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Je m'étais décidé à appeler Edward le jour du Solstice d'Hiver. C'était un jour particulier : celui qui annonçait le début de l'hiver, la fin d'une année et le début d'une nouvelle. C'était le jour le plus court de l'année, celui après lequel les jours rallongeaient – soit le jour parfait pour prendre un nouveau départ.
Les solstices avaient une symbolique particulière pour notre espèce, comme pour d'autres Êtres Surnaturels. Dans certaines Meutes, on avait gardé une certaine tradition communautaire des solstices, quand les fêtes humaines étaient plus réservées au cercle familial, aux amis très proches.
C'était typiquement le cas de la fin d'année ; le Solstice d'Hiver, où toute la Meute se réunissait autour d'un grand banquet, où nourriture et boissons coulaient à flots. Puis venaient les fêtes de Noël, où chacun s'organisait comme il le voulait, en fonction de ses affinités, de sa famille.
Même si Edward était occupé avec l'organisation du banquet qui aurait lieu ce soir, j'avais décidé de lui parler aujourd'hui. Maximilian bouclait un dossier important avant les fêtes humaines et avait prévu de se consacrer à « notre » Noël dès demain... C'était le seul moment où je serais seul et tranquille pour aborder ce genre de sujets délicats.
« – Max ? fit Edward au téléphone. Tu tombes bien, j'allais t'appeler ! Bon Solstice d'Hiver, même s'il doit faire bien froid sur ton caillou. »
– Euh... M-Merci, mais, euh, ce n'est que moi. Kaeden.
« – Oh, pardon, excuse-moi... je n'avais pas fait attention au numéro. Bon Solstice quand même ! J'espère que Max a prévu quelque chose pour l'occasion ! Il n'est pas très tradition, mais tout de même, le Solstice d'Hiver, c'est important ! »
– Ben je... Je n'en sais rien, à vrai dire. Il est occupé avec un dossier depuis qu'on est rentré de Glasgow.
Il m'avait posé des questions banales au possible sur mon séjour. Si j'avais apprécié, si la ville n'était pas trop stressante – heureusement c'était en période de Lune Descendante, il y avait moins de risques que je parte en vrille... Puis j'avais parlé de ce qu'il avait prévu pour les fêtes de fin d'année. De mes cours par correspondance aussi.
Une fois que j'avais épuisé tous les sujets possibles pour retarder celui pour lequel je l'avais appelé, je n'avais plus vraiment d'autre choix que de me lancer. J'avais assuré à Maximilian que je m'en sortirais tout seul face à Eward et ce que j'avais à lui dire... Et je refusais de me dégonfler.
– En fait, je... Je t'appelle pour te parler de... quelque chose.
Il sentit de suite la gravité de mes propos, que je devais trahir avec ma voix.
« – Vas-y, je t'écoute, dit-il après plusieurs secondes de blanc. »
Je rassemblais le peu de courage qu'il me restait. Je devais parler. Même si c'était dur. J'avais promis à Maximilian de le faire.
Pendant de longues minutes, j'avais répété tout ce que j'avais dit à Maximilian la semaine passée, cependant avec moins de violence et plus de cohérence. J'avais eu le temps de ruminer mon discours pendant plusieurs jours, de prendre un peu de distance. Je vomissais moins tout ça. Ce qui était sans doute ce que Maximilian espérait... que ça sorte pour que je digère.
Au téléphone, je n'entendis aucune réaction, même si je me doutais qu'il devait être abasourdi et totalement incompréhensif face à ses soudaines confidences. Il ne devait sûrement pas s'imaginer que j'appellerais aujourd'hui pour balancer autant de choses sur autant de sujets graves.
Sans voix pendant de longues minutes quand j'eus fini d'exposer ce que j'avais à dire, il semblait clairement déstabilisé et pris de cours par toutes ses révélations. Au-delà de m'entendre parler autant pour la première fois de sa vie, il se rendait compte qu'il avait été incapable de déceler tout ce qui pesait sur moi. Les dangers qui me guettaient au lycée comme chez moi.
Lorsqu'il parla enfin – « s'embrouilla » serait plus juste, d'ailleurs. Il se confondait en excuse tout en gérant ses propres émotions face à... tout ça. Il le faisait beaucoup moins bien que Maximilian, peut-être parce qu'il avait moins de recul ou de sang-froid... En tout cas, j'eus un bref aperçu de ce que ça faisait d'entendre quelqu'un tenir un discours sans queue ni tête sous le coup de l'émotion.
« – Mais pourquoi tu n'as rien dit avant ? dit-il, ses esprits retrouvés, je sais que ton père aurait mal réagi, mais on aurait pu tout lui cacher... Bon sang, Kaeden... tu aurais pu trahir le Secret... et là je n'aurais rien pu faire pour toi ! Tu te rends compte d'à quel point c'est grave ? »
– J-Je sais... pardon. Je ne m'étais pas rendu compte que... que c'était dangereux à ce point. Pour les autres, je veux dire. J'avais peur, et... je pensais que personne ne pouvait rien faire, même pas toi et je... Je sais que j'ai eu tort. J'aurais dû te parler de tout ça, peut-être que je n'aurais pas...
Un blanc. Un silence mortel.
« Tué mon père », c'était trop dur à prononcer pour l'instant. Je ressentais toujours de la honte et de la peur quand je pensais à ça... Même s'il était invivable, tyrannique et violent, ça n'excusait pas ce que j'avais fait.
La voix d'Edward se radoucit totalement :
« – Bon, je, euh... le plus important, c'est que ce soit terminé, d'accord ? Et ça n'arrivera plus... Que tu sois Défaillant, un Alpha ou quoi que ce soit, tu me parleras, c'est compris ? et je vais faire plus attention, tu as ma parole. Et toi tu... tu vas bien ? »
Je pensais que oui. Après tout, ici, j'étais dans un cocon de sécurité et de sérénité que je n'avais jamais vraiment connu. Personne ne s'en prenait à moi physiquement ou moralement. Au contraire, Maximilian prenait soin de moi et m'aidait à mettre de l'ordre dans ma nouvelle vie.
– Ça va, oui. M-Max voulait que je t'en parle, je n'ai pas bien saisi pourquoi.
« – Pour que je le sache déjà, puis que je prenne des mesures ! Tu ne te rends pas compte que tout ça s'est passé sous mon nez, sans que je ne voie rien ? Peut-être que d'autres Lycanthropes comme toi ont des problèmes comme cela, au lycée ou ailleurs, et je ne le sais même pas... »
– Est-ce que tu... tu vas me faire rentrer ?
C'était sorti tout seul, sans réelle cohérence – mais étions-nous réellement à cela près, Edward et moi ? J'avais un besoin viscéral soudain qu'il me rassure.
« – Bien sûr que non ! c'est quoi cette idée ? À moins que tu n'y tiennes vraiment ? »
– Ben je... je ne sais pas trop.
« – Tout à l'air de bien se passer avec Max, non ? Si tu te sens en confiance et en sécurité, je n'ai aucune raison de te rapatrier ici. »
Certes. Je me sentais stupide. J'avais si peur qu'il me rappelle à lui que je finissais presque par le demander...
« – Excuse-moi de n'avoir rien vu, enchaîna-t-il alors, je sais que tu ne vas pas facilement vers les autres, encore moins pour parler de tes problèmes. J'ai été négligent. J'aurais dû intervenir bien avant toute cette histoire. »
– Mon père ne t'aurait pas laissé faire... ne t'en veut pas, je... Max a raison, j'aurais dû demander de l'aide au lieu de tout garder pour moi.
« – En tout cas, il a l'air de te faire du bien, conclut-il après deux secondes de battement. Tu n'as jamais parlé aussi facilement de toi. C'est très bien, ça prouve que tu te sens mieux... »
J'avais rougi et baissé la tête, mal à l'aise, honteux. Heureusement qu'il n'était pas en face de moi.
Il changea rapidement de sujet, quelque chose de léger qui occulta loin de nous ce sentiment lourd de culpabilité. Je regardais la mer devant moi et je me sentais mieux. Comme libéré d'un fardeau – même si je me sentais coupable, pire que plus bas que terre question fierté.
Après tout, aujourd'hui était un jour de fête, celle de la Renaissance, du Nouveau Départ.
Et je me sentais prêt à cela.
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