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Quelques heures plus tard, j'avais été réveillé par Eros et Clea qui aboyaient dehors. Le soleil brillait et passait légèrement à travers les rideaux tirés. Étrange, je me souvenais bien avoir vu la tempête à travers la fenêtre hier... Enfin, peut-être que Maximilian les avait tirés en se levant.

Une fois suffisamment réveillé, j'avais décidé d'aller m'habiller dans ma chambre, bien que ce t-shirt soit bien agréable. Au moment où j'avais retrouvé mon espace, je ne mis pas deux secondes à remarquer que le lit était fait et qu'une pile de vêtements patientaient près du coussin. Ça, ça devait être mon hôte.

Surpris et intrigué, j'observai les vêtements pendant de longues secondes avant d'oser les déplier. Ils étaient usés et démodés, cependant ils me tiendraient chaud. Je ne demandais pas mieux. Ils étaient un peu grands pour moi quand même, cependant pas autant que le t-shirt dans lequel j'avais dormi !

Au rez-de-chaussée, sur la table de la cuisine, attendait un plateau avec un petit-déjeuner froid. Vu qu'il était presque dix heures, c'était sans doute normal... Aerton me rejoignit, s'assit à mes pieds et m'observa longuement – comme s'il était là sur ordre de son maître pour me surveiller. Je n'en tenu compte que quelques secondes, avant de chercher quelque chose pour réchauffer mon café, comme un micro-onde, mais... il n'y avait rien.

– Tu sais comment je peux faire, toi ?

Le chien ne broncha pas, me toisant avec la même intensité que son maître. Franchement, si ce n'était pas son double canidé, je voulais bien avaler tous les légumes du potager ! Enfin, j'abandonnais vite l'idée de boire mon café chaud et vidait le bol d'une traite. Je n'avais pas vraiment faim, mais aucune idée d'où ranger tout ça, donc j'avais laissé le plateau sur la table.

Où était passé Maximilian ? Bonne question. Il n'était pas en bas en tout cas. Peut-être dans le jardin ? Suivis par mon surveillant à quatre pattes, j'avais enfilé mes baskets puis j'avais fait le tour du potager. Heureusement que les deux autres chiens étaient enfermés dans le verger, sinon ils m'auraient encore sauté dessus... Aerton n'avait pas l'air franchement troublé par tout leur tapage.

– Au moins toi tu respectes les distances de sécurité, lui dis-je, tandis qu'il s'asseyait à mes pieds. J'espère que cette barrière est solide, quand même. ... Il est passé où, ton maître ?

Aerton ne broncha pas, ce qui me fit sourire. Je ne lui en voulais pas vraiment, ce n'était qu'un chien après tout. Je m'étais assis sur une chaise, profitant du soleil malgré le vent froid.

Bon, qu'est-ce que j'étais censé faire maintenant ? Il n'y avait pas de télévision, pas d'ordinateur, je n'avais pas de téléphone non plus... Au moins chez moi j'avais la TV ! Enfin, « chez moi », c'était ici maintenant. Enfin j'imagine. Peut-être que non. Ou alors si ? Franchement je n'en savais plus rien !

J'avais soupiré, las, attirant l'attention du chien, qui posa sa tête sur ma cuisse. Sa gueule était impressionnante... Je ne donnais pas cher de moi s'il me mordait à cet instant. Enfin, je doutais grandement qu'il ait suffisamment de motivation pour cela, le pauvre...

Vers onze heures, Maximilian pointa le bout de son nez. Il était au téléphone avec quelqu'un – plutôt cordial et sérieux, il avait l'air un peu contrarié, même s'il ne le trahissait pas au son de sa voix. J'étais intrigué. On aurait dit qu'il discutait avec un collègue ou un patron – ce qui me faisait penser que je ne savais pas s'il travaillait. Enfin, si loin de tout, je pensais que non.

– Excuse-moi, me dit-il après avoir raccroché, quand on m'appelle c'est généralement important.

Lui demander qui c'était et pourquoi on l'appelait aurait été déplacé. Après tout, il avait sa vie et je ne pouvais justifier d'y mettre le nez. Pourtant je l'avais fait. Sa surprise n'avait d'égal que ma gêne. Je ne m'étais pas rendu compte tout de suite que je m'introduisais dans son espace.

Il ne sembla pas déstabilisé bien longtemps et me répondit assez naturellement :

– Eh bien, c'est pour mon travail. Un contretemps de dernière minute – enfin pas vraiment pour le moment, mais pour la fin de la semaine.

La perplexité qui se lisait sur mon visage trahissait bien ce que je pensais.

– Tu travailles d'ici ? Comment tu fais ?

– Comme tous les travailleurs dans mon cas : avec un ordinateur, une connexion internet et un téléphone.

Je n'imaginais pas qu'avoir internet ici soit possible. Il me stoppa directement, comme s'il avait lu dans mes pensées :

– Je n'ai qu'une clef 4G reliée à mon ordinateur pour mon travail, hors de question que tu y touches. Tout ça appartient à la société pour laquelle je travaille.

J'étais un peu déçu, sans doute pas assez à son goût, puisqu'il me dévisagea avec surprise. En soi, j'avais l'habitude qu'on me refuse ce genre de choses. Il n'était pas le premier et ne serait pas le dernier. De toute façon, qu'avais-je à faire sur internet ? Ce n'était pas comme si j'avais des amis ou de la famille à joindre ou un jeu prenant pour passer le temps.

– Tu peux utiliser le téléphone, si tu veux, enchaîna-t-il, celui dans mon bureau. Si jamais il y a un double appel, c'est que c'est important, c'est tout.

– Et tu voudrais que j'appelle qui ?

Mon ton ne fut pas violent, mais sa réaction me fit douter de moi. Peut-être que j'avais été un peu brusque, malgré moi – c'était bien le genre de sujet délicat qui me tendait.

– Je ne sais pas, des amis ? De la famille ? Eddy, pourquoi pas ?

OK, là, je sus très exactement qu'Edward ne lui avait strictement rien dit sur moi. Peut-être que Maximilian n'avait fait qu'obéir à un ordre de notre Chef de Meute sans poser la moindre question. Ce qui était idiot. Maintenant c'était à moi de tout dire, avec tout ce que ça impliquait comme douleur. Je n'étais pas doué avec les sentiments, vraiment pas, et j'avais peur de le contrarier.

– Je ne risque pas d'appeler ma famille puisqu'ils sont tous morts.

Voilà, j'avais encore été trop brutal. Son visage se déforma, je le vis clairement. En fait, je ne savais pas vraiment pourquoi toutes les personnes qui étaient en face de moi avaient ce genre de réactions. Certes, je n'avais plus de famille, mais je n'avais connu que mon père, les autres restaient des souvenirs lointains et oubliés... Peut-être était-ce à cause de moi, de mon ton. J'avais pourtant essayé plusieurs manières d'introduire ça ; la douleur, le détachement, la rage. Rien n'avait fonctionné pour le moment.

– Pardonne-moi, murmura-t-il, je n'étais pas au courant. Eddy ne m'a pas dit que...

De le voir déstabilisé aurait pu me flatter, mais je me sentais juste terriblement mal à l'aise. Sincèrement, moi et mon mètre soixante-dix pour soixante-huit kilos, déstabiliser un colosse de presque deux mètres aux épaules aussi larges ! Qui pourrait croire ça possible ?

– Eh bien, je... Tu pourrais l'appeler lui, j'imagine qu'il voudrait avoir de tes nouvelles autrement que par moi.

Ça, c'était faux. Edward avait enfin réussi à se débarrasser de moi, ce n'était clairement pas pour que je le harcèle au téléphone avec des discussions futiles.

– Il ne me l'a pas dit, avais-je répliqué, que je devais l'appeler. De toute façon, il s'en fiche complètement de savoir si je vais bien, du moment que je ne crée pas de problèmes !

– Eddy n'est pas comme ça, il m'a demandé si tu allais bien. Si tu trouvais tes marques.

– Parce qu'il est poli, mais c'est tout. Est-ce qu'on peut changer de sujet ? Je n'ai personne qui s'inquiète pour moi, ici comme ailleurs, alors le débat est clos.

Il ne le pensait pas du tout, mais n'insista pas. Peut-être qu'il s'en fichait autant qu'Edward. Dans un sens, j'aggravais un peu la situation : Edward ne m'avait pas non plus mis à la porte sans la moindre solution de secours – il s'était contenté de m'exiler ici, sous la surveillance de son frère, sans même lui parler de moi.

– Tu fais quoi comme travail ? demandais-je après de longues secondes de silence glacial.

– Je suis analyste-statisticien pour de gros clients nationaux et internationaux. Je travaille avec une équipe basée à Glasgow, mais depuis chez moi.

Ce qui expliquait sans doute tout. Enfin sauf comment  une connexion internet et du réseau pouvaient passer ici.

– Je me rends là-bas une fois par mois pour faire un point et déjeuner avec mon chef, mais il arrive parfois que je sois obligé d'y passer plusieurs jours quand des clients sont vraiment pointilleux.

– Tu dois y aller, alors ?

Son regard trahit sa surprise, mais je m'en fichais un peu.

– C'est à peu près ça. Je ne devais y aller que dans trois semaines, mais un client a absolument demandé à me voir à la fin de la semaine. J'étais en train de le persuader qu'il pouvait bien me voir en visioconférence.

– Ben pourquoi ? Tu devrais en profiter pour regarder la TV, manger un bon fast-food et sortir dans un bar...

Il rit en me lançant un regard entendu. Ce n'était pas ce qui était prévu au programme, vraisemblablement. Enfin, je m'en doutais. Ce que je ne donnerais pas pour y aller à sa place – même si je doutais grandement pouvoir assumer son travail devant son client !

– Je vais sans doute passer mes journées au travail et une bonne partie de la nuit sur mes rapports, alors on va oublier ton petit plan.

– Ça marche pour le fast-food et la TV ! ... comment tu fais pour les chiens ? Si tu n'es pas là pour t'occuper d'eux, ils font comment ?

– Je les dépose chez mon voisin, il vit une paisible retraite avec sa femme, ils élèvent des chiens. Aerton a le cœur brisé à chaque fois, mais je n'ai pas franchement le choix.

Il avait l'air sincèrement désolé, ce qui m'avait touché, donc je m'étais senti un peu obligé de me proposer pour m'occuper d'eux. Si déjà on avait imposé ma présence ici, au moins que je serve a quelque chose.

– J'aurais pensé que tu ferais tout pour venir avec moi, s'étonna-t-il alors.

J'avais juste haussé les épaules avec un air vague. En fait, j'en mourrais d'envie, je devais bien l'avouer... Cependant j'étais aussi conscient que j'abusais déjà beaucoup en vivant ici avec lui, en investissant son espace jusque dans son lit. Il avait bien le droit de ne pas m'avoir sur le dos pendant son travail.

– J'aurais peu de temps à te consacrer, mais il y a plein de choses à faire à Glasgow.

Était-il en train d'essayer de me convaincre de l'accompagner ? Il n'aurait sans doute aucun mal, même si me retrouver dans une ville inconnue seul ne m'engageait pas franchement. Vu son expression, il avait compris tout seul.

– Au pire, je resterais devant la TV, murmurai-je. Mais tu me jures que j'aurais mon hamburger-frite, hein ?

– Avec une pizza, si tu veux. Mais tu mangeras ça sans moi, je ne tiens pas à être malade.

La discussion continua pendant notre déjeuner. J'étais touché qu'il m'invite à l'accompagner, surtout si rapidement après mon installation ici... Peut-être qu'il le faisait parce qu'il avait peur de me laisser seul chez lui, mais j'allais retrouver la civilisation, la technologie et les pizzas, alors rien n'aurait pu entamer mon enthousiasme !

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