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Dès le lendemain, je m'étais attelé à reprendre la guitare. Mes doigts et mon esprit étaient rouillés... j'avais quatorze ans la dernière fois que j'en avais tenue une et cela se sentait. Malgré tout, je ressentais de la joie. C'était sans doute le plus beau cadeau que j'ai jamais eu et ça me faisait d'autant plus plaisir que ce soit Maximilian qui me l'ait offert.

Mon hôte lisait dans le salon, alternant le journal, une encyclopédie sur la Lycanthropie et des romans policiers dont il était friand. Je me sentais un peu mal à l'aise de le laisser tout seul en bas, aussi multipliais-je les pauses pour aller lui parler. Bien que je le dérange dans sa lecture – et qu'il ne supporte pas cela habituellement – il ne me mettait pas mal à l'aise en me faisant la remarque.

Le temps ne se prêtait pas vraiment à des sorties, ce qui le frustrait un peu ; pour une fois qu'il avait un peu de temps à me consacrer en dehors de mes cours. Je pensais aussi qu'il était un peu gêné de ne pas pouvoir m'emmener me balader dans la région. Que ce soit en forêt ou ailleurs.

En soi, ça ne me faisait pas grand-chose... tout me paraissait paradisiaque ici – si on passait la pluie, les courants d'air et les bruits du vieux manoir, parfois inquiétants. Je me sentais heureux et serein pour la première fois depuis longtemps. Et j'aurais vraiment aimé que ça dure toute ma vie.

Lorsque je sortis mon nez de ma chambre, la veille du Nouvel An, je n'avais trouvé personne en bas. Il était neuf heures et Maximilian semblait avoir déjà déjeuné. Étrange. Les autres jours il m'avait attendu.

Enfin, peut-être qu'il était au téléphone ou quelque chose du genre. Je buvais un café froid sans m'en soucier, plus préoccupé par ma soudaine solitude. 

Les chiens semblaient être partis, eux aussi... Vraiment étrange.

Peut-être que Maximilian était parti se recoucher avec eux ? Cela ne lui ressemblait pas de traînasser au lit, mais après tout, il était en vacances...

Une fois un bol de café froid terminé, j'entendis Aerton descendre les escaliers. Sa démarche pataude, négligeant complètement discrétion et grâce, était reconnaissable entre mille... Le vieux chien ne tarda pas à me retrouver, battant de la queue en posant sa tête sur mon genou.

– J'ai failli avoir peur, lui soufflai-je en caressant sa tête.

Comme s'il répondait, il poussa un long soupire las. J'étais un peu rassuré qu'il soit là. Oh, pas que j'avais extrêmement peur, mais je n'étais pas vraiment tranquille entre ses murs avec une tempête qui s'annonçait dehors. Jusqu'à présent, Maximilian ne m'avait jamais laissé seul ici.

Histoire d'avoir le cœur net des doutes qui me prenait l'esprit, j'avais frappé à la porte de son bureau. Peut-être qu'il s'était isolé parce que je l'ennuyais à l'interrompre dans sa lecture ? même si cela ne lui ressemblait pas vraiment de bouder de la sorte, on n'était à l'abri de rien !

– Max, t'es là ?

La porte s'ouvrit toute seule grâce à un courant d'air. Il avait laissé la fenêtre ouverte. S'il pleuvait, ça inonderait le parquet et peut-être même son bureau ! Je l'avais refermée, plus inquiet qu'avant. Tout était étonnamment rangé par rapport à d'habitude. Comme s'il avait tout remis en place avant de s'absenter longtemps. Ou qu'il ait tout emmené avec lui.

Sa chambre aussi était déserte. Il y avait la montre que je lui avais offerte sur sa table de nuit, à côté de ses lunettes de lecture. Soit ; il ne lisait pas. Je m'étais assis sur le bord de son lit, le cœur lourd. C'était stupide, je le sais bien, de m'inquiéter de la sorte. C'est un Lycan Alpha majeur libre de ses mouvements et de se cacher pour me faire peur.

Pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être étouffé par un sentiment d'abandon. C'était stupide. Il avait ma charge, ma garde, Edward le lui avait ordonné, pourquoi m'abandonnerait-il ici ?

C'était sans doute l'obligation le problème, justement. Cependant, j'avais l'impression de tout faire pour ne pas être un poids. Sans doute que j'abusais de sa générosité, de son temps précieux. À cause de moi, il ne pouvait plus vraiment se détendre et profiter de sa petite vie tranquille de célibataire.

Au fond de mes tripes, je ressentis quelque chose d'anormal. En réalité, je connaissais cette sensation... C'était celle qui précédait mes trous noirs de Lune Pleine. Sauf que celle-ci aurait lieu dans dix jours !

Ainsi c'était donc vrai ? Je pouvais perdre le contrôle n'importe quand ?

– Non ! m'exclamai-je alors. Je ne dois pas... Il est dans le coin – c'est sûr qu'il est dans le coin !

J'avais aisément déterminé que le sentiment d'abandon qui m'angoissait était le déclencheur de mon état. Si je retrouvais Maximilian, je ne me transformerais pas – enfin, je me raccrochais à cette idée, je n'étais pas sûr que ce soit la vérité. Je serais un gentil petit loup qui garderait forme humaine... Si seulement je pouvais le trouver !

Oppressé par la peur, j'avais enfilé mon bonnet et m'étais précipité au ponton. Là où le bateau était amarré.

Normalement, en tout cas : il n'était plus là.

– Oh non... Tu n'as pas pu faire ça... Tu ne peux pas me laisser seul ici !

Mon cri se perdit dans le flot des vagues. Elles étaient si cruelles de ne pas répondre ! L'espoir de voir le bateau revenir était la seule chose qui empêchait ma transformation, actuellement. Je tentais vainement de calmer les battements de mon cœur, de dompter l'oppression du sentiment de solitude que je ressentais, de raisonner mon esprit... En vain.

Je ressemblais aux femmes de marins des siècles passés, qui attendaient leurs pêcheurs de maris avec la gorge et l'estomac noués, incapable de détacher le regard de cet horizon désespérément vide...

Les minutes s'écoulèrent lentement. Plus elles passaient, moins je gardais le contrôle. À genoux sur le ponton, sous la neige mélancolique, j'avais fini par céder. Lutter était perdu d'avance de toute façon.

Peu à peu, ma peau blanche et glabre laissait place à des touffes de poils brunes. Mes yeux d'humains, à ceux de la Bête. Mes ongles rongés devinrent griffes acérées. Mes dents, des crocs avides de chair fraîche et de sang.

En moi, l'abandon et la peur disparurent, au profit de la haine violente et brusque d'une bête sans compassion. Mon souffle aussi n'était plus le même, plus rauque, plus bestial.

J'étais encore conscient. Je voyais mes vêtements au sol se recouvrir peu à peu de neige. Balayant l'espace qui m'entourait avec un regard nouveau, je louais la neige qui tombait. Elle me calmait. Elle calmait la Bête. Je priais mentalement pour qu'elle ne s'arrête pas avant que je reprenne forme humaine...

Délaissant mes habits humains dont je me fichais totalement à présent, je remontai les escaliers en trottinant. Sous cette forme, les odeurs de plantes et de l'air marin étaient encore plus vives... Le sel me donnait soif.

Soif de sang.

Dans l'entrée, je fis face à ce que je redoutais le plus ; Aerton. Il semblait sur la défensive, m'aboyant après pour m'impressionner... Il ne me reconnaissait pas. Forcément, j'étais une bête féroce à mille lieues du gamin paumé qu'il côtoyait habituellement !

Malgré moi, je grognai,  je montrai les crocs, je le fusillai d'un regard dominateur et sauvage. Il gémit de peur, la queue entre les jambes, paralysé, incapable de fuir. 

Heureusement ! S'il se mettait à courir, je le poursuivrais comme une proie... le pouvoir que j'exerçais sur lui me procurait du plaisir. Beaucoup de plaisir. J'en voulais plus, incapable de me raisonner.

Avançant vers lui en grondant, il recula de plusieurs pas, avant d'être arrêté par le mur. Un gémissement lui échappa avant qu'il ne se mette en position de soumission.

Cela fit monter en moi un sentiment de toute-puissance ! il était mien ! J'en ferais ce que je désirais ! Si je voulais sa mort, il la subirait. Qu'elle soit longue et douloureuse ne ferait qu'affirmer ma supériorité, apaiserait ma haine, comblerait mon désir de sang.

Les deux autres chiens, enfermés dans la cave, commencèrent à aboyer en grattant la porte.

Ils agissaient comme une Meute tous les trois. Aerton était le plus faible et Eros devenait fou de ne pouvoir l'aider ! S'il savait ! J'allais en venir à lui, mais plus tard !

Pour le moment, Aerton m'était soumis et attendait que je m'occupe de son cas. M'implorer du regard ne servait strictement à rien. C'était un vieillard, pourtant je ne ressentais pas de compassion à son égard. 

Le goût du sang entre mes crocs n'avait aucune limite... Et ma volonté, ma conscience humaine, était totalement annihilée par la soif de sang et la toute-puissance de la bête que j'étais devenu.

J'étais toujours conscient de ce qu'il se passait, seulement, cela ne durerait pas. Et j'étais totalement incapable de lutter contre les instincts de la Bête...

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