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William Von Berg vivait à l'autre bout de la ville – ce qui, je crois, soulageait Maximilian – « au moins on ne le croisera pas en sortant les chiens », avait-il dit en riant. Parfois, je trouvais que leur petit jeu du chat et du chien, du « je t'apprécie moi non plus », relevait plus des enfantillages que de deux adultes avec autant de responsabilités professionnelles... mais ça entretenait un peu la vie au bureau, d'après eux.
Parfois, je me disais que William était totalement inconscient de provoquer un Lycanthrope Défaillant Mâle – mais il ignorait tout ça, étant donné qu'il était un humain lambda. Peut-être qu'il sentait la nature de Maximilian le dominer et que cela le poussait à s'affirmer plus que lui... mais il ne pouvait pas savoir pour sa Lycanthropie.
William vivait dans une très grande maison, moderne, harmonisant le verre et le métal noir. Sa décoration était sobre, minimaliste, dégageant quelque chose de luxueux par les formes et les matières. Des plantes vertes et des fleurs de couleurs pâles égayaient un peu l'endroit.
Maximilian trouvait cela impersonnel et froid au possible, mais moi je pensais que cet endroit était apaisant, appelant la sérénité et sans doute propice à la détente. Une espèce de sanctuaire, en somme. Et cela en disait pas mal sur lui, comme le manoir en disait beaucoup sur Maximilian et ses piètres goûts pour la décoration et le modernisme.
– Venez, le salon est par ici.
Nous avions échangé un drôle de regard. Moi qui pensais que mon Uni avait déjà mis les pieds ici, en réalité, c'était sa première fois à lui aussi.
Sur le chemin, j'avais croisé trois chats – deux noirs et un blanc – qui, après avoir craché en nous voyant, filèrent à l'anglaise bien loin de nous. William ne le nota pas – ou du moins, ne commenta pas.
– Installez-vous, nous invita-t-il, je vais chercher le thé.
Les canapés en cuir blanc étaient confortables et les coussins dénotaient un peu avec l'ambiance moderne et minimaliste ; ils étaient de couleurs vives, rouges, bleus ciel, verts ou jaunes, avec des motifs géométriques ou des animaux stylisés.
Je ne l'imaginais pas du tout adepte de ce genre de chose... mais pourquoi pas, au fond ? Dans son bureau, il avait aussi, très discrètement accroché au mur, une petite tenture de ce genre.
– La propriété vous a plu ? demanda-t-il lorsqu'il revint. Père m'a assuré qu'elle était très bien, mais je ne me suis pas déplacé pour le vérifier moi-même.
Je ne savais pas que c'était lui qui avait repéré la maison... mais cela ne me surprenait presque plus venant des Von Berg. Quand ils avaient quelque chose en tête, ce n'était certainement pas ailleurs !
– Plutôt, oui, tout est vraiment bien. À part peut-être la surface, mais pour deux, ça suffira amplement. Puis les chiens auront de la place dehors.
– Bien, il me lâchera peut-être avec ça maintenant ! Vous comptez vous installer bientôt ?
– Ehm, sans doute d'ici le mois prochain.
Juste après la Lune Pleine, sûrement, histoire que l'on prenne nos marques pendant une Phase Descendante. Ce qui était le plus sage et le plus facile à gérer.
Le regard perçant de William m'étudia un long moment, sans que je ne sache quoi dire. J'avais la furieuse envie de dévier le regard, je ne saurais expliquer pourquoi... Mais je ne le faisais pas. Parce que je ne pouvais pas le faire.
Comme le reste du temps, avec Maximilian, l'Alpha en moi refusait catégoriquement de montrer le moindre signe de faiblesse face à autrui. Surtout pas un humain. Et je commençais à bouillonner d'impatience face à son arrogance.
Heureusement, son regard quitta le mien rapidement pour servir le thé. Les tasses design firent naître un sourire moqueur sur le visage de Maximilian, William lui répondit par l'indifférence la plus totale.
– Bon, tu avais quelque chose à nous dire, pour nous faire venir ici ? lança soudainement Maximilian, on doit préparer le déménagement et tout le reste.
Et puis, s'il pouvait quitter cette « espèce d'hôpital sans âme » au plus vite, il n'allait pas se priver. Si moi je me sentais serein ici, ce n'était pas du tout son cas. Quelque chose l'agitait et je me demandais bien quoi. Et William s'en fichait totalement, visiblement.
– J'ai eu les résultats du test, me dit-il sobrement, je ne pensais pas qu'ils seraient aussi... inattendus.
– Le test ? Quel test ?
Ça, c'était pour moi. J'avais totalement oublié ce test, et comme il me l'avait fait promettre, je n'en avais parlé à personne. Et puis pourquoi est-ce qu'il parlait de ça maintenant ? Devant Maximilian ?
– Ben... Il m'a demandé de passer un test pour des cours en ligne que Von Berg Corp veut lancer – je crois ?
Maximilian accusa son collègue du regard :
– Tu ne lui as pas fait le coup, à lui aussi, quand même !
William se contenta de sourire, l'iris flamboyant, en buvant une gorgée de thé. On dirait que le chat cherchait le chien et ça me faisait rire intérieurement.
– Je l'ai adapté à son niveau, bien évidemment, sinon il n'aurait pas réussi la moitié des questions.
– De quoi vous parlez ? Étais-je alors intervenu, ce n'était qu'un test pour des cours en lignes non ? Une sorte de bêta-test ?
– Pas exactement.
Il sortit une pile de papier, les résultats de ce test sans doute, avec quelques annotations d'une écriture vive, un peu angulaire, mais relativement souple.
– Ceci est une adaptation du test de niveau que Von Berg Corp fait passer aux candidats avant d'être présenté au pôle DRH de la boîte. Max l'a passé, lui aussi, avant de travailler pour nous.
J'alternai un regard sceptique entre les deux. Visiblement mon Uni était fâché qu'il se mêle de nos affaires – et sans doute que je n'ai rien dit.
– Je ne comprends pas, soufflai-je alors, pourquoi j'ai dû passer ce test ? Je n'ai même pas commencé mes études.
– Bien, j'ai été impressionné par tes résultats, je me suis dit que ce serait dommage de passer à côté d'un profil comme le tien juste à cause de ton âge.
– Je t'avais dit de ne pas ouvrir ce document, lui reprocha Maximilian, et toi bien sûr, tu n'écoutes jamais et tu n'en fais qu'à ta tête ! Ce sont des informations privées !
– Informations privées que tu envoies aux mauvaises personnes par inadvertance, soit-disant ! Pour un peu, si ce n'était pas toi, je penserais que c'est une tentative grossière de manipulation...
– Excusez-moi de vous arrêter dans votre petit jeu, coupai-je alors, mais je voudrais essayer de comprendre ce qu'il se passe ? Pourquoi est-ce que je devais passer ce test, et ne rien dire à Max ?
– Bien, pour que tu le passes le plus sereinement possible – il aurait de suite compris ce que c'était, s'il l'avait vu. Puis je ne tiens pas à ce qu'il influe sur toi dans ce domaine.
Ce qui était compréhensible. Du moins, moi, je le comprenais, ce qui n'était pas le cas de Maximilian. Le mensonge et la manipulation, il haïssait ça de tous les pores de sa peau... Et William n'hésitait jamais à mentir, omettre des détails ou manipuler son petit monde, quand il voulait quelque chose. Les intérêts avant les sentiments, disait-il fréquemment.
– Quand est-ce que tu as fait ce truc ? me demanda Maximilian.
– Ben... il y a quelques semaines... j'avais un peu de temps libre, je me suis dit que ça ne changerait rien que je le fasse ou non, alors je l'ai fait.
Il s'empara de la pile de feuilles agrafées et la parcourut brièvement, pendant que William sirotait son thé tranquillement. Moi, je commençais à stresser. Est-ce que j'avais réussi ce test à la noix ? Est-ce que c'était bon, ou au contraire, mauvais ?
J'avais peur que ce soit mauvais, que Maximilian soit déçu, que ça remette en cause notre installation ici, les études que je voulais faire.
Mais une partie de moi était aussi outrée que je doute ainsi de moi, refusant que qui que ce soit porte un mauvais jugement sur moi – et encore moins quelqu'un que je dominais.
– Ça ne m'arrive que rarement de soutenir une candidature, avoua William – la dernière était celle de Max, pour te dire – mais j'ai été relativement impressionné par tes résultats. Ils ne sont pas parfaits, tu as des lacunes normales pour quelqu'un de ton niveau d'études, mais je décèle un bon potentiel. Avec une bonne formation et un encadrement comme le nôtre, je pense que tu pourrais avoir un bel avenir au sein de l'entreprise.
Maximilian et moi l'avions dévisagé avec la même expression surprise, la ligne de ses lèvres se fit légèrement moqueuse.
– Je souhaiterais appuyer ta candidature pour intégrer mon équipe. Nous rassemblons et traitons une grosse partie des données d'importants projets, cela sert de base de travail pour les équipes comme celle de Max, si tu veux un résumé. Si tu veux en savoir plus, tu peux passer quelques jours au bureau, quand vous serez installés, je te montrerais ce que je fais.
J'étais un peu perdu. Normalement, nous avions convenu que je ferais une année de fac pour trouver ma voie, voir ce que je voulais faire dans la vie, et on aviserait pour la rentrée suivante...
– Mais je... je ne sais pas vraiment ce que je veux faire, bredouillai-je, et puis je...
Ça me perturbait un peu d'imaginer travailler pour William, avec tout ce qu'on disait sur lui et ce que je voyais dans les couloirs de Von Berg Corp. William était du genre exigeant et intraitable, ce qui laissait planer une certaine pression sur son équipe... Et moi, je n'étais pas sûr que m'y exposer soit l'idée du siècle. Surtout maintenant, vu les difficultés que j'avais avec l'autorité.
– Tu ne vas pas lui forcer la main, je te préviens !
– Range tes menaces, répliqua le maître des lieux, plus autoritaire, avant de reprendre un ton calme avec moi : je ne t'oblige à rien. Cette proposition n'a pas de limite dans le temps non plus. Tiens-moi au courant si tu prends ta décision, c'est tout.
Il me tendit une carte de visite noire, dont une face brillante n'accueillait que le petit logotype de Von Berg Corp, et quelques lignes blanches au dos.
- Ce sont mes coordonnées personnelles et celles du bureau, inutile de te dire de ne pas la donner à qui que ce soit d'autre.
En la prenant, je me sentais soudainement fier. Fier d'avoir réussi ce test. Fier que quelqu'un reconnaisse mes capacités. Fier que le fils du patron en personne me veuille dans son équipe. Fier de voir le sourire, mi-encourageant, mi-contrarié, mi-fier, que Maximilian arborait.
Nous n'avions pas fait long feu chez William, une fois cette conversation terminée. Il devait se préparer pour des mondanités, Maximilian ne rêvait que d'un bon steak saignant et moi, d'une bonne nuit de sommeil.
– Tu penses que je devrais accepter ? demandai-je, à peine ceinturé dans la voiture.
– C'est à toi de voir... tu vois comment est William, toujours obligé de piquer tout le monde. Est-ce que tu as les nerfs pour le supporter ? Sans doute plus que moi. Est-ce que c'est réellement une bonne idée de foncer tête baissée chez Von Berg Corp maintenant ? À toi de me le dire si ça te va ou pas.
Et je n'avais aucune stricte idée de ce que je devais faire.
Enfin, non. Pour être honnête, une partie de moi savait. Une partie de moi avait su tout de suite. Mais... est-ce que l'écouter était vraiment l'idée du siècle ?
C'était à déterminer.
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