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Nous avions déjeuné dans une ambiance étrange ; un peu lourde, malgré la bonne humeur d'Edward. Luther restait impassible, silencieux.
Mon Chef de Meute s'intéressait de près à tout ce qui constituait ma vie actuelle, comme mes cours, nos séjours à Glasgow, omettant sciemment de trop aborder le sujet de la Défaillance... et visiblement il se fichait totalement que l'on soit les seuls à parler.
Maximilian restait totalement mutique, mâchonnant sa viande sans réellement manger, ne levant les yeux plus haut que son verre de vin... c'était assez étrange pour moi de le voir aussi fermé. D'habitude, même quand il ne parlait pas trop, son regard croisait le mien, il m'adressait un sourire, un hochement de tête... mais là, strictement rien. C'était comme s'il était seul dans cette pièce. Et cela ne lui ressemblait pas du tout.
Luther, quant à lui, déjeunait dans un silence digne, ne répondant que brièvement aux questions qu'on lui posait. Comme une caricature d'aristocrate anglais qui aurait pu me faire sourire si ça ne me mettait pas mal à l'aise...
En réalité, ce qui me mettait le plus mal à l'aise, c'était son regard. Je voyais la Bête danser derrière ses iris ambrés, menaçante, désireuse de jouer avec le danger, voire mortellement, avec celui qu'il ne lâchait pas du regard.
J'étais encore trop naïf pour comprendre ce à quoi j'assistais, pensant simplement que Luther voulait renouer le contact avec Maximilian, attendant son approbation pour lancer la conversation, renouer leur amitié passée...
Mais c'était bien plus crû et subtile que ça.
Après avoir raccompagné Luther à terre, une fois le déjeuner terminé, nous avions fait un petit tour en ville. Maximilian ne desserrait toujours pas la mâchoire et je commençais à m'inquiéter... Edward ne me lâchait pas une seconde, ne se préoccupant pas du tout du mutisme anormal de son frère. Soit parce qu'il ne s'en rendait pas compte, soit parce qu'il s'en fichait, soit parce qu'il en était à l'origine et refusait de s'excuser.
Et moi, j'étais au milieu de tout ça, incapable de déterminer ce qu'il se passait exactement. Et ça m'angoissait. Je sentais cet horrible sentiment se propager en moi comme un serpent, m'empoisonnant peu à peu avec ses idées noires... je me sentais sans défense, en danger, incapable de repousser ces pensées malsaines. Je ne comprenais rien à cette situation et le stress que cela générait me déstabilisait totalement.
* * *
Dans la soirée, après un dîner gargantuesque, Edward était allé se coucher tôt. J'aidais Maximilian à faire la vaisselle dans la cuisine, espérant pouvoir lui parler. Il ne décrochait toujours pas les mâchoires, lançant des éclairs avec son regard - c'était presque pire qu'avant !
Ce qui ne m'aidait pas à aller vers lui. Même ouvrir la bouche pour lui demande si ça allait. Par contre, ça accentuait bien mon mal-être déjà bien difficile à gérer... Et impossible pour moi de mettre des mots là-dessus.
J'avais beau chercher, je ne trouvais toujours pas ce qu'il lui prenait. Ce matin, il semblait aussi impatient que moi de voir Edward, donc ça ne devait pas être après lui qu'il en avait subitement. Pendant le déjeuner, je pensais que c'était la présence de Luther qui le contrariait, mais il avait disparu depuis des heures et Maximilian ne se calmait pas...
Il ne restait qu'une solution :
- Tu es fâché contre moi ? lui demandai-je, sans préavis, lorsqu'il me tendit une assiette pour que je l'essuie.
Son regard trouva le mien, passant de colère à surprise en l'espace d'une seconde :
- Pourquoi ça ? Tu as fait quelque chose de mal ?
Un haussement d'épaules pendant que je fuyais ses iris, fut ma seule réponse. Je n'osais pas lui demander s'il avait appelé Luther lui-même ou si c'était une simple coïncidence que ça arrive après la dernière Lune Pleine... J'avais peur de la réponse.
- Toi et ce type vous vous connaissez depuis longtemps, murmurai-je après un long silence. Eddy ne se souvenait même pas qu'il existait et...
- Où tu veux en venir, exactement ?
Ça m'agaçait un peu qu'il fasse l'incompréhensif - ne déduisait-il pas tout seul que j'avais tout compris ? Il manigançait avec un ami de longues dates pour se débarrasser de moi. Le fait qu'il soit médecin et intéressé par mon cas devait être une excuse parfaite vis-à-vis d'Edward... Et Luther y trouvait lui-même son compte en me récupérant comme patient.
- Quelque chose ne va pas ? enchaîna-t-il, plus doux.
Son attitude me mit hors de moi. Je ressentais à nouveau cette chaleur, ce sentiment d'invulnérabilité. Peu à peu, l'angoisse laissa place à la frustration, à cette envie - non, ce besoin - d'affirmer haut et fort mon autorité...
L'influence de la Bête bouillonnait dans mes veines, je ressentais sa rage, sa frustration, son désir de soumettre à l'autorité celui qui remettait en question ma légitimité ici, sur mon Territoire. Et ça, c'était intolérable pour elle.
Je serrais le poing, affrontant Maximilian sans tenir compte de sa carrure plus importante que la mienne ou de la possibilité que sa Bête à lui se sente elle-même défiée, qu'elle attaque à son tour, qu'on se batte, peut-être à mort.
- Tu pouvais me le dire, lui reprochai-je dans un grondement, incapable de contrôler ma colère - notre colère, à moi et à la Bête. Ce n'était pas la peine de manigancer dans mon dos ! en plus c'était tellement gros ! juste après ta soumission, comme par hasard ! arg, ce que je peux te détester !
La Bête commençait à prendre le dessus sur moi. Je voyais la scène, je comprenais ce qu'il se passait, mais je ne pouvais pas l'arrêter. Pire, je ne voulais pas l'arrêter.
Je ressentais une telle colère envers Maximilian, si forte que je ne comprenais même pas comment je la contrôlais...
Mon cœur battait à tout rompre, irriguant la moindre veine dans mon être de la haine qu'il m'inspirait en cet instant... Je ne demandais qu'à exploser, à faire sortir tout ça de moi, telle une bête plus cruelle que celle qui m'habitait, aussi impitoyable et dévastatrice que la Mort elle-même.
L'objet de cette colère se décomposait tout en reculant, puant la peur et la détresse, ce qui me ravissait grandement. J'étais le maître ici. Cependant cela ne suffirait à apaiser ma colère noire.
- Kaeden, je t'en prie, m'implora Maximilian, je n'ai appelé personne, crois-moi - et surtout pas Luther...
- Ne me prend pas pour un idiot ! avais-je rugi, tu veux juste te débarrasser de moi ! ton égo de Mâle Alpha ne supporte pas que j'aie pris le dessus ! Mais ça ne va pas se passer comme ça, tu t'es soumis moi, tu dois m'obéir - est-ce que tu le comprends, ça ?!
Tandis que je m'apprêtais à le frapper avec toute la rage que moi et la Bête ressentions à son égard, il recula au maximum, abasourdi par mon comportement.
Il comprenait bien que je n'étais pas dans mon état normal, que la Bête était de sortie, mais cela ne l'empêchait pas d'être sous le choc, incapable de déterminer ce qu'il devait faire... Agir ou subir ? Avec les conséquences que cela aurait, aussi imprévisibles que ce que j'allais lui faire moi-même.
Je franchissais le mètre qui nous séparait sans attendre, levant la main, prêt à l'abattre sur lui pour punir sa défiance, sa lâcheté, le soumettre totalement à mon autorité... Jamais je n'aurais levé la main sur lui si cette rage ne m'y avait pas poussé.
Par réflexe, Maximilian attrapa mon bras, stoppant net mon geste. Sa poigne entravait ma main et ça ne me calmait pas du tout...
- Lâche-moi ! hurlai-je alors, me débattant avec ardeur. Comment tu peux me faire ça ! j'avais confiance en toi ! j'avais confiance, merde ! tu m'as trahi !
Sans pouvoir prévenir, je l'avais poussé contre la table de la cuisine. Ma force le surprit autant que moi. Il se rattrapa tant bien que mal sur la pauvre table. Une partie de la vaisselle tomba par terre dans un fracas assourdissant.
Cela ne m'arrêta pas. Au contraire, je me sentais de plus en plus sûr de moi, de ma force, de mon invincibilité.
Déstabilisés par cette force insoupçonnée et inattendue dirigée contre lui, Maximilian et sa carrure si importante semblaient si faibles... lui qui m'apparaissait si grand et fort d'habitude !
À défaut de répliquer, il devait trouver un moyen de calmer ma colère, de s'en sortir sans trop de dommages...
- Kaeden, tenta-t-il, tout va bien ! je ne veux pas me débarrasser de toi - où est-ce que tu es allé chercher ça ? au contraire, je veux que tu restes près de moi !
Loin de m'apaiser, ses paroles alimentèrent un peu plus ma colère.
Je l'avais déstabilisé, il était trop choqué pour résister ou m'arrêter. Et moi, je perdais peu à peu le peu de contrôle que j'avais sur moi-même... La réalité me semblait lointaine, comme si je rêvais, plongé dans un demi-sommeil, mais toujours spectateur de tout ça. La Bête semblait vouloir que j'assiste à ça - mais pourquoi ? mystère pour le moment.
- Tu mens ! tu ne fais que ça ! me mentir, pour mieux me manipuler, mais ça ne va pas continuer longtemps ! tu n'as pas le droit de faire ça, tu n'as aucun droit sur moi !
- Kaeden, je t'en prie ! je n'essaye pas de te manipuler, je ne veux pas que tu partes, encore moins pour aller chez ce sale type ! je te jure que je dis la vérité !
- Tu mens ! Tu as trahi ton Dominant ! Tu m'as trahi !
Ma voix, rauque et menaçante, était plus celle de la Bête que la mienne... sa terreur se trahissait sur ses traits, dans son odeur - ça n'attendrissait, ni moi, ni ma Bête. Il avait trahi et devait être puni.
Je m'étais emparé d'un long couteau de cuisine, un de ceux avec lesquels il m'avait appris à couper les légumes et la viande il y a peu. Il était là, à proximité de ma main, comme un signe de la Lune elle-même... Après avoir laissé mon regard et mes doigts parcourir la lame aiguisée, je l'accusai du regard :
- Tu as trahi, grondais-je, tu me défies, tu me menaces, tu essayes de te débarrasser de moi... et je ne te laisserais pas faire !
- Kaeden, arrête ! je ne sais pas ce que tu me reproches, mais ça ne doit pas valoir le prix du sang ! je ne t'ai pas menti, je ne t'ai pas trahi ! jamais je ne ferais quoi que ce soit qui te fasse plonger !
L'entendre dire cela me mettait hors de moi. Ainsi, on jouait les victimes, « je n'ai rien fait, je ne t'ai pas trahi » ! Comment osait-il ! Même avec la pression de la mort planant sur lui, il s'entêtait à mentir, à tenter de me manipuler...
Cela n'arriverait plus. Plus jamais.
Tandis que je m'apprêtais à le punir, laver mon honneur de Dominant, passer mes nerfs sur le traître... Edward débarqua dans la cuisine, simplement vêtu de son boxer et plus que choqué de voir la scène qui se déroulait ici.
- Kaeden, arrête ! hurla-t-il en fonçant vers moi.
Surpris, j'avais relâché ma poigne autour du couteau et permis à Edward de me désarmer facilement... il profita de la fenêtre ouverte pour le balancer dans le potager, près des courges.
Profitant de ma surprise, il m'éloigna de son frère et de toute arme potentielle, ce qui me mit hors de moi. Lui, je le voyais comme une menace, comme un Alpha Mâle Dominant qui était sur mon Territoire et qui ne s'était pas soumis à moi... un concurrent défiant mon autorité, que je devais soumettre ou tuer.
La colère ardente qui m'animait occultait tout sentiment que j'avais envers les deux frères. L'admiration, la reconnaissance, le respect, l'attachement sentimental... Tout ça n'existait plus. Il n'y avait que colère, haine et frustration.
Je lisais, dans le regard du Chef de Meute, qu'il était déterminé à ne pas se laisser faire. Maximilian s'était soumis, avec docilité, mais lui ce serait différent... Lui, il ne se laisserait pas impressionner si facilement. Je devrais l'affronter, le soumettre, revendiquer sa place avec toute la rage et la détermination de la Bête. Il n'y avait aucune autre solution ; ça devait dégénérer. Ce serait soumis ou à mort et je ne pouvais pas reculer.
Edward s'approchait de moi, tentant de me soumettre avec son regard, avec un grognement menaçant, en me montrant ses crocs plus gros et longs - ceux du Lycan.
Je me voyais déjà agonisant sur le carrelage froid, mon sang perdant de sa chaleur comme mon corps perdrait la vie. Ce serait long, douloureux, mais inévitable.
Malgré moi, j'avais reculé face à la menace. Je ressentais la pression de sa Dominance qui me soumettait, la gravité de ce moment, celui où je me coucherais ou le ferait se coucher.
J'avais peur, je bouillonnai de rage :
- Tu n'as pas le droit ! rugissai-je, tentant de l'intimider à mon tour. Je me battrais, je te soumettrais !
Je bondis vers Edward avant même de finir ma phrase, bien décidé à me débarrasser de lui. Qu'il soit mon Chef de Meute, celui qui m'aidait, me protégeait, un Alpha qui me dominait clairement n'avait pas la stricte importance ! Je me sentais plus fort que lui, invincible, et je le soumettrais pour le lui prouver !
Et s'il devait mourir, tant pis pour lui.
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