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La première nuit que l'on avait passée dans la maison, plus ou moins installés, je m'étais senti bizarre. Je pensais que c'était la nervosité due au déménagement, aux changements nombreux qui s'opéraient, aux nuits agitées que je passais depuis un moment, à l'ambiance étrange entre Max et moi. Cependant, toutes ses causes n'avaient rien à voir avec la raison réelle de mon mal.

Pendant la nuit, j'avais fait un horrible cauchemar, à nouveau. Cela faisait des semaines que j'en faisais.

Au début, c'était totalement flou. Je ne me réveillais pas forcément en pleine nuit, mais le matin, je ressentais un profond sentiment de peur, de malaise.

Puis, plus le temps passait, plus le flou devenait net, plus je comprenais ce qu'il se passait. Et l'angoisse ne faisait qu'augmenter.

Dernièrement, les choses étaient plus nettes. Et d'autant plus stressantes et angoissantes.

Je comprenais ce que c'était, par contre la difficulté était de déterminer si je voulais savoir ou ignorer. D'un côté, c'était l'un, de l'autre, l'autre – et j'avais l'impression que je floutais volontairement le tout pour repousser l'échéance.

Arrivé à un stade, je ne le pourrais plus. Tout serait net et je serais face à ce que je redoutais le plus.

Mes rêves n'étaient pas de simples rêves, c'étaient des souvenirs. Des souvenirs traumatisants qu'elle avait effacés jusqu'alors et que je voulais retrouver sans forcément le vouloir.

J'ouvris les yeux brusquement en sentant le bras de Maximilian me serrer un peu plus fort. Généralement, il n'en fallait pas beaucoup pour qu'il me tire de mon sommeil, encore plus ces derniers temps.

Je fixais depuis de longues secondes le plafond de notre chambre, la lampe que je trouvais moche et que Maximilian adorait, tandis que lui se réveillait laborieusement, comme tous les matins.

Puis je m'étais décidé à lâcher la bombe :

– Je me souviens.

Le silence se fit mortel. Tendu. Il redressa la tête pour me dévisager avec une expression étrange, mélange d'inquiétude et de soulagement. Lui qui guettait ce moment depuis si longtemps, tout en le redoutant...

– Je me souviens, répétai-je dans un souffle, c'était pas comme d'habitude...

Une boule s'était formée dans ma gorge, dans mon ventre, je ne me sentais plus en sécurité, même si aucun danger ne menaçait.

Puis, la seconde d'après, ce fut la fureur qui prit place en moi. Exactement la même que ce soir-là. Je le savais, je le sentais, je me souvenais.

– Quand je suis rentré, on s'est disputé à cause de... d'un truc sans intérêt. Il faisait nuit, il était tard, il voulait savoir où j'étais et... je ne sais pas pourquoi je n'ai pas voulu répondre.

Ses iris ne quittaient pas mon visage blafard et je me bornais à fixer ce maudit plafond sans trahir ce que je ressentais. C'était là l'attitude de l'Alpha, la pudeur et le sang-froid de la Bête qui s'était confondue en moi.

– C'était idiot, j'étais juste... j'étais juste dans la clairière où on gare les voitures. Et puis...

Les images étaient nettes et claires dans ma tête, mais je peinais à mettre des mots là-dessus. J'aurais bien aimé que Maximilian puisse lire dans mes pensées, qu'il voit tout ça et comprenne tout seul.

Mais ça devait sortir, j'imagine.

– D'habitude il... il s'en prenait à moi, sous forme humaine. Et là, il... quand il s'est transformé, je... j'ai paniqué. J'ai eu peur. La plus grosse peur de toute ma vie. Et j'ai cru que j'allais mourir – elle a cru qu'on allait mourir.

Ça me revenait clairement, comme si j'y étais encore ou que je regardais un film : il se tenait devant moi, plus imposant, montrant les crocs, prêt à attaquer, et moi... J'étais coincé dans le fond de la pièce. Impossible de fuir. Ne restait qu'à attaquer sauf que... Ce n'était ni dans ma nature ni dans celle d'un Bêta, de se rebeller ainsi face à un Alpha. Face à cet Alpha en particulier.

J'avais tenté la soumission, mais... Mais il y avait cette partie de moi, cet instinct, qui savait qu'il n'aurait plus de pitié, qui sentait la mort rôder, qui comprenait qu'elle était là pour moi.

– Et quand je... quand j'ai compris, quand j'ai écouté mon instinct, je...

Je n'avais pas simplement défié l'autorité paternelle juste parce que j'étais en âge de le faire... c'était aussi le contrôle qu'il avait, ce droit de vie ou de mort qu'il s'était octroyé sur moi, que j'avais refusé.

Il n'avait pas le droit de décider de ma mort. Il n'avait plus le droit de rien du tout sur moi.

Et la Bête s'était chargée du reste. D'endormir ma conscience, de rendre les souvenirs insupportables inaccessibles, pour mon bien, pour le sien, pour que l'on survive à ça tous les deux.

– Je ne... je n'avais pas remarqué, murmurai-je, des larmes dévalant mes joues et troublant ma voix, que c'était pour me protéger...

Maximilian m'entoura de ses bras et essaya, tant bien que mal, de me soulager de ce poids que j'avais sur les épaules.

Je me sentais toujours coupable de ce crime atroce, quand bien même j'avais été contraint de le faire... et que ce n'était pas réellement moi qui l'avais mis à mort.

– Ça ne m'étonne pas vraiment, murmura Maximilian, lui aussi prit par l'émotion. Tu as commencé à aller mieux à partir du moment où elle a compris que je n'étais pas une menace – que ma Bête n'en était pas une. Et à chaque fois qu'elle était de sortie. C'était parce que tu ne gérais pas la situation. Parce que tu étais stressé, apeuré, qu'elle voulait éviter que tu ressentes à nouveau ces choses.

Ce qui ne rendait pas les choses plus simples à accepter. À présent cette partie de tueur était fondue en moi et ça me dégoûtait toujours. Je me dégoûtais.

– Et ça explique aussi pourquoi ta guérison est arrivée si vite, pourquoi tout était tellement rapide chez toi – comparé à moi ou à Luther.

– Comment ça ? Tu penses que ça a influé sur...

– J'ai mis des années à me stabiliser, Luther également – et toi en quelques mois tu es guéri, tu ne trouves pas ça étonnant ?

– Si, un peu, mais...

– Ce qui est différent, entre toi et moi, c'est que ta Bête n'a pas agi contre ta volonté, mais pour te protéger. Pour que vous surviviez, pour que tu te reconstruises, que tu vives avec.

Et des bribes de souvenirs remontèrent, de ces moments où elle était présente sans sortir, pour voir ce qui générait chez moi du stress et de la peur... Prête à bondir pour neutraliser la menace.

Comme elle l'avait fait ce soir-là.

– Je crois que je me sens... mien ? Mieux que... qu'hier, en tout cas...

Au moins, maintenant je savais ce qu'il s'était passé. Je savais qu'elle n'était pas une menace, ni pour moi ni pour les autres qui n'avaient pas de mauvaise intention à mon égard... Ce qui était vraiment soulageant.

Il me serra contre lui, conscient que j'avais besoin de sa présence, de son soutien, même si j'étais plongé dans mes pensées les plus profondes.

Bien sûr, j'étais toujours coupable d'avoir ôté la vie à quelqu'un. D'avoir tué. Mais cette partie d'Alpha en moi, qui grandissait de plus en plus, estimait qu'il l'avait bien mérité. Quelle idée de menacer quelqu'un capable de répliquer, d'avoir le dessus, de tuer. 

Il aurait pu se douter qu'un jour les rôles s'inverseraient... Après tout, j'étais la chair de sa chair, son sang coulait dans mes veines, et c'était de lui que j'avais pratiquement tout appris ; j'étais alors capable d'en faire autant que lui, si ce n'était plus, si ce n'était pire.

Cependant, je gardais à l'esprit que c'était pour me protéger que la Bête avait agi ainsi. Nous éviter de mourir. Et que, même la gueule pleine de sang, c'était à moi qu'elle avait pensé. Ce que mon père n'avait pas fait en me menaçant.

Et aujourd'hui encore, bien que guéri, confondu avec elle, il y avait toujours cette présence rassurante et intimidante à la fois, qui témoignait de sa présence. 

Elle était là, elle nous protégerait. Plus rien ne serait jamais plus comme avant.

C'était tout ce que j'avais à retenir.

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