'air soucieux, ce qui m'inquiéta un peu quand même, même s'il donna le change.

– On va pouvoir faire un tour, m'indiqua-t-il, enfin si James accepte de te laisser partir.

– Désolé, mais ça me faisait mal au cœur de le voir s'ennuyer tout seul dans son coin.

– C'est tout à ton honneur, mais tu as de quoi t'occuper d'ici midi avec ce que je viens de déposer sur ton bureau.

– Ah, cool ! On se retrouve à midi !

Sur ce, il fila avec son plateau sous la réprimande de Keane, qui servit Maximilian. J'avais décliné le café qu'il me proposa avec son « monsieur » plus gênant qu'avant encore.

– Où est-ce qu'on va ? demandais-je pour oublier ma gêne.

– C'est une surprise, mais ça devrait te plaire.

Sans plus en dire, il termina son café brûlant cul sec puis récupéra sa sacoche avant que nous partions en direction des sous-sols, où l'on prit une voiture fonction noir dernière technologie pour traverser la ville. Son visage soucieux me rendait nerveux, occultant loin la nervosité que sa surprise aurait générée.

– C'est une mauvaise nouvelle ? demandais-je timidement.

Son regard quitta la route pour me regarder étrangement, comme s'il était surpris de m'entendre dire ça. Cela ne dura qu'une seconde ; le feu était passé au vert.

– Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

– T'es soucieux. Nerveux. La pauvre boîte de vitesse en fait les frais.

Il grogna, mais fit un effort pour radoucir les passages de celle-ci. Le silence se réinstalla, étouffant. Peut-être n'aurais-je pas dû aborder ce sujet. Ça ne me regardait pas.

– Howard m'a fait une proposition vraiment intéressante, mais je... Pour l'instant, je ne peux pas accepter.

Je n'étais pas un expert, mais ça ressemblait bien à une promotion, ça. Pourquoi refuser ?

– C'est à cause de moi ?

Il mit un temps à répondre, ce qui me conforta dans mon hypothèse. C'était moi la cause de ses soucis, je m'en sentais coupable.

– Ce n'est pas que ça, me rassura-t-il. Pour ce poste je devrais m'installer ici, à Glasgow et j'aurais du mal à quitter mon île. Sans compter les chiens, ils ont tellement l'habitude de gambader en liberté...

– Et moi, je...

– Eddy t'a confié à moi, me coupa-t-il, j'ai accepté sans vraiment penser à mon boulot, pour tout t'avouer, mais je ne compte pas me défiler. Il pensait qu'un peu de solitude et d'air frais te ferait du bien, ça me dérange de te faire vivre en ville, même si j'imagine que tu serais content.

Pas vraiment. Maintenant que je les avais quittés, l'île et le manoir me manquaient. Le bruit des vagues surtout – et les aboiements des chiens, tiens. Pourtant, je n'avais pas envie d'être un frein pour sa carrière. On me reprochait suffisamment de choses, je ne voulais pas que lui aussi s'y mette.

Perdu dans mes pensées, je ne m'étais pas rendu compte qu'il s'était garé dans un parking.

– Ne t'inquiète pas, Kaeden, me rassura-t-il en passant sa main sur mon épaule. Je sais m'adapter et ça ne me dérange absolument pas de rester chez moi.

Son sourire était sincère et me rassura un peu, même si j'étais toujours un peu gêné de jouer le frein de service.

Nous étions descendus de voiture, je l'avais suivi à travers la foule en faisant bien attention de ne pas le perdre. Cet endroit était gigantesque et grouillant de monde. Ça me rendait nerveux. En plus, ici, tout le monde était ben habillé. Je compris à peu près que Maximilian m'avait traîné dans sa séance shopping en voyant toutes ses enseignes de vêtements, de bijoux, parfums et autres qui s'étalaient sous mes yeux... Ici, c'était clairement hors de prix et complètement décomplexé par rapport à ça.

– T'aurais pu me prévenir que c'était séance shopping, maugréai-je.

Ma mauvaise volonté le fit sourire narquoisement :

– Tu vas en avoir besoin. On va te refouler avec ses vêtements si tu te pointes dans un restaurant trois étoiles.

– On est là pour moi ?

Il hocha la tête et poursuivit son chemin vers une boutique de luxe qui vendait des costumes. À la fois gêné et intrigué, je le suivis.

– Je te signale que je n'ai rien sur moi, murmurai-je. Et puis je...

– Laisse-moi faire, me coupa-t-il, je dois m'occuper de toi, non ? Alors on va commencer par un costume.

J'aurais bien protesté, mais un vendeur au sourire mielleux s'était adressé à Maximilian juste à ce moment-là – il savait choisir son instant, celui-là ! Quand on lui annonça que c'était moi le client, il me toisa de haut en bas avec un air hautain, puis m'ordonna de le suivre. Maximilian me força d'un regard, même si je n'avais pas franchement envie de suivre ce type dans les cabines d'essayage...

Après de longues minutes de souffrances passées à l'écouter vanter les mérites de l'ensemble hors de prix, j'avais enfin pu sortir de cette cabine et des griffes de ce vendeur. Clairement, il comptait me refiler tout son stock pour remplacer mes haillons – selon ses propres termes. Franchement, je me sentais mal à l'aise dans ce costume qui entravait mes mouvements et était horriblement près du corps !

Mon reflet me renvoyait une image si différente d'habituellement que je doutais que ce soit réellement moi.

– Wow, souffla Maximilian en me voyant, ça te va bien !

Son regard, qui me parcourait, me mettait vraiment mal à l'aise. Je ressemblais à un pingouin là-dedans ! Ou à un serveur de soirée chic ! Il se moquait de moi avec son regard.

– Franchement, je préfère les vêtements d'Eddy que tu m'as donné, marmonnai-je en me débattant dans ce costume. Je peux enlever ça maintenant ?

– Non, on va aller au restaurant directement.

J'avais protesté, puis tenté la négociation, mais il ne fléchit pas le moins du monde. Au contraire, ça l'avait presque motivé. Il paya une fortune pour ce que j'avais sur le dos, ainsi qu'une chemise de rechange et une paire de chaussures en cuir noir.

– Merci, avais-je timidement murmuré lorsque nous étions sortis de la boutique. Même si je le mettais le moins souvent possible, ça me fait plaisir. Vraiment.

Il se contenta d'un hochement de tête, puis m'invita à le suivre dans une boutique de technologie connue de par le monde, avec des ordinateurs et téléphones derniers cris fort bien mis en valeur. Ici, je me sentais déjà mieux, notamment parce que je n'avais pas à me déshabiller. Et puis le regard des gens était différent, comme si mon costume avait changé toute ma personne ! Ça m'énervait un peu, je devais l'avouer.

En discutant avec un vendeur, je compris que ce n'était pas pour lui qu'on était là, mais encore pour moi. Bon, d'accord, le costume c'était justifié – un peu limite, certes, cependant justifié – or je ne voyais pas ce qui motivait l'achat d'un téléphone et d'un ordinateur. Surtout de cette marque hors de prix.

– Bien sûr que c'est justifié, me déclara-t-il devant le vendeur, il faut bien que tu aies accès à internet pour suivre tes cours.

Des cours ? Quels cours ? Oh, mes cours, du lycée... Il était vrai que j'étais parti du jour au lendemain– certes pendant les vacances scolaires – et que je n'allais pas pouvoir retourner en cours en vivant sur l'île...

Enfin, au moins j'aurais accès à internet et à la télévision en ligne, ce qui était en soit une bonne chose. Même si j'avais dû promettre de ne pas en abuser avant qu'il ne passe à la caisse.

– Merci, avais-je soufflé, honteux. Je te rembourserai quand j'aurai de l'argent, promis.

– Ne soit pas stupide, Kaeden. C'est le minimum que je puisse faire pour toi. Ce serait mal venu de ma part de te demander des choses sans te donner ce dont tu as besoin... On cherchera d'autres vêtements plus tard.

Franchement, je ne savais pas quoi lui répondre. À part le remercier un millier de fois et lui vouer une reconnaissance éternelle, je ne voyais pas ! C'était la première fois qu'on m'offrait autant de choses d'un coup et qui avaient autant de valeur... Ça me faisait tout bizarre de me dire que c'était à moi. Et offert. Par Maximilian.

– Tu sais, je... Ça ne me dérange pas de porter les vieux trucs d'Eddy, avais-je marmonné sur le trajet, dans la voiture. J'ai l'habitude de récupérer les vieux trucs, alors...

– Vraiment ?

Peut-être que j'aurais dû ne pas dire cela pour briser le silence gênant qui s'était installé, puisqu'il me dévisagea avec une expression bizarre. Cela me fit me sentir mal à l'aise. Surtout qu'il avait l'air de bien gagner sa vie – franchement, je devais lui faire honte avec mes vêtements et mon attitude.

– En fait, je... Je ne sais pas à quand ça remonte où j'ai eu des vêtements neufs – ça doit faire longtemps. D'habitude je récupère des trucs à droite à gauche, ça ne me gêne pas trop de récupérer les affaires d'Eddy.

Il avait l'air contrarié. J'aurais dû me taire.

– Pourquoi ? me demanda-t-il gravement, son regard braqué dans le mien.

– Ben, pour m'habiller... Je ne suis pas nudiste.

– Tu sais de quoi je parle, Kaeden. Ton père ne t'achetait pas de vêtements ?

Dès qu'il avait évoqué mon père, je m'étais refermé comme une huître, le cœur compressé par des forces trop importantes pour moi. Mon regard dévia vers la vitre pour cacher gêne et frustration, voulant éviter cette conversation. Je n'avais pas oublié, cependant mon esprit était moins alourdi par le poids des remords et de la haine depuis que je vivais sur l'île. Maintenant, ce n'était plus du tout le cas.

– Je sais ce que ce n'est pas facile, mais tu vas bien devoir me parler de ça un jour.

Pourquoi ne demandait-il pas à Edward ? Il était au courant de tout. De tous les problèmes que j'avais créés ou subis... C'était notre Chef de Meute, bien évidemment qu'il savait.

– Je veux que ce soit toi qui me parles, enchaîna Maximilian, me toisant avec intensité. Eddy peut me raconter ce qu'il veut, je m'en fiche. C'est ce que toi tu vas me raconter qui m'intéresse.

– Je n'ai pas envie d'en parler !

Mon ton fut brusque et incontrôlé. Dans mon corps tout entier, c'était une sorte de tempête qui battait son plein, entre mes émotions, mes souvenirs, et ce sentiment horrible que je m'étais promis de ne plus jamais ressentir ; la terreur.

Ma soudaine vulnérabilité me terrifiait et ce fut le seul moyen que j'avais trouvé pour qu'il se taise. Le remballer brutalement, quitte à devoir le froisser, voir l'énerver. Qu'importaient ses foudres ultérieures, du moment qu'il me laissait tranquille avec ça !

– Je ne veux pas en parler, répétai-je, plus doucement.

Après le déglutissement le plus difficile de ma vie, Maximilian me lâcha des yeux. Lever les yeux vers lui m'était trop difficile. Et si jamais je voyais de la rage sur son visage ? Ou de la déception dans son regard ? Comment pourrais-je à nouveau le regarder dans les yeux si j'y voyais encore ça ?

J'en avais l'habitude, mais avec Maximilian c'était différent. Mine de rien, il tenait ma vie entre ses mains ; si je retournais au sein de la Meute, je crois que ça me serait insupportable. J'étais plutôt lâche de nature, j'imagine que je n'hésiterais pas longtemps avant de fuir.

Cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête m'angoissait terriblement. Au moins autant que son impénétrable esprit, que j'étais incapable d'appréhender.

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