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J'avais mis le dimanche pour récupérer. Maximilian avait été aux petits soins avec moi, ce que j'avais loué... Le cumul de la fatigue et de l'alcool avait été rude, et ce malgré mes dix heures de sommeil consécutives. En soi, c'était un exploit que je dorme autant sans me réveiller et sans user de calmant.
Nous devions rentrer sur l'île d'ici quelques jours et je ne saurais dire si j'en avais envie ou non. Retrouver la Meute n'était pas aussi difficile que dans mes scénarios... c'était même agréable. Presque agréable.
Pour le moment nous profitions du calme au sein du village. Les cours avaient repris pour les plus jeunes et leurs parents travaillaient en ville. Nous étions presque seuls. Et ça nous faisait du bien. Mine de rien, il y avait tout le temps du bruit et de l'agitation ici, et c'était assez fatiguant pour nous, trop habitués au calme du manoir.
Danny et Edward passaient la journée loin d'ici. Ils étaient partis tôt, bien avant que l'on se lève, et rentre tard, sans doute une fois que nous serions couchés. Au final, on ne les aura pas beaucoup croisés. Cependant, ce n'était pas inhabituel. C'était là le lot d'un Chef de Meute et de son Second. S'occuper de la Meute, la protéger et aider ceux qui étaient dans le besoin.
Et puis, cela nous permettait, à moi et Maximilian, de passer du temps ensemble ici.
– Et si on allait faire un tour ? me proposa-t-il. J'ai besoin de prendre un peu l'air et de me dégourdir les pattes.
– On peut monter jusqu'au château, un peu plus haut. Vu la saison on sera tranquille.
C'était le chemin que j'empruntais régulièrement, avant. Le château n'était qu'un tas de pierres en ruine, isolé et caché par la forêt, soit l'endroit idéal pour s'y transformer. En dehors de quelques randonneurs et chasseurs locaux, personne ne rôdait dans le coin, heureusement la saison ne se prêtait pas du tout à une ballade.
Une fois douché et brièvement préparé, je rejoignis Maximilian devant la maison. Il m'attendait en tournant en rond. Je le comprenais un peu ; parfois le loup avait besoin de retrouver ses instincts et comportements d'animal. Pour tout avouer, moi aussi j'étais plutôt content d'aller gambader un peu. On ne le pouvait pas aussi souvent qu'on le voudrait, et de revenir ici nous le rappelait. Autant en profiter.
– Oui, d'accord, répondit Maximilian, téléphone contre l'oreille. Non, ne t'en fais pas, on comptait juste faire un tour... on ira après, ne t'en fais pas. Ah, Kaeden a enfin fini avec la salle de bain. Je te rappelle.
– Tu dis ça comme si j'y passais ma vie, maugréai-je. C'était qui ?
– Eddy. On va devoir passer au lycée pour récupérer un gamin qui s'est battu... Matt...? Je ne vois pas qui c'est.
C'était une sorte de « camarade de classe ». Pas vraiment un ami ni un membre de la famille. On aurait pu être amis, puisque nous étions dans la même classe depuis des années, cependant, il n'en avait pas vraiment l'envie – et je crois que moi non plus.
C'était un playboy populaire qui attirait les filles et jouait de ça constamment, ce qui lui attirait parfois des problèmes. Il traînait aussi avec les types qui s'en prenaient à moi, mais n'avait jamais rien fait pour m'aider.
Je le voyais peu à peu devenir une espèce de petit caïd, glissant peu à peu de la popularité à la délinquance... C'était peut-être une crise d'adolescence, le passage à l'âge adulte qui se faisait douloureusement, ou encore autre chose – mais ce qui était sûr, c'était qu'il prenait une mauvaise pente.
Pendant que je me perdais dans mes pensées, Maximilian me lançait quelques regards indécis, ne sachant s'il devait aborder le sujet ou simplement s'en aller. Il se lança finalement, ce qui m'avait ramené sur terre :
– Est-ce que... tu veux m'accompagner ? Je ne suis pas sûr de me souvenir de la route et je ne connais pas cet endroit.
Il était vrai que contrairement à son frère, Maximilian n'était pas allé au lycée normalement. À cause de sa Défaillance, il avait passé des années au sein de la Meute de Luther et suivait les cours par correspondance là-bas... il n'était « rentré définitivement » qu'après avoir fini le lycée, et n'y avait jamais mis les pieds.
L'hésitation qui se trahissait dans sa voix était légitime. Retourné au lycée n'avait rien de facile pour moi. Je haïssais cet endroit. Et par-dessus tout, je haïssais la personne que j'étais à cette époque, dans ce lieu. Et ça me gênait vraiment d'y retourner avec Maximilian, comme s'il serait capable de voir tout ce qui s'y était passé dans ma tête... ce qui était clairement impossible – ce qui ne m'empêchait pas d'en avoir peur.
Puis, contrairement au retour au sein de la Meute, je ne m'étais pas du tout préparé psychologiquement à remettre les pieds au lycée.
Et surtout pour régler les problèmes d'un type qui ne m'avait jamais aidé quand j'en avais besoin.
Pourtant, j'avais accepté de l'accompagner. Lui n'avait rien demandé à personne et rendait service à Edward. Puis je lui devais bien ça, après tout ce qu'il avait fait pour moi.
Plus vite ce serait réglé, plus vite on en sera parti. Je ne cessais de me répéter cela mentalement.
Durant le trajet, dans la voiture, j'avais mobilisé toutes mes facultés mentales pour penser à tout sauf à la peur qui s'insinuait en moi. Chaque kilomètre qui passait me tendait de plus en plus, et la Bête grondait en moi. Elle aussi s'agitait. Et ça ne m'aidait pas à gérer mon état.
Maximilian se gara sur le parking, parfaitement conscient de mon état. Sa main se posa sur ma cuisse, rassurante, ce qui me sortit de mes pensées :
– Tu peux m'attendre ici si tu veux, je n'en ai pas pour longtemps. Je vais le récupérer et je reviens.
– Si déjà tu me fais venir, autant que je te mène à bon port.
Puis, au fond de moi, quelque chose me poussait à y retourner. À affronter ma peur, apprivoiser cet endroit, le conquérir, en faire un territoire qui m'inspirait le pouvoir plus que la peur.
Et la Bête semblait ravie de cela. Ce qui n'était pas étonnant. C'était ainsi que raisonnait un Alpha face à une situation ; soumettre, conquérir, dominer. Et j'en étais un, à présent – du moins, j'en prenais le chemin.
Après m'être détaché, j'étais descendu du 4X4. Maximilian m'imita, plus inquiet que moi. Face au bâtiment, je me sentais tout drôle. La dernière fois que j'étais venu ici, c'était la veille de la Lune Pleine où j'avais tué. Et je ne saurais réellement décrire ce que je ressentais. Un mélange de peur, de fierté, de culpabilité, d'envie d'affronter tout ça, mais de fuir très loin également...
Me confronter à ma vie d'avant, quand j'étais un Bêta et un lycéen lambda, seul et malmené, quel que soit l'environnement, me faisait prendre conscience du chemin parcouru.
Aujourd'hui, je n'étais plus seul dans mon coin, à avoir peur de tout, à attendre que le pire se produise...
J'avais grandi.
Physiquement, déjà, ma musculature se développait à vue d'œil sans que je ne fasse d'exercice physique autre que la marche... j'apparaissais plus viril, plus mature, et sans doute pour la première fois de ma vie, on me donnait plus que mon âge réel.
Mentalement, ensuite, je me sentais plus fort, plus capable de me défendre, plus sûr de mes capacités – et totalement apte à assurer ma propre sécurité. Ce qui était une grande première depuis ma naissance.
Et, au cas où, si j'en avais le besoin, Maximilian était à mes côtés. Et Edward n'était pas loin. Ainsi que la Bête, tapie au fond de moi. C'était sans doute aussi important pour moi que tout le reste, si ce n'était plus.
Les couloirs défilèrent les uns après les autres avant que nous arrivions au bureau du proviseur. J'avais vite retrouvé mes marques et maintenant que je revoyais cet endroit, je le trouvais toujours aussi insécurisant et lugubre. Seulement, je n'avais plus la peur pour tordre mon ventre.
– Hé, Kaeden ? m'interpela-t-on subitement. Ben ça ! c'est vraiment toi ?
J'étais tellement plongé dans mes pensées que je n'avais pas du tout fait attention au jeune homme que nous avions vu passer.
Nous avions fait volte-face en direction de la voix, comme d'un seul homme, et je reconnus Ethan. Un camarade de classe ou quelque chose de ce genre...
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