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La fin du mois de janvier annonçait l'arrivée d'Edward au manoir. Cela me trottait en tête depuis des semaines, plus particulièrement ses derniers jours. J'avais redoublé d'efforts concernant mes cours, voulant qu'il soit fier de moi et voit que j'étais bien acclimaté ici. Je pensais que ça le rassurerait, ou, au moins, qu'il ne penserait pas s'être trompé en m'envoyant ici.

J'avais toujours cette angoisse au fond de moi, qu'il me fasse quitter l'île et Maximilian, pour retrouver la Meute ou aller ailleurs. J'avais beau sentir et entendre que mon hôte ne comptait pas me laisser m'éloigner, j'avais un horrible pressentiment qui ne me quittait pas.

Maximilian avait beaucoup de travail et m'avait chargé de tout préparer avant l'arrivée de son frère. J'avais donc passé un coup de balais et de chiffon, aéré un peu, changé les draps de la chambre d'Eddy, fais la vaisselle. Puis je m'étais attelé à la préparation du déjeuner.

Une fois que tout fut prêt, j'attendis de voir le bateau arriver, assis sur le muret qui longeait l'escalier. Le soleil d'hiver était agréable et la température douce !

Aerton s'installa à mes côtés, ma main se perdit sur son crâne. Depuis la dernière Lune Pleine, il restait constamment à mes côtés. Pour me surveiller ou par soumission, je ne saurais dire...

– Ah, je les vois ! lui annonçais-je alors.

Le bateau ne tarda pas à être amarré au ponton. Maximilian me fit un signe de la main, auquel j'avais répondu avec un large sourire. J'étais plutôt de bonne humeur, sans doute l'excitation de revoir Edward.

Celui-ci ne tarda pas à quitter le bateau, emmitouflé dans une grosse veste et une écharpe épaisse, de couleur verte. Le pauvre n'avait pas l'habitude des températures d'ici, auxquelles j'avais dû m'habituer sans le soupçonner...

La présence d'un troisième homme débarquant du bateau m'intrigua fortement. C'était un type aux longs cheveux blonds attachés en une haute queue de cheval, plus grand et fort que Maximilian – qui était déjà lui-même d'une stature imposante !

Ses vêtements noirs unis faisaient ressortir sa pâleur et lui donnaient un air d'agent secret ou de tueur à gages – Maximilian estimait que je regardais un peu trop de films pour mon intégrité mentale, il avait peut-être raison.

Cet homme – peut-être un Lycan, je ne saurais le déterminer à cette distance – ne m'inspirait pas vraiment. Son regard se dirigea vers moi et je me sentais soudainement en alerte. L'instinct me prévenant d'un danger imminent. Soit je devais fuir sur ce caillou flottant, soit je devais attaquer en connaissance de cause.

Enfin, j'allais surtout me contrôler ; je ne risquais rien avec Edward près de moi, encore moins avec Maximilian.

– Kaeden ! m'appela alors Edward, montant les escaliers rapidement. Wow, ce que tu as... Grandis !

Il était vrai que mes vieux vêtements et ceux que j'avais empruntés à Edward étaient un peu justes. J'avais quelques centimètres en plus, pris du poids et un peu de muscle. Pour la première fois depuis longtemps, je n'étais plus trop maigre et je n'avais plus l'air malade.

Cependant, quand Edward se planta devant moi, je me sentais toujours aussi comme un Bêta pas encore tout à fait adulte... Même s'il n'avait pas la taille et la musculature de Maximilian, il restait imposant tout de même !

Je ressentais sa Dominance m'entourer, chose à laquelle je n'étais plus soumis depuis que j'étais sur l'île... la retrouver m'avait figé quelques secondes, ce que le Chef de Meute n'avait pas eu de mal à identifier. Son sourire chaleureux occulta rapidement ces sentiments d'oppression et de soumission qui m'assaillissaient.

Je m'étais laissé enlacé sans l'esquiver ou le repousser – ce qui était rare – profitant du sentiment de joie qui me réchauffait l'estomac. C'était idiot à dire, mais il m'avait manqué.

L'étreinte ne dura pas longtemps, puis son regard parcourut mon visage, pendant qu'il remettait de l'ordre dans mes cheveux que le vent marin décoiffait sans arrêt.

– Max m'a dit que tu étais en forme, mais je préfère m'en assurer moi-même !

– Je vais bien... enfin, je crois.

L'inconnu ne tarda pas à nous rejoindre. Des frissons parcouraient ma peau, les battements de mon cœur s'accéléraient... J'avais une envie de fuir le danger qu'il représentait, mais Edward m'en empêcha en passant son bras sur mes épaules.

Une fois que je l'avais étudié de plus près, il me semblait avoir déjà rencontré ce type... Enfin, je me souvenais de cette sensation particulière de domination qu'il dégageait, de cette haute taille et de ce regard pénétrant, de ses cheveux blond pâle.

– Allons à l'intérieur, il fait trop froid pour moi ici, lança Edward, tu n'as pas froid avec une si petite veste ?

– Euh... non, pas vraiment, mais Max, il...

– Il arrive, ne t'en fais pas ! j'ai des bagages et Luther a soif.

Je plissais les yeux, à la recherche d'éléments concernant ce prénom dans ma mémoire. Je connaissais cette présence, ce prénom ne m'était pas totalement inconnu, mais où est-ce que j'avais déjà croisé ce type ?


Pendant que je réfléchissais, nous nous étions installés dans le salon. Je cherchais Maximilian du regard vainement – et je pensais que les deux autres l'avaient vu. Pour échapper au face à face avec cet inconnu, j'étais parti faire du thé. Ils discutaient, mais je ne comprenais rien de la cuisine.

Ce fut quand je me rassis, après avoir servi les tasses, qu'enfin Edward se décida à me le présenter en bonne et due forme :

– Kaeden, je te présente Lu–

– Luther Forst, coupai-je alors, soudainement frappé par un souvenir, oui, je me souviens de vous... vous étiez venu chez moi, une fois. Avec pleins de Lycans... de gros Lycans, ils m'avaient fait peur.

Je m'en souvenais parfaitement maintenant !

C'était avant qu'on n'emménage au sein de la Meute du père d'Edward et Maximilian. Ce type avait débarqué dans notre maison – à l'époque, nous n'avions pas de maison à proprement parlé, mais une caravane en pleine forêt – entouré d'une partie de sa Meute. J'étais dans un fourré et avait tout observé de loin, apeuré par tout cet attroupement devant chez moi. Ils étaient partis une heure après leur arrivée et mon père avait passé la semaine à maugréer tout seul sans me donner d'explications. J'avais juste entendu ce nom, « Luther Forst », plusieurs fois. Ça m'avait marqué.

– Oh, dans ce cas, excuse-moi, dit-il sobrement. Ce n'était pas dans mon intention de t'impressionner. Loin de là. Je me souviens de cette fois où je suis venu voir ton père, cela remonte à plusieurs années.

– J'avais neuf ans. C'était juste avant qu'on ne déménage.

– ... T'en as de la mémoire, bon sang, souffla Edward, je me souvenais même plus que ce type existait !

Cela vexa un peu le concerné, cependant Edward l'ignora royalement.

Faire face à ce gros Alpha Dominant blond me faisait toujours aussi peur, qu'Edward soit là ou pas, mais je restais assis là, priant pour que quelqu'un me demande de quitter le salon.

Pendant qu'ils échangeaient de banalités, Maximilian montait les bagages dans son coin, le lâcheur ! Ne pouvait-il pas venir s'installer ici ? Ça me rassurerait grandement.

– Bien, si nous entrions dans le vif du sujet ? proposa Luther, après avoir décliné la seconde tasse de thé. Je ne peux pas laisser ma Meute livrée à elle-même plus que nécessaire.

– Euh, ouais. Je ne veux pas le brusquer, d'accord ?

Leurs regards me trouvèrent et je me sentis soudainement pris au piège. L'idée que ce type venait de loin juste pour moi me tendait légèrement. J'avais peur de ce qu'il me voulait, de ce que cela allait entraîner.

– Je ne sais pas si tu connais la réputation de Luther et de sa Meute.

Aucune stricte idée et mon regard vide le leur indiqua.

– Je suis médecin. Pour Lycan, plus spécifiquement. Je m'intéresse à des cas très particuliers depuis plusieurs années, et j'aide certains de ces cas à surmonter leurs difficultés.

Je fis bien évidemment le rapprochement : il s'intéressait aux cas comme le mien. Des Bêtas qui devenaient des Alphas du jour au lendemain et subissaient les maux dont je souffrais... Des Défaillants.

– La plupart des cas que je rencontre sont des Omégas qui deviennent des Bêtas, enchaîna-t-il, ce sont les cas les plus fréquents et ils n'ont besoin que de quelques mois d'adaptation, bien suivis ils peuvent être réinsérés au sein de leur Meute d'origine. 

Mais, bien évidemment, je ne pouvais pas faire partie de ces cas-là...

– Cependant, il arrive que des cas comme le tien se déclarent. Des Bêtas qui deviennent des Alphas. Ils sont beaucoup plus longs et difficiles à traiter, seulement je peux t'assurer d'avoir réussi à réinsérer plusieurs Lycans dans leur Meute. D'autres dans des Meutes différentes, mais ceux-là restent des cas particuliers.

J'avais peur de comprendre. Voulait-il que je devienne l'un de ses patients ? Que je le suive dans sa Meute – ou cet endroit où il gardait ses patients ? Peut-être que c'était un hôpital géant pour Lycan, ou une prison, ou un mélange des deux... Ça me faisait peur. Et mon corps le trahissait clairement.

– Je t'avais dit que ça le brusquerait, soupira Edward.

Il s'assit à mes côtés et m'entoura de son bras :

– Ça n'a rien d'une prison, crois-moi, me rassura-t-il. C'est un village comme le nôtre, avec quelques spécificités, pour éviter certaines situations dangereuses... Je pensais que te proposer d'aller là-bas quelque temps serait une bonne idée.

– Pour que je joue les cobayes ? m'outrai-je alors.

En réalité, je voyais cela comme un moyen de se débarrasser de moi. Peut-être même que c'était Maximilian qui le lui avait suggéré, parce qu'il en avait assez que je sois dans ses pattes en permanence.

– Ce n'est pas comme ça que je vois mes patients, corrigea Luther, un peu fermement. Par ailleurs, étudier un cas comme le tien pourrait m'aider à avancer dans mes recherches. Il est hors de question de faire la moindre expérience sur toi, simplement de t'observer, discuter, t'aider à trouver un équilibre. La seule contrainte que j'impose, ce sont des visites médicales régulières pour contrôler ton évolution.

Ça semblait loin de mon idée d'hôpital psychiatrique-prison pour Lycan Défaillant. Enfin, on n'était pas à l'abri quand même ! Peut-être qu'ils endormaient ma méfiance pour m'y faire aller plus facilement... voilà que je doutais je mon Chef de Meute !

– Et tu veux que j'y aille ? lui adressai-je alors.

– Euh... je ne vais pas te forcer, mais ça pourrait te faire du bien. Luther vit en pleine forêt, il y a des Lycans de ton âge, assez d'espace pour te dégourdir les pattes. Tu n'es pas obligé d'y rester longtemps, quelques semaines, ou plus, ou moins. Tu pourras revenir ici ou chez nous, quand Luther et toi sentirez que le moment sera arrivé.

Je n'avais aucune envie de partir d'ici. Strictement aucune. Je m'y sentais bien, en sécurité, à l'abri de tout ce qui pourrait être négatif. Je dormais presque correctement. Sans compter la présence rassurante de Maximilian, qui gérait mon état avec brio. En lui, j'avais toute confiance, pas du tout en ce type ! encore moins en ses méthodes !

Je le toisais avec méfiance. Quelque chose n'allait pas avec lui. Je ne saurais dire quoi, mais il ne m'inspirait pas du tout ! J'aurais voulu que Maximilian m'ait parlé de cette visite, qu'il m'ait donné son avis – n'importe quoi qui m'aiderait à y voir plus clair.

– Je ne te demande pas de répondre tout de suite, dit Luther, calmement. Prends ton temps pour réfléchir, je suis sûr que tu sauras quelle est la bonne décision.

C'était tout réfléchi ! hors de question que je suive ce type dans une Meute inconnue pour être son cobaye ! on me forcerait peut-être à y aller, mais je n'en aurais pas envie. Je me sentais bien ici, avec Maximilian !

L'idée qu'il tente de se débarrasser de moi, de la corvée que c'était de s'occuper de moi, me reprit de plus belle. Toutes ses belles paroles sur le fait qu'il soit content de m'avoir près de lui...

Luther me fit sortir de mes pensées sombres :

– Est-ce que tu me permets de t'ausculter ? Je veux m'assurer que tout va bien physiquement.

– Euh... C'est vraiment obligé ? je vais bien...

– Imagine que c'est un médecin normal, insista Edward. Ce n'est pas rien ce qu'il t'arrive et ça rassurerait tout le monde d'être sûr que tout va bien...

J'avais fini par accepter, à contrecœur.

Je me méfiais de ce type comme de la peste. Je frissonnais toujours en croisant son regard, je ne me sentais pas du tout à l'aise face à lui. Et maintenant, j'allais me retrouver seul dans une pièce, pendant qu'il m'ausculterait, ce qui serait, à n'en pas douter, horriblement gênant. 

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