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Edward vint heureusement à mon secours rapidement. Il me prit le bras en souriant :
– Viens avec moi, la politique c'est contagieux, me glissa-t-il. Ils ne vont pas s'arrêter avant des heures.
J'obéissais finalement, un peu à contrecœur. M'éloigner de Maximilian ne me plaisait pas. Surtout s'il parlait à quelqu'un d'autre, à qui il accordait toute son attention. En moi, la Bête grondait, mécontente, cependant elle ne faisait qu'observer la scène.
Le Chef de Meute m'entraînait à travers la foule, qui essayait de faire comme si de rien n'était, mais... je sentais l'intérêt, les questionnements, les regards sur nous.
Cela ne dura pas longtemps, heureusement. Nous étions arrivés en bout-de-table, où Edward reprit place. Les autres Alphas de sa génération partageaient un verre de bière tout en battant des cartes, échangeant des nouvelles et des souvenirs.
Plus jeune, j'admirais ses Lycans ; ils étaient en pleine force de l'âge, à profiter de la vie pour les uns et de leur famille pour les autres. En plus, ils étaient sociables, chaleureux, enthousiastes... Les voir ensemble faisait du bien.
J'enviais ses types, en fait. Ils étaient populaires, ils avaient des amis, ils étaient toujours là les uns pour les autres, mais également pour le reste de la Meute. Tout le monde les admirait.
Cependant, ce qui me faisait le plus envie, c'était de les voir avec leurs enfants, accourant dès qu'ils avaient besoin d'aide, qu'ils se blessaient ou étaient en danger... J'aurais vraiment aimé être l'un d'entre eux.
Intimidé, je prenais place à côté d'Edward. Personne ne faisait réellement attention à moi, on se concentrait sur la distribution des cartes... mais je ne me sentais pas à l'aise pour autant.
Dire que j'étais assis à cette table parmi eux et... ça me faisait tout drôle d'être là. C'était prestigieux d'être ainsi accepté dans leur petit groupe... Le plus valorisant, c'était sans doute que les regards avaient un peu changé ; à la place de m'ignorer ou de sembler dégoûté, ils étaient amicaux, chaleureux.
– Tu veux jouer ? me proposa Edward.
– Ben je... je ne... je n'ai jamais joué aux cartes.
Avec un grand sourire, il prit le temps de m'expliquer les règles. Concentré, je mobilisais mes neurones pour tout retenir, histoire de ne pas passer pour un idiot devant tout le monde...
Les conversations allaient bon train pendant que je me concentrais pour jouer le mieux possible, captant de temps à autre des bribes de phrases. Je n'osais pas vraiment prendre la parole ou répondre, ce qui semblait les amuser tous.
Je n'étais pas très bon, cependant personne ne me le fit remarquer. On se concentrait plus sur les derniers exploits de Johnathan, l'un des Lycans présents autour de la table que je n'avais vue qu'une ou deux fois. Il était joueur de rugby professionnel. Cela m'arrangeait bien, en réalité.
Après quelques parties, les autres joueurs profitèrent de leurs verres vides pour m'abandonner aux pattes du Chef de Meute. Edward était détendu, il n'avait plus ses soucis qui pesaient sur lui en cet instant et cela se voyait sur son visage.
– Tu veux boire quelque chose ? me demanda-t-il soudainement.
Mon verre de vin était encore plein.
– Tu bois du vin, maintenant ?
– Max m'a servi. Et puis ça me détend un peu.
Je sentais son inquiétude à mon égard. Pour le dissiper, je lui avais souri, cependant cela ne fonctionna pas aussi bien que ce que j'espérais.
– Ça va aller ? si jamais tu te sens mal, tu peux rentrer te reposer. Je ne voudrais pas que... enfin, tu vois.
Il redoutait que je ne lâche la Bête en plein milieu de la fête. La nervosité que je ressentais n'avait rien à voir avec mon problème – pour tout avouer, j'avais totalement oublié ma dangerosité jusqu'à maintenant. La Bête sommeillait malgré tout ce que je ressentais.
– Ça va aller. Je redoute juste un peu... ça me fait bizarre d'être là, parmi tous les Alphas.
– Oh, je vois ! dit-il avec soulagement. Ne t'en fais pas, Max aussi est passé par là. Je suis là pour toi comme je l'ai plus ou moins été pour lui. Tu ne t'ennuies pas trop, à jouer aux cartes ?
Ma réponse par la négative n'avait été que par politesse. Et flatterie aussi, je devais bien l'avouer. Un soupçon de soulagement de ne pas être lâché en plein milieu de la foule, plus seul que sur une île déserte du pacifique... par réflexe, mon regard chercha Maximilian. Il discutait toujours avec le même type et semblait contrarié. Peut-être qu'il ne tarderait pas à me rejoindre.
– Il te regarde souvent, rit Edward en battant les cartes. Il surveille, guette le geste ou propos déplacé, détaille ton attitude... Comme le ferait tout Lycan amoureux.
Mes joues s'empourprèrent. Sa clairvoyance me rendait nerveux. Mon cœur et mon esprit ressemblaient à un livre qu'il avait déjà lu plusieurs fois et pouvaient résumer sans y poser le regard.
– Tu ne devrais pas être gêné, pouffa-t-il en me donnant un petit coup taquin dans l'épaule. C'est flatteur d'avoir un tel Lycan prêt à assouvir tous ses désirs.
Parlait-il en connaissance de cause ? En tout cas, vu son regard malicieux, ça ne m'étonnerait pas !
– Et tu ne... tu ne trouves pas que je sois un peu... « opportuniste » ? J'imagine que tout le monde doit penser que je l'ai séduit juste pour ne pas me retrouver à la rue. Pour l'argent, le confort. Tout ça.
Son expression faciale s'assombrit légèrement. La gravité de ses traits ne me rassurait pas. Le temps qu'il mit à répondre non plus.
– Peut-être que les autres le pensent, mais pas moi. Je sais quel genre de personne tu es, Kaeden, et je ne te pense pas capable d'user de tes charmes pour manipuler Max. Et lui aussi ne se laisserait pas piéger facilement. Et personne ici n'a rien à dire ; tu fais partie de la famille du Chef maintenant.
La dernière phrase me laissa sans voix. Je n'y avais pas encore songé, à vrai dire, même si la différence de mon statut et celui de mon amant ne cessait d'oppresser mon esprit. J'étais son... « beau-frère », j'imagine.
– On ne s'est pas encore... Unis, soufflai-je, le visage rouge de gêne.
– Ne te fiche pas de moi, ricana-t-il, Max m'a avoué ce que vous avez fait au clair de Lune Pleine et ça ressemblait fort à une Union, tout ce qu'il y a de plus officielle.
Oh. Oui. Cette fameuse nuit passée à copuler et dont je ne me souvenais pas... et dire que je m'étais Uni et n'en gardais aucun souvenir !
– On fêtera cela quand ce sera la saison, enchaîna-t-il, si ta stabilité le permet vous participerez à la Chasse, sinon je m'en chargerais avec Danny.
Cette Chasse était particulière.
C'était généralement la première étape qu'un couple Uni franchissait. Même si cela perdait de sa véracité à notre époque. À présent, ce n'était plus qu'une tradition, la plupart des Unis vivaient ensemble depuis plusieurs mois – voir années – avant la Chasse.
Pour diverses raisons, il arrivait que les Unis ne puissent Chasser, on désignait alors un autre couple pour les représenter : des parents, des frères ou sœurs , des amis. C'était un grand honneur pour eux la plupart du temps, mais cette fois, ce serait pour moi que l'honneur serait grand ; le Chef de notre Meute et son bras droit en personne Chasseraient pour moi.
Je me demandais comment Maximilian chassait. Les Lycans de sa stature donnaient le coup de grâce au gibier habituellement, mais étant donné qu'il avait été un Bêta plus frêle, on avait dû lui apprendre à pister les proies, comme moi. Notre Meute ne chassait pas souvent, ce n'était que par tradition que l'on apprenait cette discipline aux Louveteaux.
– J'espère que tu es toujours aussi agile et rapide, me dit le Chef, on manque clairement d'éclaireur digne de ce nom.
– Ehm, je ne sais pas. Peut-être que j'ai perdu un peu de vivacité avec les dix kilos que j'ai pris depuis mon changement de statut.
Mon corps grandissait à vue d'œil ces dernières semaines. Ce n'était pas simplement du poids, aussi du muscle ! C'était sous la douche que je m'en rendais le plus compte. Aussi quand je voulais enfiler certains de mes anciens vêtements, devenu trop petit aujourd'hui. Encore quelques semaines et un peu d'exercice et j'aurais enfin un corps de jeune adulte digne de ce nom.
– C'est vrai que tu grandis plus rapidement que Max. Est-ce qu'il sait pourquoi ?
Un haussement d'épaules fut la seule réponse que je pus lui apporter. Je n'avais aucune idée de ce qui accélérait le processus chez moi. Peut-être mon âge plus avancé que le sien ? Ou mon état physique lors du changement de statut ?
– Il a arrêté de grandir dix ans après le... l'accident. J'espère que ça ne va pas durer aussi longtemps pour toi... sinon tu vas nous dépasser et on aurait l'air idiots.
J'avais souri en assurant que je ferais mon maximum pour ne pas trop grandir. Je vivrais mal d'être plus grand et large que Maximilian, déjà d'une carrure imposante !
– Je sais que je te l'ai déjà dit des dizaines de fois, mais tu peux compter sur moi. En tant que beau-frère, je veux dire – pas simplement un Chef de Meute.
Je ne voyais pas vraiment la subtilité, cependant je fis comme si.
– Tu verras quand tu en auras besoin, me confia-t-il avec un clin d'œil complice. Max m'a dit qu'il avait perdu le contrôle. Quelques heures. Rien de bien méchant, d'après lui, mais je voulais être totalement sûr que tu n'aies pas vécu ça comme une mauvaise expérience.
– Non, je... je crois que ça m'a permis de me rendre compte que je n'étais pas seul. Et que mes agissements avaient des conséquences, sur Max, pas uniquement sur moi. Je ferais attention à ne pas réveiller sa Bête, je te le promets.
Même si je savais que ce n'était pas réellement moi qu'elle désirait et que je ne pourrais avoir aucun contrôle là-dessus.
À ma grande surprise, il ne répondit pas. Il se contenta de me dévisager avec gravité. Que devais-je dire d'autre ? Ce n'était que l'honnêteté de mon ressenti.
– Je savais bien que Max s'occuperait bien de toi, sourit-il. Si jamais il perd à nouveau le contrôle de lui-même, ne le provoque surtout pas. Ce n'est pas une bonne idée. Pas du tout une bonne idée.
Je hochais simplement la tête, intrigué et perplexe, même si je n'osais poser aucune question. Contrairement à lui, avec moi, ce ne serait pas une simple bagarre... Ce serait teinté de sexe, de sentiments, peut-être de haine réciproque. Personne ne pouvait prévoir ce qu'il se passerait à l'avenir, si la relation entre nos Bêtes évoluait, positivement ou négativement...
Ça aurait dû m'angoisser. Comme depuis le départ. Mais quelque chose au fond de moi, peut-être ma Bête ou pas, me rassurait, me sécurisait...
* * *
L
e repas commençait à être servi lorsque Maximilian me retrouva. Sa main se posa sur ma jambe, mes joues se teintèrent d'un rouge vif, ce qui n'échappa à personne. Il marquait son territoire, et ce malgré l'amitié qu'il portait aux Alphas autour de nous. Personne n'osa rien dire ou même s'en moquer.
– C'est bien que tu sois là, Max, tu pourras superviser Kaeden. Le pauvre n'y comprend rien au poker. Heureusement qu'on ne joue paq pour de l'argent, on l'aurait dépouillé.
– C'est sa première fois, c'est normal, sourit le Chef. Et puis il ne vaut mieux pas que Max lui apprenne à jouer !
Tout le monde semblait lui accorder ce point, même si je ne voyais pas pourquoi. Sans doute jouait-il mieux que moi.
– Il triche ! envoya l'un des joueurs.
– Je compte les cartes, corrigea mon amant. Ce sont des statistiques, tu sais. Je te montrerais un jour.
Son regard ardent fut agrémenté d'un sourire complice.
– Ne lui apprends pas à tricher aux cartes ! lui reprocha Edward.
Le débat pour savoir si compter les cartes était tricher ou non démarra et ne fut stoppé qu'une demi-heure plus tard. J'avais découvert une attitude que je soupçonnais chez lui et qui devait bien lui servir dans son travail. Il campait sur ses positions et argumentait avec brio, défendant son point de vue comme un chien le ferait avec son bout de viande.
Un échange de regard avec notre Chef de Meute m'indiqua que cela le passionnait autant que moi, ce débat. Il le dévia habilement sur toute autre chose, pour notre plus grand plaisir...
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