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J'avais faim, pourtant le gargantuesque petit-déjeuner que m'avait préparé Maximilian ne me tentait pas du tout. J'étais si préoccupé et choqué qu'il m'était impossible d'avaler quoi que ce soit.

– Tu as trop mal pour manger ? s'enquit-il alors. D'habitude tu te jettes sur la nourriture... tout va bien ?

Mon hochement de tête vague et le soupir qui suivit ne firent que l'inquiéter davantage.

Avant toute chose, je voulais qu'on soit heureux. Ensemble.

Mais ses dernières heures, j'avais révisé mes volontés : je voulais qu'on soit en sécurité. Risquer nos vies ou notre santé me déplaisait fortement. Le seul moyen de l'éviter, c'était de nous séparer physiquement. Pendant les périodes délicates, mais peut-être aussi les autres, où je pouvais également perdre le contrôle... tout comme lui.

– Kaeden, souffla-t-il pour attirer mon attention, sa main trouvant la mienne, qu'est-ce qu'il se passe dans ta tête ?

–... R-Rien... Je me disais qu'Edward et Luther avaient peut-être raison... ? passer quelques semaines dans son institut pour Lycan Défaillants me ferait du bien.

Cela ne lui plut pas du tout. C'était sa jalousie de Lycan qui parlait – mais peut-être aussi celle de l'humain. Son regard changea, il se fit dur et possessif, juste l'espace d'une seconde. Assez pour que je le voie avant qu'il n'essaye de le cacher.

– Mais pourquoi ? s'étonna-t-il, le ton de reproche allant avec. Ce n'est pas du tout une bonne idée ! ça ne fera que te perturber à nouveau ! Sans compter que la sécurité laisse à désirer, là-bas ! on pourrait s'en prendre à toi !

Je l'avais aussi envisagé, mais ça ne me terrifiait pas autant que l'idée de le perdre. Sachant que je pourrais être les crocs qui saigneraient sa gorge.

Les mots restaient coincés dans ma gorge. Elle était serrée, tellement que je ne savais pas si je pouvais émettre le moindre son.

Pourtant, en voyant à quel point il était contre l'idée de m'éloigner, quelque chose en moi voulait aller contre lui. C'était la première fois que je ressentais une chose pareille. De toute ma vie, je m'étais toujours écrasé, conformé à ce qu'on attendait de moi, soumis à ce qu'on me faisait ou me disait. Et là... là, quelque chose refusait d'agir ainsi. Quelque chose voulait sortir les crocs, gronder, ordonner, soumettre. Quelque chose refusait que je me taise. 

C'était sorti tout seul, sans que je ne me rende compte que ma voix était plus grave, plus assurée, plus intimidante :

– Je suis ton Dominant ici, et regarde un peu l'état dans lequel on est ! tu imagines que j'aurais pu te faire pire ? peut-être que la prochaine Lune Pleine sera ta dernière, parce que je... parce que je t'aurais tué ! c'est ça que tu veux ? Que je tue une seconde fois ou que je te blesse sérieusement ? T'es prêt à parier ta vie là-dessus ?

Sa gravité – teinté d'un peu de surprise – accentua mon état ; je l'accusais du regard, attendant sa réponse, prêt à parer tout ce qu'il dirait et défierait mon autorité. C'était tout nouveau pour moi de ressentir ses choses, d'agir ainsi, d'être guidé par quelque chose d'aussi puissant, d'aussi intransigeant, d'aussi... dominant.

C'était là l'instinct d'un Alpha et même si je savais vaguement ce que cela voulait dire en cet instant, en le ressentant, je le comprenais parfaitement.

Maximilian m'étudia longuement avant de répondre, comme s'il hésitait. Il avait beau s'être soumis à moi, il restait l'adulte responsable ici. C'était lui qui devait me guider, m'aider. Peu importe que je domine ou non.

– On ne s'est pas battu, avoua-t-il alors. Enfin, pas comme toi tu l'entends. Et tu n'avais aucun désir de me tuer. Au contraire.

Je le toisait sans comprendre, n'affichant qu'un trouble modéré, même si au fond de moi j'étais totalement perdu. Il ne mentait pas, je le sentais, mais nous étions recouverts de preuves douloureuses... Et le jardin en avait été la scène de crime !

Il dévia le regard, rougissant un peu – et je me surpris à trouver ça aguichant :

– On a copulé, lâcha-t-il finalement. Comme des Lycanthropes, pas ce qu'on fait habituellement...

Je restai figé quelques secondes.

– De quoi ? Mais non ! C'est impossible !

Enfin, en soi, c'était possible... ça arrivait souvent que des couples passent toute ou partie de la nuit à faire ce genre de choses, notamment au début, mais... si pour nos parts d'humain, coucher était une chose banale et commune, pour ce qui était de nos parts de loups, c'était beaucoup plus décisif. Presque définitif.

On appelait ça une Union et, lorsque c'était fait sous l'éclat de la Lune Pleine, c'était officiel. Officiel que l'on s'appartenait. Officiel que ma Bête et la sienne étaient liées. Officiel qu'il serait mon partenaire devant les autres comme devant la Lune et ce jusqu'à ce que la mort – ou quelque chose de réellement fort – nous sépare.

Ça m'avait pris un moment pour encaisser ça. Je n'en espérais pas autant – même si ça me soulageait grandement, au final. Nos Bêtes s'entendaient – beaucoup trop bien pour le jardin – et c'était tout ce qui importait...

– Mais je... je n'ai pas du tout mal à... cet endroit...

Il baissa le regard :

– Parce que tu es mon Dominant... ce qui veut dire que je me suis offert aux désirs qui étaient les tiens. Enfin, ce que tu avais en étant... pas vraiment toi-même. Et il semblerait que ma Bête accepte la Dominance de la tienne. Comme elle le fait avec Eddy ou mon père quand il était encore en vie.

Je le toisai, interdit, en essayant d'imaginer la scène.

Ça me semblait fort probable. Au fond, sa Bête n'était pas bien difficile à comprendre... elle n'avait rien de dangereux – du moins pour moi. Tout ce qu'elle cherchait, c'était les faveurs de ma Bête. Ce qui échappait visiblement à Maximilian.

– Ça n'a pas l'air de te surprendre, m'adressa-t-il alors.

– Elle m'a dit qu'elle voulait nous posséder, pas nous détruire, murmurai-je. Je suppose que ça va dans les deux sens.

Une grimace frustrée lui échappa. Je me sentis obligé de poser ma main sur la sienne pour le rassurer.

– Je n'ai aucun souvenir de cette nuit, marmonna-t-il, et ça me rend fou, parce que c'était sans doute la plus importante pour nous...

J'aurais voulu lui dire qu'il y en aurait d'autres et qu'au fond, il valait mieux ça qu'un bain de sang, mais moi aussi ça me frustrait.

– Et l'état du jardin... ? demandai-je pour faire diversion, c'est normal ?

Un petit sourire discret naquit sur ses lèvres lorsqu'il plongea son regard dans le mien :

– C'est la période de reproduction, ajouté au fait que c'était notre nuit d'Union, je dirais qu'on a été sages, vu les circonstances...

Face à mon ignorance et mes interrogations, il se décida à me faire un cours sur la sexualité débridée de mon espèce en période de Lune Pleine. Surtout pendant cette période de l'année ; celle de la reproduction – bien que ne soyons pas vraiment des femelles.

À cause de l'influence du calendrier, les hormones augmentaient, le désir également. Additionné au fait que nous soyons deux mâles qui se tournaient autour depuis un temps, ça n'avait rien arrangé. Entre bagarre érotique et copulation en règle, nous avions saccagé le jardin à coup de reins.

J'étais rouge cramoisi de gêne, mais cela semblait plus l'amuser qu'autre chose... Je n'avais jamais parlé de sexe – encore moins sous forme de loup – à personne et personne ne m'avait jamais parlé de ça... j'étais content que ce soit lui qui le fasse.

– Ça devrait d'autant plus être grave que nos quelques écorchures, conclut-il, étant donné que nous avons tous les deux perdu le contrôle.

Les mots de sa Bête résonnèrent dans ma tête - je veux te posséder, pas te briser. Même si actuellement c'était plus ma Bête qui possédait la sienne, ça semblait lui aller. Elle n'avait pas essayé de reprendre le dessus – ou alors, elle avait échoué, mais vu la différence de carrure, je ne pense pas qu'elle aurait eu beaucoup de mal à inverser la tendance.

Après m'avoir indiqué qu'il n'avait pas la moindre idée de pourquoi cela n'avait pas eu lieu, il se ravisa presque :

– Peut-être que je n'ai juste pas oublié à quel point je t'aime, que mon rôle était de te protéger, pas de te blesser... ou peut-être que ce n'est pas que ma partie humaine qui tient très fort à toi. 

Mes joues s'empourprèrent et mon ventre eut une drôle de sensation en entendant ses paroles. Si c'était effectivement le cas, la sincérité de ses sentiments ne pouvait plus être remise en cause.

De nature fidèle, un Lycan restait souvent méfiant envers ses sentiments avant de réellement se décider. Après cela, il devenait un allié sur qui on pouvait toujours compter, un protecteur sans peur, un amant attentionné.

Dans les relations homosexuelles entre Lycan, il devait obligatoirement avoir un Dominant, or, le fait qu'il ne revendique plus cet ascendant sur moi trahissait clairement mon nouveau statut ; j'étais son partenaire, son compagnon, son amant, le loup avec qui il était Uni – celui qui faisait partie de soi-même.

– Alors tu... tu m'aimes vraiment à ce point ?

Malgré sa gêne, il répondit :

– Je te l'ai dit : c'est difficile de trouver quelqu'un sur cette île, tout en étant le frère d'un Chef de Meute, et un loup Défaillant. Et toi tu acceptes tout ça à la fois, sans être dégoûté par le sexe entre hommes – que veux-tu que je te dise de plus ?

– Euh... Me dire que tu me préfères moi à l'aspect pratique que j'ai l'air d'avoir, déjà ?

– Tu m'as très bien compris.

Bien évidemment ! Je le taquinai un peu.

Jusqu'à présent, il était dans une phase d'apprivoisement. Moi je l'aimais, le désirais, donc respectais la distance dont il avait besoin... Et puis c'était la première fois que je tombais amoureux, je n'avais pas son vécu et la méfiance qui en découlait.

À présent, j'étais totalement sûr et certain qu'il partageait mes sentiments. S'il perdait le contrôle, je ne risquais rien.

Sauf en cas d'extrêmes bouleversements hiérarchiques – ce qui pourrait éventuellement arriver si l'on vivait à nouveau parmi la Meute. Ce qui n'était, bien évidemment, pas du tout au programme.

– Je ne t'ai pas fait trop mal ?

– Ne t'en fais pas, j'ai déjà vécu pire nuit. Et puis tu es plus petit que moi, il faudrait vraiment beaucoup le vouloir pour me faire très mal.

J'avais soudainement des images de Luther et Maximilian qui me vinrent en tête... Ce type était bien capable de lui avoir fait mal. Et ça me mettait hors de moi.

– N'essaye pas d'imaginer des choses, susurra-t-il à mon oreille, je ne me suis jamais offert à personne les soirs de Lune Pleine...

J'en frissonnais de plaisir... Dire que j'étais le seul, ça gonflait mon ego, ça me plaçait au-dessus de tous les autres et j'en étais ravi. Aujourd'hui, c'était moi qui le possédais, moi qui Dominais.

Sans prévenir, je l'avais embrassé, il se laissa faire sans résister.

Rassuré, j'attaquai les pancakes avec appétit, ce qui l'avait fait doucement sourire.

– ... Si jamais Luther et moi on se retrouve truffe à truffe, commençais-je subitement, et qu'il s'avère que tu sois au milieu, tu penses qu'on se battrait pour t'avoir ?

Son petit froncement de sourcils lorsqu'il réfléchissait était tout bonnement irrésistible. Dommage qu'il ne resta pas longtemps visible, au profit d'un petit air narquois :

– Ce serait tragico-romantique, dis-moi...

– Un carnage, plutôt. Il est encore plus gros que toi !

– Peut-être... Mais comme tu es mon Dominant, je devrais t'aider. Et j'ai pas mal de comptes à régler avec lui, donc je me battrais moi-même.

Soit. Il y avait tellement de choses négatives entre eux que je ne devrais pas me sentir en danger, pourtant je ne pouvais m'empêcher de crever de jalousie. Dire qu'il l'avait eu pour lui. Si je voyais encore ce type s'approcher de lui, je l'attaquerais, juste pour le plaisir de le voir à terre, lui rendre la monnaie de sa pièce, prouver qu'il m'était inférieur...

Même si ce n'était clairement pas le cas.

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