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Le voyage avait été long et éprouvant, pourtant je n'avais pas osé me plaindre. C'était déjà un miracle en soi qu'Edward ne cède pas à la douce sirène que pourrait être mon Bannissement... Cela aurait réglé tous ses problèmes, ceux de la Meute également. Les miens, beaucoup moins. Je devais lui être reconnaissant et, actuellement, cela se trahissait par un mutisme digne sur le fait que je sos fatigué, frigorifié et affamé.
Mes vêtements n'étaient pas du tout adaptés aux températures saisonnières de la région ; le vent nordique était glacial et persistant. Surtout en ce début de tempête !
Nous attendions dans le froid que le pêcheur qui avait accepté de nous conduire jusqu'à l'île largue les amarres. Maximilian n'avait pas répondu au téléphone de la journée, ce qui avait bien agacé Edward. Cependant, il m'avait expliqué que le réseau passait mal lorsqu'il y avait du vent, comme aujourd'hui. Mon Chef de Meute semblait déterminer à rallier l'île pour y passer la nuit. Qu'importe le vent, le froid, la mer agitée, du moment qu'on dormait sur l'île !
– Ce temps pourri, maugréa-t-il en s'enfonçant dans sa veste, tu n'as pas froid ?
Un hochement de tête négatif fut loin de le convaincre. Sur le dos, j'avais un sweat qui laissait passer le froid facilement et un vulgaire débardeur en dessous... Je n'avais pas vraiment le choix. Les seuls vêtements qui ne soient pas troués et trop abîmés étaient ceux-là, or je désirais faire une bonne première impression à Maximilian.
– Tu es sûr que c'est une bonne idée ? murmurais-je, pas franchement en confiance.
La mer, noire comme l'encre, était agitée et cela ne me rassurait guère. Le vieux bateau, balloté par l'eau alors qu'il était encore amarré, me faisait penser à une coquille de noix qui coulerait avant même de quitter le port...
– T'en fais pas, ça va aller !
Me voyant frissonner, il enleva sa veste et la passa sur mes épaules. Elle était plus épaisse que mon sweat, la chaleur me fit du bien... Mais cela me gênait tout de même qu'il soit en t-shirt par un froid pareil à cause de moi. Cela ne s'arrangea pas lorsqu'il laissa ses bras autour de moi, collant son torse contre mon dos, pour me réchauffer. Edward était tactile et spontané avec tous les membres de la Meute, il n'y avait rien de mal dans son comportement, pourtant ça me mit très mal à l'aise. Je n'avais pas osé bouger d'un millimètre, tendu. Je ne m'étais relâché qu'une fois à bord du bateau, bien après qu'il ne soit plus en contact avec moi.
L'île était vraiment isolée. Il nous avait fallu un temps trop long à mon goût pour deviner la petite lumière qui trahissait la proximité de l'île. Les faibles rayons de la lune ne m'empêchaient pas de deviner vaguement les contours de l'imposant manoir.
En mettant les pieds sur le ponton, je me fis la réflexion que mon nouveau lieu de vie ressemblait plus à un château qu'à un manoir tellement il apparaissait grand, dominant l'île avec autorité, drapé dans la pénombre de la nuit... Un escalier approximatif reliait le ponton à l'entrée du bâtiment, les pierres étaient glissantes à cause de la pluie qui avait dû s'abattre dans la journée.
– Enfin ! souffla Edward. Je ne m'en souvenais pas que ça mettait autant de temps pour arriver ici, ni que cet escalier était aussi long !
Il était vrai qu'il était long et raide, et que les marches constituées de pierres étaient irrégulières, pas du tout éclairées, glissantes à cause de la pluie, ce qui était vraiment dangereux ! Sans forcément attendre de réponse de ma part, Edward ouvrit la lourde porte d'entrée en bois sculpté. Il sourit, puis m'invita à entrer d'un signe de la main :
– Bienvenue à la maison.
Celle-ci était plongée dans le noir, aussi avais-je dû attendre que la lumière s'allume pour constater à quel point l'intérieur était chaleureux... Entièrement en bois, décoré de manière classique et authentique, dégageant une odeur de vieille maison rassurante. Quelques bibelots prenaient la poussière sur des meubles et autres étagères. L'escalier en face de la porte d'entrée était impressionnant par sa taille et sa largeur...
Ce manoir avait été construit par le premier Chef de la Meute, c'était il y a tellement longtemps que même les anciens ne parvenaient à situer l'année exacte... Mais l'histoire était connue de tous. Quand moi et mon père avions intégré la Meute, Edward nous l'avait racontée plusieurs fois.
La légende voulait qu'un puissant Mâle Alpha solitaire ait bâti de ses mains le manoir sur l'île afin d'y couler des jours paisibles. Il y avait accueilli des congénères dans le besoin, puis le temps passant, était devenu Chef de Meute malgré lui. Depuis lors, les Chefs de Meute perpétuaient une tradition d'accueil et d'aide aux plus démunis. Les anciens disaient que c'était pour qu'on n'oublie jamais l'acte de l'Alpha Dominant, pour lui rendre hommage, le remercier... Mais Edward préférait dire qu'ils avaient « ça dans le sang ».
C'était la légende telle que je m'en souvenais, en tout cas... Elle était si vieille qu'on avait dû oublier pas mal de détails ! Enfin, cela expliquait pourquoi cet endroit semblait étudié pour accueillir des Lycantropes bien portants ! Tout semblait immense et démesuré ! Mais j'imagine qu'il y a quelques générations, cet endroit était rempli d'Alphas puissants qui avaient besoin de tels espaces... Je m'y sentais tout petit.
Une douce odeur flottant dans l'air me ramena sur terre. La faim et mon odorat développé me permirent de situer la cuisine vers le couloir juste en face – ce fut par là qu'Edward s'engagea, annonçant notre arrivée à son frère en criant à travers le bâtiment.
Timidement, je le suivis, surpris que le couloir soit plutôt étroit, comparé au reste de la maison. Maximilian s'affairait dans une cuisine qui n'avait pas subi l'assaut du temps ; tout ici était ancien ! J'avais l'impression d'avoir remonté le temps !
Mon attention passa rapidement de l'équipement désuet de la cuisine à Maximilian. Dans mes souvenirs, il était impressionnant par sa taille et stature, imposant le respect... Eh bien, cela n'avait pas changé le moins du monde !
Bien qu'Edward soit son frère jumeau, Maximilian avait au moins une tête de plus que lui et la carrure qui allait avec. C'était un homme à la musculature surdéveloppée, virile, le regard couleur or transperçant, assuré, intimidant. Avec sa barbe noire parfaitement entretenue, je lui aurais donné des années de plus que son âge réel. Cela s'accentuait avec ses vêtements classes – pantalon noir, chaussures en cuir lustrées, chemise blanche de marque. Le tout sur mesure et de très bonnes qualités. Cela lui allait bien !
À côté de lui, Edward avait l'air beaucoup plus jeune, rasé de près et avec son look d'éternel adolescent... Mais cela ne semblait gêner personne ici.
Après avoir échangé un sourire et un regard, ils se serrèrent dans les bras l'un de l'autre, sans doute plus qu'heureux de se retrouver. Je me sentais de trop. Lorsqu'il réceptionna son frère dans ses bras, le regard de Maximilian et le mien se croisèrent. Des frissons d'intimidation me parcoururent, je baissai le regard, impressionné.
Je n'étais pas de taille à lutter, encore moins revendiquer ma supériorité sur lui, nous le savions tous, mais je voulais qu'il le sente avant qu'on se parle officiellement.
Par rapport à eux, je ressemblais à un gamin – d'ailleurs, j'en étais encore un. Bien que je sois un Lycanthrope, physiquement, cela ne se trahissait pas vraiment. Certes, j'avais des sens beaucoup plus sensibles que les autres, mais j'avais une carrure d'un adolescent humain moyen et terriblement banal... Les événements récents accentuaient ma maigreur parce que je n'avalais presque rien, ainsi que les nuits d'insomnie rendaient mon teint pâle et qui tirait mes traits.
Sincèrement, en me voyant dans la glace, moi-même j'avais du mal à imaginer que je sois un Lycan Bêta adulte. Encore moins capable de tuer autre chose qu'un insecte.
Je lisais clairement dans le regard de Maximilian, méfiant et intrigué, qu'il pensait strictement la même chose que moi.
Leur étreinte dura un long moment, avant que le Chef de Meute ne revienne vers moi.
– Max, tu te souviens de Kaeden ? demanda-t-il rhétoriquement, passant son bras sur mes épaules.
Maximilian se contenta d'un hochement de tête, ses iris me transperçant de part en part sans que je trouve le courage de l'affronter. Après avoir échangé un « bonsoir » mutuel, je restais muet comme une tombe, évitant soigneusement de lever les yeux vers lui. Cela dura plusieurs secondes – de longues secondes gênantes – avant qu'il ne me lâche enfin du regard.
Edward tenta de détendre un peu l'atmosphère, en vain. J'étais vraiment tendu, nerveux, à l'idée de vivre avec un type pareil ! Il était si grand et si puissant qu'il me croquerait tout cru sans que j'aie le temps de réagir, si je le contrariais !
La voix de Maximilian était grave, suave, son ton plus doux que ce à quoi je m'attendais :
– Le voyage était long, j'imagine. Ce sera bientôt prêt.
L'odeur du dîner qui envahissait la cuisine me plaisait bien. De la viande rôtie en quantité, des pommes de terre, de la sauce, du fromage... Bref, tout ce qu'il fallait pour réchauffer le corps et l'esprit après un long voyage dans le froid.
– Ouais, t'as raison ! Viens avec moi, je vais te montrer ta chambre en attendant !
Il m'entraîna à l'étage, tandis que je lançais un dernier regard à Maximilian. Celui-ci avait l'air intrigué par moi.
« Ma » nouvelle chambre devait faire le double de celle que j'avais chez moi... Tout ici me semblait démesurément grand, comme le reste de la maison : le large lit à baldaquin dans un coin, le bureau en bois dans un autre, le dressing que je peinerais à remplir en face de moi... Il y avait même un coin avec une bibliothèque à moitié remplie, deux fauteuils et une petite table près de la fenêtre. Celle-ci donnait sur le jardin et sur la mer – mais actuellement, je ne voyais rien à cause de la nuit.
Edward posa mon sac sur le lit, tandis que je remarquais des petits détails qui avaient un peu d'importance – du moins pour moi : la pièce avait été aérée, les meubles dépoussiérés, les draps changés. Cela me détendit un peu. Peut-être que Maximilian ne voyait pas ma présence ici comme une menace ou une charge... ? Ou peut-être qu'il voulait faire bonne figure devant le Chef de Meute. Je ne le connaissais pas assez pour trancher.
– Bon, je te laisse t'installer tout seul, je déteste ranger... La salle de bain est juste à côté – tu peux prendre tes aises, Max en a une privative. Sa chambre est juste en face de celle-ci, au cas où tu aurais besoin de quelque chose. Ne te gêne pas, hein.
– Euh, oui, d'accord.
C'était stupide de répondre cela sachant pertinemment que j'allais être plus que gêné de demander quoi que ce soit... Surtout à Maximilian. Mais que dire d'autre ? « Non, ton frère m'intimide trop » ou « ça me gène d'être ici à un point que tu n'imagines même pas » ? Mauvaise idée.
Une fois seul dans la pièce, je m'étais assis avec retenue sur « mon » lit. Le matelas était confortable, l'odeur des draps réconfortante. Cette pièce était si grande que le sac contenant mes affaires semblait ridicule à côté ! Au moins, l'installation serait vite expédiée.
Je l'avais remise à demain. Edward avait prévu de repartir dans la matinée et je voulais profiter au maximum de sa présence ici pour apprivoiser les lieux. Et son frère également.
Si seulement il pouvait rester plus longtemps ici ! Au moins le temps que Maximilian et moi soyons plus proches... Qu'on se connaisse un minimum pour cohabiter. Malheureusement, j'avais créé pas mal de problèmes à la dernière Lune Pleine... Des blessés, de la casse matérielle, toute une Meute encore choquée. Sans compter la mort de mon père.
J'étais à l'origine de tellement de choses négatives que j'en avais le vertige. Et c'était à Edward, le Chef de Meute, de régler les problèmes que j'avais créés. Je me sentais terriblement coupable de ça.
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